Écologie :
Macron cherche encore sa boussole
Guillaume
Sainteny, spécialiste du développement durable et de la fiscalité écologique,
dresse le bilan environnemental du premier quinquennat.
La
démocratie pourra-t-elle venir à bout des crises environnementales qui pèsent
déjà sur notre quotidien ? Guillaume Sainteny, ex-directeur des études
économiques et de l'évaluation environnementale au ministère de l'Écologie,
enseigne à AgroParisTech et à Polytechnique. Pour lui, les structures et les
outils de politiques publiques sont mal adaptés au traitement de ces enjeux.
Le Point :Quel
est le bilan de la politique du premier quinquennat d'Emmanuel Macron en
matière d'écologie ?
Guillaume Sainteny :
L'action n'a pas été cohérente sur tous les plans. Le point le plus positif est
une avancée significative en matière de maîtrise de l'artificialisation des
sols. Sur ce point-là, on a eu un discours très cohérent dès la campagne de
2017, suivi d'actions concrètes : envoi aux préfets de trois instructions,
recentrage du régime Pinel, fixation d'un objectif de « zéro artificialisation
nette » à l'horizon 2050 et de diminution par deux du rythme de consommation
d'espaces naturels d'ici à 2030.
Reste que, si l'on veut tenir les objectifs en termes de
développement d'énergies renouvelables (photo - voltaïque, éolien…), il va
falloir artificialiser des sols…
C'est certain. Les énergies renouvelables participent à
l'artificialisation des sols, notamment le solaire au sol. Pour enrayer cette
dernière, on a fait un moratoire de principe pour les grandes surfaces. En
revanche, on a refusé d'inclure les surfaces logistiques dans ce moratoire. Or,
elles consomment énormément d'espace.
Quels sont les points noirs de la politique environnementale du
premier quinquennat de Macron ?
On peut noter plusieurs faiblesses : une stagnation en matière de
fiscalité environnementale après le traumatisme des Gilets jaunes ; des reculs
en matière de politique agroenvironnementale… L'agriculture, deuxième secteur
émetteur de gaz à effet de serre en France, n'a pas réduit ses émissions. Le ministère
de l'Agriculture vient de diminuer les obligations en matière de haies et, à la
suite de la crise ukrainienne, de mise en culture des jachères. Or, haies et
jachères permettent de stocker du carbone et jouent un rôle très positif en
matière de biodiversité comme de limitation de l'érosion des sols.
Voyez-vous des signaux qui laissent supposer qu'Emmanuel
Macron a les idées claires en matière d'environnement pour son second
quinquennat ?
Je l'ai entendu dire deux choses significatives à ce sujet.
Quelques mois après sa première élection, il a indiqué qu'avant de devenir
président de la République il ne connaissait pas grand-chose à l'environnement.
Plus récemment, il a répondu à quelqu'un qui lui reprochait son action
insuffisante dans ce domaine qu'il n'avait pas les idées claires en la matière,
parce qu'il n'y avait pas assez réfléchi quand il a été élu, et qu'il n'aimait
pas agir sans avoir suffisamment réfléchi à un sujet. Depuis cinq ans, il est
certain que ses connaissances et sa compréhension de ces sujets ont beaucoup
progressé.
Après de multiples revirements sur certains dossiers…
Oui. Je crois que ce qui peut, en partie, expliquer ces
revirements, c'est justement la connaissance insuffisante de ces enjeux au
début de son premier mandat, qu'il admet lui-même. Une anecdote me paraît
révélatrice. Lors d'une réunion, il y a quelques mois, avec les ONG, il leur a
expliqué que certaines de leurs remarques étaient justifiées mais qu'elles
sous-estimaient le principe de réalité. Cela pourrait signifier que dans ce
domaine il s'est, lui aussi, heurté au principe de réalité. Mais, en même
temps, l'action politique ne consiste-t-elle pas, précisément, à travailler à
partir d'une réalité existante ?
Sur le nucléaire aussi, il a changé d'avis…
Je n'en suis pas sûr. Au contraire, il me semble qu'il a toujours
été favorable au nucléaire , mais il a tardé à faire des choix, probablement
pour des raisons politiques - il avait Hulot au gouvernement, Fukushima n'était
pas si loin, l'opinion était divisée. Sa politique consiste à développer en
même temps le nucléaire et les énergies renouvelables… avec tout de même, plus
récemment, un bémol sur les éoliennes. Emmanuel Macron a vu qu' il y avait sur
le terrain une opposition assez forte , ce qui le pousse à freiner l'éolien
terrestre au profit de l'offshore. Pourtant, l'éolien en mer va aussi se
heurter à des oppositions et pose également des problèmes en matière de
biodiversité et de paysage. Par exemple, M. Castex a annoncé récemment le
lancement de l'éolien en mer Méditerranée. Mais, en droit, plusieurs protocoles
à la convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée y rendent
difficile juridiquement l'installation d'éoliennes. D'autant plus qu'en
Méditerranée, en raison des grandes profondeurs, on va installer de l'éolien
flottant dans des aires marines protégées et en zone Natura 2000. Or qui dit
éolien flottant dit bouées… qui doivent être amarrées par des milliers de chaînes
qui endommagent les fonds marins et polluent la mer…
On a le sentiment que tous les ministres de l'Environnement
finissent en ministres fantoches. N'y a-t-il pas un problème de gouvernance de
ce sujet ?
Ce n'est pas un problème politique. C'est plutôt un problème de
réforme de l'État. Il se pose de façon analogue dans la plupart des pays. Les
structures et les outils de politique publique sont mal adaptés au traitement
de ces enjeux. C'est vrai de la manière de compter : le PIB n'est pas adapté.
Un accident de la route ou une pollution le font augmenter, la destruction d'un
espace naturel ne le fait pas reculer… C'est vrai des circonscriptions
administratives, qui ne correspondent pas à des unités biogéographiques. C'est
vrai de la prise en compte du temps : l'annualité budgétaire entrave la prise
en compte du temps long. Nous savons aujourd'hui que nos actions auront des
conséquences sur les générations futures. Or celles-ci ne sont pas prises en
compte dans les processus de prise de décision. Comment représenter les
générations futures en démocratie ? Voilà une grande question à résoudre.
Quels seraient pour vous les indicateurs d'une politique
environnementale réussie ?
Il n'existe pas un seul indicateur composite qui ferait l'affaire.
Il en faut plusieurs. Par exemple, la diminution de la consommation du foncier
naturel est un indicateur important. Je plaide pour un indicateur
complémentaire de bon sens : mesurer l'intensité en emplois par hectare
artificialisé. En effet, si on doit continuer à artificialiser, il paraît
souhaitable que les avantages de cette artificialisation l'emportent nettement
sur les coûts de destruction de la biodiversité et de disparition de terres
agricoles. Par exemple, l'intensité en emploi à l'hectare des surfaces
logistiques est faible. Les émissions de gaz à effet de serre restent un
indicateur essentiel, mais il faut que ce soit en empreinte ! Prendre en compte
la seule production est trompeur. Les indicateurs d'émissions de polluants de
l'air sont importants, car celle-ci tue chaque année en France plus que le
changement climatique. La protection de l'aspect paysager n'a pas de bons
indicateurs. Or on voit bien que beaucoup de gens sont plus sensibles à cet
aspect qu'à la biodiversité. Et, en outre, les paysages sont un facteur
d'attractivité touristique. Un indicateur de ce type serait donc utile.
La question de l'artificialisation des sols, et plus généralement
de l'occupation de l'espace, est pour vous centrale…
Oui, car elle a des conséquences en matière de changement climatique,
de consommation d'énergie, de pollution de l'air et de l'eau, de biodiversité,
de paysage, d'agriculture et de stabilité sociale… L'étalement urbain a en
partie induit la crise des Gilets jaunes. Beaucoup de personnes qui étaient
locataires en centre-ville ont voulu devenir propriétaires en périurbain. Pour
commencer, elles ont fait un mauvais calcul en coût complet : elles doivent
payer la taxe d'aménagement à la fin de la construction, la taxe sur le foncier
bâti, l'assurance, l'entretien de la maison, l'entretien du jardin, deux
voitures, etc. Entretenir le rêve de la maison individuelle n'aide pas tout le
monde. Je plaide pour une mesure d'information très simple : que tout nouveau
programme immobilier ait l'obligation d'afficher la distance jusqu'à la gare ou
au transport collectif le plus proche, et la distance par rapport aux zones
d'activités ou aux commerces les plus proches. Cela permettrait de favoriser
une meilleure appréciation des coûts induits par la localisation du logement
par chacun.
Voyez-vous des modèles particulièrement efficaces dont les
politiques français pourraient s'inspirer ?
En France, nous avons une manière très réglementaire d'envisager
l'environnement. Les pays anglo-saxons ont une manière de faire plus
contractuelle. Dans le domaine de la biodiversité aux États-Unis, par exemple,
mais aussi en Angleterre, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, on signe des «
servitudes de conservation ». Concrètement, le propriétaire d'une ferme, d'une
forêt ou d'un espace naturel intéressant peut signer une convention - avec une
ONG, une municipalité, un muséum… - dans laquelle il s'engage à certains types
de gestion compatibles avec la biodiversité. En échange, il a droit à une
réduction d'impôt. Le terrain reste donc privé, mais il est protégé
efficacement, et sa protection coûte beaucoup moins cher que l'alternative, qui
serait l'achat par l'État. En France, ce système a été voté dans la loi de 2016
sur la biodiversité - cela s'appelle ORE : obligation réelle environnementale
-, mais sans régime fiscal.
Les activistes, et de plus en plus l'opinion, tendent à considérer
en France qu'aucune politique écologique ne peut être efficace si elle n'est
pas d'abord anticapitaliste. N'est-ce pas inquiétant ?
Je pense qu'une grande partie de l'opinion, notamment les jeunes,
juge que la résolution des questions d'environnement ne progresse pas assez
vite et que l'environnement continue à se dégrader. Ce en quoi ils ont plutôt
raison. Cela ne signifie pas pour autant que d'autres systèmes feraient mieux.
Il existe en économie de marché des outils pour mieux prendre en compte
l'environnement, notamment le principe pollueur-payeur, l'écofiscalité
incitative, l'internalisation de ce qu'on appelle les externalités
environnementales, c'est-à-dire des coûts environnementaux… Ces principes
étaient déjà présents dans la Déclaration de Rio en 1992. Ils sont compatibles
avec l'économie de marché, mais force est de reconnaître qu'ils ont peu été
appliqués.