Soupçons
de fraudes au RN : le rapport de police qui accable Marine Le Pen
Le parti
aurait abusivement profité de 6,8 millions d’euros en dissimulant des
collaborateurs sous le statut d’assistant parlementaire, révèle le
« JDD ».
Par LePoint.fr
Cinq
années d'enquête et un constat implacable. Dans un rapport de synthèse
de 98 pages adressé à une juge d'instruction et relayé par Le Journal du dimanche,
l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières
et fiscales (Oclciff) accuse le Rassemblement national d'avoir « mis en
place un système organisé frauduleux de détournements des fonds européens à son
profit, par le biais d'emplois fictifs d'assistants parlementaires ». Dans
le viseur de l'instance, 17 dirigeants, élus et proches du parti, qui
pourraient être poursuivis pour « détournement de fonds publics » ou
recel de ce délit, l'instruction visant aussi le soupçon d'« escroquerie
en bande organisée ».
C'est la conclusion d'une vaste enquête, qui accuse le parti
d'avoir abusivement profité de 6,8 millions d'euros en dissimulant des
collaborateurs sous le statut d'assistant parlementaire. Au cœur de ce système,
la présidente du RN, Marine Le Pen, est désignée comme l'instigatrice et la
bénéficiaire principale, elle qui a été mise en examen dans ce dossier.
Centraliser la gestion
des crédits
Tout aurait réellement commencé après les élections européennes de
2014, lors desquelles le RN avait obtenu 24 sièges au Parlement de
Bruxelles et Strasbourg. Le parti avait alors décidé de centraliser la gestion
des crédits alloués aux élus, selon les enquêteurs. Au cours d'une réunion,
Marine Le Pen aurait d'ailleurs signifié à ses troupes qu'elles ne pourraient
employer qu'un seul assistant par tête et que les autres seraient choisis par
elle et affectés au parti. À la tête de ce système, un certain Charles Van
Houtte, ami belge de Marine Le Pen. Son rôle, selon l'Oclciff ? Suivre la
consommation des crédits par chaque député afin de déterminer sur quelles
enveloppes les assistants peuvent être rémunérés.
Le
21 avril 2002 ou la naissance de Marine Le Pen
Mais,
face aux enquêteurs, Charles Van Houtte rejette la faute sur sa patronne. Selon
lui, seule Marine Le Pen prenait la décision d'imputer le salaire d'un
assistant sur l'enveloppe de tel ou tel député. « Vous connaissez Marine
Le Pen, tout est très centralisé avec elle », a-t-il expliqué à la juge,
précisant que la patronne du RN « joue sur les deux enveloppes » de
l'État français et du Parlement européen pour « gérer son parti ».
Autre enseignement de cette enquête : certains collaborateurs
dévoués au parti mais payés par les fonds publics européens semblent avoir
cumulé indûment des contrats, relaie le JDD. Et l'Oclciff de citer le cas de
Thierry Légier qui a bénéficié de plusieurs contrats
d'assistant parlementaire alors qu'il était simplement garde du corps
de Jean-Marie Le Pen puis de sa fille. Mais aussi celui de Guillaume
L'Huillier qui a exercé simultanément la fonction de directeur de cabinet
du patriarche Le Pen et celle d'assistant parlementaire local de l'eurodéputé Bruno
Gollnisch, sans qu'une trace de cette dernière soit matérialisée.
Marine Le Pen en chef d'orchestre ?
Comme le révèle le rapport des enquêteurs, la plupart des
dépositions laissent à penser que le chef d'orchestre de ce système était
bien Marine Le Pen. Certains de ses collaborateurs s'en sont même inquiétés,
souligne le JDD.
« Ce que Marine nous demande équivaut [à ce] qu'on signe pour des emplois
fictifs… et c'est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers,
même si c'est le parti qui en est bénéficiaire », écrivait ainsi
l'eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser au trésorier du parti, Wallerand de
Saint-Just, dans un échange d'e-mails daté du 22 juin 2014.
Rassemblement
national : sondages pleins, bourse vide
Mais les
enquêteurs ont dû batailler pour obtenir des preuves, la plupart des
collaborateurs visés affirmant avoir détruit leurs archives ou encore changé
d'ordinateur pour justifier leur incapacité à présenter une preuve de leur
travail au Parlement européen. Certains membres déchus du parti ont néanmoins
aidé l'Oclciff. C'est notamment le cas d'Aymeric Chauprade et de Sophie Montel,
qui ont quitté le parti en 2015 et en 2017 pour des désaccords
politiques. Le premier a ainsi confirmé le caractère « fictif » de
l'emploi du député RN Bruno Bilde, et ce, « de manière certaine »,
précise le JDD.
Marine Le Pen accuse le JDD d'être « un organe du pouvoir »
Sollicité par l'hebdomadaire, l'avocat de Marine Le Pen, Rodolphe
Bosselut, balaie, lui, toutes ces accusations, assurant que sa cliente n'a
« jamais mis en place de système frauduleux ». « Tous les
assistants parlementaires au Parlement européen cités dans l'instruction ont
travaillé à un moment ou à un autre », martèle-t-il. Lors de son
audience, le 5 septembre 2018, la présidente du RN avait déjà contesté
toute fraude, expliquant notamment que son organigramme était erroné pour gérer
« la guerre des ego ». « On met des gens avec des titres
ronflants mais qui ne correspondent à aucune réalité », avait-elle plaidé,
comme le rappelle le JDD.
Après avoir pris connaissance de la une du quotidien, la
présidente du RN l'a accusé d'être « un organe officiel du pouvoir
macroniste », qui « ressort la même sempiternelle affaire des
assistants parlementaires, comme à chaque élection ». « Rien de neuf
sous le soleil, sauf peut-être de bons sondages en vue », a
ironisé Marine Le Pen sur son compte Twitter.
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