Droit à
l’avortement dans la Constitution : « une agitation démagogique et
inutile »
ENTRETIEN.
Une proposition de loi vise à inscrire le droit à l’avortement dans la
Constitution française. Une hérésie, selon l’avocat François-Henri Briard.
IL FAUT
ARRETER DE SUIVRE LES USA EN TOUT NOUS
SOMMES ENCORE DANS UN PAYS LIBRE ?!
D'Élisabeth
Badinter à Emmanuel Macron en passant par Barack Obama, les réactions
d'indignation se multiplient depuis l'annonce de la décision rendue par la
Cour suprême américaine le 24 juin 2022 (Dobbs vs Jackson Women's Health
Organization) sur le droit à l'avortement. Cet arrêt
de 213 pages, adopté à une majorité de 6 voix contre 3,
renverse la jurisprudence Roe vs Wade de 1973 qui garantissait aux
femmes un droit « constitutionnel » de pratiquer une IVG
(interruption volontaire de grossesse) dans l'ensemble du pays.
Les juges de cette cour désormais très conservatrice estiment que
le droit à l'avortement n'est pas, historiquement, et même implicitement,
garanti par la Constitution, et que, depuis 1973, aucune loi fédérale n'est
venue encadrer cette question. Le pouvoir de réglementer ou d'interdire
l'avortement revient par conséquent au peuple et à ses représentants élus.
Droit
à l'avortement : « Le processus de sécession est dans la
décision »
Le Point : La décision Dobbs du
24 juin, qui émane d'un panel de juges réputés très conservateurs (dont
trois ont été nommés par Donald Trump), est-elle selon vous plus
« politique » que juridique ?
François-Henri Briard :
Je fréquente cette juridiction depuis plus de trente ans ; j'en connais
bien plusieurs membres, en particulier Stephen Breyer depuis 1993, John Roberts
depuis 1997 (il était alors avocat) et Samuel Alito, auteur de la
décision Dobbs,
depuis 2005, année de sa nomination. J'ai suivi de nombreuses affaires sur
place et j'ai eu de très nombreuses rencontres avec ces juges, au fil
de 130 voyages. J'ai aussi beaucoup écrit sur la Cour et ses
pratiques. Permettez-moi donc de vous dire avec fermeté et certitude :
cette juridiction n'est pas politique et la décision Dobbs
n'est pas une décision politique. Elle possède au contraire une architecture
juridique solide et un contenu très dense, qui n'ont strictement rien à voir
avec des considérations partisanes. La décision Roe vs Wade
de 1973 était de ce point de vue moins structurée juridiquement. Elle
procédait d'une sorte de « bricolage » autour du 14e
amendement (sur les libertés personnelles et l'égalité de traitement) et,
depuis l'origine, beaucoup doutaient de sa crédibilité intellectuelle. Les
membres de la Cour suprême sont des juristes professionnels, et ils récusent
tous cette vision simpliste entre prétendus conservateurs et présumés libéraux.
Ils ne sont séparés que par des divergences sur les méthodes d'interprétation
de la Constitution fédérale, les uns étant partisans d'une approche
« vivante », les autres étant plus « originalistes ». Je
vous renvoie sur ce point au dernier livre de Stephen Breyer qui partage ce
point de vue.
L'influence des Blancs évangéliques ? Je n'en vois pas la
moindre trace. Vous savez, quand on commence à expliquer une décision de
justice par ce genre de considérations, c'est le signe que l'on ne comprend
rien à l'autorité de la chose jugée : « Ce jugement est mauvais !
Pourquoi ? Il est rendu par des conservateurs, ou par des marxistes, ou
par des Noirs, ou par des Blancs... » Tout ceci relève du fantasme et
de la polémique. Je rappelle à ce sujet que l'un des plus fervents
soutiens de la décision Dobbs parmi les neuf membres de la Cour fut le juge
Clarence Thomas, qui est noir et catholique… Balayons déjà devant notre porte
en cessant de nommer au Conseil constitutionnel d'anciens politiques recyclés,
parfois sans aucune formation juridique, et nous en reparlerons.
La décision Dobbs de 2022, c’est
le retour à la démocratie
Oser soutenir que cette décision manifeste le gouvernement des
juges est une vaste plaisanterie : cette décision est au contraire le
renoncement des juges et leur soumission à la volonté populaire ! La
décision de Roe vs Wade, qui a créé de toutes pièces un droit inexistant dans
la Constitution fédérale, oui c'était du gouvernement des juges. Mais la
décision Dobbs de 2022, c'est le retour à la démocratie ; le peuple
décidera, comme il l'a fait aux États-Unis pendant 185 ans. Si demain la
Californie décide de libéraliser encore plus sa loi en permettant l'avortement
jusqu'à la 36e semaine, elle sera libre de le faire. Le peuple aura
décidé. N'oubliez pas que les États-Unis sont une nation fédérale régie par le
principe de subsidiarité ; les compétences du gouvernement fédéral sont
dites d'attribution, c'est-à-dire limitées.
Pour quelle raison le législateur fédéral n'a-t-il jamais fait
voter une loi interdisant ou encadrant l'avortement depuis
50 ans ?
Dès lors que la Cour avait inventé ce principe constitutionnel du
droit à l'avortement, aucun gouvernement fédéral non plus qu'aucun
parlementaire n'a jamais fait aboutir un texte. Il y a eu des tentatives,
notamment en 2021 avec un projet de loi sur l'avortement
(HR 3 755), mais celui-ci n'a pas été adopté. La question revient
bien sûr aujourd'hui sur le devant de la scène. Mais si une telle loi était
votée, elle serait bien sûr déférée à la Cour suprême, qui pourrait alors faire
prévaloir l'incompétence du législateur fédéral, la compétence des États
fédérés et la solution Dobbs.
Les trois magistrats progressistes de la Cour suprême, qui se sont
dissociés de la majorité, ont alerté sur le fait qu'une telle décision pourrait
mettre en danger d'autres droits à la vie privée, comme la contraception et les
mariages homosexuels. Une inquiétude justifiée selon vous ?
Je ne le pense pas. Le juge Samuel Alito l'explique d'ailleurs
très bien dans la décision Dobbs. Celle-ci, encore une fois, ne statue ni sur le
droit de l'embryon à naître, ni sur les droits de la femme, ni sur
l'avortement lui-même, qu'elle qualifie de question essentiellement morale. La
Cour dit simplement : cette question n'est pas régie par la Constitution
de 1787, ni expressément ni implicitement ; c'est au peuple qu'il
appartient d'en décider, et non à des juges non élus qui sont guidés par des
préférences personnelles. Ce raisonnement n'a aucune incidence sur
l'application qui est faite par ailleurs du 14e amendement en
matière de liberté personnelle. Pour mémoire, c'est en 2015, dans une décision Obergefell, que
la Cour présidée par John Roberts (qui a aussi présidé à la décision Dobbs)
a protégé le mariage entre personnes du même sexe. Il n'est pas question de
revenir sur cette solution.
En France, le Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les
femmes (HCE) qualifie cette décision de « recul historique » pour les
droits des femmes. Il rappelle que 26 États américains disposent
d'une législation hostile à l'IVG et qu'ils sont désormais en mesure de
« condamner les Américaines à ne plus disposer librement de leur
corps ». Une conséquence inéluctable selon vous ?
Je suis stupéfait par l'arrogance française, qui voudrait donner
des leçons au monde entier. On entend des voix s'élever qui n'ont pas la
moindre connaissance de ce pays et qui n'ont jamais mis les pieds à la Cour
suprême. Quelle compétence a donc ce comité Théodule français pour se prononcer
sur une décision de la juridiction suprême américaine ? Imaginez-vous un
comité américain mettant en cause une décision du Conseil constitutionnel
français sous le prétexte qu'il serait composé d'affreux gauchistes ?
Les États-Unis d'Amérique sont une nation souveraine depuis plus
de deux siècles. Nous les avons d'ailleurs beaucoup aidés à y parvenir. Ce pays
a réussi à bâtir dès 1787 ce que nous n'avons pas encore été capables
de construire : un pouvoir judiciaire. Ce pouvoir est lui aussi souverain
et nous n'avons, nous Français, strictement rien à dire à ce sujet, ni
critique ni approbation. Quant au pouvoir des États fédérés de légiférer,
n'oubliez pas que ce pouvoir est celui du peuple. Tout le sens de la décision Dobbs
est précisément de rendre au peuple américain ce qui lui appartient : le
pouvoir de légiférer sur une question majeure de la vie sociale.
Nous possédons en France tous les
instruments juridiques nécessaires pour protéger les droits de la femme
Le HCE s'alarme par ailleurs des « répercutions
mondiales » de la décision qui « envoie un signal dangereux aux
partisans des mouvements anti-IVG ». Pour, dit-il, « se prémunir de
toute tentative d'entrave des droits des femmes », il appelle à
« inscrire le droit à l'avortement dans notre Constitution française, pour
le reconnaître comme un droit fondamental et humain », mais aussi, dans la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, comme l'a proposé
Emmanuel Macron le 19 juin devant les eurodéputés. Qu'est-ce que cela vous
inspire ?
J'y suis personnellement très hostile. Ce serait une inversion
complète des valeurs qui fondent notre civilisation. Tous les textes
internationaux de protection de la personne, absolument tous, protègent la vie,
et non le droit de donner la mort. Il me paraît impossible d'écrire dans une
déclaration de droits et libertés le droit de porter atteinte à une vie
humaine. Demandez aux survivants de la Shoah ce qu'ils pensent de ce projet et
souvenez-vous des lignes de Simon Grunwald, Sans droit à la vie…
L'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme le dit
parfaitement : « Sans droit à la vie, il n'est pas possible de jouir
des autres droits de l'homme. » Nous possédons par ailleurs en France
tous les instruments juridiques nécessaires pour protéger les droits de la
femme. Cette agitation est démagogique et inutile.
Vous êtes un spécialiste des libertés auxquelles vous avez
consacré un livre, Le
virus de la liberté. Partagez-vous ce commentaire
d'Élisabeth Badinter : « En France, c'est bien la laïcité qui nous
protège de tout ça. Dieu ne légifère pas. Les êtres humains sont ceux qui
décident de leur sort. »
J'ai beaucoup de respect pour Robert et Élisabeth Badinter, qui
sont deux grandes figures de la vie intellectuelle française. Et Madame
Badinter est à juste titre attachée à la neutralité des pouvoirs publics en
matière de religion, ainsi qu'à la neutralité de l'espace public ; elle a
eu un rôle remarquable au moment du débat parlementaire sur la loi relative à
la dissimulation du visage dans l'espace public. Mais s'il est vrai que les
États-Unis sont un pays traditionnellement religieux, je tiens à rappeler
qu'ils partagent néanmoins cette vision que nous avons de la séparation des
Églises et de l'État, qui est d'ailleurs protégée sur le plan constitutionnel.
En tout état de cause, la décision Dobbs n'a strictement rien à voir avec la religion,
comme la décision Roe vs Wade de 1973 n'avait rien à voir avec
l'athéisme.
Cette problématique de l'avortement illustre-t-elle selon vous le
conflit entre les droits fondamentaux que sont notamment le droit à la vie et
le droit de disposer de son corps ?
La question de l'interruption volontaire de grossesse a pendant
longtemps été appréhendée dans le monde par la loi pénale, parce qu'on
considérait que cet acte qui porte atteinte à une vie humaine en gestation est
contraire à l'ordre public. Et elle l'est encore dans quelques pays. Mais elle
l'est de moins en moins dans les pays civilisés, au profit de ses dimensions
morale, philosophique et de santé publique. La loi doit à mon sens intervenir
le moins possible dans ce domaine. Il est en réalité essentiel de protéger
l'enfant à naître et sa mère ; les familles, les conseillers spirituels et
les médecins ont dans ce domaine une mission majeure, pas les juges.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
C'est une
liberté fondamentale qu'une de leurs éminentes consœurs , Mme WEIL qui s'est
battue pour elles, a permis d'autoriser sans contraintes et donc a été voté par
les élus de cette époque dans notre pays !
Ce n'est
pas parce qu'un grand pays donneurs de leçons les USA qu'on dit le plus libre
du monde, mais qui en fait ne l'est pas tant que çà, car rétrograde décrète son
interdiction pour semble-t-il des consonances religieuses d'un autre âge !
Car les
femmes dans bien des pays et là on en a un exemple flagrant avec les USA ne
sont pas libres ni égales aux autres américains par ce machisme d'un autre âge
et souvent à la merci des hommes qui en plus les martyrisent comme dans
certains pays !
Même chez
nous dans cette France des bienpensants et ses droits de l'homme qui oublie les
femmes !
Donc s'il
faut inscrire ce droit dans notre constitution pour protéger ce droit
primordial des femmes à l'avortement il faut le faire ce sera un honneur pour
la France !
Et
surtout ne pas mettre en parallèle les religions quelles qu'elles soient car le
mysticisme religieux tue bien plus d'humains femmes hommes sous prétextes de
croyances rétrogrades d'un autre âge moyenâgeux en avilissant les femmes et les
plus faibles !
Nous
sommes soi-disant au XXIe siècle dit (des « nouvelles » lumières)
alors ne retombons pas dans l'âge des ténèbres par simple bon sens !?
Ne
dégradons pas notre société qui l’est déjà assez comme cela !?
Jdeclef 29/06/2022
13h35 LP
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire