Société
Pourquoi la
grâce présidentielle est-elle tombée en désuétude?
JUSTICE Si les derniers
chefs d’État utilisent rarement cette prérogative, c’est qu’ils sont conscients
des risques qu’elle comporte…
Une décision rare qui
suscite inévitablement le débat. François Hollande a accordé dimanche la
grâce présidentielle partielle à Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de
prison pour le meurtre de son mari violent. La grâce dispense totalement ou
partiellement de l’exécution d’une peine. En revanche, elle n’efface pas le
casier judiciaire du condamné, ni ne remet en cause le jugement qui demeure.Une prérogative que l’actuel chef de l’État utilise avec parcimonie. Depuis son élection en 2012, François Hollande n’y a eu recours qu’une fois avant le cas de Jacqueline Sauvage : cette procédure avait permis la libération conditionnelle, en janvier 2014, du plus ancien détenu de France, Philippe El Shennawy. Nicolas Sarkozy avait lui aussi peu exercé son droit de grâce. C’est d’ailleurs, lors de son mandat que la réforme constitutionnelle de 2008 a mis un terme aux grâces collectives : la grâce présidentielle est depuis uniquement individuelle. En 2008, il avait cependant accordé une grâce partielle à Jean-Charles Marchiani, condamné à trois ans de prison pour trafic d’influence.
Un héritage monarchique jugé
archaïque
Si ce droit de grâce
est très rarement utilisé, c’est tout d’abord parce qu’il est un héritage
de la monarchie jugé quelque peu archaïque, explique Jean Garrigues, historien
et professeur à l’université d’Orléans et Sciences po
Paris : « Comme notre société prend ses distances vis-à-vis du
caractère autocratique du pouvoir, c’est assez logique qu’on y est moins
recours. » Lors de sa campagne de 2012, François Hollande avait d’ailleurs
critiqué le principe de la grâce présidentielle qui « rappelle quand
même une autre conception du pouvoir », avait-il déclaré.c’est aussi l’évolution du droit pénal qui lui a fait perdre de sa vigueur, explique Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux : « La grâce présidentielle avait un sens lorsque la peine capitale était encore prononcée, elle en a beaucoup moins maintenant », affirme-t-il. « La condamnation de Pétain avait ainsi été commuée en réclusion à perpétuité en 1945 par le général de Gaulle, alors président du Gouvernement provisoire. Tout comme celle de Paul Touvier, qui avait été gracié par Pompidou en1971 », se souvient Jean Garrigues.
La crainte d’être accusé de
contrecarrer la justice
Mais ce n’est pas
tout : les récents présidents ont aussi évité d’utiliser ce droit par
peur qu’on leur reproche de ne pas respecter le principe de séparation des
pouvoirs. « Cette prérogative est souvent considérée comme un moyen de
mettre en défaut l’institution judiciaire. Car elle conduit à défaire les
conséquences d’une décision pénale à laquelle des jurés populaires ont
contribué », souligne Pascal Jan. « Pourtant, la décision du droit de
grâce n’interfère en rien avec la justice. Elle n’invalide pas la décision
d’une Cour et permet seulement
d’infléchir l’exécution d’une peine », précise Jean Garrigues. Et la
décision finale d’accorder une remise en liberté conditionnelle revient au
final à l’autorité judiciaire. Il n’empêche que les chefs d’Etat craignent de
se mettre à dos une partie des magistrats en prenant de telles décisions.Pour Pascal Jan, le droit de grâce présidentiel pose aussi un autre problème : « Il rompt le principe d’égalité des citoyens devant la justice. Car pour un même crime, l’un qui bénéficie de l’appui de l’opinion publique va être gracié, alors que l’autre ne le sera pas », affirme-t-il.
Un acte qui n’est pas sans
conséquences politiques
Enfin, l’exercice du
droit de grâce présidentielle comporte des risques politiques non négligeables
pour les chefs d’État. « Il a toujours provoqué des crises politiques.
Lorsque de Gaulle a gracié Pétain, cela lui a été reproché par une partie des
résistants. La grâce de Touvier par Pompidou a elle aussi fait couler beaucoup
d’encre. Et dans une moindre mesure, Sarkozy a été raillé par la gauche
lorsqu’il a octroyé une grâce partielle à Marchiani. C’est d’ailleurs parce
qu’il était conscient du danger politique que cela comprenait que Giscard a
refusé de gracier Christian Ranucci, condamné à mort pour le meurtre d’une
petite fille », évoque Jean Guarrigues. « Ces décisions sont prises
sous la pression médiatique. Elles peuvent donc affaiblir l’autorité
présidentielle en laissant penser que le chef d’État est sous la coupe de
l’opinion publique », ajoute aussi Pascal Jan.Des constats qui laissent penser que le recours à la grâce présidentielle continuera à être exceptionnel dans les années à venir…
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