Avec qui le Premier ministre Mélenchon
pourrait gouverner
Le patron de LFI, troisième homme de la
présidentielle, veut que les Français le portent à Matignon. Il se prépare
depuis des années à être au pouvoir.
Jean-Luc Mélenchon a la
mine satisfaite. En face de lui, ce 10 février, le patron du Medef – oui,
du Medef ! – vient de le flatter au-delà de tous ses espoirs. Invité
à débattre avec le candidat à l'Élysée sur le plateau de France 2, Geoffroy
Roux de Bézieux a tout juste lancé, sans rire une seule seconde :
« Je vous prends au sérieux, je pense que vous êtes prêt à gouverner,
sinon ce n'est pas la peine qu'on débatte. » Roux de Bézieux a même une
poignée de ministres possibles sous les yeux. « Vous allez former un
gouvernement avec quelques gens qui sont derrière vous », note le
patron du patronat. Mélenchon, gourmand : « Quelques gens, en
effet… » Derrière lui, sur les gradins, sont assis les députés LFI Adrien
Quatennens, Clémentine Autain, ou encore Bastien Lachaud. Certains, sans doute
encore sous le choc de l'aveu de Geoffroy Roux de Bézieux, relaieront bien vite
sa déclaration sur Twitter…
Jean-Luc Mélenchon le dit et le redit depuis des mois : il est prêt à
prendre le pouvoir, même battu au premier tour de la présidentielle. Mardi
soir, sur BFMTV, le leader des Insoumis est remonté en selle. « Je
demande aux Français de m'élire Premier ministre », lance-t-il à un Bruce
Toussaint un peu interloqué. Passons sur l'incongruité institutionnelle :
c'est le président de la République qui nomme son Premier ministre en fonction
de la configuration parlementaire. « C'est une formule », confie un
proche de Mélenchon pour dire qu'il ne faut pas s'arrêter à ce genre d'argutie…
L'important, c'est que Mélenchon se sent prêt. « On est plus confiants
qu'en 2017 », confie un ami. Le troisième homme de la campagne avait alors
dessiné les contours de son gouvernement : quinze ministres, secondés par
des hauts-commissaires responsables de missions précises et limitées dans le
temps. En 2022, il devrait reconduire, si les Français choisissent de
« l'élire Premier ministre », le même type de gouvernement resserré.
« On n'est pas encore dans l'épure, mais c'est l'idée », confie un
cadre de LFI.
Coignard – Jean-Luc Mélenchon, candidat au repêchage
électoral
En cinq ans, bien des choses ont changé chez les Insoumis. En 2017,
Mélenchon est encore un peu seul. Quelques grognards l'entourent alors, comme
Éric Coquerel, Alexis Corbière, ou encore l'ex-élue écologiste Martine Billard.
À l'époque, Mélenchon aurait sans doute été en peine de constituer un
gouvernement de fidèles. La défaite de 2017 a changé pas mal de
choses. Malgré la déconvenue à la présidentielle, une grosse quinzaine de
députés Insoumis entrent au Palais-Bourbon. Mis à part les expérimentés
Coquerel, Corbière ou encore Clémentine Autain, la plupart sont tout nouveaux dans
le combat parlementaire et, même, politique.
Pépinière
Mélenchon les prend en main. Parmi eux, quelques talents prometteurs,
tels Adrien Quatennens, François Ruffin, Mathilde Panot ou encore Ugo
Bernalicis. Quatennens n'a derrière lui que quelques années de militantisme
chez Attac à Lille, par exemple. L'ex-sénateur Mélenchon couve ce petit
monde, il le conseille, le pousse à travailler encore et toujours, et à
s'exprimer à la tribune de l'Assemblée. Il confie à une autre figure montante,
la trentenaire Clémence Guetté, le secrétariat général du groupe LFI à
l'Assemblée. La jeune femme, une tête bien faite, coordonne le travail
parlementaire avant de s'occuper du programme présidentiel de Jean-Luc
Mélenchon.
Nous sommes quelques-uns à être prêts à
gouverner.Adrien Quatennens
Cinq ans après leur entrée à l'Assemblée, ces jeunes pousses insoumises sont
montées en grade. D'autres, comme Manuel Bompard et Manon Aubry, ont fait de
même au Parlement européen. La plupart se sont spécialisées sur des domaines
précis. Le Lillois Adrien Quatennens, par exemple, a mené son premier combat
parlementaire sur la réforme du Code du travail. « Nous sommes
quelques-uns à être prêts à gouverner », avoue Quatennens. François Ruffin
ne dit pas autre chose. En mars, à Toulouse, il faisait déjà des offres de
service pour devenir le ministre du Logement de Jean-Luc Mélenchon. Ce
domaine devrait plutôt être rattaché à un grand ministère de l'Environnement,
mais la sortie de Ruffin montre bien que certains ambitieux ont commencé, assez
tôt, à se placer.
De son côté, l'un des fidèles de
Mélenchon, le conseiller d'État Bernard Pignerol, lorgne sans doute sur un
poste clé à Matignon. D'autres, comme Aurélie Trouvé, la présidente du
Parlement de l'Union populaire, qui réunit une centaine de personnalités de la
société civile, pourrait accéder à un poste éminent. « Il y aura beaucoup
de responsabilités à confier, de la présidence de l'Assemblée à celle du futur
groupe parlementaire », observe un intime du leader des Insoumis.
Mélenchon : la gauche, c'est lui !
Si l'heure n'est pas encore à choisir ses ministres, encore moins les hauts
fonctionnaires, le leader de LFI ne doute pas que l'appareil d'État ne
rechignera pas à le servir. Le dimanche 3 avril, lors de son meeting
en plein air sur la place du Capitole, à Toulouse, il a dit sa confiance dans
l'administration, entre caresse et menace. « La fonction publique est
loyale à la patrie et elle obéit chaque fois qu'on lui demande de le
faire », lance Mélenchon, lui-même respectueux des institutions et de ceux
qui la représentent. « Il a le sens de l'État, il n'y a pas de doutes à
avoir sur ce point », dit un vieux compagnon de route. N'a-t-il pas
été, durant près de vingt ans, un sénateur de la République très urbain avec
ses collègues du Palais du Luxembourg ?
Vers un « spoil system »
Mélenchon connaît bien la haute fonction publique. Il a aussi été, de
mars 2000 à mai 2002, un très discipliné ministre délégué à
l'Enseignement professionnel de Lionel Jospin. Durant ces deux années, qui
furent heureuses, le futur Insoumis ne barguignait pas avec la loyauté que le
pouvoir administratif doit au pouvoir politique. Un jour, le ministre Mélenchon
rencontre des enseignants réunis dans un amphithéâtre, à Clermont-Ferrand.
L'assistance est dissipée. Mélenchon entre dans la salle et attend au pied de
l'amphithéâtre sans rien dire. Il regarde son auditoire, qui peu à peu arrête
de papoter. Les enseignants se lèvent alors. Mélenchon est satisfait. Il a
imposé le respect que, selon lui, chaque fonctionnaire doit à son ministre.
Une fois Mélenchon à Matignon, il y aura sans doute une tentative de spoil
system à la sauce Insoumis, c'est-à-dire un changement rapide au sein des
quelque 320 têtes qui dirigent l'administration d'État, armée
comprise. Cette valse ne posera pas de problème, espère-t-on chez les Insoumis,
sauf sans doute au ministère de l'Intérieur. Les policiers n'ont pas aimé les
prises de position de Mélenchon depuis cinq ans, qui dénonce très régulièrement
ce qu'il nomme les « violences policières ». « Il faudra un
ministre de l'Intérieur à poigne ! » prévient un conseiller de
Mélenchon, certain que l'influence du syndicat Alliance, très opposé à
Mélenchon, posera quelques difficultés…
Réseau étoffé de fonctionnaires
Pour le reste, donc, Mélenchon compte sur le sens de l'État de la haute
fonction publique. Les mélenchonistes assurent disposer déjà d'un réseau étoffé
de hauts fonctionnaires. Juste avant le premier tour, il y a deux semaines, la
machine LFI s'est mise en branle pour réunir très vite une quarantaine d'entre
ces têtes bien faites. Il s'agissait de répondre au journal Le Monde,
qui souhaitait rencontrer quelques hauts fonctionnaires mélenchonistes.
« On est arrivés à réunir en 48 heures ces directeurs et de
sous-directeurs d'administration, qu'ils viennent de Bercy, du Quai d'Orsay ou
de la Banque de France. C'est un signe très positif. Je vais ouvrir un bureau
d'embauche ! » s'amuse un énarque proche de Mélenchon en se projetant
déjà.
Et si des directeurs d'administration centrale rechignent à servir
le nouveau gouvernement, le Premier ministre Mélenchon ne fera pas de
sentiment. Il nommera en cas de réticence un subalterne. « Il y a toujours
des colonels prêts à prendre la place des généraux ! », observe-t-on
dans l'entourage du chef des Insoumis.
Jean-Luc Mélenchon et l'Europe : la
« désobéissance » pour guide
Le programme de gouvernement est prêt. S'il n'y a pas de plan pour les cent
premiers jours, comme d'autres candidats l'ont fait avant lui, Mélenchon a
annoncé la couleur : il veut aller vite. Dès son installation rue de
Varenne, et en accord avec le président de la République, il convoquera une
assemblée constituante, dont les membres seront élus en même temps que ceux de
l'Assemblée nationale. Si le Conseil d'État donne son feu vert, cette Assemblée
rédigera une nouvelle Constitution, une sixième république parlementaire. Un
référendum, organisé sans doute d'ici la fin de l'année, la validera, ou pas.
Les Français seront appelés à se prononcer par la même procédure sur la
poursuite du programme nucléaire hexagonal. De même, sans plus attendre,
Mélenchon appliquera ce qu'il a promis durant la campagne : blocage des
prix de l'énergie, hausse du smic à 1 400 euros net, etc.
Sept cents mesures et plusieurs plans
Les grands chantiers sont aussi prêts à être lancés. Chez LFI, le programme
est ficelé depuis des années. Sous la houlette de Clémence Guetté,
Mélenchon et ses équipes ont rédigé noir sur blanc quelque sept cents mesures.
Elles sont ordonnées dans des « plans », déclinés en plusieurs
domaines. L'un est par exemple intitulé « Produire ce dont la France a
besoin ». Parmi de multiples décisions, il prévoit que le ministre
concerné appliquera les articles L 410-1 à L 414-9 du Code pénal, grâce
auxquels l'État peut s'opposer à la cession d'entreprises stratégiques à des
entreprises étrangères.
Le « plan » sur l'appareil de production prévoit aussi que le
ministère de l'Économie publie « un décret rendant effectives les peines
de réquisition d'intérêt général pour les délocalisations ou fermetures
d'activité ». Les patrons sont donc prévenus : dès les premières
heures de Mélenchon à Matignon, leur entreprise pourra être requise, bref,
confisquée, s'ils souhaitent délocaliser leur activité, ou une partie d'entre
elle. Parfois, Geoffroy Roux de Bézieux doit trembler en pensant que le leader
des Insoumis est « prêt à gouverner ».
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