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Coronavirus :
le conseil scientifique, le vice-gouvernement ?
Ce groupe
d'une dizaine d'experts est bien plus qu'une boussole pour Emmanuel Macron, qui
se plie à toutes leurs recommandations.
Palais de l'Élysée, le jeudi 12 mars. Il est midi. Pour
immortaliser ce moment et en attendant l'arrivée du président, Geneviève Chène,
la directrice générale de Santé publique France, prend une photo de groupe sur
son smartphone. Tout le monde se serre un peu pour être dans le cadre sous les
dorures. Personne ne s'en offusque, mais les consignes de
« distanciation » ne sont absolument pas respectées. Un comble :
les dix personnes présentes sur le cliché sont pourtant les mieux informées de
France sur le coronavirus.La veille, ces médecins et ces experts ont été nommés au « conseil scientifique Covid-19 » par Olivier Véran, le ministre de la Santé. Ils doivent faire remonter quotidiennement au gouvernement toutes les informations sur le virus. En cette fin de matinée, ils pensent assister à une réunion assez formelle d'une petite heure avec le président de la République que la plupart d'entre eux n'ont jamais rencontré. La discussion s'engage. Les chiffres, Emmanuel Macron les connaît. Sa conseillère technique chargée de la santé les lui passe en temps réel depuis quelques jours. Mais après un petit tour de table où chacun explique en deux mots son domaine de spécialité, la rencontre se transforme en réunion de travail. Le soir, à 20 heures, le président doit prendre la parole. La veille encore, son intention était de faire un discours pour rassurer les Français, leur rappeler les gestes barrière et leur expliquer que l'État est suffisamment fort et le système de santé solide pour veiller sur leur santé. Dans la nuit, tout s'est accéléré. Donald Trump a supprimé les vols au-dessus de l'Atlantique. Les chiffres de la mortalité venus d'Italie sont terrifiants. En France, l'épidémie ne se limite plus à quelques foyers dans le Grand Est ou l'Oise. Mais se diffuse très vite. Le président doit donc changer son discours.
Thomas Degos, le monsieur Coronavirus du gouvernement
Il était impossible de dire des choses en l'air, au doigt mouillé.
Emmanuel Macron s'adresse à Jean-François Delfraissy, le président de ce conseil scientifique qui n'a que 24 heures d'existence. Les deux hommes se connaissent bien. Delfraissy, l'un des plus grands spécialistes français de la lutte contre le VIH, est depuis quelques mois le président du Comité national consultatif d'éthique. Juste après l'élection de 2017, il a rendu un rapport favorable à la PMA pour les couples de femmes, une des promesses du candidat La République en marche. Quelques semaines plus tard, Emmanuel Macron l'a aussi reçu pour faire un tour d'horizon des grands sujets « éthiques » du moment, comme la fin de vie. Un peu avant, ce professeur de médecine assez charismatique âgé de 71 ans était déjà à l'Élysée avec plusieurs épidémiologistes que le président souhaitait rencontrer pour évoquer, déjà, le Covid-19. Macron pose à celui qui ne porte presque jamais de cravate une série de questions très précises. Quelle est la tendance probable de la courbe des contaminations à J + 3 ? À J + 8 ? Que faut-il faire concrètement pour éviter le débordement des structures hospitalières ? Faut-il fermer les écoles pour freiner l'épidémie ? Macron veut savoir.
Jean-François Delfraissy réserve sa réponse. Il a toujours fonctionné par consensus et il ne se voit pas jouer au chef et prendre la parole seul. Il demande une salle de travail pour s'enfermer avec les membres du conseil et travailler afin de rendre l'avis le plus détaillé possible. « Il était impossible de dire des choses en l'air, au doigt mouillé », raconte-t-il. Des plateaux-repas sont commandés. Une liaison par visioconférence est installée pour les quelques absents. Les membres du conseil annulent tous leurs rendez-vous. Ils vont travailler pendant plus de trois heures pour donner une réponse claire. Leur avis doit s'appuyer sur des travaux de recherche précis. Il doit aussi être publié : c'est la seule condition qu'ils ont posée. Ils y voient le moyen d'être totalement indépendants. Et surtout de conserver la confiance de la population. Pendant ces quelques heures, les membres du conseil scientifique comprennent que leur rôle n'est pas celui d'un vague comité consultatif se contentant d'observer la progression de l'épidémie. Mais que leurs discussions vont influencer les décisions gouvernementales concrètes.
Course folle
À 17 heures, ils rendent leur avis. Ils ont tapé les deux
pages et demie de texte sur un ordinateur portable. Il fourmille de références
scientifiques. Et s'appuie notamment sur des recherches mathématiques
britanniques qui montrent que si l'État ne fait rien, la moitié de la
population sera infectée. Et qu'il faudra compter plusieurs dizaines de
milliers de morts. Les termes sont clairs : « il a été décidé de
proposer la fermeture de tous les établissements scolaires et universitaires.
Cette fermeture ne peut être que nationale, et non simplement régionale, du
fait du risque de propagation rapide de l'épidémie à l'ensemble du
territoire ». Il est vingt heures. Quelques minutes plus tôt, Emmanuel
Macron a prévenu son ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui,
le matin même, excluait encore ce scénario. À la télévision, le président
annonce la fermeture des écoles et des universités pour une durée indéterminée.
Pour se justifier, il cite à plusieurs reprises « les avis des scientifiques ».
Il ne s'agit plus de rassurer. Emmanuel Macron pointe du doigt « la plus
grande crise sanitaire qu'a connue la France depuis un siècle ».Dominique Rousseau : « Attention à ne pas multiplier les états d'urgence »
Dans les jours qui suivent, l'épidémie poursuit sa course folle. Il faut interdire les rassemblements publics, organiser le télétravail, fermer les restaurants et les commerces non essentiels. À chaque fois, Emmanuel Macron ou Édouard Philippe s'appuient ce conseil scientifique qui, quelques jours auparavant, n'existait pas. Lorsque Emmanuel Macron a choisi de ne pas annuler le premier tour des élections municipales, c'est aussi sur l'avis de ces experts qu'il s'appuie. Sur ce point, ils sont là encore très précis : « Dans ces conditions sanitaires exceptionnelles, et dans l'urgence, le conseil scientifique a formulé son avis en son âme et conscience, avec humilité et gravité, et dans les limites de ses responsabilités scientifiques, qui n'ont pas vocation à se substituer aux avis et décisions des institutions publiques compétentes en matière de libertés fondamentales. Il a considéré que l'exercice de la démocratie, garanti par la sécurité sanitaire du vote, gagnait à être préservé. » Même chose pour le confinement, annoncé à la télévision par le président de la République le 16 mars. Cette décision repose elle aussi sur l'avis de ces chercheurs rendu quelques heures plus tôt.
Il est hors de question de prendre la place du politique.
En moins d'une semaine, ce conseil scientifique est donc devenu une sorte de second gouvernement français… Lorsqu'on évoque ces derniers termes devant Jean François Delfraissy, il manque s'étrangler. « Ce n'est pas absolument pas ça. Il est hors de question de prendre la place du politique et nous le rappelons à chaque fois. Nous ne sommes que des experts et nous n'avons pas de responsabilités politiques : ce serait un dévoiement de la démocratie. » Soit. C'est pourtant un fait : Emmanuel Macron a, pour l'instant, suivi à la lettre chacune des recommandations du conseil.
Les médecins qui travaillent sur une épidémie savent que la prise en compte des comportements humains est au moins aussi importante que la recherche elle-même.
C'est pendant le week-end du 7 mars qu'Olivier Véran et Jean-François Delfraissy ont dressé une liste d'experts. Ils se sont vite mis d'accord sur une dizaine de noms de chercheurs et de pontes de l'hôpital. Des épidémiologistes, des chercheurs à l'Institut Pasteur. La cheffe d'un service de réanimation. Tous très respectés. Le conseil compte aussi un mathématicien spécialiste des modélisations des épidémies. Fruit de sa longue carrière de chercheur sur le VIH puis, plus récemment sur Ebola où il a coordonné l'aide française en Guinée en 2014, Delfraissy insiste pour accueillir deux experts en sciences humaines. « Les médecins qui travaillent sur une épidémie savent que la prise en compte des comportements humains est au moins aussi importante que la recherche elle-même pour enrayer la propagation d'un virus. C'est une évidence depuis longtemps pour le VIH. C'est la même chose pour Ebola où, les premières semaines de l'épidémie, les ONG se faisaient caillasser dans certains villages, car les humanitaires voulaient changer tous les rites funéraires, sources de contamination. »
Une mission bénévole
Olivier Véran, lui, sollicite Pierre-Louis Druais, un professeur
de médecine généraliste, membre de la Haute Autorité de santé. Druais est un
infatigable défenseur de la collaboration entre l'hôpital et la médecine de
ville. Auteur de plusieurs rapports sur la filière de soins, il s'est toujours
tenu à l'écart des querelles entre les généralistes et les hospitaliers, les
seconds regardant souvent les premiers avec condescendance. Fin mars, le
conseil pourrait être aussi complété par un responsable associatif. Depuis le
11 mars, aucun des membres du conseil ne touche terre et travaille jour et
nuit. Une téléconférence de deux heures les rassemble quotidiennement. Puis,
Jean François Delfraissy fait la synthèse des discussions avec Olivier Véran.
Chacun doit nourrir la réflexion des autres et surtout, faire connaître à
chacun les travaux internationaux publiés dans les heures qui précèdent.Une mission évidemment bénévole. « Notre feuille de route est simple, raconte Pierre-Louis Druais : comment éviter le pire ? C'est la seule chose qui nous anime. Chacun met toutes ses ressources sur la table. Et personne ne se met en avant. La situation nous impose la modestie. » Druais raconte qu'à ce jour, les experts du conseil n'ont eu aucun désaccord majeur : « Nous avons rendu toutes nos recommandations sur la base du consensus. » Delfraissy confirme : « Si un jour, nous ne sommes pas d'accord, nous devrons peut-être voter. Mais jusque-là, l'intelligence collective a fait des miracles. » Sans vouloir être cité, un des membres du conseil se confie « à titre personnel » : « Sur la tenue du premier tour des élections, le débat a duré très longtemps. Mais nous avons réfléchi au-delà de nos domaines de compétences : supprimer le premier tour, c'était provoquer quatre à cinq jours de rouleau compresseur médiatique sur le thème du "coup de force" de Macron. La France n'aurait parlé que de ça en oubliant l'épidémie. C'était ruiner les efforts pédagogiques autour du virus qui débutaient après la fermeture des écoles. La tenue du scrutin était la moins mauvaise solution. »
Les membres du conseil sont en revanche unanimement consternés par la transhumance des habitants des villes vers la campagne et les bords de mer qu'ils n'avaient pas anticipée après l'annonce du confinement. « C'est un suicide, c'est criminel, avance Druais. C'est le meilleur moyen de propager l'épidémie dans des endroits où il n'y a aucune structure de soin adaptée et beaucoup de personnes vulnérables. Nous étions peut-être en décalage avec l'état d'information des Français, dont la légèreté nous a surpris. » Jean-François Delfraissy sait que, dans six mois, dans un an, les avis rendus par son conseil seront critiqués. « C'est le jeu. Mais si nous travaillons efficacement, en toute indépendance, nous pourrons nous regarder dans la glace. »
Confinement : le Paris de l'amertume
Il y a un peu plus de deux ans, Jean-Michel Delfraissy donnait une conférence devant des médecins et des professionnels de santé au théâtre de l'Odéon à Paris. Il racontait sa lutte contre Ebola. Et il s'inquiétait. Il évoquait un virus grippal qui viendrait frapper la France de plein fouet. « Je ne sais pas comment il s'appellera ni d'où il viendra, expliquait-il. Mais ce risque épidémique est bien réel : il doit être pris en compte par les responsables politiques avec la même intensité que le risque terroriste, le risque économique ou le risque climatique alors qu'aujourd'hui, seuls quelques chercheurs s'en inquiètent. » Ce n'était pas un coup de gueule. Seulement un signal d'alarme. Ces jours-ci, lorsqu'on lui rappelle ses propos de l'époque, il ne fanfaronne pas. « Ce serait indécent »
Qui compose ce Conseil scientifique ?
Les membres du conseil Jean-François Delfraissy (immunologiste, Comité d'éthique), Arnaud Fontanet (épidémiologiste, Institut Pasteur)Yazdan Yazdanpanah (infectiologue, hôpital Bichat, Paris, OMS), Lila Bouadma (réanimatrice, hôpital Bichat, Paris), Simon Cauchemez (mathématicien-modélisateur, Institut Pasteur), Bruno Lina (virologie université Lyon-1), Denis Malvy (infectiologue, CHU Pellegrin à Bordeaux), Laëtitia Atlani-Duault (anthropologue, IRD-MSH), Daniel Benamouzig (sociologue de la santé à Sciences Po et au CNRS), Pierre-Louis Druais (généraliste, Haute Autorité de santé), Didier Raoult (CHU de la Timone, Marseille) participe à certains travaux du conseil.
Les membres du conseil Jean-François Delfraissy (immunologiste, Comité d'éthique), Arnaud Fontanet (épidémiologiste, Institut Pasteur)Yazdan Yazdanpanah (infectiologue, hôpital Bichat, Paris, OMS), Lila Bouadma (réanimatrice, hôpital Bichat, Paris), Simon Cauchemez (mathématicien-modélisateur, Institut Pasteur), Bruno Lina (virologie université Lyon-1), Denis Malvy (infectiologue, CHU Pellegrin à Bordeaux), Laëtitia Atlani-Duault (anthropologue, IRD-MSH), Daniel Benamouzig (sociologue de la santé à Sciences Po et au CNRS), Pierre-Louis Druais (généraliste, Haute Autorité de santé), Didier Raoult (CHU de la Timone, Marseille) participe à certains travaux du conseil.
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