Le
catholicisme reste un marqueur des oppositions qui traversent la droite
À la
droite du Père (Seuil) analyse le
caractère structurant du catholicisme dans la vie politique française de 1945 à
nos jours.
LES
RELIGIONS NE SONT QU’UN OBSTACLE DE PLUS A NOS LIBERTES ELLES L’ONT PROUVEES
DANS NOTRE HISTOIRE ANCESTRALE JUSQU’À NOS JOURS ACTUELS !
Réunis par l'historien Florian Michel et
le politiste Yann Raison du Cleuziou, une trentaine de chercheurs reconnus se
sont penchés sur les relations entre « les catholiques et les
droites de 1945 à nos jours ». Ce document de près
de 800 pages, À la droite du Père (Seuil), explore
un champ de la recherche curieusement délaissé, et est appelé à faire
référence.
Le Point : En France, de nombreuses personnalités ont un
parcours politique lié à des convictions ou à une éducation catholique, mais
ils n'osent pas le dire. Pourquoi ?
Yann Raison du Cleuziou :
Si l'on suit les trajectoires individuelles des responsables politiques, le
catholicisme apparaît comme une dimension de fond dans la culture des droites.
Mais les catholiques ont profondément intériorisé la nécessité de la neutralité
religieuse en politique. Ce ne fut pas toujours le cas. Et c'est tout l'enjeu
de notre livre de comprendre comment on en est arrivé là.
Florian Michel :
La démocratie chrétienne a joué un rôle important après 1945. Sous la IVe République
et au début de la Ve, jusqu'en 1968, des catholiques revendiqués
sont omniprésents au sommet de l'État, Edmond Michelet, Georges Bidault, Robert
Schuman, et même Antoine Pinay, René Coty ou bien sûr Charles de Gaulle… Leur
foi influe sur la vie politique : amnisties des épurés, construction
européenne… René Coty est le premier chef d'État français, « depuis
Charlemagne », dit-on à l'époque, à se rendre au Vatican pour
rencontrer le souverain pontife, ce que les dirigeants de la IIIe République
avaient toujours évité. Il reçoit même le titre de chanoine honoraire du
Latran. Une première pour un président de la République. Le général de Gaulle
l'imitera. La Ve République naît de la droite et le
catholicisme y trouve pleinement sa place. La loi Debré
de 1959 reconnaît l'existence d'un enseignement privé aux structures
soutenues par l'État, c'est une forme de concordat scolaire. En 1962, la
réconciliation franco-allemande est scellée lors d'une grande « messe pour
la paix » dans la cathédrale de Reims, où de Gaulle et Adenauer sont
entourés d'une foule de scouts.
Notre-Dame, une passion très politique
Y. R. C. : Ce bref âge d'or, où les institutions
catholiques et républicaines convergent dans la recherche d'une nouvelle
alliance entre tradition et modernité, est brisé par Mai 68. Les relations
entre les responsables de la droite et les représentants de l'Église se
tendent. On le perçoit dans l'opposition des évêques à la stratégie de
dissuasion nucléaire. Ou celle de l'évêque de Millau à l'extension du camp du
Larzac. Alors que le jeune Clergé cherche à renouveler le catholicisme en
rejoignant les combats des gauches, les droites se recomposent autour d'une
ligne libérale avec Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac. La loi Veil est
emblématique de ce tournant. Ces tendances font apparaître les transformations
de la société : le catholicisme se sécularise en se rapprochant des
gauches ; les droites, elles, se sécularisent en se détachant du
catholicisme.
F. M. :
Depuis, une partie non négligeable du personnel politique, du centre jusqu'aux
extrêmes, est catholique. Mais ces élus sont tenus par le libéralisme, la
laïcité, ou des scrupules électoraux. Ils mettent leurs convictions
spirituelles sous le boisseau. Ce n'est qu'aux funérailles que cet ancrage
resurgit : on l'a vu aux messes célébrées en hommage à Jacques Chirac
et à Valéry Giscard d'Estaing.
Les catholiques conservent quasiment seuls la
capacité à faire descendre le peuple de droite dans la rue.Yann Raison du Cleuziou
Le catholicisme ne disparaît pourtant pas des droites.
Y. R. C. : Bien sûr, mais les militants catholiques
glissent vers une position plus conservatrice à mesure que leur combat se
centre sur la résistance au changement social. C'est très frappant quand on
réfléchit au calendrier des grandes mobilisations où le catholicisme retrouve
sa capacité de structuration des droites. C'est toujours après une alternance
et en réaction à une accélération politique du changement social. Après 1981,
ce sont les manifestations pour la liberté scolaire de 1984. Après la
cohabitation de 1997, c'est le mouvement contre le pacs de 1999. Et sous
François Hollande, la Manif pour tous en 2012. Ces mouvements sont nés des
réseaux catholiques et non des partis de droite, les catholiques conservent
quasi seuls la capacité à faire descendre le peuple de droite dans la rue.
Les politiques en campagne
essaient tout de même de mettre la main sur les électeurs catholiques, comme
Fillon ou Zemmour…
Y. R. C. : Sous la Ve République, les
catholiques pratiquants votent de manière systématique et massive pour la
droite de gouvernement et sont dans une grande défiance à l'égard de l'extrême
droite, mais ce comportement a changé cette dernière décennie. En 2017,
55 % des pratiquants réguliers ont voté Fillon, ils ne sont plus que
9 % à le faire pour Pécresse en 2022. Mais 25 % optent pour Macron.
La grande nouveauté c'est que ces catholiques, jusque-là défiants à l'égard de
l'extrême droite, votent à 21 % pour Marine Le Pen et à 16 % pour
Éric Zemmour. Il y a un éparpillement et un durcissement des voix catholiques.
L'homme de droite idéal existe-t-il ?
Existerait-il de moins en moins une seule identité politique
catholique ?
F. M. : Le pluralisme politique des catholiques de
droite n'est pas nouveau. Après la guerre, ces tensions apparaissent lors du
procès de Charles Maurras. On le voit dans l'opposition entre le penseur
de l'Action française et Paul Claudel ou le silloniste Francisque Gay. Au
moment de la guerre d'Algérie, les divisions entre catholiques de droite sont
aussi très vives. Le colonel Bastien-Thiry se recommande de Thomas d'Aquin pour
fomenter un attentat contre le général de Gaulle alors que François Mauriac
dénonce la torture pratiquée par l'armée…
La visibilité croissante de l’islam
inquiétant, le catholicisme devient un marqueur culturel de l’identité
française mobilisable indépendamment de la foi.Yann Raison du Cleuziou
Y. R. C. : Aujourd'hui encore, le catholicisme reste
un marqueur des oppositions qui traversent les droites. Pendant la primaire de
2016, on se souvient de la profession de foi de François Fillon « en
tant que catholique »… En réponse, Alain Juppé avait déclaré : « Je
suis plus proche du pape François que de La Manif pour tous. » La référence
au catholicisme en politique est paradoxalement exacerbée par le contexte de
déchristianisation. Éric Zemmour, bien que non chrétien, se déclare « imprégné
par le christianisme » et défend l'idée que l'assimilation à la
culture française nécessite de se conformer aux mœurs chrétiennes. La
visibilité croissante de l'islam inquiétant, le catholicisme devient un
marqueur culturel de l'identité française mobilisable indépendamment de la foi.
Bien des catholiques de droite ont dénoncé cette trahison de l'esprit des
Évangiles.
Les évêques s'immiscent dans le débat présidentiel
Au regard de votre étude sur les droites à partir du catholicisme,
la typologie de René Rémond est-elle encore pertinente ?
F. M. : Dans son ouvrage, Les Droites en
France, qui date de 1954, à un moment où les droites en France peinent à
se relever de la guerre, René Rémond ne consacre que trois pages en annexe à la
question religieuse. C'est un catholique de centre gauche, et poser la question
religieuse, pour lui, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Pour un chrétien,
l'Église transcende certes les divisions politiques. Pour nous, cette argumentation
n'est pas pertinente : ce n'est pas l'Église que nous étudions, mais les
électeurs catholiques. Ce qui est aussi problématique, c'est que René Rémond
essentialise les droites à partir d'un noyau doctrinal, ce qui les fige. Nous
insistons sur la fluidité des trajectoires des militants catholiques. Plutôt
que des doctrines, c'est leur interprétation du changement social qui nous
semble la clé.
Le macronisme est-il aussi composé d'un courant démocrate-chrétien,
tel que l'incarne François Bayrou ?
Y. R. C. : Le macronisme est reconnu comme un
positionnement politique nécessaire par nombre de catholiques qui apprécient sa
volonté de dépasser le clivage gauche-droite. Au premier tour en 2022, Emmanuel
Macron arrive en tête et au second tour les catholiques ont voté pour lui à
61 %. On perçoit, toutefois, peu de signes d'identité catholique dans la
galaxie macronienne. Même si la députée européenne Nathalie Loiseau n'hésite
pas à confesser son admiration pour Thérèse de Lisieux, et que plusieurs ministres
ont des attaches catholiques peu revendiquées, tels Amélie de Montchalin ou
Julien Denormandie. Avec la députée Agnès Thill, très engagée contre
l'ouverture de l'accès à la PMA, Emmanuel Macron avait la possibilité d'avoir
un équivalent de Christine Boutin au sein de LREM, ce qui aurait pu faciliter
l'ancrage de l'électorat catholique, par ailleurs très légitimiste, derrière
lui. Mais le président de la République semble indifférent à l'enjeu de la
place des catholiques en politique.
Ceux qui restent attachés à des valeurs plus
traditionnelles doivent s’autocensurer ou sont marginalisés.Florian Michel
Beaucoup de responsables de droite sont pointés du doigt pour avoir
soutenu La Manif pour tous. Qu'en pensez-vous ?
F. M. : L'initiative du changement sociétal vient de
la gauche, et la droite, en France, finit par s'y conformer. On est dans un
moment d'émergence d'un nouvel ordre moral postcatholique. Ceux qui restent
attachés à des valeurs plus traditionnelles doivent s'autocensurer ou sont
marginalisés. C'est une des causes de l'effacement des catholiques centristes
et de la radicalisation des catholiques conservateurs. Mais c'est au sens
propre et dur du terme, un nouvel « ordre moral », avec ces nouveaux
inquisiteurs et… inquisitrices !
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