(Quand
on voit sa photo on lui aurait donné le bon dieu sans confession à ce
personnage illuminé...)
Kepel : «
La page Facebook du tueur traduit bien son parcours »
ENTRETIEN.
Le profil de Jamel Gorchene est inquiétant, comme le démontre le
spécialiste de l’islam Gilles Kepel, qui a pu étudier son compte Facebook.
Dans
son dernier livre paru en février, Le Prophète et la Pandémie (éd.
Gallimard), l'éminent spécialiste de l'islam Gilles Kepel analysait
l'année 2020 dans les zones méditerranéennes et du Moyen-Orient sur
le plan géopolitique. Il évoquait, bien sûr, cette Tunisie d'où est originaire
le meurtrier qui a tué une policière à Rambouillet le vendredi 23 avril,
avant d'être neutralisé par la police. L'occasion de revenir sur
l'expérience démocratique vécue par ce pays – la seule au cours du Printemps
arabe – qui traverse actuellement de graves difficultés. Mais aussi sur les
filières de clandestins qui remontent depuis Lampedusa, les Pouilles, jusqu'à
Vintimille et la France… Mais le profil de Jamel Gorchene est bien différent de
celui de Brahim Issaoui, l'assassin de la basilique de Nice, comme le révèle au
Point Gilles
Kepel qui a eu le temps de dépouiller et d'analyser son très riche compte Facebook
avant qu'il ne soit supprimé. Une analyse détaillée qui traduit un profil
nouveau dans la galerie des tueurs qui crient « Allah akbar ».
Le Point : Si l'on analyse le mode opératoire du Tunisien
Jamel Gorchene à Rambouillet, quelles comparaisons établiriez-vous avec les
précédents attentats ?
Gilles Kepel :
On commence à s'inscrire dans une triste tradition, celle de l'attaque contre
un commissariat ou des fonctionnaires de police. Comme à Joué-lès-Tours en
décembre 2014, comme à Magnanville en juin 2016, comme Mickaël Harpon en
octobre 2019 à l'intérieur de la préfecture de police. Mais c'est le
calendrier qui frappe. Jamel Gorchene a agi le vendredi, au onzième jour du
ramadan. On sait que toute action brutale qui vise à donner la mort à des
ennemis d'Allah entraîne une rétribution supplémentaire dans l'au-delà pour le chahid (martyr), si elle est commise
durant cette période. Les mois de ramadan, lors de la guerre civile en Algérie
entre 1992 et 1997, ont toujours correspondu aux moments les plus
sanglants. Mais c'est aussi le vendredi qui suit le dixième jour, qui est
particulier, puisqu'il marque, dans l'histoire sainte, le début de la
reconquête de La Mecque lancée par le Prophète depuis Médine. Ce que les
Israéliens nomment la guerre du Kippour, déclenchée par les Égyptiens et les
Syriens en 1973, est appelée par les musulmans, la guerre du Ramadan. Ce nom de
« 10 de Ramadan » a même été donné à une ville-satellite du Caire. On
retrouvait cette surdétermination du calendrier lors de l'attentat dans la
basilique de Nice où le Tunisien Brahim Issaoui a frappé le jour du Mouloud,
l'anniversaire du Prophète, qui tombait le 29 octobre cette année-là.
Le ramadan l'an dernier, en plein premier confinement, avait
pourtant été très calme…
Les craintes de trouble avaient été grandes, mais il semble que la
peur ait prédominé. Dans les mosquées salafistes, on interprétait la pandémie
comme une punition divine, un fléau, dont seule la prière pouvait sauver. Par
ailleurs, les décès pour raisons sanitaires et la désorganisation ont
probablement joué un rôle dans cette faible incidence de la violence.
« L'attentat
de Rambouillet concerne la France et la Tunisie »
Comment analyseriez-vous le profil et l'itinéraire de ce
Tunisien ?
Sa page Facebook traduit bien son parcours. Arrivé illégalement en
2009, il suit d'abord avec intérêt le Printemps arabe dans son pays, où il
soutient le Parti islamiste conservateur Ennahdha qui l'emporte en
2011. En 2013, il relaie une vidéo d'opérations du front al-Nosra
d'idéologie djihadiste en Syrie, avant de basculer plus récemment vers le
parti Al Karama, le plus radical des partis islamistes. Karama est un parti
représenté au Parlement, qui revendique la charia, mais n'incite pas à
commettre des actes terroristes. À la différence du jeune Tchétchène Anzorov
[l'assassin de Samuel Paty, NDLR], entraîné à tuer, socialisé dans un milieu
ultraviolent qui prône le passage à l'acte, Gorchene ne fait qu'une référence
passagère au djihadisme, au moment où celui-ci est « à la mode »
contre le régime d'Assad. Mais il ne relaie rien de Daech. Sa représentation du
monde passe par un islam politique. Assez tôt après son arrivée dans
l'Hexagone, il est venu au Louvre pour se faire photographier devant des
mannequins figurant des combattants musulmans en casque et cotte de mailles,
cimeterre en main, ou bien au département des Antiquités égyptiennes devant des
momies de pharaons. Le pharaon, mortel « arrogant » (moustakbir) qui se prend pour Dieu, est le
symbole du mauvais gouvernant impie.
Jamel Gorchene est relativement bien intégré dans la société
française. Il a obtenu une autorisation exceptionnelle de séjour salarié.
Retrouve-t-on des échos de la politique française chez lui ?
Il a été régularisé au bout de dix ans en effet, ce qui ne
manquera pas d'être débattu. Mais pour répondre à votre question, oui, et c'est
la singularité de cet individu, qui a une vision hybride du monde. Un islam
politique qui fait référence en 2013 au djihadisme, avant Daech,
lorsque les jeunes qui partaient d'Europe se battre contre Assad bénéficiaient
de la mansuétude des autorités. En revanche, il partageait souvent des captures
d'écran concernant l'islamo-gauchisme français. Que ce soit sa mouvance
islamiste, avec des citations ou des retweets d'Idriss Sihamedi, le patron de
Barakacity, l'ONG musulmane récemment dissoute par le ministère de l'Intérieur,
ou de Marwan Muhammad, l'ancien chef du CCIF (Collectif contre l'islamophobie
en France) également dissous,
ainsi que de Tarik Ramadan. Mais il se fait également le relais du gauchisme
philo-islamiste, sans commenter, car il ne semble pas en avoir les moyens
intellectuels. Il partage largement les posts Facebook de Jean-Luc
Mélenchon ainsi que les images de la grande manif contre l'islamophobie de
novembre 2019. Il est dans la défense victimaire de l'islam harcelé. Erdogan,
nouvelle figure de commandeur des croyants pourfendeur d'Emmanuel Macron, est
aussi présent, ainsi que des prédicateurs égyptiens et tunisiens rigoristes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire