lundi 11 janvier 2021

La censure arbitraire est une régression à nos libertés fondamentales, il faut ne pas se laisser faire comme des moutons près à se faire tondre en bêlant !

 

On ne transige pas avec la liberté d'expression

Nul sujet ne mérite d'être censuré sous prétexte qu'il pourrait générer des frilosités chez des individus fragiles ou sensibles ou dans certaines communautés.

Fin novembre, la panique s'emparait du géant de l'édition Penguin Random House à l'annonce de la parution, par Knopf Random Canada Publishing Group – sa filiale canadienne –, du nouveau livre de Jordan Peterson, psychologue clinicien et enseignant à l'université de Toronto. Peterson s'est fait connaître du grand public en 2016 en publiant plusieurs vidéos sur YouTube critiquant une loi canadienne qui, selon lui, allait obliger ses concitoyens à utiliser sur demande des pronoms non genrés. Sa franche opposition au politiquement correct lui vaudra admiration et notoriété et le transformera en paratonnerre de la guerre culturelle – une masse de fans faisant de lui une icône de la résistance à l'autoritarisme et à la censure rampante d'une certaine gauche, face à des détracteurs le vilipendant comme transphobe et sectaire, voire comme un partisan du suprémacisme blanc.

Qui a peur de Jordan Peterson ?

Son combat contre le « politiquement correct »

En 2018, Peterson publiait son manuel de développement personnel, 12 Règles pour une vie. Un antidote au chaos – best-seller dans le monde entier – avant de se lancer dans une tournée internationale faite de conférences aux salles combles rencontrant une cacophonie d'adulation et de contestation. Aujourd'hui, après de graves problèmes de santé, Peterson est de retour. Son nouveau livre, Beyond Order : 12 More Rules for Life, promet de réitérer le succès du précédent. Mais, certains employés de sa maison d'édition ne voyant pas les choses sous cet angle, des réunions ont été organisées pour répondre à leurs « préoccupations ». Elles se sont transformées en sessions larmoyantes dénonçant le prétendu mal que le livre allait leur infliger, à eux-mêmes ainsi qu'à d'autres.

Mutineries

On est loin de la première mutinerie émotionnelle à avoir émergé dans le secteur privé, ces dernières semaines ou ces mois-ci, et qui ont laissé les entreprises pour le moins perplexes. Des employés de Spotify ont ainsi menacé de faire grève s'ils n'obtenaient pas un droit de regard sur les invités du très populaire podcast de Joe Rogan. Le livre d'Abigail Shrier sur la transidentité comme phénomène de contagion sociale, Irreversible Damage : The Transgender Craze Seducing Our Daughters, a quant à lui été, à la suite de plaintes, brièvement retiré des rayons des magasins Target, avant d'y être rapidement remis après la campagne d'indignation qui s'est ensuivie. Il y a aussi les étudiants de l'université de Chicago qui ont voulu clouer au pilori le professeur Dorian Abbot parce qu'il avait critiqué l'adoption de politiques dites de diversité et d'inclusion, ainsi que le climat général de censure régnant sur le campus. Que ce soit dans le milieu académique, l'édition, les médias ou ailleurs, les exemples de ce type ne manquent pas. L'angoisse face à cette tendance a atteint son paroxysme l'été dernier, et a conduit une centaine d'intellectuels à signer une tribune dans le magazine Harper pour défendre la liberté d'expression et d'examen (une initiative accueillie, elle aussi, par des protestations indignées).

150 intellectuels dénoncent une montée de la censure culturelle

Stratégie

De plus en plus, les envies de censurer certains discours controversés ou impopulaires pour des raisons affectives aboutissent à exploiter ce que je qualifierais de « veto de la pleureuse » – lorsque des personnes affirment qu'un individu ou que des écrits leur ont provoqué angoisse, tristesse, colère ou frayeur, et font valoir un « préjudice », voire une menace, à leur « droit d'exister ». Débats et discussions raisonnables deviennent dès lors impossibles tant la démarche de ces militants est aussi infalsifiable que férocement émotive, et que ces dénonciations de prétendus périls sur leur sécurité et leur bien-être sont baignées de pleurs et de manifestations d'épuisement et de fragilité mentale. Sauf que c'est bien le débat public qui vire au malsain si on permet à la proportion la plus sensible de la population de dicter les limites du discours autorisé, et aux appels à l'émotion de supplanter la solidité de l'argumentation comme stratégie de débat la plus efficace.

Le veto de la pleureuse est loin d'être une invention de la gauche. De fait, la droite s'en est largement emparée afin de régler des questions culturelles et politiques litigieuses. Ainsi, invoquer des menaces pesant sur les femmes et les enfants a pu servir à interdire des films, des jeux vidéo, des bandes dessinées, de la pornographie, et même l'apparition de mannequins trop minces dans la publicité (ce qui risquerait de provoquer, en l'absence de preuve concrète, l'anorexie chez les jeunes filles). En bref, la gauche comme la droite sont d'accord lorsqu'il s'agit de vouloir interdire certaines formes d'expression parce que quelqu'un, quelque part, en serait mort ou s'estimerait blessé.

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Piège

Affronter de telles effusions d'émotions exacerbées n'est pas chose facile. Le participant à un débat qui rejette les coups d'éclat larmoyants de son adversaire pourra passer pour un monstre de froideur et d'insensibilité. Qu'importe qu'il ait raison sur les faits. Mais, d'un autre côté, tolérer ce genre de comportement ne fait que l'encourager et l'aggraver, et constitue également un abandon de l'argumentation raisonnée au profit du chantage émotionnel – un scénario perdant-perdant pour celui qui argumente à coups de faits et de chiffres. La pression sociale et l'envie de paraître pleins de compassion et d'empathie peuvent nous empêcher de porter la contradiction à des récits émotionnels. Sans compter que même demander des preuves revient désormais – à tort – à étaler son pouvoir et ses privilèges, alors qu'il n'en va que de la pierre angulaire de tout discours rationnel.

Le veto de la pleureuse pose également problème pour au moins trois autres raisons. Tout d'abord, le recours à l'« expérience vécue » est en contradiction avec de nombreuses recherches en psychologie qui indiquent que les humains ont pour habitude de mal se souvenir, mal attribuer, interpréter de manière sélective et/ou déformer (consciemment ou inconsciemment) les informations afin de les faire coller à leurs récits personnels. Ce qui n'invalide en rien la sincérité de chaque poussée d'émotion, mais il est aussi désespérément naïf d'y voir un type de vérité plus authentique ou faisant davantage autorité. Deuxièmement, dans la mesure où ces stratégies renforcent pouvoir et capital social, il est inévitable que des gens de mauvaise foi en viennent à les exploiter en s'inventant des malheurs pour avancer leurs pions. S'il peut ne s'agir que d'une infime minorité, de tels individus sont à même de faire de véritables ravages, et réussir à distinguer les cyniques des sincères n'est pas toujours chose facile. Troisièmement, de par leur nature même, les appels à l'émotion dégagent souvent beaucoup d'agressivité, avec des opposants que l'on défie de remettre en question la véracité de leurs doléances, rendant un retour de bâton inévitable.

Compromis

Évidemment, des anecdotes vérifiées par des faits ou des témoins oculaires peuvent avoir leur utilité (même si l'on sait que ces témoignages manquent en général de fiabilité), et notre disposition à l'écoute devrait toujours être acquise. Mais cela ne veut pas dire confondre – a priori – récits et faits, et ce, d'autant plus quand toute remise en question sceptique se voit marquée du sceau du tabou. Alors, que faire face au veto de la pleureuse ? Les réponses à cette question ne sont pas les mêmes selon que le contexte est celui d'une prise de décision organisationnelle ou d'un débat public et culturel plus large.

Tout d'abord, offrez aux employés mécontents l'indulgence d'une porte de sortie. Après le tollé chez Penguin, d'aucuns ont conseillé de licencier des réfractaires. C'est une erreur. Ces employés ont le droit d'exprimer leurs opinions. Et, si la liberté d'expression des auteurs devrait évidemment être primordiale dans une maison d'édition, nous ne devons pas pour autant sacrifier celle de ses employés. Avec la société Coinbase, nous avons un très bon exemple de réaction à avoir face aux pressions politiques d'une partie du personnel : offrir à tout employé qui le souhaite une généreuse indemnité de licenciement. Je crois savoir que peu d'entre eux l'ont finalement acceptée. Des entreprises telles que Penguin ou Target, de même que les universités, pourraient faire de même. On remet alors la décision entre les mains de l'individu contrarié. Tout individu peut prendre de mauvaises décisions sous le coup de l'émotion (une raison supplémentaire de ne pas donner foi aux foules indignées) et lui donner un peu de temps pour réfléchir avant de décider de la marche à suivre peut avoir son utilité.

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Ignorer Twitter

Deuxièmement, il faut que les entreprises prennent l'habitude d'ignorer les réseaux sociaux et arrêtent de vouloir externaliser sur Twitter leurs relations publiques ou leurs décisions éditoriales. Les réseaux sociaux ont certes de nombreux avantages, mais ils peuvent vite se transformer en cloaque d'indignation surjouée qui ne reflète en rien les préoccupations de M. et Mme Tout-le-Monde. En août, la chaîne américaine de supermarchés Trader Joe's a tout simplement balayé d'un revers de main le scandale suscité par certaines de ses gammes alimentaires ethniques, accusées de racisme larvé (Trader Ming's et Trader Jose's, par exemple), sans en subir la moindre conséquence négative. Si les entreprises doivent évidemment prêter une oreille aux préoccupations de leurs clients, celles-ci ne sont pas nécessairement bien représentées par les campagnes belliqueuses fomentées par quelques activistes sur Internet. Les firmes doivent se doter d'une colonne vertébrale assez solide pour ignorer la grandiloquence morale de ce genre de personnes – car c'est la capitalisation qui renforce le pouvoir des militants, pas l'indifférence.

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Troisièmement, les entreprises doivent élaborer des politiques claires en matière de liberté d'expression – que tous les employés devront assimiler lors de leur embauche –, qui offriront aux managers une planche de salut en cas de polémique.

Manipulation affective

La question du veto de la pleureuse est plus délicate lorsqu'elle se pose dans le débat public. Que fait-on de la personne en larmes au micro ? Selon la véracité du récit, les bonnes pratiques divergent. Quelqu'un témoignant d'une expérience – bien documentée – de violences, de sévices et autres maltraitances diffère de celui dont les déclarations ne sont pas vérifiables. Ce qui ne veut pas dire qu'il s'agira toujours de mensonges dans ce second cas, mais simplement qu'il est impossible de dire quelles affirmations sont vraies ou non, lesquelles ont été déformées par des processus cognitifs naturels et lesquelles sont des inventions en bonne et due forme.

Comment YouTube limite la liberté d'expression

Premièrement, face à un témoignage, faites preuve de compassion, mais pas de crédulité ni de confiance à toute épreuve. En général, partir du principe que votre interlocuteur est de bonne foi et lui offrir quelques mots gentils peut être judicieux. Cependant, il faut aussi garder en tête qu'un point de vue n'est pas une preuve. Et il faut également résister à la contagion sociale qui nous pousse à célébrer des doléances simplement parce que d'autres le font quand les « préjudices » invoqués sont invérifiables. Certaines anecdotes personnelles peuvent exprimer du courage, mais d'autres sont juste de la manipulation affective. Il peut être difficile de distinguer l'un de l'autre. Nous devons retrouver un niveau raisonnable de scepticisme.

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Approche destructrice

Deuxièmement, en matière de débat, nous devons élaborer de solides normes civiles. Expliquer les difficultés qui surgissent lorsqu'on argumente sur la base d'émotions ou d'anecdotes peut aider les gens à comprendre combien une telle approche peut se révéler destructrice. Ainsi, peut-être que ces gens réfléchiront à deux fois avant d'exposer leur expérience personnelle à la contestation publique et à l'examen. Il faut aussi largement faire comprendre que rien ne sera accepté comme un fait si une tentative d'authentification et de vérification n'est pas permise. Les tabous décourageant le scepticisme face aux expériences personnelles devraient eux-mêmes être découragés. Cela pour nous permettre de mieux faire la distinction entre ceux qui veulent informer un public et ceux qui cherchent à le manipuler afin d'exercer un pouvoir par des moyens émotionnels.

Enfin, il nous faut décourager la méchanceté. Rien de ce que j'ai écrit ici ne doit être interprété comme un soutien à la cruauté, à l'impolitesse, à l'agressivité ou à l'incivilité. Même des anecdotes personnelles peuvent être remises en question de manière charitable et ayant la dignité de l'interlocuteur à cœur.

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Miroir

Si vous défendez l'autorité des plus sensibles d'entre nous à censurer les autres, demandez-vous ce qu'il en sera quand cette même norme sera utilisée par vos adversaires. Nous devons nous efforcer de rétablir des normes plus claires pour le débat civil, et diminuer l'emprise des arguments émotionnels. Presque invariablement, les émotions conduisent à de mauvaises décisions. Plus vite nous l'admettrons et l'appliquerons dans notre discours public, plus vite nous pourrons relever de formidables défis grâce à des discussions rationnelles et empiriques sur les nombreuses et complexes questions auxquelles nous sommes confrontés.

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* Christopher J. Ferguson est professeur de psychologie à l'université Stetson (Floride). Il est l'auteur de Moral Combat : Why the War on Violent Video Games is Wrong, du roman Suicide Kings et de How Madness Shaped History (janvier 2020). Vous pouvez le suivre sur Twitter @CJFerguson1111

**Cet article est paru dans Quillette. Quillette est un journal australien en ligne qui promeut le libre-échange d'idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue une référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon en donnant une voix à des chercheurs et à des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. Le Point publiera chaque semaine une traduction d'un article paru dans Quillette.

Les réseaux sociaux sont un piège que l’on ne peut empêcher, c’est le coté pervers de la communication à tout va, par forcement la vérité éditée sur ceux-ci, mais il faut se garder d’y raconter sa vie !

On a ouvert la boite pandore, mais on ne peut pas la refermer !?

Il faut toujours dire ce que l'on pense si possible calmement, en prenant le temps d'expliquer ces opinions et arguments, car c'est notre principale liberté en France qui est un bien précieux qui hélas est quelques fois érodé par des bien-pensants hypocrites donneurs de leçons, parce que cela les gêne dans le pouvoir qu’ils exercent, surtout si ce sont des vérités pas bonnes à dire les concernant !

Etant donné que l’on voit bien que ces libertés d’écrire de parler ou de lire sont mis à mal, il faut se souvenir que dans notre histoire ces censures et autres interdictions diverses ont été combattues par des hommes de bien qui en on subit les conséquences et perdu la vie, par leur courage et on le voit encore maintenant dans certains pays !

Si notre monde régresse sur ce sujet, les pays libres civilisés dans nos démocraties évoluées dévieront vers des démocratures qui glisseront vers des dictatures, ce qui a déjà eu lieu pour certains !

La parole est la seule arme contre la bien-pensante et le politiquement correct hypocrite dont se servent de plus en plus nos dirigeants de tous bords que nous avons élus pourtant !

Le principal défaut des hommes, c’est d’oublier le passé et leurs histoires contemporaines et ils n’en tirent pas assez les leçons et reproduisent les mêmes erreurs !

Car l'histoire à tendance à se répéter...

Mais on ne l’enseigne plus correctement à l’école !?

Jdeclef 11/01/2020 09h41


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