Pourquoi
Élisabeth Borne a tort de s’accrocher
LES CARNETS
DU DIMANCHE. La campagne pour le poste de Premier ministre a commencé. Un poste
sur lequel l’Élysée a la haute main.
CES REMANIMENTS GOUVERNEMENTAUX
NE SONT QUE DES FUMISTERIES POUR FAIRE CROIRE QUE LA MACRONIE CHANGE SAUF QUE LA
MAUVAISE POLITIQUE DU PRESIDENT ELLE NE CHANGERA PAS ?!
Pourquoi diable Richard Ferrand a-t-il
dit cela ? Dimanche dernier, l'ancien président de l'Assemblée nationale,
médiatiquement invisible depuis sa défaite aux législatives de l'an dernier,
est sorti du silence pour accorder un long entretien au Figaro, dont
une phrase a émergé. « À titre personnel, je regrette tout ce qui bride la
libre expression de la souveraineté populaire : la limitation du mandat
présidentiel dans le temps, le non-cumul des mandats, etc. » Venant
d'un macroniste historique qui continue de murmurer à l'oreille du président,
la remarque ne pouvait que déclencher une polémique. C'est ce qui s'est
produit.
La course au poste de Premier ministre est lancée
Aussitôt, les enragés de l'antimacronisme et tous ceux qui parlent de tout
et de rien en espérant que cela fera parler d'eux ont fait mine de s'insurger.
Comment ? Un troisième mandat pour Macron, et puis quoi encore ? Les
Robespierre 2.0 de La France insoumise étaient – comme souvent – les plus
virulents. C'est tout juste s'ils n'accusaient pas le pauvre Ferrand de vouloir
rétablir la monarchie. Comme d'habitude, ils regardaient au mauvais endroit. En
réalité, l'intérêt de l'interview n'était pas là – et pour cause : même si
une très hypothétique révision de la Constitution abrogeait l'interdiction d'un
troisième mandat consécutif à l'Élysée, elle ne s'appliquerait pas à l'actuel
titulaire de la fonction. Non, ce que disait la sortie de Ferrand, c'est la
confirmation que la course à la succession d'Élisabeth Borne est bien
ouverte ; et que les plus proches du chef de l'État ne l'ignorent pas.
Textos, rendez-vous secrets, marches… Les nuits
d'Emmanuel Macron
« Richard s'emmerde depuis qu'il a quitté l'Assemblée, et il aime trop
la politique pour ne pas rêver d'un retour », me confiait cette semaine un
ministre qui l'apprécie. L'ex-député du Finistère, venu du privé, a monté un
cabinet de conseil pour s'assurer des revenus mais il ne cache pas avoir
toujours ses entrées auprès du président. En 2022, il était l'un de ceux qui
lui recommandaient le choix de Borne pour Matignon. Aujourd'hui, il sait tout
ou presque de la dégradation de leurs relations. Alors, quand Le Figaro lui
demande si la Première ministre est la femme de la situation, il
répond que les trois chefs de gouvernements nommés par Macron auront été
« trois personnalités remarquables, chacune avec son style », qui
« ont servi et servent notre pays avec efficacité et abnégation ».
Cela ne ressemble pas à un plaidoyer pour Élisabeth Borne.
Ténacité contre-productive
Est-il encore temps, d'ailleurs, de défendre sa cause ? Rien n'est
moins sûr. D'évidence, la Première ministre se cramponne à son poste,
convaincue que sa ténacité aura raison des impatiences et de l'agacement
présidentiels. Parmi les familiers du Château, il en est pourtant beaucoup qui
jugent cette campagne contre-productive. « Elle a tort de se bagarrer
aussi ouvertement, diagnostique un haut gradé de la majorité. Macron ne
supporte pas d'avoir l'air de décider sous la contrainte. Aujourd'hui, il sait
que s'il la reconduit à Matignon, la presse dira qu'elle a gagné son bras de
fer. Et ça, il ne pourra jamais l'accepter. »
La mue politique d'Élisabeth Borne
Autre analyse conduisant à la même conclusion, livrée par un conseiller
influent : « Macron ne peut pas se représenter ; il ne peut pas
non plus dissoudre, car la situation politique ne le permet pas ; lancer
un référendum maintenant serait suicidaire ; son principal pouvoir, c'est
le pouvoir de nommer, à commencer par le gouvernement. Il faut qu'il montre que
c'est lui seul qui décide. Or l'activisme de Borne donne l'impression
qu'elle pourrait lui forcer la main. C'est un mauvais calcul. »
Rocard était habile, Mitterrand
l'a viré
L'histoire montre qu'un Premier ministre a (presque) toujours tort de
vouloir s'imposer au président. En 1972, Jacques Chaban-Delmas avait insisté
pour que Georges Pompidou l'autorise à demander aux députés un vote de
confiance que rien ne nécessitait. Résultat : le vote fut triomphal, et le
limogeage très rapide ensuite. En 1991, Michel Rocard manœuvrait habilement au
Parlement (où il n'y avait pas de majorité absolue), tandis que l'impopularité
menaçait François Mitterrand. « Reprenez l'initiative, inversez la
tendance », l'encourageait ce dernier… quelques jours avant d'exiger sa
démission.
Larcher, Baroin, Copé… Qui veut gagner Matignon ?
Élisabeth Borne n'a pas démérité, et elle a moins de responsabilité qu'Emmanuel
Macron lui-même dans la confusion et le désordre qui ont saisi le paysage
politique. Il n'empêche, le chef de l'État lui reproche plusieurs erreurs –
notamment dans la conduite de la réforme des retraites, puis dans son engagement
précipité à ne plus utiliser l'article 49.3 alors que cette décision est
du ressort du conseil des ministres (donc du président) – et plusieurs critères
le conduisent à envisager son remplacement.
« Le président veut du
confort »
Le feuilleton des retraites et l'enlisement (provisoire ?) du projet de
loi sur l'immigration obligent à un « changement de séquence »,
entend-on à l'Élysée. Pour sortir de l'immobilisme, un changement de
gouvernement serait la solution la plus facile à mettre en œuvre.
Les négociations avec la droite sont au point mort. Or « Macron n'y a
pas renoncé », assure un de ses visiteurs réguliers. Borne n'est plus la
mieux placée pour cela ; un ou une autre aurait sa chance…
Le chef de l'État, en fixant l'échéance des « 100 jours » pour
redonner un élan à sa Première ministre, s'est obligé à faire mouvement. S'il
laisse passer le 14 juillet sans avoir tiré le bilan, l'opération
ressemblera à un simple coup de com et lui seul en paiera le prix dans
l'opinion. Il a donc tout intérêt à mettre en scène son autorité.
Emmanuel Macron ou l'art si français de lever le coude
Sa mésentente personnelle avec Borne provoque une crispation malsaine au
sommet de l'État. Exemple : après le drame d'Annecy, où un déséquilibré a
agressé des enfants dans un parc, la Première ministre s'est précipitée sur
place, 24 heures avant que le président et son épouse ne s'y rendent.
« Macron a été mécontent qu'elle y aille sans demander le feu vert de
l'Élysée ; il a considéré que c'était à lui d'être là », affirme un
pilier de la majorité. Avec cette conclusion : « Le président veut
travailler en confort avec son Premier ministre ; ce n'est plus le cas
avec Borne. »
À noter que l'argument du « confort » semble a priori
désavantageux pour Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, le plus souvent
cités parmi les « premiers-ministrables », Macron ne leur faisant
qu'une confiance limitée. Il favorise en revanche Richard Ferrand ou l'ancien
ministre Julien Denormandie, issus du premier cercle, voire Sébastien Lecornu,
le ministre des Armées, transfuge de la droite mais très en cour à l'Élysée.
À noter aussi que, dans tous les scénarios, si Élisabeth Borne s'en va,
c'est un homme qui devrait la remplacer. Sauf, bien sûr, si Macron déniche
ailleurs la perle rare…
Anticor n'aime pas (tous) les lanceurs d'alerte
L'association Anticor, connue pour multiplier les plaintes pénales contre
des personnalités politiques dans les affaires financières, vient de se voir
privée de l'agrément qui l'autorisait à ester en justice au nom de l'intérêt
général. La décision a été rendue vendredi par le tribunal administratif,
annulant un arrêté gouvernemental de 2021. Immédiatement, le chœur des indignés
dénonce une « atteinte aux libertés » et s'alarme d'un « recul
dans la lutte contre la corruption ». C'est oublier que les juges avaient
été saisis, non pas par des ministres mis en cause ni des élus stipendiés, mais
par… des membres d'Anticor !
Minée par les luttes intestines, Anticor perd son agrément
En effet, c'est l'ancien vérificateur des comptes de l'association (exclu
en 2020 pour s'être opposé à la direction) et l'un de ses adhérents
actuels qui ont dénoncé l'agrément octroyé, au motif que, selon eux, Anticor ne
remplissait pas tous les critères de transparence et de désintéressement exigés
par la loi. En cause, notamment, les dons versés par un homme d'affaires classé
à gauche disposant de multiples sociétés dans des paradis fiscaux, dont les dirigeants
de l'association refusaient de communiquer l'identité. Autrement dit : il
y avait des lanceurs d'alerte au sein d'Anticor. Et Anticor aime les lanceurs
d'alerte, sauf en son sein.
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