« Souveraineté
juridique » : Michel Barnier s’explique
ENTRETIEN. En proposant que les États européens redeviennent
maîtres de leur politique migratoire, l’ex-commissaire européen a déclenché une
vive polémique. Il répond.
En proposant un débat
sur un retour à une « souveraineté juridique » des États européens en
matière d’immigration, Michel
Barnier, l’ancien commissaire européen et négociateur du Brexit, a suscité
une vive polémique. Le candidat à la primaire de la droite a-t-il pris le
risque d’écorner son image d’Européen convaincu pour faire avancer sa campagne
présidentielle ? Il répond aujourd’hui dans Le Point, en s’indignant des
attaques dont il a été l’objet et en clarifiant ses propos.
Le Point : Votre défense de la « souveraineté
juridique » des États européens a surpris et choqué. On vous accuse de
conversion souverainiste sous l’effet de la primaire française. Quelle mouche a
donc piqué l’ancien commissaire européen que vous êtes ?
Michel Barnier : C’est de la mauvaise polémique,
une agitation provoquée par telle ou telle cellule macroniste pour défendre le
président sortant. J’ai été européen avant ces gens, je le serai après ;
je n’ai aucune leçon d’engagement européen à recevoir d’eux, pas plus que
de fierté nationale de Mme Le Pen. La situation est très grave pour le projet
européen, et tout le monde serait bien inspiré de le mesurer, comme j’ai pu le
faire en ayant la charge de la négociation du Brexit. Ceux qui pensent que le
Brexit étant maintenant derrière nous, les négociations ayant été bien
conduites de l’avis général, on peut continuer « business as usual »
commettent une très grave erreur. Un certain nombre de hauts fonctionnaires, de
politiques, de journalistes seraient bien inspirés d’ouvrir la bulle bruxelloise
dans laquelle ils sont enfermés, comme je le dis depuis une quinzaine d’années.
Je ne fais pas là référence à ces militants qui font du zèle pour le président
français sortant avec arrogance et sectarisme, je parle de ceux qui sont plus
sincèrement et plus profondément européens et qui croient qu’il ne faut rien
changer. Si l’on ne change rien, il y aura d’autres Brexit.
À
LIRE AUSSIPrésidence de l’UE : comment Macron prépare un
« Blitzkrieg »
Pour être clair, pouvez-vous nous préciser votre
position sur « la souveraineté juridique » ? Qu’avez-vous voulu
dire ?
La politique d’immigration nationale et la politique
d’immigration européenne ne fonctionnent pas. Et donc, quand les choses ne
fonctionnent pas et qu’on est candidat à la présidence de la République,
il faut les changer. Je ne suis pas quelqu’un qui fait des coups. J’ai
travaillé sérieusement sur cette question avec des hauts fonctionnaires du Conseil
constitutionnel et du Conseil
d’État, dont je suis membre d’ailleurs, et des experts
européens. Et au terme de cette analyse, nous pensons qu’il faut marquer une
pause, un coup d’arrêt à l’immigration extraeuropéenne, pendant trois à cinq
ans : c’est ce que j’ai appelé un moratoire. Pendant ce temps de
suspension, il faut mettre à plat l’ensemble des procédures sur la mise en
œuvre du droit d’asile, du regroupement familial, de l’attribution des titres
de séjour, des expulsions. Il faut prendre le temps de la négociation avec nos
partenaires européens sur le fonctionnement de Schengen, notamment les frontières
extérieures. Le temps de discuter aussi d’un vrai contrat avec les pays
d’émigration économique ou écologique. Pendant ce moment, nous voulons
retrouver notre souveraineté, sous la forme d’un « bouclier
constitutionnel » qui sécurise les décisions prises pour refonder notre
politique migratoire. Pourquoi ? Parce que dans la mesure où il n’y a
pas de référence réelle à la question des flux migratoires dans notre
Constitution et que nos textes nationaux et européens sont trop généraux
ou imparfaits, beaucoup de place est laissée aux jurisprudences nationales
et européennes dans l’interprétation des textes. Il y a de multiples trous
juridiques, comme on l’a vu dans l’affaire de ce Rwandais qui a assassiné le
père Olivier Maire. De façon raisonnable et raisonnée, nous prônons donc une
autonomie réglementaire de la France, dans ce seul
domaine et durant le seul temps du moratoire, le temps que les choses changent
en France comme en Europe. Ce « bouclier constitutionnel » sera mis
en place par référendum. Les cris d’orfraie pourfendant ma proposition, je ne
les ai pas entendus quand, il y a quelques mois, Édouard Philippe a écrit dans
un article qu’une décision de la Cour de justice européenne était inacceptable,
scandaleuse, contraire à l’intérêt national et à la souveraineté nationale.
C’était à propos du temps de travail dans l’armée. Je n’ai pas entendu Clément
Beaune et ses amis sur ce sujet. Pas un mot. Ni quand
Emmanuel Macron met en cause directement une directive européenne sur les
deux-roues. Pourquoi ne sommes-nous pas assez lucides pour voir qu’il y a un
certain nombre de choses à changer, calmement, de manière ciblée, pour avoir
une maîtrise de notre immigration ? Une telle attitude d’aveuglement
provoquera de nouveaux Brexit. Ceux qui m’attaquent sont les mêmes qui ont dit
pendant trente ans qu’il fallait déréguler les services financiers au nom du
libre-échange, qu’il ne fallait pas faire de protectionnisme… Je ne suis pas
fédéraliste, je ne l’ai jamais été. Je suis passionnément européen, en plus
d’être patriote. Ou plutôt, parce que je suis patriote, je suis profondément
européen. Je n’accepterai pas de leçons de ces gens-là. J’ai quelque chose de
plus qu’eux : j’ai géré le Brexit. Un grand pays qui quitte l’Union
européenne, ce n’est pas rien. Si on n’en tire pas toutes les leçons, c’est que
l’on n’a rien compris.
À
LIRE AUSSIMichel Barnier : « La droite gagne quand elle
ressemble à la France »
Après ce
moratoire, mettrez-vous en place une politique de quotas ?
Attention, pour éviter les polémiques inutiles, soyons
précis : pour ce qui est de l’intérieur de l’Union européenne, je reste
très attaché à la libre circulation. Je parle là de l’émigration à partir de
pays tiers. Et dans ce cas, oui, nous instaurerons des quotas pour l’émigration
économique, à la canadienne, pour choisir qui nous voulons accueillir dignement
chez nous. Je ne vais pas fixer de chiffres précis. Tous les ans, le Parlement
devra se prononcer. Il faut regarder les choses de près. Allez interroger ceux
qui travaillent dans les associations et qui sont confrontés notamment aux
titres de séjour pour soins si souvent détournés, toutes celles et tous ceux
qui viennent se faire soigner chez nous ou qui sont déboutés du droit d’asile
et restent quasi systématiquement.
Vous critiquez la Cour européenne de justice. En 2016,
François Fillon proposait de quitter la CEDH (Cour européenne des droits de
l’homme), et Nicolas Sarkozy de la modifier ? Vous approuvez ?
Souhaitez-vous aussi suspendre l’application de la convention de Genève
de 1951 sur le droit d’asile ?
Nous avons besoin pour préserver l’Union européenne
d’un ordre juridictionnel cohérent. Donc je reste attaché à la Cour européenne.
Ensuite, tous les sujets doivent être mis sur la table et débattus, et nous
verrons après.
Vous qui apparaissiez comme le plus européen des
responsables politiques français, n’êtes-vous pas en train de brader votre
image de proeuropéen pour combler votre retard dans les sondages ?
Je suis triste si certains pensent cela. C’est mal me
connaître. Ces critiques sont pathétiques et dérisoires. Je ne suis pris
d’aucune fébrilité. Je reste ce que je suis : un gaulliste européen
convaincu. S’engager dans une campagne présidentielle, c’est regarder les
problèmes en face et proposer des solutions. Sur la question de l’immigration
où les politiques sont en échec depuis des décennies, nous avons entendu
beaucoup de grands discours et de promesses, jamais suivis d’effet. Cela
compromet gravement la crédibilité de l’action politique. Beaucoup de
responsables politiques limitent leur discours à dire ce qu’il faudrait faire.
Ce que je propose avec le moratoire sur l’immigration, c’est une méthode pour y
parvenir, en France comme en Europe.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Car semble-t-il, il prend le temps de réfléchir !?
J.declef 15/09/2021 12h50
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire