CRITIQUES DE BON SENS: Commentaires d'articles de presse sur fait de société ou politique du monde
mardi 21 septembre 2021
E.MACRON a tous les droits notamment de dire ce qu'il veut en France !?
Harkis : Emmanuel Macron
prononce son « discours du Vél' d’Hiv »
Lors d’une cérémonie à
l’Élysée, soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, le chef de l’État a
« demandé pardon » aux harkis au nom de la France.
La scène fut pour le moins historique et singulière. Aussi
singulière que ce destin des harkis, dont le président de la République, mais
aussi les quatre intervenants, tous harkis, qui l’ont précédé de manière
parfois très émouvante, ont justement souligné la singularité. Emmanuel
Macron venait tout juste d’annoncer qu’avant la fin de l’année, le
gouvernement porterait une loi sur « la reconnaissance et la
réparation » du drame des harkis,
quand une femme, encore jeune, l’a interrompu, rappelant comment elle avait été
brûlée dans un des camps mis en place sur le sol français par la République
après 1962. Elle faisait partie de la centaine d’invités harkis, présidents
d’association, de groupes d’entraide, qui, pour la première fois depuis 1962,
ce lundi 20 septembre, étaient reçus solennellement à l’Élysée au nom de
leur « communauté de destin ».
Mais cette femme n’avait pas vu son dossier reconnu par
l’administration française et, tout haut, déplora d’être « une Marguerite
dans les champs abandonnée ». La douleur contenue des harkis depuis
60 ans, trahis par la République, a soudain explosé sous les ors dorés,
perturbant le cérémonial. Au moment où cette même République annonçait et
énonçait son geste ultime envers les harkis, l’une d’entre elles laissait libre
cours à une douleur mêlée de colère que rien ne pouvait plus contenir. Puis
c’est un autre homme qui s’est avancé vers le président, lequel, affirma-t-il,
« lui avait fait des promesses » et qui menaça de parler aux
journalistes. « On en a assez d’être des mendiants », affirma-t-il,
parole reprise par d’autres dans la salle. On tenta de le calmer en le faisant
asseoir au premier rang, là même où quelques minutes auparavant se tenait le
président.
Une forme d’impuissance
Il y eut un moment de flottement. Emmanuel Macron a perdu le fil
de son discours, mais pour en saisir un autre immédiatement, qui, au fond,
correspondait bien au sens de ce qui est en jeu depuis de nombreuses
années : vous ne vous reconnaissez pas dans la douleur de l’autre, vous
estimez que la vôtre est plus forte, plus unique, que celle de votre voisin, ce
qui épuise vos associations mêmes. D’abord pris de court, il a ensuite grondé
gentiment cette femme. « Il faut accepter collectivement que votre colère
se projette dans le goût de l’avenir. » Le président était dans son
rôle. Rappeler l’écart inévitable entre les destins individuels et l’action
collective d’un État, du politique, qui doit tracer une voie,
« avancer », mot qu’il a martelé. Mais la « marguerite »,
emmurée dans son chagrin, n’a pas voulu avancer avec lui. L’avenir ?
« On a perdu espoir », a-t-elle crié. Le président a dû admettre
alors, sans démagogie, une forme d’impuissance. « Je ne peux rien y faire.
Aucun mot ne réparera vos brûlures. Je ne pourrai pas réparer avec des
mots. » Puis d’autres voix s’élevèrent dans la salle :
« Continuez, Monsieur le Président. »
C’est pourtant
une loi de « reconnaissance et de réparation » qu’Emmanuel Macron a
annoncée. Ce matin, à l’Élysée, il fut répété ici et là que le drame des harkis
serait irréparable. On voit toute la difficulté d’un président qui a décidé de
faire un pas de plus que ses prédécesseurs, qui étaient allés jusqu’à
reconnaître, avec François Hollande, en 2016, « la responsabilité de la France
dans les conditions d’accueil inhumaines ». Emmanuel Macron va plus loin
avec une loi réclamée depuis longtemps par les associations harkies. Elle
prendra effet principalement grâce à une commission nationale d’évaluation qui
aura deux objectifs : recueillir les témoignages et enclencher
« le processus de réparation ». Réparer la première génération, en
augmentant les allocations pour les anciens combattants vivants ou leurs
veuves. Réparer la seconde génération, qui a grandi dans les camps, les hameaux
de forestage ou les foyers, et qu'on a empêchée d’aller à l’école. On touche du
doigt la force nouvelle et dangereuse de ce mot, qui fait florès et domine désormais
notre politique mémorielle : réparer.
La dette de la République
Sans doute le livre à succès de Maylis de
Kerangal n’y est-il pas pour rien, Réparer les vivants. Ce terme,
« réparation », apparu après la Première Guerre mondiale avec les
réparations allemandes, « l’Allemagne
paiera », voilà qu’il est devenu notre mantra. Mais un mantra ambigu. La
réparation est désormais un « processus », avant tout une
compensation, mais dont notre premier magistrat avoue qu’il ne peut réparer
vraiment. Qu’est-ce qu’une réparation qui ne répare pas ? C’est là qu’intervient
le supplément d’âme symbolique de la République qui s’appelle une loi et qui
doit en l’occurrence rembourser « la dette que la République a
contractée ». « L’abandon par la France, on le reconnaît dans les
discours, on le refuse dans une loi », avait souligné juste auparavant
Mohand Hamoumou, ancien maire de Volvic. Voilà que cette loi, malgré
l’embouteillage législatif de cette fin de quinquennat, va être portée par le
gouvernement, seule manière d’aboutir rapidement. Et le choix d’anticiper de
cinq jours la traditionnelle journée en hommage aux harkis instaurée
chaque 25 septembre depuis 2001 s’expliquait justement par la
mise en avant cette fois d’une loi pérenne, dépassant largement le cadre de la
journée annuelle.
Mais Emmanuel Macron n’ignore rien des lois mémorielles, qui,
a-t-il rappelé, ne doivent pas dire l’Histoire réservée aux historiens.
Allusion à la controverse de 2005 sur la loi sur l’esclavage.
Deuxième raison avancée par Macron pour souligner que cette loi ne doit pas
dire l’Histoire : « Nous devons essayer de réconcilier nos mémoires,
je ne veux pas qu’il y ait des concurrences mémorielles, que les militaires,
que les rapatriés, ensuite, puissent… » Le président sait combien le
terrain de la mémoire de la guerre d’Algérie
est miné. Mais depuis cinq ans, il a décidé d’avancer sur ce terrain.
Le général François Meyer encore décoré
Jusque-là, il a donné plutôt des gages à des figures du FLN ou
proches. Nul doute que les militaires, les rapatriés (terme administratif pour
désigner les pieds-noirs), ne manqueront pas de se manifester dans les mois à
venir, juste avant la présidentielle. Comment réagiront-ils au fait que le
général François Meyer, déjà décoré par Nicolas Sarkozy, a été aujourd’hui,
dans la foulée de son discours, élevé à la dignité de grand-croix de l’ordre du
Mérite, lui qui a préféré « désobéir » plutôt que d’être dans le
déshonneur, en assurant à ses risques et périls le rapatriement de près
de 350 de ses hommes sur le plateau du Larzac ? L’armée aura
sans doute son mot à dire sur le fait qu’on décore un homme qui fait preuve de
« grandeur d’âme et de bonté de cœur », mais qui a désobéi. Emmanuel
Macron a bien conscience de la finesse périlleuse de sa ligne de crête, mais il
continue à systématiser son « en même temps », disant assumer
pleinement « la multiplicité de nos mémoires et de leurs destins,
irréconciliables, qu’il faut toutes reconnaître ». Réconcilier
l’irréconciliable. Réparer l’irréparable. Il monte au front de la mémoire, une
grenade à la main, un extincteur dans l’autre.
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