Henri Guaino : « Plus personne ne sait
quelles sont les idées que porte LR »
VIDÉO. L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et
ex-député LR revient sur les difficultés d'Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez et
évoque des temps agités.
Le Point : Dès son discours du Louvre, Emmanuel Macron a eu le souci de réinstaurer de la verticalité. Dix mois après, le pari est-il réussi ?
Henri Guaino : Le diagnostic de départ est exact. On ne peut pas faire fonctionner une société avec uniquement de l'horizontalité. Il faut aussi la verticalité de l'autorité. C'est vrai pour la politique, mais aussi pour l'entreprise ou l'école – on voit aujourd'hui les ravages de l'absence de verticalité entre le maître et l'élève. Mais les modalités de cette restauration sont plus discutables. Le président de la Ve République est un monarque républicain. Dans la monarchie, le monarque n'a que des devoirs. Souvenez-vous de la discipline drastique que s'imposait un Louis XIV : vous comprendrez ainsi qu'un monarque ne fait pas ce qu'il veut. Les rois se dissolvaient dans leur fonction et non l'inverse. Le « moi » du souverain ne peut pas être mis en avant. Il y a trop de « moi », me semble-t-il, dans la verticalité actuelle. C'est sans doute la source du fossé d'incompréhension qui s'est creusé avec les Français. L'exercice de l'autorité par le monarque républicain n'est pas la mise en scène de soi.
Pourtant, au début du mandat, la restauration de la fonction présidentielle a, semble-t-il, fonctionné...
Je le répète : il y avait un besoin, mais je ne suis pas convaincu qu'Emmanuel Macron ait trouvé la bonne manière pour répondre à ce besoin. C'est vraiment pour tout président une question de psychologie. Quand j'étais à l'Élysée, je me disais que le « je » est normal – je veux, je décide, je fais, c'est ce qu'on attend d'un président de la République –, mais le « moi » pose un problème. Les Français attendent qu'on s'occupe de leurs problèmes et ils ne veulent pas avoir à partager les états d'âme du souverain. Il y a un équilibre extrêmement compliqué à trouver pour ne pas se déshumaniser et en même temps – si je puis dire – pour exposer le moins possible de soi. Emmanuel Macron n'a pas encore réussi à trouver cet équilibre. Chez François Hollande, c'était le contraire, avec une absence totale d'implication du « moi » : tout semblait glisser sur lui, rien ne semblait l'atteindre. Il y a aussi chez Emmanuel Macron cette impression d'un exercice très solitaire du pouvoir, tel que Gérard Collomb l'a décrit, qui accentue excessivement le sentiment de verticalité. Ce n'était pas le cas, par exemple, de Nicolas Sarkozy, qui cherchait toujours à partager la réflexion, même si, à la fin, le président est toujours seul face à la décision.
Personne n'élit un président de la République pour lui taper sur
l'épaule !
Peut-on être Jupiter au temps des réseaux sociaux et des chaînes
d'information en continu ? Je pense que le président de la République n'a pas vocation à s'aligner sur le tempo des réseaux sociaux ni à aller discuter dans la rue avec les gens. Je ne crois pas qu'au fond d'eux-mêmes les Français attendent cela. Ils attendent que le président soit un président avec la distance nécessaire. Ils ne sont pas dupes de la fausse proximité que fabriquent les communicants. La vraie proximité est dans la compréhension des problèmes des gens, de leur vie, de leurs difficultés. Personne n'élit un président de la République pour lui taper sur l'épaule ! Personne n'est à la recherche du président normal, François Hollande l'a appris à ses dépens. Il est vrai qu'il faut résister à une pression médiatique qui cherche à faire du spectacle en confrontant les responsables politiques à des panels de Français. Mais le rôle d'un président n'est pas de trouver un emploi à chacun, il est de faire reculer le chômage.
C'est l'époque qui veut ça...
Si c'était le cas, la politique se porterait bien. Or c'est tout le contraire. Cela fait longtemps que la politique n'avait pas été autant décrédibilisée dans tout l'Occident. Le président des États-Unis qui passe ses journées sur Twitter, vous croyez que ça grandit la politique ? Et un président qui parle tout le temps, vous croyez que ça donne du sens à la fonction ? Le temps de la politique, ce n'est pas le temps des réseaux sociaux, ce n'est pas le temps des marchés ni de l'information en continu. Tout ce qui rétrécit le temps de la politique est, dans le monde où nous sommes, une folie. Vous ne construisez rien dans l'instant. Plus personne n'assume le temps long, la durée. Dans une société où tout va trop vite, le temps politique doit rééquilibrer cette tendance, non l'accentuer. Le temps présidentiel ne doit pas être dévoré par l'actualité. Pas seulement pour des raisons d'efficacité et pour prendre le temps de la réflexion, mais aussi pour des raisons symboliques qui sont très importantes pour la vie d'une nation. Voyez le naufrage symbolique des commémorations de la guerre de 14-18 profondément abîmées par l'actualité politique. Il faut dire que l'instauration du quinquennat n'a rien arrangé en jetant la fonction présidentielle dans la politique quotidienne.
Dans une interview donnée à la presse régionale, le chef de l'État a évoqué une similitude avec les années 30. Que pensez-vous de cette analogie ?
Il est vrai que ce que nous vivons actuellement peut déboucher sur une situation aussi dangereuse que celle des années 30. La crise morale intellectuelle et psychique de la société occidentale m'apparaît comme très grave. Nos sociétés sont malades. Comme dans les années 30, même si les raisons sont différentes. Mais, si on le pense, alors la conclusion devrait être qu'il faut changer au plus vite de modèles et de politiques avant que ceux qui prévalent aujourd'hui ne nous conduisent à la catastrophe. Or la conclusion tirée est qu'au contraire on continue la même politique, comme si le danger principal était le « populisme » et non ce qui cause le populisme.
À plusieurs reprises, Emmanuel Macron a demandé de ne pas être « somnambule », reprenant le titre d'un livre d'Hermann Broch, face à la montée des populismes...
Si l'on n'est pas somnambule, on se dépêche de changer de politique, d'Europe, de mondialisation, et de rétablir l'autorité, d'en finir avec le communautarisme... Pendant des décennies, on nous a expliqué que le mal, c'était la nation, la frontière, l'assimilation... Sauf qu'une fois qu'il n'y a plus de dedans ni de dehors, plus de chez soi et de chez les autres, comme dit Régis Debray, alors les gens finissent par voter, aux États-Unis comme en Europe, pour mettre des barbelés. Réduire le débat politique à l'affrontement entre un soi-disant camp du bien et un soi-disant camp du mal est très dangereux. À force d'essayer de culpabiliser les gens qui sont en révolte contre le monde qu'on leur construit, de dire qu'ils sont des fascistes, des nazis, ils vont finir par le devenir. Faire la leçon aux gens sur leur propre vie, sur ce qu'ils ont le droit ou non de ressentir, ce n'est pas raisonnable. Cela ne peut que mal finir.
Quel regard portez-vous sur Les Républicains ? Comment vont-ils un an après la prise de pouvoir de Laurent Wauquiez ?
Ils sont pour l'instant dans une impasse. L'élection présidentielle a marqué la fin d'un cycle avec la disparation des deux grands cartels électoraux qu'étaient devenus le PS et l'UMP (aujourd'hui LR). Vouloir enfermer la vie politique française dans ce bipartisme fut une grave erreur : même dans les pays dont c'est la tradition, le bipartisme est en crise. Dans le cartel électoral, les sensibilités politiques se dissolvent. Ainsi, la sensibilité gaulliste s'est totalement dissoute dans l'UMP et a disparu en tant que telle de la vie politique. Le rêve d'une alternance au pouvoir du centre gauche et du centre droit tourne au cauchemar quand une crise radicalise toutes les attentes. Laurent Wauquiez arrive à un moment compliqué de l'histoire politique en général, et de celle des Républicains en particulier. Plus personne ne sait quand il vote pour LR, quelles sont les idées que ce parti porte. Quand vous votiez pour de Gaulle, vous saviez quelle allait être la politique menée. Quand vous votez pour le RN, vous savez pourquoi. Aujourd'hui, pour le PS et Les Républicains, c'est moins clair parce que les contradictions internes sont devenues très fortes et que la base sociologique s'est beaucoup réduite par rapport à ce qu'avait été, par exemple, celle du RPR. Avec une base sociologique aussi réduite, il est bien difficile de clarifier les positions : si vous faites un pas d'un côté, une partie de cette base étroite s'en va, de même si vous faites un pas de l'autre côté. Par exemple, sur l'Europe : il n'y a plus de ciment.
Justement, quelle ligne politique LR doit-il porter pour les européennes ?
Je n'en sais rien. Si Laurent Wauquiez choisit une ligne eurosceptique, il risque de perdre ce qui reste des centristes, des modérés qui lorgnent vers En marche !. S'il fait le contraire, c'est le RN qui engrange. C'est là que se fait sentir le manque d'un grand parti gaullo-bonapartiste sur l'échiquier politique.
C'est donc mission impossible pour lui...
On verra bien, mais il est très difficile de diriger un parti qui n'est plus adossé à une véritable famille d'idées, ce que l'on appelait une famille politique.
Les Républicains ne manquent-ils pas finalement d'un vrai leader ?
Il n'y a plus de leader. Mais, au-delà du leadership, il faut tout de même qu'il y ait un corpus d'idées, sinon le leader incarne quoi ? Le temps d'un Chirac incarnant, physiquement, le gaullo-bonapartisme, alors qu'il était plus proche d'Henri Queuille, c'est terminé. Nicolas Sarkozy, par ses qualités propres, a masqué l'absence d'un vrai socle commun. Mais la crise intellectuelle et morale s'est tellement aggravée depuis que cela aujourd'hui ne peut plus suffire. Il faut la personnalité et la vision !
Un peu comme Emmanuel Macron en 2017 ?
Il a fait 24 % au premier tour de la présidentielle. Il a su profiter des circonstances. Il est le vainqueur par l'arithmétique électorale plus que par l'adhésion. En 1981, la victoire de François Mitterrand exprimait une lame de fond et une volonté populaire de faire de nouveau confiance à la gauche. Regardez les images de la victoire de Mitterrand en 1981, de Chirac en 1995 ou de Sarkozy en 2007, et comparez-les avec les images du succès d'Emmanuel Macron. C'est flagrant.
Ne plus être député, est-ce un manque ?
Non, c'est la vie. La politique, c'est une rencontre. J'ai dit ce que je pensais des électeurs de la 2e circonscription de Paris. J'ai donné mes raisons et je suis passé à autre chose. Quand vous êtes député, vous pesez sur le débat public, ce qui est évidemment très important, mais beaucoup moins sur le débat législatif à cause du fait majoritaire et de l'étroitesse de l'esprit partisan. Mais, en ce moment, il n'y a plus de débat public. On entend beaucoup le président, le Premier ministre, le reste est réduit à un bruit de fond. Même un Mélenchon, avec tout son talent tribunitien, a bien du mal à se faire entendre. À vrai dire, je pense que la politique ordinaire n'est pas à la mesure de la gravité de la situation. Et ce n'est pas vrai qu'en France. Encore une réminiscence des années 30 : la superficialité de la vie politicienne quand la civilisation roule vers l'abîme.
Au cours de votre carrière politique, regrettez-vous des rendez-vous manqués ?
Il y a eu au moins deux rendez-vous manqués importants dans mon
engagement, qui n'a jamais été une carrière. Le premier, Maastricht, où nous
sommes passés très près de la victoire avec le « non ». C'est en
réalité un rendez-vous pour la France et l'Europe, qui en payent cher le prix.
C'est de Maastricht que découlent beaucoup des problèmes que nous vivons
aujourd'hui. Le second regret, c'est la présidentielle de 1995 : on
fait campagne sur la fracture sociale avec Séguin et c'est Juppé qui est nommé
Premier ministre. Le septennat de Jacques Chirac a duré six mois ! Dès
1996, la France était ingouvernable. Quand vous trahissez trop la promesse de
votre campagne, quand vous jetez la logique politique à la poubelle, vous
prenez le risque d'être très vite dans l'impossibilité de gouverner, mais
Jacques Chirac avait-il vraiment envie de gouverner ? J'ai en tout cas
tiré au moins une leçon de ma longue fréquentation du pouvoir : à défaut
de l'adhésion, il faut, pour gouverner, obtenir au moins le consentement des
citoyens. Pour cela, il faut toujours chercher les limites au-delà desquelles
ce consentement n'existe plus. Ce fut aussi d'une certaine manière la leçon que
nous donna le général de Gaulle en 1969. Personne ne peut refaire la France sans
les Français. Le courage politique ne doit pas aller sans cette lucidité qui ne
m'apparaît par forcément aujourd'hui la vertu la mieux partagée.
Encore un donneur de leçons comme on en
a trop en France chez nos ex élus politiciens divers ou nos intellectuels qui s’écoutent
parler pour ne rien dire !
On est un pays de palabres et polémiques
qui freinent la marche en avant de celui-ci et qui lui fait faire du sur place ou
le fige au lieu d’avancer sans oublier les médias qui troublent aussi cette
évolution ou changement que les français continuent à demander !
Mais pour lui et ses idées rigides qu'il
n'a pu mettre en œuvres on connait, et cela suffit, car reprendre des
personnages comme lui n'est pas raisonnable et les français ont voulu passer un
coup de balai !
Pas totalement réussi, mais c'est déjà
un début, car les français sont versatiles (hélas)
ce qui rend le pays difficile à gouverner dans notre V eme république obsolète!
Jdeclef 10/11/2018 10h07LP
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