La
France va assurer à partir du 1er janvier la
« présidence » tournante, et ce, pendant six mois. © XOSE
BOUZAS / Hans Lucas via AFP
L a présidence française de l’Union
européenne (PFUE) n’arrive que tous les treize ans. Vous en entendrez forcément
parler, mais quand même moins que du Covid-19, de Miss France ou de l’élection
présidentielle 2022. Et c’est normal : la présidence de l’UE n’est pas un
moment « magique » qui permettrait à la France de dominer l’Europe
(son rêve napoléonien de toujours). Bien au contraire ! Pour en savoir
plus, nous avons ici les réponses aux questions que vous ne vous posez pas.
Emmanuel Macron va-t-il être le président de l’Europe ?
Non. Il y a une nuance sémantique de taille : la
France assure la « présidence » tournante pendant six mois (de
janvier à juillet), mais Emmanuel Macron n’est pas le président de l’Europe.
D’abord, ce titre officiel n’existe pas. Les États membres, jaloux de leurs
pouvoirs, se sont bien gardés de créer un poste exécutif trop fort. Ils se sont
ingéniés à diviser les fonctions en plusieurs présidences (du Conseil, de la
Commission, du Parlement), parfois concurrentes, si bien que les conflits de
territoires peuvent parfois surgir.
Le Conseil européen est dirigé par
un président, en l’occurrence le Belge Charles Michel. C’est lui qui préside
les réunions du Conseil européen. Il les prépare en consultant toutes les
personnes nécessaires avant. Puis il préside les séances. Il décrète les
pauses. Il crée des formats de discussions informels pour dénouer des points de
blocage. La France et l’Allemagne, les deux grandes puissances européennes,
peuvent, parfois, mener leur propre diplomatie parallèle pour parvenir à
dénouer l’affaire. C’est arrivé… très souvent.
Macron et l’Europe, le rendez-vous crucial
Que fait alors
Emmanuel Macron ? Il n’a aucun rôle institutionnel depuis le traité de
Lisbonne, contrairement à Nicolas Sarkozy qui, en 2008, était le
« vrai » président du Conseil avec autorité sur les services. Le
président Macron, en revanche, peut organiser des sommets informels – il
en a prévu deux –, où il porte sur la table des priorités de son choix (en
l’occurrence, l’Afrique et l’investissement). Aucune décision ne sera légalement
prise à l’issue de ces sommets informels. De toute façon, le Conseil européen –
même en format formel, à Bruxelles – ne prend pas vraiment de décisions. Il
publie des « conclusions », qui sont des incitations à agir en
direction de la Commission, laquelle a véritablement l’initiative des
directives, des règlements et des actes délégués (d’application directe pour
adapter une législation déjà prise).
Donc Emmanuel Macron va faire de la politique. Et c’est ce qu’il fait
de mieux. La France, traditionnellement, a ce rôle d’aiguillon. Elle propose
des nouveautés, des réflexions. Elle agite le landerneau, bouscule des
habitudes, trace des perspectives. Le discours de la Sorbonne
de 2017 d’Emmanuel Macron s’inscrivait ainsi dans cette tradition
française de proposer aux autres États membres un chemin. Ensuite, les États
membres s’approprient ou non les réflexions françaises, les transforment, les
digèrent, les accommodent… Tout cela peut prendre du temps et, à la fin,
la Commission vérifie qu’un consensus existe parmi les 27 et
transforme à son tour les propositions françaises en projets de texte. Ceux-ci
entrent à leur tour dans la procédure d’adoption entre le Conseil et le
Parlement européen. Il peut s’écouler des années, voire des décennies, entre
une proposition française et sa réalisation concrète. C’est ainsi que va
l’Europe, tortue studieuse, pointilleuse, précautionneuse, dans un monde où les
lièvres ignorent de plus en plus les conventions internationales.
La France peut-elle profiter de cette occasion pour servir ses propres
intérêts ?
La réponse exige une certaine subtilité. Les ministres
français vont être extrêmement sollicités, d’abord au sein des conseils des
ministres européens, ensuite pour trouver des compromis avec le Parlement
européen. Le grand pilotage politique est entre les mains de l’ambassadeur
Philippe Léglise-Costa, le représentant permanent de la France auprès des
institutions. À la tête d’une armée de 280 personnes
– dont 80 recrutements des diverses administrations françaises spécialement
pour cette présidence française –, il a préparé de longue date cette séquence.
Une présidence commence, en vérité, deux ans et demi avant…
Présidence française : Macron surcharge la barque de
l’UE
Le personnel a
été formé à la négociation et aux subtilités des procédures. La France peut
ici exercer une certaine influence en appuyant certains textes qui lui
tiennent à cœur et en ralentissant sur d’autres pour lesquels elle n’a pas
d’appétit particulier. Emmanuel Macron retrouve ici un rôle au deuxième
plan. Il a cartographié, dès l’été dernier, avec les équipes de Bruxelles le
panorama le plus exact possible des textes en cours d’examen. La France prend
la présidence de l’UE au pic législatif de la mandature von der Leyen. Ce sont
entre 250 et 270 textes qui ont été introduits, à divers
stades, dans la complexe procédure législative européenne. Les plus avancés
pourront sans doute aboutir si la France s’y prend correctement.
C’est ici que le doigté diplomatique est important. Il faut du sens
politique, car, selon les étages où se situe le texte (groupes techniques du
Conseil, Coreper, conseil des ministres…), les marges de manœuvre, les angles
d’attaque, les intérêts exprimés par les États membres ne sont pas les mêmes.
Une bonne analyse du terrain est un préalable indispensable. Une bonne
connaissance des procédures évite les pièges des adversaires. Il faut
travailler en amont des réunions et éviter toute surprise.
De l’avis général, une bonne présidence de l’Union est humble et au service
du collectif. Les Scandinaves sont, généralement, doués dans ce domaine. Les
Italiens sont redoutablement efficaces. Le souvenir laissé par les Grecs est
déplorable. Les Allemands n’ont pas fait ce qu’ils auraient voulu, du fait de
la pandémie.
La pandémie va-t-elle massacrer la présidence française de l’UE ?
La montée en puissance du variant Omicron tombe au pire moment pour la PFUE.
Les 6 et 7 janvier, le collège des commissaires européens est
attendu à Paris. Les premiers conseils des ministres informels doivent se tenir
à Brest du 12 au 14 janvier, puis à Amiens les 20 et
22 janvier. Dans l’intervalle, Emmanuel Macron doit se rendre à Strasbourg
le 19 janvier pour s’exprimer devant le Parlement européen en session
plénière. La veille, le 18 janvier, doit avoir lieu l’élection de la
présidence du Parlement européen pour la mi-mandat (a priori, Roberta
Metsola, la Maltaise du PPE).
En principe, la France va tout
faire pour conserver les conseils des ministres en présentiel, sans doute avec
des consignes sanitaires plus strictes dans de grandes salles où les
participants seront espacés. En revanche, c’est au Parlement européen de
décider s’il maintient ou non la session plénière de janvier.
L’institution a la réputation d’être assez prudente. Si la session est annulée,
le discours du président se fera par des moyens vidéo.
De toute façon, l’organisation de la PFUE a prévu un format
« Covid » si la situation devait échapper à tout contrôle. Ça
n’empêche pas le travail, même si ça le complique.
Pourquoi une présidence de l’UE au milieu de la
campagne présidentielle ?
C’est l’un des points les plus polémiques : la PFUE est percutée de
plein fouet par la campagne présidentielle. Avec deux conséquences
dommageables : Emmanuel Macron a surchargé le calendrier de sa PFUE les
trois premiers mois de l’année 2022 (ce qui fait râler toutes les
chancelleries) ; une période de réserve va neutraliser la parole des ministres
français un mois avant le scrutin présidentiel. Ceux-ci pourront toujours
s’exprimer, mais uniquement s’ils communiquent les positions du Conseil, et non
leurs convictions… On gèle donc pendant un mois la campagne électorale menée
par les ministres du gouvernement.
La France avait-elle le choix ? L’Élysée assure que non. D’abord, parce
que le Brexit a fait sauter la présidence du Royaume-Uni, qui aurait
dû intervenir au deuxième semestre 2017. Lorsque le Brexit est acté,
le Conseil a révisé le calendrier par une décision du 26 juillet 2016.
Lors de ce même Conseil, une autre décision a été prise : celle d’ajouter
la Croatie, qui n’était pas encore membre au moment de la
décision initiale qui couvrait le calendrier (2007-juin 2020). La
présidence croate a été placée au premier semestre 2020.
En juillet 2016, Emmanuel Macron n’est pas encore élu. Il n’est même pas
encore officiellement candidat. François Hollande aurait-il dû remarquer que la
prochaine PFUE allait tomber en plein semestre électoral ? Peut-être. Mais
il n’y a pas vraiment songé et sans doute avait-il d’autres chats à fouetter…
Le nouveau calendrier, adopté en 2016, est donc le suivant : en 2017,
Malte au premier semestre et l’Estonie au second semestre. En 2018, la
Bulgarie, puis l’Autriche. En 2019, la Roumanie, puis la Finlande. En 2020,
la Croatie puis l'Allemagne. En 2021, le Portugal puis la Slovénie.
En 2022, la France puis la République tchèque. En 2023, la Suède puis
l’Espagne. En 2024, la Belgique puis la Hongrie. En 2025, la Pologne puis
le Danemark. En 2026, Chypre puis l’Irlande. En 2027, la Lituanie puis la
Grèce. En 2028, l’Italie puis la Lettonie. En 2029, le Luxembourg puis les
Pays-Bas. En 2030, la Slovaquie puis Malte.
I Présidentielle – Du plus europhile au plus europhobe :
nous avons classé les candidats
Lorsque le président Macron comprend que la PFUE va être
traversée par la présidentielle, il est trop tard. Il est très difficile de
déranger ce calendrier, car les autres pays ont aussi des échéances
électorales. La France n’a pas trouvé preneur pour son créneau… Le président
Macron fait donc contre mauvaise fortune bon cœur : puisqu’il n’a pas pu
déplacer la PFUE, autant en faire un événement politique qui serve sa campagne.
Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Au premier semestre 1995,
en présidence française de l’UE, François Mitterrand, très malade, achevait son
mandat en cohabitation avec Édouard Balladur à Matignon. Le
scrutin présidentiel des 23 avril et 7 mai tombait on ne
peut plus mal. Il n’a pas été question de décaler la date. Mitterrand n’était
pas candidat, ce qui change beaucoup de choses. Il a délégué la PFUE aux équipes
d’Édouard Balladur, considérant qu’il se contenterait d’être le notaire des
actes du gouvernement. Édouard Balladur, lui, était candidat. Mais il n’a pas
utilisé la PFUE pour les besoins de sa campagne. Jacques Chirac, chef de
l’État, a repris la PFUE pour les quelques semaines restantes.
L a présidence française de
l’Union européenne (PFUE) n’arrive que tous les treize ans. Vous en entendrez
forcément parler, mais quand même moins que du Covid-19, de Miss France ou de
l’élection présidentielle 2022. Et c’est normal : la présidence de l’UE
n’est pas un moment « magique » qui permettrait à la France de
dominer l’Europe (son rêve napoléonien de toujours). Bien au contraire !
Pour en savoir plus, nous avons ici les réponses aux questions que vous ne vous
posez pas.
Emmanuel Macron va-t-il être le président de l’Europe ?
Non. Il y a une nuance sémantique de taille : la
France assure la « présidence » tournante pendant six mois (de
janvier à juillet), mais Emmanuel Macron n’est pas le président de l’Europe.
D’abord, ce titre officiel n’existe pas. Les États membres, jaloux de leurs
pouvoirs, se sont bien gardés de créer un poste exécutif trop fort. Ils se sont
ingéniés à diviser les fonctions en plusieurs présidences (du Conseil, de la
Commission, du Parlement), parfois concurrentes, si bien que les conflits de
territoires peuvent parfois surgir.
Le Conseil européen est dirigé par un président, en l’occurrence
le Belge Charles Michel. C’est lui qui préside les réunions du Conseil
européen. Il les prépare en consultant toutes les personnes nécessaires avant.
Puis il préside les séances. Il décrète les pauses. Il crée des formats de
discussions informels pour dénouer des points de blocage. La France et l’Allemagne,
les deux grandes puissances européennes, peuvent, parfois, mener leur propre
diplomatie parallèle pour parvenir à dénouer l’affaire. C’est arrivé… très
souvent.
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