Guerre
Hamas-Israël : « On sentait quelque chose monter, depuis sept à huit
mois… »
INTERVIEW.
Matthieu Clouvel-Gervaiseau est consul général de France à Tel-Aviv. Il a vécu
le 7 octobre au cœur de l’enfer. Il raconte au « Point » ces heures
glaçantes, pendant lesquelles 39 Français ont été massacrés par le Hamas.
Au téléphone, ce 3 novembre, la voix douce vacille imperceptiblement,
quand elle évoque les appels terrifiés, les détresses, et les dizaines
d'enterrements auxquels, ces quatre dernières semaines, Matthieu
Clouvel-Gervaiseau aura assisté. De Calcutta à Los Angeles, le diplomate
chevronné, nommé consul général de France à Tel-Aviv il y a un an, a vécu
plusieurs crises… Mais rien n'aurait pu le préparer à la violence de celle qui
s'est abattue ce 7 octobre sur Israël,
où vit une communauté de 180 000 Français.
Le consul est, sous l'égide du ministère, responsable de leur protection – il
le sait, c'est sa mission première. Et cette mission, on le sent à la tension
comme à la fatigue de sa voix, l'habite. Au cours de notre entretien, accordé
comme au sortir d'un long tunnel, il le répète plusieurs fois. « Des
erreurs techniques, matérielles, on en fait dix par jour et je m'en moque, on
les corrige et on s'en excuse. Ce qui est intolérable pour moi, c'est de passer
à côté de la personne qui a terriblement besoin de vous, et que vous n'auriez
pas vue… » Il aura fallu que Le Point lui demande de raconter
« son » 7 octobre, date funeste d'un pogrom qui restera gravée
dans l'histoire, pour qu'il réalise, dit-il. « C'était comme un
black-out : j'étais incapable de recoller précisément les événements.
Avant de vous appeler, j'ai rassemblé mes équipes, et nous avons parlé. C'est
comme si, ces dernières semaines, nos esprits s'étaient protégés. »
Le 7 octobre en
Israël, 1 400 personnes ont été massacrées par l'organisation
terroriste Hamas. Parmi
eux, 39 Français ont perdu
la vie – neuf autres sont portés disparus, certains retenus en
otage. Pourtant, ce matin-là, à la fin des vacances scolaires et jour de
shabbat, « cela devrait être une journée tranquille, agréable… »
Le Point : Au matin du 7 octobre, comment vous est
parvenue l'alerte ?
Matthieu Clouvel-Gervaiseau : Je suis réveillé à
7 heures du matin par un appel de mon adjoint. Il a été informé par des
Français dans le sud du pays d'envois massifs de missiles autour de Gaza. Cette
situation n'est pas inhabituelle, mais cette fois, nos contacts sur place sont inquiets :
ce qui se passe semble beaucoup plus violent que d'habitude. Nous décidons tout
de suite de nous retrouver au consulat. J'enfile un jean et une chemise, et je
me mets en route – j'habite en ville, à vingt minutes à pied de nos bureaux. En
chemin, les sirènes sur Tel-Aviv m'obligent à courir m'abriter sous un
immeuble. J'ai le cœur qui bat un peu plus vite, et je comprends qu'il ne
s'agit pas de quelques tirs sur le Sud… C'est plus global et plus fort. Des
contacts à Ashkelon et à Sderot m'alertent. D'habitude, on peut avoir cinq ou
dix mises sous abri en une matinée… Mais là, il en pleut des dizaines et des
dizaines, c'est alerte sur alerte, et ça frappe, ça frappe…
Dès 7 h 45, nous envoyons un premier e-mail à tous les Français basés
dans le Sud et le centre du pays, les prévenant de tirs nourris de roquettes et
en leur rappelant, en français, que faire en cas de tirs de missiles. C'est à
ce moment que de premières vidéos nous parviennent…
Guerre
Hamas-Israël : les images insoutenables du pogrom
Avant même que les autorités israéliennes ne vous aient alertés,
vous saviez… ?
Peu avant 8 heures, des membres de mon équipe m'envoient des vidéos
montrant des Jeep du Hamas dans les villes. Mon premier réflexe est
l'incrédulité : je n'arrive pas à y croire, j'imagine des fake news.
L'attaché militaire de l'ambassade appelle dans tous les sens pour
vérifier l'information… C'est vrai ! Nous sommes abasourdis. À
8 h 30, nous envoyons un SMS à tous les Français des régions
d'Ashkelon et à proximité de la bande de Gaza, pour les alerter que le Hamas s'est
infiltré, et leur enjoindre de rester chez eux. Nous avions les
coordonnées de 350 Français sur place, pas celles de gens de passage
ni des non-inscrits au consulat.
On a senti tout de suite que c’était d’une
inhumanité sadique, d’une violence et d’une barbarie jamais vécues depuis très,
très longtemps.
À partir de cet instant, tout s'accélère… ?
L'armée israélienne commence à communiquer, des vidéos nous arrivent, des
appels… Et nous basculons en mode urgence absolue, et en mode « mère
louve » : il faut protéger les Français, cette communauté de
180 000 personnes et les dizaines de milliers de touristes de passage, et
les mettre à l'abri. Nous sommes une trentaine, d'ordinaire, au consulat. Avec
les services de l'ambassade, toute proche, nous serons jusqu'à
quatre-vingts mobilisés. Stagiaires, jeunes volontaires internationaux…
Tout le monde arrive. La sidération n'a pas le temps de nous saisir. Nous
faisons des points réguliers avec mon équipe. Les images et les vidéos qu'on
reçoit sont d'une barbarie telle qu'on n'en a pas vue depuis les années 1940.
Peut-être même pire… À 12 h 30, nous renvoyons un e-mail à toute la
communauté, et on s'attelle aux urgences. Trois familles, sur place, sont en
grave danger… Nous réussissons à contacter l'armée et les autorités locales
pour les mettre à l'abri.
À quel moment réalisez-vous l'ampleur de l'attaque ?
Dans l'après-midi, de nombreuses familles dont les enfants participaient au
festival de musique « Supernova sukkot » commencent à nous appeler.
Leurs récits sont glaçants… « Je sais qu'il ou elle était là »,
disent-elles. Ils leur ont parlé au téléphone, pendant une heure, parfois
pendant cinq heures, leurs enfants ont tenté de se protéger dans un ravin, une
voiture, un abri… Puis soudainement, le téléphone a été coupé. D'autres
familles, des kibboutz, appellent pour qu'on les aide à retrouver un frère, un oncle,
des enfants, dont ils sont sans nouvelles. On recevra 600 appels
pendant le week-end. Heureusement, nous avions régulièrement répété notre plan
de crise, organisé en cellules et en sous-cellules. Nous nous organisons très
vite. Une cellule contacte tous les hôpitaux pour recenser les blessés. Une
autre harcèle l'armée et la police, pour qu'on retrouve nos Français. Une
troisième répond aux appels et fait le lien avec les familles, un groupe
s'occupe des lycées, des écoles, un autre répond aux Français de passage, qui
sont totalement perdus… On utilise tous les bureaux. L'ambassade, le service de
presse, le service culturel, la mission économique, les stagiaires, les
volontaires internationaux, tout le monde est là, pendu au téléphone.
À Paris, le centre de crise et les directions du ministère s'organisent
immédiatement pour nous aider, répondre à toutes nos demandes, et suivre toutes
les familles qui se signalent à nous. Dans ces moments, on se met en mode
automatique, combatif, on ne mange plus. On fonctionne au jus de fruits et au
café.
Le cauchemar des
familles des otages
Comment prévenez-vous Paris du caractère exceptionnel de ce qui est
en train de se produire ?
Le premier choc, à titre personnel et collectif, reste la violence de ce qui
nous remonte du terrain. Nous l'avons immédiatement signalé au ministère… Et
l'avons prévenu de la violence des images et des vidéos qui
allaient arriver en France dans les heures, jours et semaines à venir. On
a senti tout de suite que c'était d'une inhumanité sadique, d'une violence et
d'une barbarie jamais vécues depuis très, très longtemps. Paris l'a saisi, et
compris – les premiers pas en
Israël du président de la République et de la ministre Catherine
Colonna seront de rencontrer les familles des victimes françaises, cela a été
très fort. Sur le plan personnel, il faut le digérer… Nous nous sommes
tous, à un moment donné, isolés dans un bureau vingt minutes pour reprendre nos
esprits.
Que montraient-elles, ces vidéos ?
Je n'en parlerai pas, car je dois protéger les familles des Français
décédés, comme celles des otages, qui ont besoin d'être enveloppées dans ces
moments horribles. Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai assisté avec
l'ambassadeur, plus tard, à des dizaines d'enterrements, plus poignants les uns
que les autres. C'étaient nos enfants, nos frères et nos sœurs, des jeunes
citadins, fêtards, joyeux et insouciants. Ne restaient pour la plupart que des
corps mutilés. Les corps ont été torturés, avec acharnement – décapités,
brûlés… J'arrive à prendre sur moi, mais pas quand cela touche des
enfants ou des personnes handicapées.
Aviez-vous, au terme de cette journée, un premier bilan ?
Au soir du 7 octobre, nous recherchons
encore 40 à 45 personnes. Mes équipes harcèlent la
Croix-Rouge, les hôpitaux, elles font le tour des stations de police… Côté
israélien, nos interlocuteurs sont débordés. Nous devons prendre 30 ou 40 décisions
par heure. À quel moment informer ? Comment répondre aux familles, comment
rassurer ? Comment distinguer la rumeur des informations vérifiées ?
La journée s'écoule en appels poignants, de parents désespérés qui recherchent
leurs proches, et se mettent eux-mêmes en danger. Il y a ce père, qui me dit
avoir roulé à 170 km/h parce qu'il devait retrouver sa fille… Nous sommes
bouleversés, déchirés. Au consulat, cette première journée, on se porte les uns
les autres. Tout le monde s'entoure, se porte vers le haut… On ressent cette
chaleur, cette gravité dans nos bureaux. Mais à l'extérieur, les rues de
Tel-Aviv sont désertes. La sidération a mis tout le monde à genoux. Notre
chauffeur, dont la voiture a été frappée par des missiles, n'a pas pu se
déplacer. Alors quand la nuit tombe, je décide de ramener chez eux mes
collaborateurs. Je conduis très mal, c'est une catastrophe. Ils hurlent :
« Mais tu fais n'importe quoi, tu vas nous tuer ! » et ils
ont raison… Je tourne en rond, je les raccompagne chez eux en me perdant plein
de fois, et on rentre se coucher très tard. Ma femme et l'un de mes enfants
m'attendent. On se rassure les uns les autres. Le lendemain, nous y
retournerons très tôt.
Les communautés attaquées par le Hamas étaient
souvent très à gauche, pacifistes, tournées vers Gaza et vers les échanges…
Cette crise les a terriblement fragilisées.
Avez-vous perçu, rétrospectivement, des signes annonciateurs ?
On sentait quelque chose monter, depuis sept à huit mois, et j'avais
d'ailleurs rédigé, avec l'ambassadeur et avec l'équipe, une sorte d'analyse
pour le ministère. Au consulat de Tel-Aviv, notre activité avait augmenté de
50 %, et nous voyions une population nouvelle. De nombreux Français, des
gens simples dont nous n'avions pas de nouvelles depuis des années,
réinvestissaient la nationalité française en venant demander un passeport… Mon
équipe, alors, avait trouvé le bon mot, en parlant de passeport « au cas
où ». Sans doute ont-ils ressenti quelque chose, une fragilité dans la
société, dans l'État, qui les a incités, pour leurs enfants, à penser au
lendemain… Je veux dire un mot de cette communauté des Français du sud d'Israël
– une communauté si attachante, à fleur de peau, marquée par de poignantes
histoires individuelles et familiales. Le lien de ces familles avec la France
est parfois complexe, mais il est très profond. J'ai rarement vu un attachement
aux valeurs françaises et à la République aussi attendrissant. Même s'ils sont
partis, ils sont restés très français – on le leur reproche beaucoup ici,
d'ailleurs. Je leur dis souvent qu'ils sont des « laïcards » sans
s'en rendre compte, et ça les fait rire… Ces Français des régions d'Ashkelon,
de Sderot, sont aussi les plus défavorisés dans notre communauté. C'étaient des
gens humbles, qui sont venus en Israël dans des conditions difficiles. Les
communautés attaquées par le Hamas étaient souvent très à gauche, pacifistes,
tournées vers Gaza et vers les échanges… Cette crise les a terriblement
fragilisées.
Après
les massacres du Hamas, les idéaux perdus des kibboutz
Comment nos compatriotes vivent-ils les polémiques incessantes sur
la qualification des crimes du Hamas ou la flambée des actes antisémites
en Europe ?
La communauté est toujours sous le choc…
Et les plus défavorisés (30 % de notre communauté vit en dessous du
seuil de pauvreté) s'inquiètent surtout de ce qu'ils pourront
manger demain. Les plus touchés par cette crise sont des gens très pauvres,
qui ramaient énormément avant le 7 octobre, et vivaient de petits boulots.
Ils n'ont plus rien depuis un mois. Je rencontre, avec l'ambassadeur, des
femmes divorcées avec des enfants ou des jeunes familles qui n'ont
rien à manger à midi. Ils n'ont plus de couches. Ils ont dû quitter leur
domicile, et vivent dans une logique de survie au quotidien. L'aide au
relogement est assurée par l'autorité israélienne. C'est difficile, car les
familles doivent régulièrement changer d'hôtel. Par contre, l'aide
économique et sociale ne s'est pas encore mise en ordre de marche… Le ministère
des Affaires étrangères a accordé une aide d'urgence aux Français déplacés
qui n'ont plus de revenus, plus de travail.
Tous les jours, nous appelons les familles des otages. Il n'y a pas une minute
où l'on ne pense pas à ces enfants, à ces femmes et ces hommes… Je continue de
croire dans l'humanité, et d'espérer qu'ils reviennent. La communauté,
aujourd'hui, est à terre. Et elle est blessée. Il faudra du temps – beaucoup de
temps – pour qu'elle se relève.
Beaucoup de Français lambda sont
déboussolés voir perdus car ne se sachant plus s’ils sont encore en sécurité dans
la France leur pays (multi confessionnel en plus) ou même la religion ancestrale
chrétienne catholique perd du terrain chaque jour et ou celle juive hébraïque présente
depuis des millénaires comme la notre avec ses 600000 ressortissants sur notre sol
des Français mais juifs ne sont plus en sécurité avec cet antisémitique renaissant
qui en fait n’a jamais disparu malgré l’après-guerre mondiale et le pétainisme pendant
celle-ci car déjà là avant une honte !?
Car ces Français ignares ne sachant
pas se référer à leur histoire si mal enseignée dans nos écoles car orientée politiquement
par nos dirigeants selon leurs bords politiques
du moment après nos monarchies empires et républiques qui n’ont rien changé de nos
erreurs remontant à nos guerres de religions occidentales et à des millénaires n’ont
rien retenus car ce mysticisme religieux dont certains sont des extrémistes dangereux
obscurantistes voir illuminés indignes par la bêtise des humains si inventifs pour
se détruire ou avilir les plus faibles des humains femmes enfants ou vieillards
avec une barbarie sans nom qui fait larmoyer nos dirigeants si bavards et donneurs
de leçons bienpensants pratiquant le politiquement correct hypocrite qu’ils n’appliquent
pas à eux-mêmes car attachés à leurs avantages pendant leur mandature et trop de
pouvoir que leur ont donné ses Français si naïfs et en les réélisant en plus et
ce n’est pas la 1ere fois depuis + de 40 ans (même s’ils sont mal protégés voire
pas du tout !?)
Dont certains espère un changement
hypothétique en 2027 il ne faut pas rêver car les Français eux-mêmes ne changent
pas !?
Jdeclef 06/11/2023 10h45
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