Pourquoi avoir-t-on attendu si longtemps pour dénoncer soi-disant l’effet placebo de ses médicaments !?
Homéopathie :
« Pourquoi rembourserait-on une pratique magique ? »
ENTRETIEN.
L'homéopathie ne sera plus remboursée par la Sécurité sociale à partir de
2021. Le Dr Fraslin démonte les arguments des pro-granules.
Il est l'un des plus virulents adversaires de l'homéopathie.
Médecin généraliste dans la banlieue nantaise, Jean-Jacques Fraslin a été parmi
les premiers signataires de la tribune qui, en mars 2018, sonnait la charge
contre les « médecines alternatives » et appelait notamment à
dérembourser les granules. Cofondateur du collectif No Fake Med créé à cette
occasion, utilisateur frénétique de Twitter , il s'est récemment
offert le luxe d'un procès en diffamation intenté par le président de la
Fédération française des sociétés d'homéopathie, Daniel Scimeca, qu'il avait
publiquement accusé de « charlatanisme ». Alors que le ministère de
la santé a annoncé un déremboursement de l'homéopathie à partir de 2021,
Jean-Jacques Fraslin répond aux arguments des pro-granules.
Le Point : Selon l'Assurance maladie,
les traitements homéopathiques n'ont représenté en 2018 que 126,8
millions d'euros, sur un total de 20 milliards pour l'ensemble des
médicaments remboursés. Pourquoi faire du déremboursement un tel enjeu ?
Jean-Jacques Fraslin : En réalité, on
ne sait pas exactement combien coûte l'homéopathie : la Sécurité sociale
rembourse aujourd'hui les granules à hauteur de 30 %. Mais un
chiffrage précis devrait prendre en compte le remboursement des consultations
et la prise en charge des complémentaires santé. Gardons cependant le chiffre
de 126 millions. Suffit-il à justifier que l'on continue de
rembourser un produit dont on sait qu'il ne contient aucun principe
actif ? Faut-il demander à l'ensemble du système de financer ce qui est de
l'ordre de la pure croyance, de la pratique magique ? Ce serait d'autant
plus choquant que le remboursement contribue, en retour, à asseoir la légitimité
de l'homéopathie dans l'esprit des patients : ils ne peuvent pas imaginer
que l'Assurance maladie prenne en charge un produit dont l'efficacité n'est pas
prouvée. Cela a même longtemps été le premier argument des homéopathes
eux-mêmes : si les granules ne servaient à rien, elles ne seraient pas
remboursées ! Rappelons au passage qu'elles ne le sont que depuis 1984,
sur décision de la ministre de la Santé Georgina Dufoix. Et que l'homéopathie
n'est entrée dans l'enseignement universitaire qu'en 1994, ce qui lui donne
également du poids – comme le fait que le Conseil de l'ordre des médecins
reconnaisse des généralistes homéopathes, ou que l'Union européenne accorde aux
produits homéopathiques le statut de médicament. Ailleurs, pourtant, les choses
se passent autrement.
C'est-à-dire ?
Au Québec, par exemple, un généraliste qui prescrit de
l'homéopathie commet une faute grave, et peut être traduit devant le Collège des médecins ,
l'équivalent du Conseil de l'ordre. La ministre de la Santé espagnole María
Luisa Carcedo a lancé récemment un grand plan de lutte contre les
pseudo-sciences, et milite aujourd'hui auprès de ses collègues européens pour retirer aux granules le statut de médicament . Elle est
encore bien seule, malheureusement.
« Si l'homéopathie
était efficace, nous devrions jeter aux orties tout ce que nous savons de la
chimie et de la physique »
Certaines études citées en exemple prouveraient l'efficacité de
l'homéopathie, comme celle du médecin David Reilly, en 1994, sur l'asthme
allergique.
Il n'en existe pas qui soit probante. En 2014, le Conseil national
australien de la recherche en santé et en médecine (NHMRC) a fait reprendre par
un collège de spécialistes chacune des études existantes. La conclusion a été
sans appel : aucune étude de qualité, menée dans les règles de l'art et
avec suffisamment de participants, n'a pu démontrer un effet supérieur à
l'effet placebo. La Haute Autorité de santé vient de mener la même enquête,
avec le même résultat. Ce qui est logique : si l'homéopathie était
efficace, nous devrions jeter aux orties tout ce que nous savons de la chimie
et de la physique. Elle a été imaginée au XVIIIe siècle, alors que la science
était encore très balbutiante. Son concepteur, Samuel Hahnemann, en a édicté
arbitrairement les principes, tel Moïse brandissant les tables de la Loi.
Personne n'a pu leur donner le moindre fondement scientifique. Prenez le
principe de la haute dilution : une goutte de la substance de base est
diluée dans 99 gouttes de solvant pour donner la première
« centésimale hahnemannienne » (1CH). Qui est elle-même diluée pour
donner 2 CH, et ainsi de suite. Jusqu'à arriver à une goutte sans
plus aucun principe actif, qui imprégnera la bille de sucre. Le résultat est
que toutes les granules ont exactement la même composition
chimique : 75 % de lactose, 25 % de saccharose.
Évidemment, on peut en consommer sans risque – comme on ferait d'une hostie.
Homéopathie :
l'effet placebo en question
Mais comment comprendre
alors que l'homéopathie soit pratiquée depuis plus de 200 ans, et que
tant de patients en ressentent les bénéfices ? Par le seul effet
placebo ?
Par l'effet placebo et par l'effet contextuel, qui est plus
efficace encore. Certains médecins homéopathes facturent la consultation
jusqu'à 115 euros, dont 23 seulement sont remboursés par la
Sécurité sociale, et l'on sort immanquablement du cabinet avec une prescription
de cinq ou dix tubes différents. Lorsqu'on a pratiqué la chose pendant des
années et plusieurs fois par an, il devient très difficile d'admettre que l'on
s'est trompé...
Ses défenseurs assurent pourtant que l'homéopathie est également
efficace sur les animaux.
Il se trouve que l'effet placebo fonctionne aussi sur les
animaux ! Moins que sur les hommes, évidemment. Mais un animal de
compagnie ou d'élevage est sensible au comportement de son maître, au climat de
confiance ou d'angoisse qu'il instaure, aux soins dont il est l'objet. Sans
compter que bien des propriétaires vont crier au miracle homéopathique alors
qu'une maladie virale, par exemple, aura disparu d'elle-même...
« Il y a beaucoup moins d'adeptes de l'homéopathie chez les
ouvrières »
Dans leur Livre blanc, les homéopathes insistent sur le risque de
voir les patients s'en remettre à la médecine conventionnelle, dans un pays qui
souffre déjà d'une surconsommation de médicaments et alors que l'antibiorésistance
est un enjeu majeur de santé publique.
Il faut d'abord rappeler qu'il y a une spécificité
franco-française dans la surconsommation d'antibiotiques, comme d'ailleurs
d'antidépresseurs. C'est un problème, c'est certain : il faut que les
médecins apprennent à moins prescrire et à résister aux patients qui réclament
à toute force une ordonnance. Mais cela n'a rien à voir avec
l'homéopathie : dans les nombreux pays où elle n'est pas ou plus
remboursée, on ne constate pas de surconsommation de médicaments. Au contraire !
Une étude allemande, menée sur 44 000 personnes, a montré que les
pro-homéopathie coûtaient environ 20 % plus cher à la sécurité
sociale que les autres patients. Et une étude espagnole , qu'ils allaient davantage aux
urgences. Cette même étude montre également que les personnes souffrant d'un
cancer sont plus nombreuses à renoncer à la radiothérapie et à la
chimiothérapie lorsqu'elles sont adeptes de l'homéopathie.
Les consommateurs d'homéopathie vantent cependant les mérites
d'une médecine individualisée et « holistique », c'est-à-dire qui
appréhende la personne de façon globale et qui, pour cela, prend son temps.
Il faut dire qu'à 115 euros la consultation comme le
demandent certains homéopathes, on peut se permettre de consacrer une heure
entière à un patient ! Ce qui explique, d'ailleurs, qu'il s'agisse
globalement une médecine de privilégiés. On sait ainsi que le consommateur-type
est une consommatrice, urbaine, de classe sociale très aisée, mère d'un ou
plusieurs enfants. Il y a beaucoup moins d'adeptes chez les ouvrières, par
exemple.
Ce type de traitement ne répond-il pas tout de même à une envie de
thérapies alternatives, naturelles, à une époque où la chimie inquiète et où le
public redoute de nouveaux scandales sanitaires ?
Sans aucun doute. L'homéopathie tire par exemple bénéfice d'être
confondue avec la phytothérapie, la médecine par les plantes. Le public ne
connaît pas toujours le principe de haute dilution et ne sait pas que, dans les
substances de base, on trouve aussi du zinc, du mercure, du carbonate de
magnésium... ou des choses plus étranges. Le luesinum, par exemple, emploie des
prélèvements effectués sur des chancres syphilitiques primitifs. Et
l'oscillococcinum, des foies et des cœurs de canards de Barbarie décomposés. Je
dois dire que, dans ce second cas, j'ai du mal à saisir le « principe de
similitude ». Ce principe veut que l'on administre à dose infinitésimale
un produit qui, à forte dose, provoquerait le symptôme que l'on cherche à
combattre. Mais quel rapport entre des abats de canards pourris et des
symptômes grippaux ?