Fichier TES :
la brouille Cazeneuve-Lemaire
Le ministre
de l'Intérieur dénonce la désinformation de la secrétaire d'État chargée
du Numérique. Le point sur la mise en place de ce méga-fichier.
Axelle
Lemaire défend une vision libertaire d'Internet ; Bernard Cazeneuve
poursuit un objectif de sécurité. Ils n'ont rien pour s'entendre. La secrétaire
d'État chargée du Numérique, qui horripilait Emmanuel Macron
à Bercy, fait tout pour se rendre insupportable au ministre de l'Intérieur,
comme en témoigne leur dernière pomme de discorde publique : la mise en place
du méga-fichier TES (Titres électroniques sécurisés). Il s'agit de la réunion
de deux fichiers existants : celui des demandes de renouvellement de carte
d'identité (bientôt obsolète) avec celui déjà utilisé pour les passeports.Axelle Lemaire prétend ne pas avoir été mise dans la boucle. Outre le fait que son avis n'est pas indispensable en la matière, Le Point dispose des éléments qui attestent du fait que son cabinet a été informé mais n'a pas réagi avant la publication du décret autorisant la création de ce fichier. Contrairement à ses dires, ce décret n'a donc nullement été « pris en douce par le ministère de l'Intérieur, un dimanche de la Toussaint ».
Une simplification administrative
Il
suffit d'abord de s'intéresser un peu à l'activité du ministère de l'Intérieur
qui a présenté son « plan préfecture nouvelle génération » (PPNG) dès
le conseil des ministres du 17 décembre 2015. Cette réforme prévoit le recours
aux téléprocédures. Bernard Cazeneuve a eu l'occasion d'en dérouler le contenu
tout au long de l'année 2016 à l'occasion de déplacements en préfectures, et en
particulier le 24 février 2016 lors d'une conférence de presse à
Châlons-en-Champagne plus spécifiquement consacrée au nouveau mode
d'instruction des demandes de titres et à la liste des sites retenus pour
instruire ces demandes... Mais Axelle Lemaire n'est effectivement pas obligée
de s'intéresser à tout ce que fait Bernard Cazeneuve.On l'aura compris, la constitution de ce fichier obéit à une réforme de simplification visant à réduire les formalités et les démarches accomplies au guichet qui existent déjà pour le passeport (prédemande en ligne, recours au timbre fiscal dématérialisé, vérification automatisée des données d'état civil auprès des mairies de naissance, consultation préalable du fichier des personnes recherchées). L'automatisation et les téléprocédures vont permettre de libérer l'équivalent de 2 000 postes à temps plein chez les fonctionnaires et d'en redéployer 700 sur d'autres missions.
Déjouer les fraudes à l'identité
Le
fichier TES permettra de réduire le risque de fraude. En effet, le traitement
permettra de procéder à la comparaison automatique des empreintes digitales de
chaque demandeur avec les empreintes précédemment enregistrées sous la même
identité. En revanche, le fichier TES n'est pas destiné à permettre
l'authentification judiciaire des personnes, mais il pourra faire l'objet d'une
réquisition judiciaire comme le Code de procédure pénale le prévoit. On notera
toutefois une limite technique : le fichier TES ne permet pas de remonter une
identité à partir d'une empreinte. Il faudra que le juge dispose d'une identité
présumée, l'empreinte enregistrée ne pourra que la confirmer ou l'infirmer.Qui aura accès à ce fichier ? Les agents qui instruisent les demandes, soit les agents de mairie et de préfecture qui recueillent les données, et le personnel consulaire à l'étranger. Au total, environ 10 000 personnes réparties sur 3 600 sites en France. Les accès au fichier sont contrôlés par des cartes nominatives qui définissent des niveaux d'habilitation, sans possibilité d'extraction massive de données. Le stockage est réalisé sous la responsabilité opérationnelle de l'ANTS (Agence nationale des titres sécurisés) dans les locaux du ministère de l'Intérieur. Un dispositif de cryptage sécurise les données.
La Cnil n'a pas été suivie sur deux observations
Le
décret a été visé par la Cnil. Elle a considéré que les « finalités du
traitement TES (étaient) déterminées, explicites et légitimes au sens de
l'article 6-2 de la loi du 6 janvier 1978 ». Elle a émis deux observations
en recommandant que la mise en place du fichier TES soit soumise à un débat
parlementaire. Les services de Bernard Cazeneuve n'ont pas suivi la Cnil, car
la loi de 1978 prévoit que l'authentification et le contrôle de l'identité des
personnes se règlent par la voie réglementaire (décret en conseil d'Etat
après avis motivé et publié de la Cnil). Autrement dit, la voie parlementaire
n'est pas prévue.La Cnil aurait préféré que l'on dote la carte d'identité d'une puce électronique contenant des données biométriques. Le ministère de l'Intérieur n'a pas retenu cette solution, notamment pour une raison de coût. Rappelons que le passeport biométrique coûte cinq fois plus cher à fabriquer que la carte d'identité plastifiée. La seule comparaison des empreintes digitales contenues dans la puce électronique avec celle du porteur ne suffit pas à lutter efficacement contre la délivrance d'un titre à un usurpateur. La fraude initiale ne serait, en effet, jamais déjouée à chaque renouvellement.
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