La grande
misère des ponts français
Après
l'effondrement du pont de Gênes, en 2018, un rapport parlementaire avait été
commandé qui pointe 25 000 structures en piteux état sur le
territoire.
La conversation se déroule dans le bureau du maire d'une petite
commune française. Sait-il combien de ponts sont implantés sur son territoire ?
Il se lève, fouille quelques instants dans ses dossiers, revient bredouille et
lâche ces quelques mots : « Je ne sais
pas. Six ou sept. Peut-être huit. » Les élus qui ne connaissent pas
le nombre de ponts dont ils ont la charge sont légion, et pour cause : il
n'existe pas, en France,
d'inventaire centralisé et détaillé des ouvrages d'art et de leurs
gestionnaires. Combien y a-t-il de ponts en France ? Impossible de le savoir.
Sont-ils tous entretenus comme ils le devraient ? Ce n'est pas certain. Peu de
temps après le dramatique effondrement du pont Morandi, à Gênes, le 14 août
2018 (bilan : 43 morts), les sénateurs ont voulu connaître l'état de ces
ouvrages en France et ils ont été bien inspirés. La mission d'information sur
les ponts a publié ses conclusions le 26 juin. Certaines sont inquiétantes. Sur
les 200 000 à 250 000 ponts qui constellent le réseau routier hexagonal,
environ 10 % sont « en mauvais état structurel et
posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers »,
relèvent les sénateurs. Soit la bagatelle d'environ 25 000 ponts en mauvais
état ! Un poste de dépenses potentiellement explosif pour l'Etat et les
collectivités locales, qui se répartissent l'essentiel des ponts à problèmes -
les ponts autoroutiers étant globalement moins dégradés que sur le reste du
réseau.
Comme
souvent en matière budgétaire, le meilleur est moins probable que le pire. La
dégradation « lente mais continue »
de ce patrimoine routier national s'explique en grande partie par le
vieillissement normal des ouvrages, pour
beaucoup reconstruits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui arrivent
aujourd'hui en fin de vie. Ce phénomène touche de plein fouet 2 800 ponts gérés
par l'Etat, qui « nécessiteront des moyens
importants de remise en état », notent les sénateurs, qui dénoncent
« le sous-investissement chronique et les insuffisances
de l'action publique ».
Cas de
conscience. Danielle Poirson, maire de Tigeaux, et Francis
Poisson, son adjoint à l’urbanisme. La reconstruction du pont coûterait
1 million d’euros.
Pétitions. Sur le terrain, la confusion
prend parfois le dessus. Entre les collectivités qui méconnaissent le niveau de
dégradation de leurs ponts et celles qui n'ont pas les moyens de les
entretenir, il arrive que les maires s'enlisent dans les sables mouvants de la
décision publique, une science relativement inexacte car tributaire de la valse
des parlementaires et des hauts fonctionnaires. C'est le cas de trois communes
voisines de Seine-et-Marne, où deux ponts proches sur le Grand Morin sont
fermés à la circulation depuis cinq ans. Le premier, qui relie les communes de
Guérard et de Dammartin-sur-Tigeaux, est une structure métallique rouillée de type
Eiffel, que franchissaient chaque jour 1 200 voitures ; pour l'essentiel des
habitants de Coulommiers qui rejoignaient la première section gratuite de
l'autoroute vers Paris. Le pont, qui n'était pas conçu pour accueillir un
trafic périurbain grandissant, a commencé à montrer des signes de faiblesse en
2014. Un matin, Christian Verbrugghe a découvert que le pont qui desservait son
restaurant était fermé : « Personne n'avait
jugé utile de me prévenir », se souvient le propriétaire de
l'Auberge du Robinson. Son entreprise, en vente au moment de la fermeture, n'a
jamais trouvé de repreneur.
Au lendemain
de la fermeture de ce pont, les voitures se sont reportées sur un autre
ouvrage, à Tigeaux, à quelques kilomètres en aval de la rivière. Le trafic a
alors culminé à 3 000 véhicules par jour. Là aussi, il s'agissait d'un fragile
pont métallique construit en 1850, reconstruit après la Seconde Guerre mondiale
et « rénové » quinze ans plus tard
par coffrage en béton à l'esthétique discutable. « Devant l'afflux de véhicules, nous avons commandé une étude. Les
conclusions ont montré que n'importe quel véhicule pouvait faire s'écrouler le
pont. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre un arrêté pour le fermer »,
explique Danielle Poirson, maire de Tigeaux depuis vingt-six ans. Cette
décision suscite alors des remous. Pétitions, manifestations, plaintes…
Certains habitants sont fortement pénalisés et doivent faire un détour de plus
de 10 kilomètres pour passer d'une rive à l'autre.
Erreurs de GPS. La reconstruction de l'ouvrage coûterait plus de 1
million d'euros, somme difficile à débourser pour une commune qui dispose d'un
budget annuel de 350 000 euros. Faut-il s'endetter sur cinquante ans pour
financer la rénovation d'un pont qui sera emprunté à 98 % par des véhicules en
transit ? D'autant que les contraintes s'amoncellent : l'ouvrage d'art est
installé sur un site classé et contient de l'amiante, ce qui alourdit encore
les devis. « Nous avons décroché une subvention de 190 000 euros pour
déconstruire le pont, mais nous n'avons eu que la moitié de ce qui était prévu.
Du coup, nous allons probablement rendre l'argent », explique l'élue, qui a
frappé à toutes les portes. Elle s'est fait une raison. Les riverains aussi. Si
la fermeture du pont a commencé par déchaîner les passions, certains ont su
trouver des avantages à la situation. C'est le cas d'Etienne Gourdain, un
agriculteur dont l'exploitation voisine la rivière et ce second pont, fermé. La
route qui passait devant chez lui est désormais une impasse et il doit faire 10
kilomètres pour sortir de son exploitation, mais ça ne l'émeut guère : «
Aujourd'hui, j'ai gagné en tranquillité et ça n'a pas de prix. Je suis même
prêt à racheter le pont pour qu'il ne rouvre pas », explique-t-il, enjoué. Le
trafic s'est en effet tari. Pas plus d'une vingtaine de véhicules s'égarent
chaque jour devant chez lui, erreurs pour la plupart dues à des conducteurs qui
avaient programmé l'itinéraire le plus court sur leur GPS. « Je déclare
régulièrement que le pont est fermé sur les applications de guidage, mais rien
n'y fait. Au bout de deux jours, ils rétablissent l'itinéraire et des voitures
reviennent se perdre ici. Les sociétés de cartographie ne veulent rien entendre
», explique le céréalier qui, prévoyant, a même installé une boîte aux lettres
de l'autre côté du pont. Le facteur peut y déposer son courrier sans avoir à
faire un détour de 10 kilomètres.
Revendiqués par personne. Au fait, à qui appartient ce pont ? « On ne
sait pas qui l'a construit, on n'a pas les archives. Si on pouvait prouver que
ce pont a été construit en 1850 par l'Etat, ça changerait la donne, explique
Francis Poisson, adjoint chargé de l'urbanisme, mais, comme il se trouve sur un
chemin communal, on considère qu'il est à nous. »
Condamné. Le
pont de Dammartin- sur-Tigeaux (Seine-et-Marne), de type Eiffel, que
franchissaient 1 200 véhicules par jour.
Des
querelles sur la responsabilité, il en existe une trentaine en France. La
mission sénatoriale les désigne sous le nom de « ponts orphelins », des ouvrages dont la propriété
n'est revendiquée par personne, chaque institution estimant qu'une autre doit
s'en charger. Du coup, ces ponts ne sont entretenus par personne. Les récents regroupements
de communes n'ont rien arrangé, ils ont même généré des ponts « temporairement orphelins ».
Ainsi, Christophe Ferrari,
président de la métropole de Grenoble,
a témoigné devant les sénateurs des difficultés qu'ont rencontrées ses services
pour dresser un inventaire clair de la situation lorsque la métropole a
récupéré l'essentiel des compétences relatives à la voirie, en 2017 : « Nous détectons aujourd'hui des ouvrages
orphelins qui n'apparaissent nulle part, et nos inventaires ne font que
s'accroître d'année en année. Nous avions recensé à l'origine 1 200 ouvrages
d'art sur le territoire métropolitain. A peine deux ans plus tard, à la suite des
inventaires complémentaires, nous en comptabilisons 1 500. La grande majorité
se situe dans les communes rurales, montagnardes, périurbaines. » Soit une différence de 300 ponts temporairement
orphelins.
« Il n'y a
plus personne ! » Si les métropoles ou les départements disposent bien souvent des
compétences techniques pour entretenir les ponts, ce n'est pas toujours le cas
des petites communes. « De 18 à 20
% des ponts des petites communes (plus de 16 000 ouvrages) présenteraient
aujourd'hui une structure altérée ou gravement altérée », explique
le rapport sénatorial.
Pour
Emmanuel Rat, maire de Châtillon-sur-Loire (Loiret) depuis trente-cinq ans, les
choses semblaient tout de même plus pratiques lorsque les directions
départementales de l'équipement s'occupaient de faire des visites de contrôle
des ponts, tous les deux ou trois ans. «
Maintenant, il n'y a plus personne ! Il a fallu qu'on embauche un technicien.
Et, en plus, les travaux sont à 100 % à notre charge ! » raconte
l'élu, qui vit au rythme des histoires de pont depuis des années. Sa commune,
au bord de la Loire, est reliée à la ville de Briare par un magnifique pont
suspendu du XIXe siècle qui appartient au département. Il s'agit du
même modèle que celui qui s'est effondré à Sully, à 35 kilomètres, en 1985, un
jour de grand froid. L'accident n'avait fait aucun mort, « mais le car scolaire était passé quelques
minutes avant », précise le maire.
Pont
suspendu. De même modèle que le pont de Sully-sur-Loire, qui
s’était effondré en 1985, celui de Châtillon-sur-Loire (Loiret) inquiètait les
élus locaux. Les travaux ont commencé.
Les
riverains se sont accoutumés au calme du trafic restreint. « J'entends des artisans qui voudraient
restreindre le trafic à 3,5 tonnes, sauf pour les camions qui viennent les
livrer, car ils ne veulent pas payer des frais de livraison supplémentaires. Si
on décide de limiter le trafic à 3,5 tonnes, on fait comment avec les cars de
ramassage scolaire ? Un détour de 20 kilomètres ? Et les agriculteurs qui ont
leurs silos de l'autre côté de la Loire ? » s'agace le maire.
Le pont de
Châtillon est aujourd'hui en travaux. La circulation s'écoule lentement - et en
alternance - pendant que des ouvriers consolident l'ouvrage et remplacent les
énormes câbles qui soutiennent le monument construit en 1841. Témoignage d'un
temps où les bateaux étaient halés par des animaux, une rampe hélicoïdale qui
permettait au bétail de remonter sur le pont est toujours visible, enroulée
autour d'une pile.
C'est
Bastien Vaurigaud, ingénieur au Centre d'études et d'expertise sur les risques,
l'environnement, la mobilité et l'aménagement, qui est venu au chevet du pont
de Châtillon : « Nous avons été appelés pour une
problématique d'aciers fragiles, un phénomène qui touche les aciers d'après
guerre et qui les rend cassants en période de grand froid. Nous avons ausculté
les câbles à l'aide d'un dispositif magnétique et des traces de corrosion sont
apparues. Il fallait remplacer les pièces », témoigne-t-il. Les
travaux devraient durer jusqu'en 2021. Le trafic sera alors rétabli pour tous
les véhicules, y compris les semi-remorques, quelle que soit la température.
Dans l'affaire, le pont aura même gagné une piste cyclable en encorbellement,
un luxe pour un ouvrage d'un si grand âge sauvé du péril par des travaux
titanesques
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Qui bien sur
vieillissent s'usent ou deviennent inadaptés à notre monde en pleine évolution
continuelle !
Et cela ne touche pas
seulement des ponts, mais toutes infrastructures qui subissent des utilisations
fréquentes, on l'a vu avec des accidents ferroviaires par exemple quelque fois
une maintenance pas assez rigoriste que l'on fait moins bien par soucis
d'économies !
Car on utilise jusqu’à
rupture des systèmes divers qui craquent ou claquent au lieu de les remplacer
avant que cela ne produise des accidents humains ou autres, car le profit et
l'argent dont on veut faire des économies est prioritaire, alors certains
acceptent le risque, un grand défaut de nos sociétés capitalistes modernes (et
surtout on n'en tire pas les leçons après en cas de catastrophe !)
Pont contrôlé et déclaré
sans risque une jeune fille de 15 ans a perdu la vie et des blessés et des
travaux avaient été fait, mais il y a déjà + de 15 ans !?
Ce pont semblait bien
inadapté aux poids lourds et un miracle, car le car scolaire était passé juste
avant, heureusement qu'il a tenu, c'est horrible, rien que d'y penser,
qu'aurait dit nos autorités bien pensantes donneuses de leçons, le laxisme à
tout va dans notre V eme république est trop flagrant, car il y a trop de faits
divers qu'ils n'arrivent pas à circonscrire, car ils sont incapables d'appliquer
des priorités de bon sens, car dépassés par des événements normaux du quotidien
dans la vie des français qui tourne quelque fois aux drames, car ils ne font
que de la politique politicienne creuse!
Mais oublient le peuple
lambda dont ils ont la charge !
Jdeclef 18/11/2019 16h50