« Les barrières ont
sauté » : le crime organisé menace ouvertement les magistrats car chacun
tire la couverture à lui…
L’ENQUÊTE DU DIMANCHE. De plus
en plus de juges ou de procureurs font l’objet d’intimidations larvées ou
d’avertissement plus directs. La crainte d’une tentative d’assassinat se
fait pesante.
Par Sandra
Buisson
Publié le 04/05/2025 à 11h00
« Il nous est, à tous, un
jour arrivé de recevoir un petit cercueil », note un magistrat ayant
précédemment exercé en Corse. Mais ces dernières années, les menaces visant ces
professionnels du droit se font plus inquiétantes et ne sont plus l'apanage d'une
« spécificité » de l'île de Beauté, ni même du terrorisme.
En cause, la criminalité
organisée, majoritairement dédiée
au trafic de stupéfiants, qui charrie dans son sillage des sommes
faramineuses et des appétits démentiels, au point de ne supporter aucune
entrave au business fût-elle le fruit de l'action d'un juge ou d'un
procureur.
« On a changé d'époque,
souligne de son côté Franck Rastoul, procureur général près la cour d'appel
d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). L'exécution des agents pénitentiaires au
moment de l'évasion du narcotrafiquant Mohamed
Amra a été un choc profond avec des morts sans aucune raison,
gratuites. »
« Par ailleurs,
désormais, l'assassinat est parfois sous-traité pour un prix dérisoire, pour
des motifs futiles, poursuit-il. Le risque devient vertigineux. On confie
l'acte de tuer à quelqu'un qui peut même ignorer l'identité de sa cible.
Certains de ces exécutants, recrutés sur les réseaux sociaux, ont des
comportements absurdes et décorrélés de toute analyse du risque, même pour eux.
On connaissait “Uber shit”, maintenant on est passé à “Uber kill”. »
Le statut d'homme de loi ne
protège plus
Pour preuve, l'effroi qui
s'est répandu dans la magistrature après la soirée du
30 octobre 2024 lors de laquelle quatre individus ont été
repérés armés, dans deux véhicules, au pied du domicile du procureur général de
Douai (Nord). Quatre Algériens, dont trois sous OQTF (obligation de quitter le
territoire français), ont été interpellés, avec un profil de petits
délinquants.
Selon une source proche du
dossier, « ils savaient qui habitait là ». « L'hypothèse basse
est qu'ils venaient faire un home jacking, poursuit cette source. L'hypothèse
haute est celle d'un enlèvement avec séquestration. » Pour faire un
exemple ? L'enquête devra le déterminer.
Autre fait marquant : en
février 2024, dans un village du Var, des individus cagoulés ont incendié
des locaux d'un expert judiciaire en informatique, souvent désigné pour
éplucher des ordinateurs ou des téléphones de criminels. « Ils ont gagné,
nous confie un magistrat. Depuis les faits, il ne veut plus travailler sur
des dossiers de criminalité organisée. »
À
Marseille, qui sont ces jeunes tueurs « sans sentiment ni
émotion » ? C'est un constat que font tous les magistrats
contactés par Le Point : le statut d'homme de loi, de représentant
de l'État ne protège plus. « Ce qui était avant une protection, l'autorité
institutionnelle, incarnée et respectée, est même devenu un facteur
d'exposition supplémentaire au risque », explique Franck Rastoul.
« Ce n'est plus cantonné
aux secteurs très sensibles, comme la Corse ou Marseille », constate
Xavier Bonhomme, procureur général près la cour d'appel de Nîmes (Gard).
« Ça ne concerne pas des centaines de cas mais on a l'impression qu'il n'y
a plus de territoires à l'abri de cette menace. Les enjeux financiers sont tels
qu'ils sont capables de tout. »
Selon les informations du Point,
une enquête est en cours à la Junalco (Juridiction nationale de lutte contre la
criminalité organisée) concernant un magistrat qui suit ce type d'affaires. Un
détenu a dit que « ce serait bientôt son tour ». Il est connu pour
avoir déjà été suspecté d'être impliqué dans un homicide.
« Il m'a dit qu'il se
vengerait quand il sortirait »
Il y a un an, une autre
magistrate en région parisienne a été prise à partie par un prévenu en fin
d'audience : « C'était un gros délinquant impliqué dans le
narcotrafic, capable de mener une action pour reprendre un territoire, de
commanditer un règlement de compte. Au moment du délibéré qui le condamnait,
hors de lui, en frappant contre les parois du box, il m'a prise à partie et m'a
dit qu'il se vengerait quand il sortirait de prison. »
« Je n'ai pas eu peur,
poursuit-elle. On doit aller jusqu'au bout, on a une mission. Mais je prends
des précautions, je ne sors plus immédiatement de la salle à la fin d'une
audience parce qu'il peut y avoir l'entourage du prévenu. Je ne suis pas
sur les réseaux sociaux, j'essaie d'être la plus transparente possible parce
qu'on est googlisés et beaucoup de choses se propagent en détention. Il n'y a
pas eu de suite après mon signalement à ma hiérarchie. »
Cette
criminalité organisée qui menace (aussi) la République… À ses yeux, la
menace issue d'individus impliqués dans la criminalité organisée s'est accrue
ces dernières années, arrivant au même niveau que le terrorisme. Une magistrate
de la Junalco se rappelle qu'il y a plusieurs années, quand elle exerçait
dans une petite ville en région, un homme l'a menacée de mort lors d'un débat
dans le bureau du juge des libertés et de la détention. « Il m'a
lancé : “J'ai bien ton visage en tête. Tu feras attention dans la rue, si
tu sens qu'une voiture te suit.” »
« À travers nous, c'est
l'État de droit qui est menacé »
Certaines menaces sont
directes, frontales et peuvent être judiciarisées, faire l'objet de sanctions.
Cet homme a, par exemple, été condamné à dix mois de prison pour les faits
décrits. « Il y a aussi des courriers anonymes, des détenus peuvent parfois
en envoyer sous leur vraie identité, il arrive aussi que des auteurs de menaces
soient mineurs », souligne un magistrat en poste dans le nord de la
France. « Il y a aussi beaucoup de menaces voilées, par exemple, on nous
dit qu'un accident pourrait arriver… »
EXCLUSIF.
Laure Beccuau : « Nous piratons les organisations criminelles »
Notre interlocuteur recense,
dans les Hauts-de-France, de cinq à six magistrats menacés, qui travaillent sur
la criminalité organisée ou le terrorisme. « Les alertes sont prises
au sérieux, c'est signalé à la chancellerie. Il peut y avoir des demandes de
protection mais il est aussi possible pour ceux qui le souhaitent de changer de
service ou de solliciter une mutation », poursuit la même source.
« À travers nous, c'est
l'État de droit qui est menacé. Les barrières ont sauté, nous ne sommes pas
loin de basculer sur un assassinat de magistrat, et après nous, seront visés
les avocats et les journalistes. Parce que nous sommes des empêcheurs de
tourner en rond. Ces individus vivent en marge de la loi et ne conçoivent pas
qu'on leur impose des règles. »
« Une stratégie
perdante pour les organisations criminelles »
Les menaces peuvent se faire
également de manière plus pernicieuse. « Dans certaines audiences, vous
avez, dans la salle, une sorte de comité de soutien au prévenu qui rend
l'atmosphère pesante », relate Christophe Soulard, président du Conseil
supérieur de la magistrature.
« Des magistrats
préfèrent ne pas quitter les palais de justice par la même porte, parce qu'ils
ne savent pas ce qui peut les attendre. J'ai connaissance d'un tribunal où une
sortie a été aménagée spécialement pour les magistrats. » La magistrate de
la Junalco abonde : « À l'audience, l'entourage des individus jugés
peut être oppressant. Parfois ce sont des gens qui viennent s'assurer que le
prévenu ne révèle rien de compromettant, par exemple. »
Face au
narcotrafic, la mue des maires de gaucheEst-on sur le point de voir un
nouveau juge Michel, ce magistrat qui travaillait sur le narcotrafic et a
été assassiné en octobre 1981 à Marseille ? « Les menaces
ne vont aller qu'en s'amplifiant, indique au Point Aurélien Martini,
secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats (USM). On
ne se demande plus si un magistrat peut être victime d'un assassinat ou d'une
tentative d'assassinat, mais quand ça va arriver. » Laure Beccuau, procureure
de la République de Paris, veut croire, elle, que l'intelligence des
malfaiteurs ne les conduira pas à ça.
Un point de vue partagé par
l'écrivain et journaliste italien Roberto
Saviano, auteur de Giovanni Falcone (Gallimard), un roman-enquête
sur le juge anti-Mafia assassiné en Sicile en mai 1992 dans
l'explosion de sa voiture. Interrogé par Le Nouvel Obs, en janvier
dernier, sur la probabilité que les narcotrafiquants français s'en prennent à
un juge, l'auteur de Gomorra expliquait : « Je pense qu'ils ne
le feront pas, car c'est une stratégie perdante pour les organisations
criminelles. Elle les rend visibles et, par conséquent, la répression est
accrue. […] Ils en ont les moyens, mais ils ne le font pas parce que ce n'est
pas dans leur intérêt. »
Atmosphère entretenue par
certains avocats
Un constat qui n'empêche pas
la procureure de Paris de constater, dans une interview
au Point en mars, que ce qui s'est passé pour le narcotrafiquant
Mohamed Amra démontre que « certains profils sont en mesure de recourir à
une violence inouïe, même quand cela ne leur est pas utile ».
La magistrate de la Junalco va
au-delà : « Le risque augmente depuis plusieurs années. Les individus
mis en cause ont une envergure de plus en plus importante et ils sont de plus
en plus nombreux. Quand on a su pour les agents pénitentiaires exécutés pendant
l'évasion d'Amra, on s'est appelé avec des enquêteurs et on s'est dit :
“C'est nous les prochains. On ne peut plus se réfugier derrière le respect des
institutions.” »
Narcotrafic :
ces « avocats de voyous » qui agacent les magistrats
Une atmosphère de
menace larvée entretenue par certains avocats qui attisent la situation,
multipliant plaintes et demandes de récusation. « Un petit noyau d'avocats
a cannibalisé ce contentieux. Ils ont des méthodes qui dépassent les droits de
la défense », relate un de nos interlocuteurs.
Des professionnels d'une Jirs
(Juridiction interrégionale spécialisée) ont indiqué à Aurélien Martini, de
l'USM, qu'il s'agit d'une petite minorité d'avocats : « Certains ont
partie liée avec le crime organisé et peuvent relayer des messages de menace,
mais c'est toujours très enrobé, ils ne peuvent pas être poursuivis pour ça.
Ils “préviennent” de ce qui pourrait se passer, en se faisant passer pour
de bons samaritains. »
« Fragilité
psychologique »
Un magistrat spécialisé dans
la criminalité organisée a dû changer de fonction pour éviter
le blocage d'un dossier : « Un homme était déjà renvoyé aux
assises et il était mis en examen pour meurtre en bande organisée. L'avocat a
déposé une plainte pour faux contre moi au nom de son client et il a fait une
requête en récusation. Il savait très bien qu'il y avait peu de chances que
cela prospère parce que le faux dénoncé correspondait à un acte juridictionnel.
Et il a continué à m'attaquer dans d'autres dossiers, m'accusant de déloyauté,
de partialité. »
« J'ai demandé à ma
hiérarchie de rappeler au barreau les règles déontologiques, mais on m'a dit de
ne pas m'attarder et de continuer à travailler », détaille-t-il. Une
réaction qui n'est pas généralisée, souligne toutefois Aurélien Martini, car
plusieurs chefs de cours sont déjà montés au créneau sur ce sujet.
Général
Bonneau : « La criminalité organisée menace la cohésion
nationale » Parfois, les signalements de menaces se retournent contre
le magistrat. C'est ce qu'a ressenti une spécialiste de la criminalité
organisée dans le sud de la France, placée sous protection il y a une dizaine
d'années parce qu'un détenu avait mis un contrat sur sa tête.
« Ce ne sont pas des
choses qui suscitent la bienveillance, explique-t-elle. On vous montre du
doigt, en sous-entendant que c'est à cause de votre manière de travailler ou
que vous êtes fragile. Certains collègues préfèrent ne pas en parler pour ne pas
être dessaisis du dossier ou être taxé de “fragilité psychologique”. »
« La sécurité, un impensé
au ministère de la Justice »
Une cellule a été constituée à
la chancellerie, en juillet dernier, pour centraliser les demandes de placement
sous protection. Elle est en lien avec les services du ministère de l'Intérieur
chargés d'évaluer le niveau de la menace et d'y adapter un niveau de protection
correspondant. Elle peut inclure une protection physique, des rondes près du
domicile, une sécurisation des trajets domicile-travail, notamment.
Selon le ministre de la
Justice, 150 magistrats sont, ou ont été menacés depuis 2021, en
particulier par le narcobanditisme. Une quinzaine se trouve actuellement sous
protection policière, qu'il s'agisse de magistrats spécialisés dans la lutte contre
le terrorisme ou contre la criminalité organisée.
EXCLUSIF.
Le patron de l'Office antistupéfiants détaille sa stratégie contre le trafic de
drogues
« On peut se réjouir que
le sujet vienne dans le débat mais on peut se demander si ce n'est pas un peu
tard, réagit Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité-magistrat
FO. La sécurité des magistrats reste un impensé au ministère de la
Justice, et ce, même hors de la criminalité organisée, pour les audiences
tardives ou de cabinet un peu sensibles. »
« La dernière fois que ce
sujet a été évoqué à la chancellerie, c'était avec Jean-Jacques Urvoas, se
souvient Béatrice Brugère. Au regard du volume important de
magistrats menacés révélé par le garde des Sceaux en mars, il serait intéressant
que l'on puisse avoir le détail de ces menaces et prendre toutes les mesures
qui s'imposent. Jusqu'à présent, la réactivité sur la protection des magistrats
n'a pas toujours été à la hauteur lorsque nous avons signalé des cas de
professionnels en difficulté, et la protection du corps non plus. »
« Ne pas attendre un
drame pour se poser des questions »
Des solutions, ou au moins des
mesures pour se prémunir d'un passage à l'acte, certains magistrats en
identifient quelques-unes, détaillées par la magistrate de la Junalco. Elle
estime que, comme ses collègues travaillant sur l'antiterrorisme, qui sont d'office
placés sous protection, ce devrait être également le cas pour les magistrats
travaillant sur les affaires du crime organisé.
Une protection qui peut être
compliquée à supporter, comme en témoigne un magistrat parisien travaillant sur
le terrorisme : « On perd toute spontanéité dans la vie courante.
Même si je descends prendre un café, mon officier de sécurité vient avec moi.
Je prends aussi des précautions sur les réseaux, j'y suis sous de faux comptes.
Mes proches sont aussi prudents, je leur dis de ne pas se géolocaliser,
notamment. »
« On
va vous cramer, toi et ta mairie » : les élus ruraux face à
la « narcoracaille »
Aux yeux de certains
interlocuteurs, cette protection ne devrait toutefois pas être automatique mais
déclenchée au cas par cas, en fonction de la menace. Pour Éric Corbaux,
président de la conférence nationale des procureurs généraux, « il ne faut
pas attendre un drame pour se poser des questions. Les magistrats sont des
personnages publics, à visage découvert, qui ont des enfants, qui ne vivent pas
dans une tour d'ivoire. Ils n'ont pas de logement sécurisé ni de protection
particulière. Il n'est pas interdit de penser que, dans certains cas, il
faille, par exemple, des appartements réservés ou des moyens d'alerte
spécifiques ».
Anonymiser et dépersonnaliser
Plusieurs professionnels,
consultés par Le Point, considèrent qu'il serait nécessaire
d'anonymiser les magistrats dans les procédures, comme l'explique la magistrate
de la Junalco : « Il n'est évidemment pas possible d'être anonyme
quand nous siégeons à l'audience. Mais dans les actes d'investigation, c'est
faisable. D'ailleurs, ça se fait déjà pour les enquêteurs. Ça démontre bien que
l'on considère qu'il y a une dangerosité. Il est même incohérent que cela ne
soit pas déjà le cas. »
À
Marseille, la guerre contre les trafics commence à porter ses fruits À
Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Autre précaution envisagée : la
dépersonnalisation. « Il arrive que nous retrouvions le même suspect dans
différentes procédures et parfois les individus font une fixette sur le
magistrat. Ils pensent qu'il les persécute. Pour pallier ce sentiment,
dans notre section, nous avons la possibilité d'attribuer à des magistrats
différents les dossiers concernant un même mis en cause. » Une dynamique
prônée également par le procureur général près la cour d'appel
d'Aix-en-Provence.
Pour autant, les magistrats
consultés indiquent ne pas vouloir quitter leur spécialité : « Nous
faisons un métier à risque, comme nos collègues de l'antiterrorisme »,
conclut la magistrate de la Junalco. « Mais il ne faut pas tomber dans la
paranoïa ni quitter le navire. Il faut s'équiper face à la menace, monter en
puissance dans la lutte contre le crime organisé, et ne pas céder, parce que
c'est ce qu'ils cherchent. »
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Mais là je suis indirectement
obligé sans en dire plus si on appelait cela : « le plus court chemin
vers l’anarchie » : car là c’est grave à cause de nos dirigeants et
politiciens mais élus réélus de tous bords par nous-mêmes Français lambda stupides
voir nuls ne sachant plus voter ou choisir pour leur destin voir même pour leur
sécurité quotidienne dans notre PAYS si libre et démocratique et qui va devenir
un pays infréquentable dans cette EUROPE dite UNIE mais bien malade aussi comme
la France mal gouvernée et mal protégée par un président bavard réélu et sa
clique « macronienne » inexistante
et inutile comme notre 1er ministre choisi par lui et en plus pour
le reste des élus députés de l’assemblée nationale par des citoyens et lui donc
qui attend 2027 tranquillement : merci à eux tous ( mais qu’ils ne se
plaignent pas SVP !? )
Jdeclef 04/05/2025 16h37 LP
