Pierre Vermeren : « La France est
considérée comme un État faible »
L’historien, spécialiste des sociétés
arabo-berbères, analyse la volonté d’emprise de l’État algérien sur sa diaspora
en France.
Propos recueillis par Géraldine
Woessner
Publié le 18/01/2025 à 09h35
Temps de lecture : 8 min
Depuis le bureau consulaire algérien de
Marseille jusqu'aux allées feutrées de l'Élysée, le fil invisible qui relie
Paris et Alger ne cesse de se tendre. Soixante ans après les accords d'Évian,
que reste-t-il de la "grande réconciliation" espérée ? L'historien
Pierre Vermeren dévoile les dessous d'une relation franco-algérienne plus
complexe que jamais. Surveillance des diasporas, guerre des mémoires, jeux
d'influence... Dans ce face-à-face complexe, chaque geste diplomatique se danse
sur une ligne de crête.
Le Point : Pourquoi, soixante ans après
l'indépendance, les relations entre la France et l'Algérie demeurent-elles
si tendues ?
Pierre Vermeren : Les tensions actuelles
sont le fruit d'une histoire difficile et d'une longue structuration politique.
La colonisation française, suivie par la très violente guerre d'indépendance, a
laissé des blessures profondes. Puis les choix faits après 1962 ont pesé
lourd. Côté algérien, la rente mémorielle de la guerre est devenue le fondement
du régime face à une France coloniale naturalisée. Côté français, on a choisi
l'amnésie et le désengagement dans la gestion des Algériens immigrés, une
responsabilité confiée à l'État algérien. Ce choix s'est traduit par un
transfert d'autorité : l'Algérie a mis en place des mécanismes pour
encadrer sa diaspora en France. Les accords d'Évian prévoyaient une présence
consulaire réciproque et la libre circulation. Mais les Français n'ont pas pu
rester en Algérie. La diaspora en France, composée de
380 000 travailleurs immigrés en 1962 (hors harkis et notables
profrançais), est devenue une communauté diverse, comptant de nombreux
Franco-Algériens intégrés à la société française. Mais, pour Alger, tous
restent des Algériens.
Comment fonctionne la surveillance des
Algériens en France aujourd'hui ?
L'État algérien s'appuie sur trois piliers
principaux. Tout d'abord, les 20 consulats implantés sur notre territoire
jouent un rôle central : ils immatriculent la population franco-algérienne
et algérienne de France, organisent des activités sociales et politiques, et
assurent le suivi de la diaspora. Puis il y a l'influence religieuse. La Grande
Mosquée de Paris, contrôlée par Alger, supervise un réseau de 700 mosquées
en France. Jusqu'à récemment, plus de 150 imams étaient des fonctionnaires
algériens détachés par le ministère des Habous, directement lié au ministère de
l'Intérieur. Ces imams transmettent un discours aligné sur les intérêts du
régime. Autre exploit, la halalisation des abattoirs et du marché français de
la viande. Enfin, les services de renseignement algériens surveillent
activement les militants et groupes communautaires, notamment les militants
kabyles et les islamistes, ou encore les Franco-Algériens occupant des postes
influents.
Pourquoi une telle surveillance ?
Il y a une rhétorique complotiste permanente,
avec la hantise qui l'accompagne. Ce discours a des conséquences
pratiques : pour éviter qu'un complot soit ourdi par la France ou par les
ennemis de l'étranger, il faut surveiller les Kabyles de France, les liens avec
le Maroc, les intellectuels, les islamistes… L'idée est d'éviter les influences
nocives et la « contamination ». La surveillance, au fil des ans, n'a
cessé de se renforcer. Parfois pour de bonnes raisons : pendant la guerre
civile algérienne, les islamistes avaient pris les armes en Algérie et une
partie de l'état-major du FIS s'était réfugiée en France. Or, pendant cette
« décennie noire », la France a été le seul pays à aider l'Algérie à
les combattre. Ce soutien s'est retourné contre elle lorsque, au début des
années 2000, le pouvoir algérien s'est réconcilié avec les islamistes,
qu'il avait vaincus de manière brutale. Abdelaziz Bouteflika, qui était
profrançais, a brusquement changé de politique et a commencé à dénoncer le « génocide
culturel », puis à pointer la France comme ennemi principal. Il
fallait expier la faute que constituait la collaboration avec la France pour
venir à bout d'une insurrection algérienne. Le crime de Kamel Daoud est d'avoir
remis au premier plan la « guerre civile », dont l'évocation est
criminalisée.
Il faut surveiller les Kabyles de France, les
liens avec le Maroc, les intellectuels, les islamistes…
Le mouvement de protestation du Hirak, commencé
en février 2019, a-t-il accentué cette emprise sur la diaspora ?
Ce mouvement a ébranlé le régime algérien. La
contestation, portée par des millions de personnes, dénonçait la corruption, le
manque de démocratie et l'usure du pouvoir. Face à ce soulèvement, le régime a
engagé une répression croissante. Les autorités ont accusé les immigrés
algériens en France, en particulier les Kabyles et les islamistes, d'avoir
suscité le Hirak. Des accusations de manipulation via les réseaux sociaux ou
par action directe ont été proférées. Alger a renforcé son contrôle. Blogueurs et
intellectuels critiques ont été traqués, certains emprisonnés. La presse et les
associations autonomes, comme la Ligue des droits de l'homme, ont été fermées.
Il n'y a plus d'espace de liberté, la société civile est sous contrôle. En
France, les Algériens de la diaspora disent ressentir une surveillance accrue,
sentiment qui alimente la peur que les réseaux cryptés soient infiltrés. Cette
méfiance reflète une vision autoritaire de la société où toute opposition est
perçue comme une menace à éliminer.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans ces
dynamiques ?
Les réseaux sociaux sont devenus des outils
centraux, à la fois pour les mouvements d'opposition et pour les régimes
autoritaires. Pendant le Hirak, ces plateformes ont permis de mobiliser des
millions de personnes, en Algérie comme à l'étranger. Mais Alger les utilise
également pour surveiller, manipuler ou mener des campagnes de propagande. Des
influenceurs prorégime y diffusent des messages visant à discréditer les
opposants ou à instiller un ultrapatriotisme antifrançais. Cette tendance est
mondiale. La Russie, la Turquie et d'autres pays exploitent ces outils pour
déstabiliser leurs adversaires. En Afrique, les campagnes antifrançaises sur
les réseaux sociaux, téléguidées par Moscou, ont contribué à chasser la France
du Sahel.
Comment expliquer la violence récente du
discours des autorités algériennes envers la France ?
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte.
D'abord, il y a l'exemple des autres pays : sur les réseaux sociaux en
France, on peut dire ce qu'on veut sans grandes conséquences. Le président turc
a pu insulter le président français et accuser la France de génocide en Algérie
sans qu'il ne se passe rien. Cette exemplarité encourage, d'autant que la
France est considérée comme un État faible et mou. Mais cela révèle aussi la
faiblesse de l'État algérien : l'abstention à la dernière présidentielle,
en septembre 2024, a atteint des records. Seuls 10 % des Algériens ont
voté et, parmi les émigrés, la participation aurait atteint de 3 à
4 %.
La reconnaissance
par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a-t-elle
aggravé les tensions ?
Cette décision du président Macron a été perçue
comme un affront majeur à Alger. Bien que la France soutienne Rabat depuis des
décennies sur ce dossier, l'évocation de la « souveraineté »
marocaine a fortement irrité le régime. Cette position a aussi mis en lumière
les divisions internes du pouvoir algérien. Certains clans, proches de la
France, prônent une approche pragmatique, mais d'autres, influencés par la
Russie ou des courants ultranationalistes, appellent à la rupture. Le président
Tebboune se trouve dans une position délicate. Bien qu'il ait été perçu comme
modéré à son arrivée au pouvoir, il adopte désormais un discours
virulent : est-ce pour apaiser ou satisfaire les faucons d'Alger ?
Les gestes mémoriels, comme le rapport de
Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie,
n'ont-ils pas apaisé les tensions ?
Non, ces initiatives n'ont pas produit les
résultats escomptés. Le
rapport Stora, bien qu'il ait suscité un certain intérêt en France, a été
perçu en Algérie comme une démarche unilatérale. Le bilatéralisme a été refusé
par Alger, qui a préféré continuer à instrumentaliser la mémoire de la
colonisation à des fins politiques. Ces gestes mémoriels ne suffisent pas à
compenser les désaccords structurels entre les deux pays. Pendant que la France
multiplie les initiatives de réconciliation, l'Algérie privilégie des
partenariats économiques avec la Chine, la Russie, ou même l'Italie et l'Allemagne,
reléguant Paris à la marge. Sans parler des amitiés iraniennes et turques, pays
clairement hostiles à la France…
Cette situation présente-t-elle un danger pour
la France ?
Il y a des précédents inquiétants. Lors des
émeutes de 2005, Alger avait proposé au président Chirac d'envoyer des
policiers pour rétablir l'ordre. Cela montre qu'Alger considérait avoir une
influence sur ces émeutiers. Les services de sécurité français semblent très
inquiets d'une potentielle déstabilisation de l'Algérie. Pour l'instant, elle
n'est pas déstabilisée, mais elle dispose de moyens d'action en France. Le
drame est que ces tensions interviennent dans un contexte où l'État français
n'est plus capable d'assurer une éducation solide et « intégratrice »
aux enfants issus de l'immigration. Or, sans un accès réel au français écrit,
la compréhension de l'Histoire et l'acceptation de la République sont très
difficiles. Propagande, islamisme et patriotisme fictionnel en font leur miel.
Otage. L’écrivain binational Boualem Sansal est
détenu en Algérie depuis le 16 novembre 2024 pour « atteinte à
l’intégrité du territoire ». © ©Hannah ASSOULINE/Opale.photo
Comment la France peut-elle réagir à cette
situation ?
Elle dispose de leviers d'action, mais la
relation franco-algérienne repose sur le seul président de la République,
maître des traités et des relations diplomatiques, en particulier avec le
Maghreb. C'est une spécificité de la Ve République : le
Parlement n'a pas à connaître la politique étrangère de la France dans ce
domaine. Ni le Quai d'Orsay ni le ministère de l'Intérieur ne peuvent agir…
Seul Emmanuel Macron peut changer de politique. Or l'État français ne communique
pas sur ces enjeux. Personne ne sait ce qui se trame, et l'on se perd en
conjectures. La coopération dans les domaines sécuritaire et économique entre
nos deux pays est-elle affectée ? On n'en sait rien. Le seul baromètre
dont nous disposons, c'est la violence des discours algériens, et
l'embastillement de Sansal.
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Comble de l’hypocrisie de nos dirigeants de cette
époque qui a couté tant de vies dans nos jeunesses françaises et algériennes et
avec attentats divers de l’extrême droite française l'OAS jusqu’à une tentative d’assassinat
du général de Gaulle aussi qui a failli lui couter la vie ?!
Depuis et jusqu’à maintenant l’ALGERIE nous détestent
tout en nous envoyant quand même leur immigration de leurs ressortissants qui
ne supporte pas leur pays devenu totalitaire en nous insultant en filigrane car
on accueille leurs dirigeants qui défilent chez nous depuis des lustres sans
cacher leur animosité anti française !?
Il n’y a qu’en France pour voire et subir cela
et ce n’est pas ce pauvre Mr MACRON inutile bavard bon chic bon genre donneur
de leçons bienpensant qui ne comprend rien à rien (et pas que pour cela d’ailleurs)
en plus trop jeune à l’époque qui fera quelque chose pour régler ce problème récurrent
comme ces prédécesseurs cela pourtant est simple il faut considérer l’ALGERIE comme pour d’autres pays
étrangers normaux et non ex colonie Française de ce Maghreb car la Tunisie et
le Maroc sont à peu près dans le même état d’esprit car on a bien donné l’indépendance
à nos ex colonies africaines AOF et AEF ?!
Il faut croire malheureusement les Français
lambda sont des imbéciles heureux qui avalent tout de leurs dirigeants de tous
bords depuis que cette Veme république de + de 66 ans dit « gaullienne »
existe (car c’est notre histoire contemporaine) malgré que certains nous
gouvernent et nous protègent si mal mais c’est nous qui votons et les réélisons
en prenant toujours les mêmes !?
(On ma envoyé 18 mois en Algérie cela m’a suffi
merci !?)
Macron est un "bobo" faible donc la
France est devenue faible mais cela ne date pas de ses quinquennats les autres
avants n'étaient pas meilleurs çà fait + de 66 ans que la France végète mais de
la faute des Français !?
Jdeclef 18/01/2024 14h19
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