Nicolas Bay : La présidence de l’UE est une position
stratégique, mais, contrairement à ce que veut faire croire Emmanuel Macron,
elle offre une marge de manœuvre limitée. L’Union européenne avance toujours
par de grands dossiers, qui nécessitent du temps pour être élaborés à 27. Nous
ne prétendrons pas la changer du sol au plafond en quelques semaines,
contrairement à la grandiloquence – électorale – d’un Macron qui parle de
refonder les traités.
Ce qu’il faut
savoir sur la présidence française de l’Union européenne
Cela dit, il en parle moins car la Conférence sur
l’avenir de l’Europe a pris du retard. Pas sûr que le changement de
traités soit à l’ordre du jour de la PFUE…
Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron a décidé de faire de cette
présidence française de l’UE une grande opération de communication au service
de sa campagne présidentielle et de son image personnelle. Il a même poussé la
mégalomanie jusqu’à intégrer ses initiales « EM » dans le logo de
cette présidence…
Si nous parvenons au pouvoir, ces précieuses semaines nous permettraient
néanmoins de réorienter le positionnement français sur des sujets
majeurs tels que les frontières, l’économie ou encore le fonctionnement.
Nous pourrions alors affirmer les orientations que la France retrouvée portera
au sein des instances européennes : de vraies frontières extérieures et le
contrôle des frontières nationales, une contribution financière rééquilibrée,
un pouvoir aux États plutôt qu’à la Commission et – c’est primordial
– l’affirmation de l’Union comme une libre coopération de nations ayant en
commun la même civilisation.
La France est un des piliers de l’UE, au sein de
laquelle le mécontentement de nombreux gouvernements est de plus en plus
palpable : pensons, par exemple, à la lettre commune
de 12 ministres de l’Intérieur d’États membres réclamant des
« barrières physiques » aux frontières pour s’adapter à la pression
migratoire. Si nous exigeons des changements, non seulement nous ne serons pas
isolés, mais nous les obtiendrons.
Sur la santé, sujet numéro 1 en ce moment, la France de
Marine Le Pen se retirerait-elle de la commande européenne des vaccins ?
Il faut totalement repenser notre stratégie sanitaire. Emmanuel
Macron joue sur les peurs pour imposer le Covid comme sujet principal
de l’élection et poursuit son absurde stratégie du « tout vaccinal »,
qui a pourtant déjà montré ses limites. Il faut permettre la vaccination
optimale des personnes à risque, celles qui sont susceptibles de développer des
formes graves – les séniors, les personnes en surpoids ou souffrant de comorbidités
– et, évidemment, tous ceux qui voudront être vaccinés, mais sans cet inique et
inutile pass, qui va mettre au ban de la société des millions de Français.
Ce qui implique que nous n’avons pas besoin des
milliards de doses commandées par Bruxelles, mal négociées, dans des conditions
opaques et que nous payons au prix fort. Plusieurs pays ont montré que, seuls,
ils étaient capables de négocier leurs doses de vaccin à un prix honnête.
Pourquoi la France ne le pourrait-elle pas ? L’Allemagne continue de
commander en son nom propre, par exemple, récemment encore, 80 millions de
doses du vaccin Valneva.
La commande européenne n’était
qu’une mise en scène d’une solidarité artificielle, totalement dispensable, qui
s’est faite au détriment de nos intérêts.
Vous dites aujourd’hui que les vaccins ont été payés au prix fort.
Or, quand on n’en avait pas, début 2020, la critique était inverse : les
détracteurs de l’Union pensaient qu’elle n’avait pas payé assez cher les
vaccins, raison pour laquelle elle était servie moins vite… La critique s’est
effondrée depuis devant la réalité : l’Europe est le continent le plus
vacciné et le premier producteur mondial. Faut être juste.
Je pense, pour ma part, que la commande européenne n’était
qu’une mise en scène d’une solidarité artificielle, totalement dispensable, qui
s’est faite au détriment de nos intérêts. Réduisons les coûts, réduisons le
volume des commandes et ajustons-les à nos besoins réels.
Mais que fait-on de l’Afrique, dans ce cas ? Si on laisse les
pays les plus pauvres sans vaccins, ils feront circuler le virus,
multiplieront les variants et finiront pas nous les envoyer un par
un, ad vitam…
Il faut bien sûr aider les pays d’Afrique à acquérir les vaccins
dont ils ont besoin et faire en sorte qu’ils puissent en bénéficier à coût
modique. Mais force est de constater que l’Afrique est moins durement touchée
que l’Europe par le Covid, sans doute en raison de sa pyramide des âges. D’une
manière générale, l’intérêt de l’Europe est d’apporter un soutien économique à
l’Afrique et de contribuer au développement de ce continent – infrastructures
routières, électrification, télécommunications, etc. –, mais toutes les
aides doivent être conditionnées à un vrai contrôle des flux migratoires.
Présidence
française de l’UE : pourquoi Macron mise sur l’Afrique
Sur
le pacte vert , soutenez-vous Emmanuel Macron qui ne souhaite pas que le
marché du carbone européen soit étendu aux transports et au logement car cela
grèverait directement le budget des ménages ?
Il y a deux problèmes de fond. Tout d’abord, les ménages français
sont absolument écrasés d’impôts. Nous avons un taux de prélèvements
obligatoires qui frise les 45 % du PIB, l’un des plus élevés au monde. Il
est évident qu’il faut cesser ce matraquage fiscal et épargner tant les
transports que les logements, il faut réduire le nombre de taxes et réduire
leur taux.
Mais ce marché du carbone aurait tout de même des conséquences
puisque les produits importés coûteraient plus cher et impacteraient d’autant
le budget des ménages. Sans réindustrialisation en Europe, sans production
locale, ce mécanisme, même en exonérant les transports et le logement,
ne pourra que peser lourdement sur les Français.
Pacte vert
pour l’Europe : « Ces 50 lois qui vont faire le Green
Deal »
Ce qui m’amène au deuxième problème : le pacte vert est
une folie qui tuera un peu plus notre industrie en imposant des normes
totalement excessives (et donc autant de coûts supplémentaires pour nos
entreprises, nos industries, nos agriculteurs, etc.), et ce, alors que
l’UE est déjà la zone la plus écologique de la planète. C’est d’ailleurs
particulièrement vrai pour la France. Je ne parle même pas du prisme
« carbone », qui est l’alpha et l’oméga de ces discussions, alors que
l’écologie réelle est bien plus complexe.
Macron et Bruxelles croient qu’ils peuvent imposer nos normes
écologiques au reste du monde, qu’il faut montrer l’exemple et que les autres
nous imiteront. Cette approche candide est un désastre absolu, comme le
démontre la politique commerciale européenne qui érige le libre-échange en
dogme intouchable. Le reste du monde se protège et nous livre une concurrence
déloyale en piétinant nos normes. Il est indispensable de mettre en place un
protectionnisme intelligent et une stratégie sérieuse de localisme. Un marché
commun n’a de sens que s’il est efficacement protégé !
Vous êtes favorables à une Europe de la coopération. Justement, il
existe des coopérations à géométrie variable, les PIEC. La France veut faire
aboutir ces coopérations sur l’hydrogène, l’électronique, la santé et le cloud.
Maintiendriez-vous ces projets ?
Le cœur de notre projet d’Europe des nations et des coopérations
est la subsidiarité : tout ce qui peut être décidé et mis en œuvre au
niveau local doit l’être ; tout ce qui nécessite un niveau supérieur
de décision et d’exécution peut être librement délégué. Les grands projets
peuvent être menés ensemble par les pays qui le veulent. Tant qu’il n’y a pas
de coercition ni d’uniformisation, mais des partenariats librement consentis
par les États et bénéfiques pour tous, nous n’avons aucune raison de nous y
opposer.
Ce modèle est donc l’exact opposé de la construction
uniformisatrice « par le haut » imposée par Bruxelles, que Macron
encourage chaque fois qu’il le peut. Les PIEC sont un bon modèle, nous
voudrions qu’il y en ait plus ; Emmanuel Macron, lui, veut en faire des
exceptions, lorsque le centralisme à marche forcée ne fonctionne pas. Sa
logique est l’inverse de la nôtre.
Valérie Pécresse annonce qu’elle remettra en cause l’accord avec
les Allemands sur l’avion de combat du futur et le char de combat, considérant
que Dassault et l’emploi en France n’ont pas été assez défendus. Que
feriez-vous de cet accord ?
Cet accord est une folie qui revient à transférer, sans la moindre
contrepartie, nos technologies et nos compétences à l’Allemagne. Dassault est
parfaitement capable de concevoir et d'assembler cet avion seul. Derrière
l’accord se devine la naïveté de Macron qui est prêt à sacrifier les intérêts
français car il croit pouvoir détacher l’Allemagne des États-Unis.
La doctrine militaire allemande n’a pas varié depuis des
décennies : pour Berlin, la défense de l’Europe, c’est l’Otan. L’ancienne
ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer, ex-dauphine de
Merkel, l’avait publiquement et sèchement rappelé à Macron. D’ailleurs, en
avril 2020 encore, l’Allemagne achetait 93 Eurofighter et…
45 F-18 américains. La nouvelle coalition allemande est exactement sur la
même ligne.
La plupart des autres pays européens achètent du matériel
militaire américain au lieu de privilégier le matériel européen, pourtant
souvent d’excellente qualité. La défense et l’autonomie stratégique européennes
sont des chimères macronistes, dont personne ne veut réellement. Macron
avait déclaré que l’Otan était en état de mort cérébrale, mais il n’en
tire pas les vraies conséquences. Il faut totalement repenser l’alliance
atlantique, qui n’a plus de sens depuis la fin de la guerre froide. Valérie Pécresse
a beau jeu de dénoncer cet accord : sur le fond, elle s’alignerait elle
aussi sur Washington, comme le fit Nicolas Sarkozy.
Il n’y a pas de bataille, de
concurrence mémorielle en Europe, il n’y a que des nations et des peuples avec
leurs identités, leurs mémoires et leurs traditions propres.
Quelle est la position du Rassemblement national sur le projet
d’Emmanuel Macron de proposer à nos partenaires la mise en place d’un comité
indépendant d’historiens pour créer un récit commun de l’histoire européenne et
en finir avec les batailles de mémoire en Europe ?
Cette idée illustre parfaitement la vision politique de Macron. La
nôtre est totalement différente : l’histoire est le fruit de récits
nationaux, l’expression du ressenti particulier de chacun de nos peuples.
Vouloir les abolir et les fondre dans un grand ensemble revient à nier le vécu
de nos ancêtres, c’est une approche postnationale de l’histoire, qui fait fi du
passé. Il n’y a pas de bataille, de concurrence mémorielle en Europe, il n’y a
que des nations et des peuples avec leurs identités, leurs mémoires et leurs
traditions propres.
La Grèce a-t-elle eu besoin de créer un « récit commun »
pour gommer la rivalité historique entre Athènes et Sparte lors de la guerre du
Péloponnèse ? Le récit commun est celui qui se construit aujourd’hui, mais
sans oublier un passé fait de points de vue différents. Cette volonté de faire
table rase du passé est inquiétante et trahit une conception du monde
totalement déracinée.
Par ailleurs, ces « comités indépendants » sont souvent
des usines à gaz, rarement indépendantes et au résultat contestable comme nous
l’avons encore récemment vu avec le rapport Stora sur la guerre d’Algérie. Enfin,
c’est la porte ouverte à l’élaboration d’un récit officiel, incontestable,
orientant ou bloquant le travail des historiens en restreignant la liberté
d’expression. Ça n’est pas ainsi que l’on doit appréhender l’histoire.
Le récit européen doit se fonder autant sur nos rivalités passées
que sur ce que nous avons en commun, à savoir l’héritage culturel de la
civilisation européenne, fille de la Grèce, de Rome et du christianisme, une
sensibilité artistique qui nous est propre – représentation, polyphonie… –, des
échanges scientifiques et économiques intenses, des combats parfois menés
ensemble, et surtout un être au monde spécifiquement européen qui nous
rassemble autant qu’il nous distingue des autres. Tout cela existe, dans
chacune de nos nations et chacun de nos peuples : il ne faut pas le
« créer », mais l’affirmer avec fierté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire