Caroline
Fourest : « Le modèle identitaire américain peut tuer
notre laïcité »
Militantisme,
réseaux sociaux, minorités, « tenaille identitaire »... L’essayiste
et réalisatrice dresse un bilan exhaustif et nuancé de la France actuelle.
Elle n'a jamais cherché à se faire
aimer et y est parfaitement parvenue… Caroline Fourest dispose aujourd'hui
d'une large collection d'adversaires politiques, pour lesquels elle constitue
un point cardinal de la convergence des haines. Être détesté par l'extrême
droite autant que par l'extrême gauche, n'est-ce pas là finalement le dernier
privilège des modérés ? Peut-être est-il temps de changer d'avis sur cette
militante devenue essayiste et qui, avec les années, s'est transformée en vigie
de la déraison politique qui nous assiège. Il faut l'écouter et la lire pour
mesurer le danger des mots qui changent de sens à toute vitesse : des «
antiracistes » adoptent des argumentaires racistes, des « féministes »
défendent le patriarcat et des « antifas » militent contre la liberté
d'expression. Ceux qui prenaient Caroline Fourest pour une âme dogmatique,
austère et intransigeante découvriront une intellectuelle complexe, nuancée et
sans animosité à l'égard d'un milieu militant qui adore la détester. Si elle
reconnaît avoir « un peu » changé et
s'être assouplie avec le temps, elle n'a pas renoncé aux combats menés au nom
d'un universalisme aujourd'hui malmené. Interview.
Le Point : Les discriminations racistes, homophobes ou
sexistes n'ont jamais été autant combattues, les droits sociaux n'ont jamais
été aussi élevés que dans nos démocraties occidentales, l'accès à la
connaissance s'est démocratisé… Et pourtant, les revendications fleurissent de
toutes parts, comme si nous étions plongés dans une injustice quasi féodale.
Existe-t-il une explication rationnelle à ce paradoxe ?
Caroline
Fourest : C'est un paradoxe fascinant, surtout lorsqu'on a participé comme
moi aux luttes contre l'homophobie, pour le pacs et le mariage pour tous. Nous
avons vu, en l'espace d'une génération, les droits avancer comme rarement.
Pourtant, en écoutant la relève, on a parfois l'impression qu'elle vit sous une
dictature raciste, sexiste et homophobe, comme si nous étions avant le pacs ou
au temps des colonies. C'est propre à la colère d'être excessive. Mais il faut
savoir savourer le monde dans lequel on vit. J'avoue avoir du mal à supporter
la négation de ces progrès et des combats menés.
Le
militantisme traverse-t-il une crise de sens ?
Le
militantisme a toujours attiré des gens qui veulent changer le monde - et
d'autres qui cherchent à exister. Les plus en colère ne sont pas toujours les
plus sincères. De nombreux combats politiques sont portés, pour ne pas dire
instrumentalisés, par des militants professionnels qui ne s'encombrent ni de la
réalité ni de la complexité. La crise que traversent les forces de l'ordre en
ce moment en est le parfait exemple. Le racisme et l'extrême droite sont
incontestablement en progression au sein de la police républicaine. La fatigue
aidant, on assiste à des dérapages terribles, qui peuvent briser, traumatiser
et entamer la confiance des citoyens. Mais cette peur de la police est
récupérée par des marchands de peur identitaires qui veulent à tout prix
plaquer la réalité américaine sur la réalité française. Ajoutez à cela la
politisation par les réseaux sociaux et vous vous retrouvez à vivre dans un monde
constamment secoué par des passions et des colères qui nous polarisent.
Partagez-vous
l'idée que nous assistons à un réveil des extrêmes ?
Oui. Et même
qu'il existe une forte porosité entre les extrêmes… Les barrières idéologiques
qui les séparent sont de plus en plus ténues. On observe par exemple que les
radicaux partagent la haine de l'État et des institutions, justifient le
recours à la violence et remettent en cause l'idée même de démocratie. Même si
ces passions s'expriment de manière assez différente. L'extrême gauche prend
les policiers pour cible, comme s'il s'agissait d'une bande rivale, quitte à
les déshumaniser. L'extrême droite sacralise la police, quitte à déshumaniser
certains citoyens, quand elle ne caresse pas l'idée d'un coup d'État militaire
contre un gouvernement élu démocratiquement ! Ce sont deux façons de contester
la démocratie et l'ordre républicain. Par ailleurs, l'extrême gauche n'est plus
en mesure de s'opposer aux passions identitaires. À force de délaisser la lutte
des classes pour réhabiliter le mot « race », sous couvert de sciences
sociales, elle valide la grille de lecture de l'extrême droite. Ce qui favorise
la porosité et le glissement entre les extrêmes.
Vous
défendez la notion d'égalité comme solution aux dérives identitaires. Or on a
le sentiment que plus personne à gauche ne semble croire à cette idée.
La situation
est paradoxale : il y a vingt-cinq ans, je me heurtais à une gauche marxiste
qui jugeait les combats contre les discriminations secondaires et « petits-bourgeois
», un peu comme l'URSS trouvait « petit-bourgeois » le combat pour la liberté.
Tout devait être résolu par la lutte des classes. Aujourd'hui, on a parfois le
sentiment inverse. Tout semble réduit à une « lutte des races ». Et on se
retrouve à prier que la gauche révise ses classiques marxistes.
Certains de
vos compagnons de lutte vous ont tourné le dos et vous menez des batailles
intellectuelles aux côtés de gens que vous combattiez hier. C'est vous qui avez
changé, ou c'est le monde ?
C'est le
rapport de force qui a changé ! Hier, les minorités se battaient ensemble
contre les préjugés et l'intégrisme catholique. Aujourd'hui, alors que le
mariage pour tous est voté et que MeToo a révolutionné nos vies, des
minoritaires vomissent l'État comme s'il persécutait les minorités, simplement
parce qu'il prend des mesures contre le terrorisme et l'intégrisme. Le tout aux
côtés d'intégristes musulmans homophobes, sexistes et antisémites. Pour moi, ce
sont eux qui ont changé et font le jeu du pire, désormais.
Les nouveaux
mouvements antiracistes récusent les corps intermédiaires et leurs mécaniques
de médiation jugées trop molles, préférant se libérer eux-mêmes, disent-ils…
Mais peut-on gagner seul une bataille d'émancipation ?
On ne peut
pas l'emporter dans le combat contre les préjugés sans convaincre ceux qui ne
pensent pas comme vous. C'est ce qu'oublient, à mon avis, les nouveaux
militants, plus assoiffés de trier entre « purs » et « impurs » que d'élargir
leur cercle. Décréter le bien sans chercher le lien ne mène à rien.
REPÈRES
1975 Naissance à Aix-en-Provence.
1994 Débute sa carrière de journaliste avec un stage à France 3.
1998 Coécrit avec Fiammetta Venner, sa compagne, Le Guide des sponsors du FN et,
l'année suivante, Les Anti-pacs ou la dernière
croisade homophobe.
2005 Publie La
Tentation obscurantiste.
2009 Quitte la rédaction de Charlie
Hebdo, sur fond de polémique autour de Siné.
2018 Après plusieurs documentaires, elle réalise son premier
long-métrage, Sœurs d'armes, consacré
aux combattantes kurdes en Syrie.
Il n'y a
aucune issue positive à une telle dynamique ?
Nous vivons
un mouvement, très profond, de dégagisme, de refus de la verticalité au profit
de l'horizontalité du monde. Il peut être très positif et très puissant pour
abattre des dictatures. Il a produit des choses formidables comme le printemps
démocratique dans le monde arabe. En revanche, à l'intérieur des systèmes
démocratiques, cette mise à plat conduit à un relativisme parfois abrutissant.
Si tout se vaut, toutes les paroles et tous les projets politiques, la
compétence comme l'incompétence, il n'y a plus ni patience, ni confiance, ni
médiation, ni légitimité. En quelques années nous sommes passés - et la
féministe que je suis ne va pas le regretter - de sociétés héroïques viriles à
des sociétés plus égalitaires, mais aussi de victimes, où le fait de se
plaindre vaut mieux que de résister. Il y a de bons côtés : on écoute enfin les
victimes, notamment de viols ! Mais il y a aussi de moins bons côtés. On lutte
moins contre le viol pour résister au patriarcat que pour exister en tant que
victime. Comme s'il s'agissait d'un statut. C'est tout le problème de l'ère
identitaire. Nous l'avons même dépassée pour entrer dans l'ère du narcissisme
tyrannique. Encore un effet des réseaux sociaux. Chacun se contemple, grandit
sous le regard des autres, et finit par n'exister qu'en se plaignant ou en
dénonçant. Ce qui aura des conséquences sociales et psychiques.
Et cela
pourrait avoir des conséquences politiques ?
Les réseaux
sociaux ont considérablement aggravé nos failles narcissiques. Nous sommes
devenus accros au miroir dans lequel nous nous contemplons du matin au soir,
persuadés d'être au centre du monde comme jamais. Cette façon de se construire
intellectuellement et socialement produit déjà des effets sous-estimés sur les
enfants. Les pédopsychiatres reçoivent dans leurs cabinets de très jeunes
patients surexposés qui ne savent plus vivre sans se filmer en continu pour se
montrer, souvent avec des filtres pour améliorer leur physique. De moins jeunes
ont subitement découvert l'engagement grâce aux réseaux sociaux, sans forcément
posséder les « anticorps » pour résister à la propagande, aux théories du
complot et aux manipulations. On a pu le mesurer au moment des Gilets jaunes.
Aujourd'hui, il suffit que quelques personnes partagent la même colère pour
considérer qu'ils sont « le peuple », et même qu'ils sont plus légitimes que
l'État, les syndicats ou un gouvernement élu puisqu'ils sont très en colère.
Les luttes
sociales s'inscrivaient jusqu'à il y a peu dans une trame marxiste assez
simple, qui ne fait plus recette. Sommes-nous en train d'assister à un retour
de balancier ?
Il y a
toujours des gens qui se laissent emporter par leur élan. Je crois qu'il est de
la responsabilité des intellectuels de ramener ce mouvement vers une forme de
raison. Surtout lorsque la tempérance et la raison deviennent des vertus
désuètes…
Voilà que
vous vantez les mérites de la tempérance, de la raison et de l'apaisement…
Êtes-vous certaine de n'avoir pas changé plus que vous ne le croyez ?
Allez,
peut-être un peu. Mais j'ai toujours défendu des idées tempérées ! Je me suis
toujours appuyée sur l'idée républicaine pour demander l'égalité des droits et
la fin des discriminations envers les couples homosexuels. Lorsque j'étais
présidente du Centre gay et lesbien, la droite, qui ne voulait pas du pacs,
nous proposait un contrat réservé aux couples homosexuels. J'ai refusé ce
raccourci pour garder le cap universaliste qui pourrait mener un jour, j'en
étais certaine, au mariage pour tous. Si j'avais mené ce combat en criant au «
privilège hétérosexuel », en demandant aux sénateurs qui m'auditionnaient de
m'octroyer des droits particuliers en guise de réparation, croyez-vous que ça
aurait marché ?
On peut
imaginer que non…
Certainement
pas. Je crois à l'égalité au nom de l'universel et au nom de la République. On
confond souvent ma détermination avec une forme de radicalité. Quand vous
ferraillez contre l'extrême droite, les islamistes et tous les identitaires
énervés, il faut de l'énergie pour tenir tête. Je veux bien concéder que je
mène ces combats de façon plus apaisée - parce que le temps passe et que j'ai
connu de belles victoires -, mais jamais je n'ai dévié de mon idéal ni changé
de méthode. Bien que le sentiment d'injustice brûle parfois en moi, j'ai
toujours tenté de rester patiente et calme pour convaincre ceux qui ne
pensaient pas comme moi ou qui ne ressentaient pas ce feu. Ceux-là ont
d'ailleurs un peu changé aussi. Puisqu'ils me percevaient il y a quelques
années encore comme une jeune lesbienne excitée et qu'ils ne me trouvent plus
si « radicale » (sourire).
Vous écrivez
que nous vivons les conséquences d'une crise du modèle multiculturaliste,
ébranlé depuis les attentats du 11 septembre 2001…
La crise est
plus ancienne et je crois qu'il est important de distinguer la dimension « multiculturelle
», qui est un fait, du « multiculturalisme », qui est une idéologie. Le
multiculturel est un fait très positif, la preuve qu'une société est ouverte. Le
multiculturalisme en revanche est une philosophie politique qui vise à
organiser le droit à la différence plutôt que le droit à l'indifférence , au
risque de laisser libre cours à des politiques communautaristes, voire
ségrégationnistes. En acceptant par exemple que des groupes religieux puissent
échapper à la loi commune, puissent obtenir des dérogations ou bénéficier
d'accommodements dits « raisonnables », alors qu'ils dérogent à la citoyenneté
et à l'égalité.
En quoi la
laïcité tant débattue peut-elle être un rempart ?
Le fait
d'avoir une République qui ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte devrait
nous protéger des dérives clientélistes, des « accommodements raisonnables » et
donc des dérives du multiculturalisme. Sauf que les élus locaux ne sont pas à
la hauteur de cette promesse. En prime, il a suffi d'un seul mot pour retourner
la tolérance contre elle-même. Le mot « islamophobie ». À lui seul, ce terme a
retourné l'antiraciste contre lui-même. Alors qu'il signifie littéralement «
phobie de l'islam », il a permis de faire passer la critique des idées et des
croyances pour de la haine envers les personnes, en faisant croire que cette
phobie s'appliquait aux musulmans. Ce mot est un poison. Si l'on veut viser le
racisme, et non la laïcité, il faut absolument remplacer le mot « islamophobie
» par « racisme antimusulmans » ! C'est le seul moyen de ne plus confondre la
critique de la religion, qui est un droit et même une liberté, avec l'incitation
à la haine envers les musulmans, qui est un délit.
Vus de
France, les campus américains semblent avoir totalement cédé face aux pressions
d'un nouvel antiracisme politique. L'université française peut-elle résister ?
Je suis
assez pessimiste sur ce sujet. Il y a sans doute davantage de résistance au
sein de l'université française, mais je pense qu'elle possède plus de «
clusters » que d'anticorps. Les présidents d'université ne sont pas réputés ni
élus pour leur courage. Il y a quelques années, lorsque le directeur de l'IUT
de Saint-Denis tentait de résister au noyautage du campus par des associations
islamistes, il a été lâché. Il a fallu l' attentat contre Samuel Paty et
la polémique pour que deux professeurs de l'IEP de Grenoble ne soient pas
livrés à la vindicte par un collage anonyme, plusieurs organisations étudiantes
et un laboratoire de recherche…
Mais, sur le
plan intellectuel, nous sommes encore capables de penser, de pointer les
dérives, de débattre de ces dynamiques…
Oui.
Jusqu'ici, la France tient mieux qu'ailleurs, beaucoup mieux qu'au Canada ou
qu'aux États-Unis. Mais nous ne sommes pas aidés par nos chercheurs du CNRS,
une institution censée favoriser la pensée, qui refusent de réfléchir sur
certains mots et nient la réalité de certains faits. Décréter en deux heures
que le mot « islamo-gauchiste » ne correspond à aucune réalité scientifique,
alors qu'on admet comme valable « islamophobie » dans plus de 200 thèses, c'est
bien la preuve qu'il existe un problème. Cela vous donne un aperçu du rapport
de force qui règne au sein de l'université sur ces questions.
Diriez-vous
que le CNRS n'est pas imperméable aux visions militantes… ?
Depuis vingt
ans que je travaille sur l'intégrisme religieux, le pire n'a pas été les
menaces, mais les attaques venant de chercheurs du CNRS militant pour une «
laïcité ouverte », spécialistes du fait religieux, du multiculturalisme ou ne
connaissant rien à ce sujet, et qui, d'autorité, déclarent que vos alertes sont
« islamophobes ». De façon incroyablement dogmatique, des chercheurs imprégnés
d'idéologie décident que des faits pouvant embarrasser leur grille de lecture
n'existent pas.
Vous avez
beaucoup écrit sur l'agonie de l'universalisme, « notre dernière utopie »,
dites-vous. Le modèle laïque et universaliste peut-il constituer une digue face
à ces discours ? Pourrait-on imaginer exporter la laïcité ?
Il serait
illusoire de vouloir appliquer notre modèle à des sociétés qui ont une tout
autre histoire et un tout autre rapport aux religions. En revanche, ce qui est
certain, c'est que la façon dont nous résistons à la suprématie du sacré
inspire beaucoup de monde, notamment dans les pays arabes. Beaucoup d'esprits
libres - qu'ils soient algériens, iraniens, tunisiens, marocains - rêvent
davantage de la laïcité que nous. Notre laïcité remonte aussi le moral de
certains Anglais et de quelques Américains qui étouffent dans leur société en
raison de la suprématie du sacré et du respect servile de la liberté
religieuse, parfois au détriment de l'égalité et d'autres libertés. Mais il
faut avoir conscience du fait que le rapport de force culturel n'est pas en
notre faveur. Il est moins question d'exporter notre laïcité que de résister à
l'importation d'un modèle identitaire américain qui peut tuer notre laïcité.
Comment se
manifeste ce « soft power » de la gauche identitaire américaine ?
Il suffit
d'observer la couverture médiatique de la France par les quotidiens américains
les plus puissants culturellement, comme le Washington
Post et le New York
Times. Tous deux s'acharnent depuis des années à déformer nos
débats et à donner une image ahurissante de la France. À chaque attentat, ils
accusent le modèle français, sa laïcité ou son « racisme systémique »,
supposément responsables des crimes des djihadistes. Je pensais avoir vécu le
pire au moment de l'affaire des caricatures, où le correspondant du New York Times s'était évertué à
présenter Charlie Hebdo comme
un journal raciste. Mais ils ont recommencé, en pire, durant le procès des
assassins de Charlie et de leurs
complices. Comme s'ils n'avaient rien appris. Comme si ces crimes ne
changeaient rien. Ce fut très violent à vivre.
Les milieux
laïques débattent de la « tenaille identitaire », une notion développée
par Laurent Bouvet et Gilles Clavreul , qui estiment que l'extrême droite et
l'extrême gauche, obsédées par la race, écartèlent le débat public et rendent
impossible toute discussion. Adhérez-vous à cette lecture ?
Ce n'est pas
une vue de l'esprit. La « tenaille identitaire » nous dévore au quotidien !
Pendant des années, j'ai été invitée par des réseaux comme Ras l'front ou les
réseaux antifascistes pour alerter contre le FN. Tous entretenaient la croyance
qu'il ne fallait pas parler d'islamisme et des sujets qui fâchent, parce que,
disaient-ils, cela faisait monter l'extrême droite. Je l'ai cru moi aussi. Je
suis désormais convaincue du contraire. Regarder la réalité en face et poser un
diagnostic lucide mais républicain permet de proposer une alternative à la
colère haineuse.
Les esprits
semblent assez échauffés sur ces sujets, pensez-vous que les appels au calme
puissent changer la situation ?
Oui, à
condition de les accompagner d'un discours lucide visant à régler le problème
plutôt qu'à le nier. Le « pas de vague » et le « pas d'amalgame » ne font
qu'exciter les passions et monter la colère. Régulièrement, on nous demande de
nous taire et de fermer les yeux, comme si cela pouvait désarmer les tueurs. Au
lendemain de chaque attentat, une forme de communion se dessine. Et plus les
semaines passent, plus les tenants du « pas de vague » veulent mettre un
couvercle, voire accusent ceux qui tiennent bon d'être la source du problème.
C'est cette forme de soumission intellectuelle qui fait enrager, même les plus
modérés.
Vous semblez
estimer qu'il y aurait une logique politique immuable après chaque attentat…
C'est un
cycle que j'observe. Six mois après un attentat, une forme de terreur
intellectuelle s'installe. Mais l'opinion, elle, n'est pas aveugle. Ce ne sont
pas les attentats qui alimentent l'extrême droite, mais ce refus de penser et
de voir. Même pour la bonne cause - ne pas favoriser le racisme et l'extrême
droite -, on ne peut pas empêcher les gens de voir les attentats, de penser aux
causes comme aux conséquences, de constater que des quartiers entiers tombent
entre les mains d'intégristes, que les droits des femmes reculent ou que la mixité
disparaît… Ceux qui nous désignent comme « islamophobes » pour avoir décrit le
réel se trompent de combat. On ne changera pas le réel en intimidant ceux qui
alertent.
Vous dites
qu'en matière de combat politique, le vrai danger ne vient pas tant des
adversaires que des faux amis.
Il y a des
raccourcis qui mènent à des impasses voire à des retours de bâton. On ne peut
importer tous les mots de l'antiracisme américain sans importer les maux qui
vont avec. Là-bas, ils se battent contre des violences policières terribles et
leur terrorisme est à 90 % le fait de Blancs suprémacistes. Ici, il est à 90 %
islamiste, tue des policiers et se nourrit de la propagande contre le « racisme
systémique » attribué à l'État ou à la laïcité. Cela mérite quand même qu'on y
réfléchisse à deux fois, avant de tout copier sur les États-Unis ! Surtout
quand on voit à quel point l'antiracisme identitaire a contribué à renforcer le
camp trumpiste et suprémaciste. Chez nous, en raison du danger terroriste
islamiste, le risque est encore plus élevé. La gauche radicale semble s'en
moquer. Je ne dis pas qu'ils sont tous insensibles au danger islamiste, mais
ils n'arrivent pas à adapter leur grille de lecture à ce contexte, et parfois
préfèrent le nier.
Ce phénomène
est-il courant à gauche ?
Il est en
train de dévorer la gauche. Le Parti socialiste tient bon. Mais une partie de
La France insoumise a basculé, par cynisme. Et les Verts sont totalement poreux.
Je ne parle pas des vrais « islamo-gauchistes », qui sont rentrés chez Les
Verts parce qu'il y avait de la lumière et que la couleur leur plaisait… Mais
de ces militants qui vivent dans une bulle, un peu loin des réalités, et que la
bonne volonté égare ou qu'on peut facilement culpabiliser. Ils baignent dans
une forme de naïveté, en niant tout ce qui pourrait les agresser. Et pensent
parfois, comme Michel Foucault, qu'il suffit de proclamer un monde idéal pour
l'obtenir de façon « performative ». Avec eux, les attentats deviennent des
parenthèses anecdotiques. Les gens seraient tous très heureux et vivraient très
bien ensemble si d'affreux racistes n'essayaient pas de voir le mal partout. Ce
qui, en plus d'être infantile, témoigne d'une faible capacité à gouverner.
On a le
sentiment que, partout où il fait irruption, l'antiracisme radical fait éclater
les structures et les mouvements politiques de gauche. Le féminisme n'échappe
pas à la règle. Existe-t-il désormais deux féminismes irréconciliables comme il
y a deux gauches irréconciliables ?
Je le
crains. Le clivage de l'antiracisme, et même le noyautage de la gauche
identitaire, a déteint sur le féminisme. Au lieu d'articuler antiracisme et
féminisme - comme c'était le cas au sein du MLF - l'intersectionnalité soumet
le féminisme à l'identitarisme. Ce qui conduit non pas à faire converger les
luttes, mais à les fracturer. Jamais je n'avais vu le mouvement féministe et
homo aussi divisé et même terrorisé par des petits groupes radicaux et
sectaires, qui peuvent menacer d'autres féministes si elles ne sont pas pour la
prostitution, le voile ou qu'elles veulent continuer à utiliser le mot « femme
», ce qui est présenté comme transphobe ! C'est fou, et très douloureux à
observer. Une nouvelle génération de militantes féministes et même de jeunes
artistes revendiquent ardemment le droit de se voiler et de se prostituer !
Avec ce genre de combat, le patriarcat peut dormir tranquille… C'est comme si
nous avions tous, au fond de nous, une pulsion essentialiste, susceptible de
rejaillir et de nous piéger. Décidément, seul l'universalisme peut nous aider à
nous transcender.
L'égalité
n'est pas parfaite, mais les femmes ont gagné plus de droits en cinquante ans
que lors des deux mille années précédentes…
Le féminisme
n'a jamais été aussi puissant et aussi partagé. Mais le combat est loin d'être
gagné puisque des retours de bâton jaillissent de ses entrailles et que des
pièges naissent de ce succès. Tout le monde se dit féministe, même des hommes
profondément machistes par peur de se faire couper la tête… Si ça n'est pas la
preuve d'une victoire, je ne sais pas ce que c'est ! Paradoxalement, c'est à ce
moment-là qu' une nouvelle génération de féministes se met à fracturer le
mouvement. Les plus américanisées réécrivent l'histoire du MLF, le faisant
passer pour un mouvement de bourgeoises blanches. Alors qu'il était animé par
des militantes internationalistes en solidarité avec le mouvement des droits
civiques et les travailleurs immigrés !
Comment
expliquer ce contresens historique ?
Nier cet
héritage permet d'entretenir l'idée qu'on aurait inventé quelque chose de
meilleur avec le féminisme intersectionnel, de diviser le féminisme entre les
Blanches et les « racisées », puis d'interdire aux féministes blanches de
parler. Il arrive même que les actes sexistes soient désormais jugés en
fonction de la couleur de peau du sexiste, et non plus du sexisme. Lors d'un
débat sur le féminisme, j'ai entendu une étudiante de Paris-7 déclarer qu'il
était plus grave d'être violée quand on est une femme noire que lorsqu'on est
une femme blanche. Si on m'avait dit il y a vingt ans que je pourrais entendre
ce genre de chose au nom du féminisme, je n'y aurais pas cru.
On a
l'impression que cette vision est en train de devenir majoritaire, notamment
dans la jeunesse. Les générations qui arrivent à maturité politique vont-elles
rester sur ces positions ?
Les dix
prochaines années seront cruciales. Nous vivons un moment où les États-Unis
sont à l'acmé de cette crise identitaire. Une résistance commence à se lever, y
compris au sein de la gauche américaine. Sur certains campus, on s'organise
enfin pour défendre la liberté d'expression et refuser qu'un professeur soit
menacé de renvoi chaque fois qu'un élève se dit « offensé ». Joe Biden a fait
un grand plan de relance qui devrait bénéficier aux déclassés, y compris aux
classes pauvres blanches que la gauche démocrate a longtemps négligées. Ces
actes peuvent laisser espérer un rééquilibrage entre la gauche universaliste et
la gauche identitaire. Si la gauche universaliste parvient à regagner des
postes au sein du monde universitaire, culturel et politique aux États-Unis,
elle devrait pouvoir se régénérer.
Et en
attendant ce moment… ?
En
attendant, il faut tenir bon. Si on parvient à tenir pendant les dix prochaines
années, à ne pas se laisser gagner par la fièvre identitaire, minoritaire ou
majoritaire, on peut espérer que la jeunesse finira par nuancer ses passions.
En revanche, si toutes les universités cèdent à la tendance décoloniale et
intersectionnelle, on risque de perdre des pans entiers de culture et de
liberté. Des pièces de théâtre, des artistes, des films, des classiques… Des
monuments de subtilité et de patrimoine. Tout peut aller très vite. On parle de
nouveau maoïsme culturel, mais ce maoïsme-là est du bon côté du mur, il possède
la force de frappe des États-Unis, des Gafa, de la Silicon Valley. Il s'agit
davantage d'un maccarthysme, mais au nom du progrès et de la société. Le pire
serait qu'il génère en retour un maccarthysme d'État, au nom de l'identité
majoritaire. Car alors nous serions pris au piège de la tenaille identitaire.
Il faut maintenir les mâchoires de cette tenaille identitaire écartées le plus
longtemps possible, en espérant que l'oxygène finira par irriguer.
Que faire
pour tenir cette tenaille écartée ?
Il faut
penser ! Nous sommes un pays où un livre peut changer le cours de l'Histoire,
c'est quand même magique. Beaucoup de livres et d'intellectuels alertent contre
ces pièges. Encore faut-il que les alertes que nous lançons contre la gauche
identitaire, la culture de l'annulation, la dérive de l'antiracisme et du
féminisme, ne servent pas le retour de la domination culturelle et masculine.
Plaidons sans relâche pour que l'égalité progresse, sans marcher sur le corps
des libertés !
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Que
même ceux qui la prônent et l’interprète de la façon qui les arrange en croyant
avoir raison et surtout comme nos gouvernements et dirigeants donneurs de leçon
bienpensant mais hypocrite pratiquant le politiquement correct, tare de nos
diplomaties occidentales !
Car
de par notre culture judéo-chrétienne de plus de 2000 ans et notre révolution
de 1789 nous sommes un pays (gardien des droits de l’homme que peu respectent
dans le monde) et en plus avec des principes louables de droit d’asile dont
certains abusent !?
Mais
en fait les défauts et tares des hommes dans le monde sont le mysticisme et
donc d’autres mouvements religieux extrémistes obscurantistes et moyenâgeux
venus d’ailleurs s’infiltrent et s’implantent en France ou occident ne
respectant pas les lois de notre république inefficace en essayant simplement de
prendre le pouvoir avec leur dogmes d’un autre âge pour asservir les plus
faibles qui s’y laissent prendre et ce fléau qui a déjà fait des drames de
terrorismes criminels qui se répand et se poursuit avec une accélération depuis
20 ans !
La
laïcité pour faire simple :
- Sens 2
Mais pour cela, il faut respecter les lois
de la république sans dérogation religieuse ce n’est déjà pas toujours le cas
en France !
Et c’est déjà bien tard pour réguler cela !
Donc cela ne peut marcher et fait déraper
certaines religions extrémistes venues d’ailleurs !
Si on ne veut pas où on ne peut pas
appliquer ces principes simples, cela ne peut marcher et mene à l’échec voire l’anarchie
ou chaos dangereux même à des guerres civiles qui ont déjà eu lieu dans notre
histoire ancienne !
Jdeclef 13/08/2022 10h30
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