François Fillon et Nicolas Sarkozy en 2011. À Matignon,
François Fillon avait subi les brimades de l'ancien chef de l'État,
"l'hyper-président".
Primaire de
la droite : le triomphe de l'anti-Sarkozy
Traité
naguère de "collaborateur", Fillon prend sa revanche, jugent les
éditorialistes, qui notent aussi que Hollande voit se refermer son "trou
de souris".
Fillon
qui rit, Sarkozy qui pleure. Les éditorialistes de la presse écrite commentent
ce lundi la très large victoire de l'ancien Premier ministre François Fillon.
Un véritable coup de théâtre qui met fin à la carrière politique de Nicolas Sarkozy
et une revanche éclatante pour celui que l'ancien président avait traité de
"collaborateur".
Sous
le titre, "Fillon, la revanche du collaborateur", Cécile Cornudet, dans Les Échos, assure qu'il "n'y a
pas de plus grosse humiliation pour Nicolas Sarkozy que d'être éliminé, dès le
premier tour de la primaire, par la remontée éclair de son ancien Premier
ministre et collaborateur.
Mister nobody, disait-il, même
s'il choisit aujourd'hui de lui apporter son soutien. Il n'y a pas plus belle
revanche pour François Fillon que de la prendre sur celui qui avait transformé
leur couple exécutif, de 2007 à 2012, en un permanent supplice vexatoire.
Fillon signant l'arrêt de mort politique de Sarkozy : ce boomerang de
l'histoire, double surprise de la primaire de la droite et du centre, restera
dans les annales.(...)"
Même
analyse dans La Voix du Nord,
où Hervé Favre voit également dans ce résultat "la revanche du
collaborateur" sur son "ancien patron qui a livré la campagne de
trop. Nicolas Sarkozy et ses soutiens tombent de très haut. Ils se sont
auto-persuadés que l'affluence dans les meetings et les queues devant les
libraires pour les séances de signatures avaient valeur de sondages imparables.
Quelle illusion d'optique !"
"Kärchérisé"
"L'homme
de province qui fut le collaborateur
de l'homme de Neuilly", est le "grand triomphateur", assure
également Jean-Claude Souléry, de La
Dépêche du Midi. Qui accable l'ancien chef de l'État : "Décidément
c'est une habitude : Nicolas Sarkozy se débrouille toujours pour créer
l'événement. Et l'événement, hier soir, aura été son grand naufrage. Chassé,
renvoyé, congédié par les siens. Le voilà qui mesure enfin l'étendue de son
rejet. La honte de sa vie... En reconnaissant la défaite, il a même esquissé
son départ à la retraite." Pour l'éditorialiste, le triomphe de Fillon est
bien celui d'un "anti-Sarkozy" : "François Fillon a sans doute
compris avant les autres que le "peuple de droite" attendait depuis
longtemps un champion éminemment traditionnel qui répugne à transgresser les
codes, à vouloir faire mode, un
homme qui serve d'antidote au bastringue sarkozyste et redonne à la politique
cette gravité qu'elle avait perdue."
"Il
fut le second silencieux et loyal d'un homme qui ne lui épargna aucune
avanie", rappelle Yves Harté, dans Sud-Ouest.
Qui juge que les électeurs ont arbitré en différentes personnalités bien plus
qu'entre des programmes. "La personnalité même de Nicolas Sarkozy, trop
douteuse et trop incertaine, lui a interdit de passer cette primaire",
tranche-t-il.
À
Libération, on jubile et on
ironise : pour Nicolas Sarkozy, c'est "la retraite à 62 ans", s'amuse
Alain Aufray. Quant à Laurent
Joffrin, il s'en donne à cœur joie : "Kärchérisé... Courant
comme un dératé dans le couloir de droite, Nicolas Sarkozy a eu beau multiplier
les provocations verbales, les meetings en forme de stand-up, les signatures de
livres à la Marc
Levy avec foules hystériques et rombières en pâmoison, rien n'y a
fait. Il est éliminé par un Droopy, aussi bonnet de nuit qu'il était adepte du
chapeau pointu et de la langue de belle-mère. Le clown blanc a eu raison de
l'auguste. Pour un peu, Sarkozy va nous manquer... "
"L'après-Hollande a commencé"
Au
delà de la défaite de Sarkozy, les éditorialistes insistent aussi sur ce que
signifie la très large victoire de Fillon, anticipant les résultats de la
semaine prochaine. "L'ex-souffre-douleur de Sarkozy à l'indéfectible
loyauté" est désormais "le leader tout désigné de la droite
républicaine", constate sobrement Philippe Palat, du Midi Libre. Qui juge que les
électeurs ont pris la charte qu'il devait signer hier (un engagement pour
"l'alternance") au pied de la lettre : "cette puissante
mobilisation, venue bien au-delà des frontières de la droite et du centre,
[sonne] le gong d'une double alternance. Celle qui consisterait à mettre un
terme à cinq années de pouvoir socialiste et celle qui refuserait, en bloc,
d'assister au retour de l'ancien président de la République." Depuis des
mois, les sondages indiquent avec constance que les Français ne veulent pas en
2017 de remake de 2012.
Fillon
"peut savourer sa revanche, la route pour l'Élysée s'ouvre devant
lui", assure aussi Xavier Brouet, du Républicain Lorrain. Et de noter que Fillon désigné, c'est une
tuile pour François
Hollande : "Au-delà des enseignements pour la droite, cette
primaire constitue une démonstration de force dont François Hollande apparaît
d'ores et déjà en victime collatérale. L'élimination de son adversaire préféré
obscurcit un peu plus son horizon et rend plus improbable encore sa
candidature. Aussi légitime soit son désir de défendre lui-même le bilan de son
quinquennat, s'aventurer dans la primaire de gauche lui ferait courir le risque
d'ajouter le déshonneur au désaveu. D'autant que ce sans-faute permet à la droite
de placer la barre très haut. La gauche va devoir faire mieux. Ou passer son
tour."
Pour
Guillaume Tabard, le succès de la participation au scrutin annonce que
"l'après-Hollande a commencé", lance-t-il dans Le Figaro : "Le oui par millions aux candidats de la droite
est d'abord et avant tout un non immense à François Hollande. Comme, il y a
cinq ans, la primaire socialiste avait été dopée à l'antisarkozysme, la
primaire de la droite a été portée par la volonté, et même l'impatience, de
tourner la page Hollande. Compte tenu de la faiblesse du chef de l'État et de
l'éparpillement de la gauche, la primaire de la droite a été regardée comme une
occasion anticipée d'élire le prochain président de la République. L'ampleur de
la participation signe ainsi clairement l'acte I de l'alternance. Et si les
électeurs qui ont versé 2 euros et signé une charte des valeurs ont dépassé
largement le cadre de l'électorat de l'opposition parlementaire, ce fut moins
pour s'immiscer dans un choix interne à la droite que pour dire, dès ce
dimanche : l'après-Hollande a commencé."
Hollande ou comment s'en débarrasser ?
Nicolas
Beytout de L'Opinion partage ce
point de vue : participation et élimination de Sarkozy préfigurent la défaite
de la gauche : "La dynamique enclenchée et le soutien dès hier soir de
Nicolas Sarkozy donnent désormais toutes chances à François Fillon de gagner
son duel final avec Alain Juppé, direction l'Élysée. Encore faudra-t-il que
toute la droite se rassemble ensuite, unie comme les socialistes avaient su l'être
en 2012 derrière François Hollande. C'est d'ailleurs lui, le chef de l'État,
l'autre grand perdant de la soirée : quatre millions de Français sont allés aux
urnes pour enclencher l'alternance et le priver de celui qu'il
croyait être un adversaire à sa portée, Nicolas Sarkozy.
L'alternance en marche."
"La
France se réveille ce matin dans un paysage politique qui a bougé, souligne
Jean Levallois dans La Presse de la
Manche. La défaite de Nicolas Sarkozy rend désormais impossible le
retour du duel de 2012 avec François Hollande. La droite a su, en elle-même,
trouver la solution à l'entêtement de l'ancien président de la République. Il
reste à la gauche de résoudre son propre problème avec François Hollande, qui
se résume à se rassembler tous derrière le président sortant. Ou bien, si c'est
impossible, de lui indiquer la sortie plus ou moins fortement.
"L'émergence
de Fillon laisse une ouverture au centre que Juppé entendait occuper. La gauche
serait-elle capable d'en profiter ? s'interroge Jean-Louis Hervois dans La Charente Libre. La fin du
sarkozysme appelle la fin du hollandisme. Mais l'éditorialiste est pessimiste
sur une résurrection de la gauche : "De Macron à Mélenchon, la gauche ne
peut que se déchirer encore, comme elle l'a fait tout au long du quinquennat.
En revanche, la perspective d'affronter Fillon pourrait coller assez bien au
plan de Marine Le Pen, devenue, par la magie de Philippot, le bouclier du
pauvre et de l'orphelin, la madone des services publics sacrifiés sur l'autel
des déficits". Une analyse qui s'oppose point par point à celle de Saïd
Mahrane dans nos colonnes : selon lui, l'hypothèse Fillon, ce
"souverainiste-libéral", est
une très mauvaise nouvelle pour Marine Le Pen.