Pierre Mazeaud :
« Emmanuel Macron sera réélu d’extrême justesse »
ENTRETIEN. L’ancien président
du Conseil constitutionnel et figure du gaullisme regrette l’absence d’hommes
d’État et dresse un bilan du quinquennat.
Aller
voir Pierre Mazeaud, c’est ouvrir les premières pages de la Ve République.
L’ancien député de Haute-Savoie a un CV long comme le bras, considère
Michel Debré comme son père spirituel, raconte ses deux entrevues avec le
général de Gaulle, ses engueulades homériques avec son copain Jacques Chirac,
son travail au sein de la Commission des lois ou son attachement viscéral à la
Constitution. Rentrer chez lui, c’est admirer les photos de ses exploits en
alpinisme, mais aussi des documents historiques, comme une lettre griffonnée
par le général de Gaulle indiquant ses futurs choix pour le gouvernement.
À 92 ans, Pierre Mazeaud ne vit pas dans le passé. Au sol, Le Monde ouvert
sur un article consacré à la souveraineté ; Le Point – saine
lecture – dédié au Général. Sur le bureau, un petit livre : La
Constitution de la Ve République, dont il a
surligné un article « très important ». Jusqu’au bout, l’ancien
président du Conseil constitutionnel défendra la souveraineté française et
portera un regard exigeant sur la politique française. Entretien avec un
passionné.
Le Point : Emmanuel Macron achève dans quelques
mois son quinquennat. Quel bilan faites-vous de ses quatre ans et demi à
l’Élysée ?
Pierre Mazeaud :
Il a saisi une occasion. Il a compris en 2017 que les partis
politiques ne fonctionnaient plus. Il est intelligent, il a foncé et il a été
élu. Être intelligent ne fait pas de vous un bon président. Il faut de
l’expérience. Il n’avait jamais vécu une élection avant et n’avait pas de
parti politique, il n’avait rien sauf quelques amis qui lui ont été fidèles,
mais qui n’ont pas une très grande valeur politique. Son erreur a été de les
garder. Quand tous les hommes de la France libre, même des héros !,
voulaient entrer au gouvernement, de Gaulle leur a dit : « Il n’en
est pas question. Soyez députés, on verra après. » Je n’attaque pas
les hommes, mais il n’a personne. Il est seul. Parce qu’il est seul, il
considère qu’il a raison. Il m’a emmené à Colombey-les-Deux-Églises. Dans
l'hélicoptère, il me parlait beaucoup de la justice et des réformes qu’il
voulait mettre en place. Je lui ai dit ce que je pensais – je suis un peu dur
parfois : « Il ne faut pas faire ceci, il ne faut pas faire
cela. » Emmanuel Macron m’a répondu : « Comment se fait-il que
mes collaborateurs ne m’aient pas dit ça ? » Et là, j’ai compris :
il est entouré d’énarques de valeur, mais qui ignorent tout de la politique et
sont incapables de dire « non » à leur patron. De Gaulle avait des
gens qui savaient lui parler. Michel Debré lui disait « non », ce qui
n’empêchait pas la fidélité. Lorsqu’il a voulu mettre en place l’élection du
président au suffrage universel, Michel Debré et moi nous nous y sommes
opposés. On a dit « non ». Et quand le Général a maintenu sa
décision, nous l’avons suivi, car la fidélité l’imposait. Mais de Gaulle avait
pris une décision en écoutant des avis opposés. De plus, Emmanuel
Macron est très éloigné de l’Assemblée et du Sénat.
Batailles
pour prendre en main la « maison commune » de Macron
La critique qu’on lui fait également est celle de la distance avec
les Français…
Car il n’avait aucune compétence politique ! Ce n’est pas
parce qu’il est passé chez Rothschild qu’il a appris la politique. Il ne l’a
pas apprise à l’inspection des Finances. Il avait de bonnes
intuitions. Il lui manque un mandat local. Alors oui, dans ses déplacements,
il voit les Français, il serre des mains. Mais serrer des mains, ce n’est pas
voir les gens. Le président est beaucoup trop important dans la démocratie
française. Dans la Constitution, je le rappelle, il y a un article qui
précise que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique du
pays. Le candidat fait connaître ce qu’il veut faire ; le président donne
les grandes orientations. On ne voyait pas le général de Gaulle aux côtés de
son ministre de l’Industrie dans une usine pour demander ce dont ont besoin les
ouvriers et le leur donner. Revenons à la Constitution. Il faut trouver des
politiques sages et raisonnables, il n’y en a plus. Ses amis de LREM s’ennuient
au Parlement. Certains me disent qu’ils sont là pour lever la main. Il n’y a
plus de débat. Quand je vais à l’Assemblée, je vois que les députés ne se
parlent pas, ils ne connaissent pas, ils ne se disent pas
« bonjour ». Nous, c’était la marrade. On rigolait avec les
communistes. Ce qui ne nous empêchait pas d’être ancrés sur nos grands
principes. Il y avait une ambiance des plus sympathiques. Là, il y a de la
haine au Parlement… Ça fausse tout débat et ça amène de la médiocrité en
politique. L’exécutif a pris un poids considérable. C’était déjà le cas
sous Nicolas Sarkozy qui avait réuni le Congrès pour faire passer le traité de
Lisbonne qui avait été rejeté par les Français en 2005.
Le premier qui a méprisé le Parlement, c’est le
général de Gaulle en 1962 en faisant une dissolution de l’Assemblée
après une motion de censure votée contre Georges Pompidou…
Oui, mais le Général a remporté le référendum par la suite…
Relisez l’article de Georges Vedel, la forfaiture a été lavée.
Connaissez-vous personnellement le président de la
République ?
Il m’avait invité quand il a été nommé ministre des
Finances. Nous avons dîné ensemble. Il m’a parlé de sa conception de la France,
je n’étais pas contre. Il m’avait bluffé sur des problèmes où je suis
totalement incompétent, par paresse, sur l’informatique et le poids des
nouvelles technologies. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des années à
venir : je suis très inquiet par les Gafa qui dirigent le monde. Les
hommes politiques se sont suicidés en accordant trop de pouvoir à ces
entreprises. Mais vous savez, il n’y a plus d’homme politique de valeur dans le
monde : j’étais content que Donald Trump soit battu, bien sûr, mais
regardez Biden, il fait la même chose ! Voire pire avec ses
propos sur Taïwan ! Quand je dis ça, je fais preuve de nostalgique,
et je ne devrais pas. Le général de Gaulle avait une vision, entouré par des
hommes d’État. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Quel regard portez-vous sur la course à la
désignation de LR ?
Je les connais bien. Valérie Pécresse, je l’aime bien, car je
l’avais connue au Conseil d’État. C’est une très bonne juriste et c’est
une bonne présidente de région. Elle est intelligente et elle a de
l’expérience. Xavier Bertrand, c’est un homme qui connaît le terrain et qui a
réussi dans les Hauts de France. C’est un travailleur et qui sait
parler avec les gens. Il connaît la France. Je ne vois pas
Michel Barnier, le Kennedy français, être élu. On dit
qu’il a réussi le Brexit. Il a totalement échoué : les Anglais
continuent leur politique millénaire. Il a un argument énorme : les
Jeux olympiques d’Albertville. Mais c’est un peu loin… Je pense qu’aucun des
candidats LR ne sera élu président de la République. Emmanuel Macron sera réélu
d’extrême justesse avec une grande abstention. Mais il ne pourra rien faire,
car il aura une Assemblée contraire. Il y aura une sorte d’alliance entre la gauche
et la droite qui veulent la revanche et qu’ils ne voteront aucun texte.
Les sondages…
(Il nous coupe.) Ça, c’est un vrai problème. Il y en a trop.
Et la presse ne parle que de ça. On en fait trop avec Éric Zemmour. La presse
recommence la petite musique que les médias ont fait pour le père Le Pen
et qui lui a permis de monter dans l’opinion. On l’attaque, mais on veut qu’il
vienne nous voir. La presse est en train de faire l’image de M. Zemmour. Je
m’excuse de le dire à un journaliste, mais je suis très remonté.
Zemmour
avant Zemmour – La fabrique d’un candidat
N’y a-t-il pas dans sa candidature un peu de politique à l’ancienne
avec un grand « P », où l’on parle de la France et non de cotisations
sociales ?
Oui et non. Il répond à une forme de populisme. Il n’est pas bête.
Mais quand il parle du Général… Vous avez en face de vous un gaulliste et quand
M. Zemmour vient expliquer que Pétain aurait sauvé des Juifs… Pétain, c’est
quand même la rencontre de Montoire ! Quand il se prétend gaulliste,
de Gaulle a envie dans sa tombe de lui filer une claque. Mais il va
faire des voix. C’est peut-être lui qui peut se trouver face à Macron. Il sera
sauvé par sa gestion du Covid, où il a fait preuve d’autorité face au comité
scientifique.
L’Europe n’est pas une nation.
Aujourd’hui, tout le monde se revendique gaulliste…
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