Bernard Accoyer : Il y a
une quinzaine d'années, le système électrique français était mondialement
célébré, à la fois pour le faible prix de son électricité et pour la fiabilité
de sa production. Nous avions cette réputation de maîtriser admirablement la
filière nucléaire dans toutes ses étapes, de l'extraction jusqu'au retraitement
des combustibles. Puis cette image s'est dégradée. Le prix de l'électricité
payé par le consommateur a été multiplié par deux en dix ans, et pour la
deuxième année consécutive, le gestionnaire de réseaux RTE a informé les
Français qu'il faudrait s'attendre à connaître, en cas de grand froid, soit des
effacements pour les entreprises, soit des coupures tournantes pour les
consommateurs. Au cours de mon enquête, j'ai constaté que beaucoup de ceux qui
ont fait changer la politique énergétique française savaient parfaitement ce
qu'ils faisaient. Certains l'ont fait par idéologie, d'autres par intérêt ou
carriérisme, et cela pose effectivement des questions qui peuvent relever d'une
affaire d'État.
« La
rente nucléaire est dilapidée au profit des consommateurs »
La situation que nous connaissons aujourd'hui était-elle
réellement évitable ?
Oui ! Les ingénieurs, les directeurs successifs de l'Autorité
de sûreté nucléaire (ASN) ont inlassablement répété qu'en dépit du fort
développement de l'éolien et du solaire, il était essentiel de garder une marge
de sécurité, et un parc pilotable installé suffisamment important pour pouvoir
supporter les pointes de consommation en l'absence de vent ou faire face à
un aléa sur le parc pilotable, puisque nous ne savons toujours pas stocker
massivement l'énergie. André-Claude Lacoste, ancien président de l'ASN,
sonnait déjà l'alerte en 2007 ! Mais les gouvernements, et en
particulier celui d'Emmanuel Macron, ont ignoré ces alertes
et ont fermé plus de 10 gigawatts de capacités de
production pilotable : la centrale de Fessenheim, mais
aussi plusieurs centrales à charbon, qui ne tournaient qu'en cas de besoin
(très rarement) et n'aggravaient donc pas notre bilan
carbone. Même avec ces centrales d'appoint, notre électricité restait de
très loin la plus décarbonée d'Europe. C'est parce que nous n'avons plus
ces capacités que la France est contrainte, aujourd'hui, d'importer
de l'électricité carbonée à prix d'or depuis l'Allemagne.
Depuis quinze ans, nous avons désinvesti dans le nucléaire pour
investir dans les énergies renouvelables, nous calquant sur la politique de
l'Allemagne, alors que la situation énergétique française n'a strictement rien
à voir avec celle de notre voisin. Les Allemands, pour des raisons
politiques, ont décidé de sortir du nucléaire, et nous leur avons emboîté
le pas en nous dirigeant sans le dire vers la même sortie. Certains
membres du gouvernement l'ont d'ailleurs assumé, en particulier Nicolas
Hulot : la diminution à 50 % de la part du
nucléaire dans notre mix électrique ne devait être pour beaucoup qu'une
étape vers la fermeture de toutes les centrales. Barbara Pompili elle-même,
encore en poste aujourd'hui, a longtemps prétendu que le 100 %
renouvelable en 2050 devait être un objectif, que c'était
possible, quand tous les spécialistes lui prouvaient le contraire.
Finance
verte : le nucléaire et le gaz, flingués par les experts de la
Commission
Votre livre dissèque la manière dont l'idéologie antinucléaire a
lentement « infiltré » plusieurs services de l'État, précipitant une
sorte d'« aveuglement collectif ».
J'ai voulu remonter aux sources de cette dérive idéologique. Après
le premier choc pétrolier a été mise en place une Agence pour les économies
d'énergie, qui a naturellement attiré des militants décroissants et des
personnalités qui nourrissaient un antinucléarisme de conviction. Cette agence
a ensuite fusionné avec d'autres, devenant l'Agence française de maîtrise des
énergies, sous l'impulsion de son directeur des programmes Bernard Laponche, un
antinucléaire de conviction, elle s'est peu à peu étendue sur tout le
territoire, avant de devenir l'Ademe. Le ministère de l'Environnement y
recrutait conseillers et experts… qui ont peu à peu propagé au sein d'une partie
de l'administration, surtout au ministère de l'Environnement, leur idéologie.
Petit à petit, ces convictions ont conduit le ministère de l'Environnement, le
plus souvent aux mains de ministres antinucléaires, à être porté par un
mouvement naturel opposé au nucléaire. Bernard Laponche a eu lui-même des
responsabilités ministérielles : directeur adjoint du cabinet de Dominique
Voynet, avec la fermeture de Superphénix, il atteignait la cible
privilégiée de l'écologie politique.
Pourquoi ?
Parce que la quatrième génération de réacteurs, dont Superphénix
était le prototype abouti le plus puissant, utilise comme combustible les
déchets des réacteurs des générations précédentes, rendant le nucléaire
difficilement attaquable. C'est insupportable pour l'écologie politique, dont
la priorité reste encore aujourd'hui la sortie du nucléaire, avant la lutte
contre le réchauffement climatique.
Depuis 2012 ont été
systématiquement nommées, à la tête des organismes chargés de conseiller
scientifiquement dans le domaine énergétique, des
personnalités politiques.
L'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie), pour vous, a activement participé de cette dérive.
L'Ademe a été très marquée par une série de directeurs
ouvertement antinucléaires. La proximité de cette agence avec NégaWatt, une
officine militante violemment antinucléaire et décroissante, est de notoriété
publique. L'Ademe subventionne NégaWatt, comme le fait RTE (le Réseau de
transport de l'électricité, NDLR) ! Or cet organisme prône la décroissance,
et prétend que la consommation finale d'énergie diminuera de moitié dans les
années qui viennent. Selon cette logique, puisque nous aurons moins besoin
d'énergie, nous pourrons nous passer du nucléaire. Ces derniers mois, il est
devenu impossible d'ignorer que de telles hypothèses, si elles étaient retenues
durablement, aboutiraient à une grande catastrophe et à un gigantesque
black-out.
Le gouvernement s'appuie pourtant sur des travaux de l'Ademe,
eux-mêmes inspirés par NégaWatt, pour construire sa politique…
Depuis 2012 ont été systématiquement nommées, à la tête
des organismes chargés de conseiller scientifiquement dans le domaine
énergétique, des personnalités politiques. Cette dérive a commencé sous le
gouvernement Jospin, elle s'est emballée après l'élection de François Hollande,
qui avait conclu une alliance avec l'écologie politique. Le fondement de
l'accord législatif passé entre le PS et les Verts en 2012 comprenait
la réduction de la part du nucléaire à 50 % de notre mix électrique, et la
fermeture de Fessenheim. Le gouvernement s'est soumis au diktat de l'écologie
politique, sans aucune étude d'impact, et sans prendre en compte les intérêts
des consommateurs, des industriels ni la sécurité d'approvisionnement du pays.
Emmanuel Macron, en 2017, a repris intégralement le programme « politique
énergétique » de François Hollande. Et ce que l'un avait commencé, l'autre
l'a poursuivi.
Vous
ne croyez pas au tournant « pro-nucléaire » d'Emmanuel Macron ?
Dans les faits, malgré une inflexion du discours en fin de mandat,
on n'a vu aucun tournant, au contraire ! Emmanuel Macron s'est entouré des
mêmes conseillers, et a poursuivi la même politique. Xavier Piechaczyk,
qui fut le conseiller énergie de Jean-Marc Ayrault à Matignon, puis
de François Hollande, et qui a coécrit pour Ségolène Royal la loi
de 2015 puis la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avec
la fermeture de 14 réacteurs et la réduction du nucléaire à
50 % en 2025, a été placé à la tête du gestionnaire de réseaux RTE.
Il succédait à François Brottes, un ancien député socialiste
rapporteur de ladite loi. De même, un préfet, ancien directeur de cabinet au
ministère de l'Environnement au moment du Grenelle, a été nommé à la tête de la
CRE (la Commission de régulation de l'énergie). Aussi républicain soit-il, il
n'a pas les capacités techniques et scientifiques d'un ingénieur qui connaît le
réseau. Ces nominations politiques posent un grave
problème : ceux qui ont engagé l'affaiblissement et amorcé la sortie du
nucléaire ont écrit les rapports qui conseillent le gouvernement, l'inflexion
timide et récente du discours du président de RTE n'effacera pas les
conséquences de son action ! En retenant préférentiellement des scénarios
de décroissance, et en ignorant les avertissements de l'Autorité de sûreté
nucléaire, sur les marges de sécurité de nos capacités de
production pilotable, ceux qui auraient dû préserver l'avenir ont une part
de responsabilité dans la crise de l'électricité qui frappe la France plus
sévèrement que les autres pays européens. Le changement de pied dans le
discours d'Emmanuel Macron depuis décembre 2020 ne change en rien
jusqu'à ce jour son bilan sur le plan énergétique. Cinq années d'errance
qui ont, et auront, de lourdes conséquences.
Les concessions récentes
d’Emmanuel Macron ressemblent plus à des contorsions politiques pour ménager
son mandat et son avenir politique qu’à une réelle conversion aux réalités.
Vous dénoncez des rapports biaisés, qui ont entraîné de mauvaises
décisions.
Oui, le parti pris ambiant a fait beaucoup de dégâts. Sous la
responsabilité d'Emmanuel Macron, nous avons fermé de très importantes
capacités pilotables, plus de 10 Gigawatts, et en particulier la
centrale de Fessenheim, ce qui fut une faute ruineuse à la
fois pour les finances publiques et pour le climat, puisque
cette électricité manquante est désormais produite et
importée d'Allemagne. C'est une électricité largement
carbonée. C'est une faute grave. De même, Emmanuel Macron a,
sans requérir l'avis du Parlement, arrêté les travaux de recherche et
développement de la quatrième génération de réacteurs en mettant fin
au projet Astrid. Il l'a d'ailleurs fait brutalement, sans
concertation avec nos partenaires japonais, ce qui nourrit les doutes à
l'international sur la fiabilité d'un partenariat français. Enfin,
Emmanuel Macron a reporté, et reporte encore, de façon incompréhensible,
le lancement des dossiers de concertation pour les trois paires d'EPR qu'EDF
réclame à cor et à cri depuis bientôt un an. Ce temps perdu rend chaque jour
plus probable la nécessité de construire avant la fin de la décennie des
centrales à gaz, en contradiction avec nos engagements climatiques solennels.
Nucléaire :
comment Aubry et Hollande scellèrent le sort de Fessenheim
Le gouvernement s'est pourtant félicité, récemment, d'avoir obtenu
de Bruxelles que le nucléaire soit reconnu comme une énergie « de
transition », ce qui lui permettra de bénéficier de financement dans le
cadre de la nouvelle taxonomie verte européenne…
La France s'est réveillée sur le sujet alors que les négociations
étaient déjà très avancées, et nous avons traîné les conséquences de ce retard.
Au final, nous avons abouti à un compromis qui inclut le nucléaire, ce qui est
positif. Mais malgré son avantage pour lutter contre le réchauffement
climatique, il lui est refusé le caractère « durable », pour le
considérer avec le gaz comme une énergie « de transition ». En
l'état, la taxonomie tolère le nucléaire, mais elle ouvre surtout la porte au
gaz, une énergie carbonée 70 fois plus émettrice que le nucléaire. Le
député européen LREM Pascal Canfin, en charge des négociations, fut longtemps
un militant antinucléaire déterminé. Ses concessions récentes ressemblent plus
à des contorsions politiques pour ménager son mandat et son avenir politique
qu'à une réelle conversion aux réalités. Cet ex-Vert proche d'Emmanuel Macron,
récompensé de son ralliement par un mandat de député européen et par la
présidence de la commission de l'Environnement, a adressé le 18 janvier un
courrier à la présidente de la Commission visant à faire capoter le laborieux
compromis, ce qui montre clairement que sa stratégie personnelle est toujours
d'exclure totalement le nucléaire de la taxonomie. Trahison ou en même
temps ?
Finance
verte : le nucléaire et le gaz, flingués par les experts de la
Commission
Vous êtes également extrêmement sévère sur la façon dont s'est
faite, à partir de 2005, la dérégulation du marché de l'énergie.
L'électricité n'est pas, à la différence de la téléphonie mobile,
un bien que l'on peut soumettre à la concurrence, car produire de l'électricité
exige des investissements extrêmement lourds, qui mettront des décennies à être
amortis. Il était aberrant de soumettre l'électricité à des cours financiers
erratiques et aux spéculations d'investisseurs privés ! L'électricité est
un bien de première nécessité, il ne peut être un objet spéculatif rendant
son prix imprévisible, voire exorbitant. La création de ce marché ouvert, avec
en France ses 80 revendeurs d'électricité qui achètent sur le
marché et revendent avec une marge sans investir le moindre euro dans
l'appareil de production, en est la preuve. Quinze ans après, l'appareil
de production électrique français reste avant tout constitué de nos
centrales nucléaires et de nos barrages. Ces revendeurs ont
comme unique contrainte de se procurer de l'électricité, qu'EDF est forcée
de leur vendre à prix coûtant (via le dispositif de l'Arenh, NDLR), et même
aujourd'hui à perte ! Aujourd'hui, en forçant EDF à augmenter le volume
d'électricité qu'elle doit brader à ses concurrents, le gouvernement met en
cause sa survie.
On se demande, à vous lire, à qui profite le crime ?
Le gouvernement Jospin a pris pour la première fois des mesures
délirantes, fixant des tarifs stratosphériques de rachat de l'électricité
d'origine solaire ou éolienne à des producteurs. Ensuite, le Grenelle de
l'environnement a prolongé cette politique, créant d'incroyables rentes
financières. Pourquoi la France s'est-elle soumise à l'idée que nous devions
absolument parvenir à 20 % d'énergies renouvelables dans un délai aussi
court ? L'accord négocié en 2008 au niveau européen, qui forçait
le développement des énergies renouvelables subventionnées, n'avait aucun
intérêt pour la France, et n'a eu pour conséquence que d'affaiblir son nucléaire.
Il faut reconnaître que cette dépense faramineuse n'était pas indispensable, et
que cet argent aurait pu être employé ailleurs. Aujourd'hui encore, il semble
acquis que la France devra faire des efforts financiers énormes pour continuer
à développer les énergies renouvelables intermittentes. Lorsqu'il n'y a pas de
vent, nous le voyons cet hiver, il faut mettre en marche des centrales à
charbon ou au gaz. C'est évidemment un avantage pour le lobby gazier, qui
souhaite que le nucléaire disparaisse, car les énergies renouvelables sont
obligatoirement couplées, voire doublonnées, à des ressources
pilotables, les centrales au gaz.
Est-il encore possible de redresser la barre, et de réorienter
notre politique énergétique ?
La France, dans les années 1970, a été confrontée au premier choc
pétrolier, elle a été capable de construire un parc de 58 réacteurs
en vingt ans. Certes, la France s'est désindustrialisée. Certes, les normes
sont beaucoup plus complexes aujourd'hui. Mais j'ai la certitude que si la
volonté politique audacieuse et garantie dans la durée existe, reconstituer un
parc nucléaire puissant est possible, à l'image de ce que la France a déjà
fait. Sans ce sursaut, nous allons vers de graves déconvenues énergétiques,
industrielles et sociales.
Critiquer nos présidents celui actuel et le précèdent ne plaisent pas aux modérateurs du point stupides et leurs rédactions inféodées aux pouvoirs en place ne plaisent pas à ceux-ci c'est dommage mais en France la liberté d'expression inscrite dans la constitution l'autorise alors il faut la respecter Messieurs car cela ne sert à rien de censurer arbitrairement les commentaires polis SVP !
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