La
bataille secrète de Notre-Dame
Le projet
de restauration de la cathédrale lancé par Emmanuel Macron est devenu un
casse-tête politique. Enquête.
Nous
rebâtirons la cathédrale, plus belle encore, et je veux que cela soit achevé
d’ici cinq années. » Pronom personnel, calendrier serré et ambition esthétique,
le triptyque du chef de l’Etat, prononcé la nuit où Notre-Dame luttait contre
les flammes, a consolé les Français, soucieux de panser vite ses plaies. Il
enclencha aussitôt un phénoménal imbroglio de ressentiments, de vexations et de
jalousies, qui ne cesse depuis lors d’enfler ; à tel point qu’on se demande par
quel paradoxal miracle notre pays est capable de transformer une telle concorde
nationale en une si confuse discorde administrativo-politique. « On ne sait pas
qui pilote, la chaîne de hiérarchie est totalement embrouillée, et les sommes
d’argent qui sont en jeu rendent tout le monde dingue », soupire, deux mois
après le drame, un intervenant du chantier. Pour comprendre comment on en est
arrivé là, examinons la chronologie.
Quelques heures après avoir énoncé son ambition, le chef de l’Etat
convoque le général cinq étoiles Jean-Louis Georgelin,
un chef autoritaire, qui s’adresse à ses interlocuteurs par leur nom de
famille, rappelant aux plus anciens d’entre eux les charmes virils de la garnison.
Georgelin accepte l’ordre de mission, le militaire est un patriote, un croyant
et un commandant. Le lendemain, Emmanuel Macron, seul à
la manœuvre, présente en conseil des ministres ses trois choix : un
représentant spécial, la cathédrale réparée en cinq ans et une loi « encadrant
la restauration et la conservation » de l’édifice adoptée dans les meilleurs
délais. Le premier point – nommer un représentant spécial – n’a pas
déplu à tous. Le général, habitué des manœuvres guerrières, dispose de quelques
aptitudes pour diriger le champ de mines de l’île de la Cité, mais n’est à
l’évidence ni un architecte ni un médiéviste. Est-il pour autant « une grosse
erreur de casting », comme l’affirment certains ? « Il a été désigné, nous
n’avons pas à avoir d’avis sur ce choix, nous travaillons ensemble », déclare
Philippe de Cuverville, directeur général des affaires économiques du diocèse. «
Quand il était grand chancelier, il a fait restaurer l’hôtel de Salm [le palais
de la Légion d’honneur] ainsi qu’une des ailes de l’abbaye royale de
Saint-Denis. Cela ne fait pas de lui un professionnel du patrimoine, mais
enfin, c’est un homme extrêmement cultivé et droit, approuve Alexandre Gady,
historien de l’art et président de l’association Sites & Monuments. Entre
les déclarations intempestives d’Emmanuel Macron et l’atonie du ministère de la
Culture, à vrai dire, Georgelin, ce fut même la seule bonne nouvelle de
cette semaine noire. »
Armes. Pour Franck Riester, en revanche,
cette nomination est une gifle. La découvrant en conseil des ministres, il
s’étrangle. Un général à la tête du chantier patrimonial le plus énorme, le
plus emblématique de la présidence Macron ? Le désaveu est cinglant pour le
ministre de la Culture, dont la hasardeuse évocation d’un « transept ouest » à
Notre-Dame fait encore rire dans Paris.
Le président de la République contourne effectivement la voie régulière, car le
dossier aurait dû revenir au Centre des monuments nationaux (CMN) et à la
Direction générale des patrimoines, sous l’égide de la Rue de Valois. Mais
l’Elysée se méfie du CMN, estimé trop lent, trop frileux. Surprenant
fonctionnement de notre pays, où la plus haute autorité de l’Etat croit
pertinent de s’affranchir des administrations consacrées quand il lui importe
d’avancer efficacement. Aussitôt, Franck Riester reçoit le général. Le
successeur de Jack Lang aurait pu faire part de son désappointement puis,
s’inclinant devant le choix du chef de l’Etat, s’interroger sur les modalités
d’une entente. Il n’en est rien. Masquant peu son dépit, le ministre confie
redouter la colère de son administration. A d’autres proches il confiera : « Je
suis très agacé, il m’est impossible d’accepter que le ministère soit volé de
sa mission régalienne pour un de ses monuments emblématiques. Cela laisserait
une tache sur mon mandat et me priverait de toute autorité. » Certes, mais
comme le note Alexandre Gady, c’est aussi « la Direction du patrimoine qui
réussit la prouesse de refaire le Grand Palais deux fois en douze ans »,
preuve que la vénérable maison n’est pas toujours la plus douée pour mener des
chantiers complexes. De son côté, le Centre des monuments nationaux, dont le
président, Philippe Belaval, n’a pas souhaité nous répondre, ne manque pas
d’arguments pour plaider sa propre cause. Si Jean-Louis Georgelin a pour lui
l’énergie et l’adoubement présidentiel, le centre dispose de l’expertise
scientifique et technique. N’a-t-il pas mené la réfection du Mont-Saint-Michel
? Celle de la basilique Saint-Denis ? Cinq jours après l’incendie de
Notre-Dame, la situation est magnifique : un général d’armée dirige le chantier
de l’église, le ministre de tutelle, vexé, s’arc-boute, son administration,
furieuse, met la pression.
Les armes dégainées, le général Georgelin, installé à l’Elysée
dans l’ancien bureau de Sylvain Fort et épaulé par trois collaborateurs, reçoit
ses interlocuteurs. « Je suis le représentant spécial du président, il
m’importe d’apaiser les relations avec ceux qui ne sont pas à l’aise avec ma
nomination et d’obtenir les moyens d’accomplir ma mission. » Les moyens,
justement. On a beau se rendre tous les matins rue du Faubourg-Saint-Honoré,
cela ne suffit pas. Il faut un budget, une équipe, un cadre. C’est pourquoi
Macron exige dans la foulée l’adoption d’une loi spécifique. Un empressement
qui n’a pas l’heur de plaire à l’ami du président, le M. Patrimoine Stéphane
Bern. « Depuis 1941, je n’aime pas les lois d’exception. Une loi qui piétine
toutes les protections du patrimoine, on ne peut pas faire pire. Quel signal
cela adresse-t-il à tous les maires de France, à tous les propriétaires des
monuments historiques ? Allez-y, on s’en moque, la législation du patrimoine,
même l’Etat ne la respecte pas. » La loi, aujourd’hui en discussion en
commission mixte paritaire, prévoit en effet dans son article 9 que le
gouvernement procédera par ordonnances afin de déroger aux Codes du patrimoine,
de l’environnement, des marchés publics. Là encore, étrange contournement des
règles juridiques de notre Etat de droit par l’Etat lui-même. Ainsi dite,
l’intention scandalise. « Pour reconstruire la Fenice, l’Opéra de Venise, les
Italiens se sont affranchis du Code des marchés publics. Celui qui dirigeait
l’opération s’est retrouvé condamné par la Cour européenne. Le risque est
connu. Le général Georgelin finira-t-il devant la justice européenne ? » se
demande Stéphane Bern.
Exception. En coulisses,
en revanche, d’autres approuvent ce passage en force. Le jeudi précédant
l’incendie, les seize statues de la flèche étaient déposées pour partir en
réfection dans un atelier. Pour cette simple opération, la Direction régionale
des affaires culturelles dut négocier jusqu’à l’épuisement avec la ville et la
voirie. Des semaines de tractations, de paperasses, de tampons, de signatures,
de délais de recours pour sept petites heures de fermeture de la rue du Cloître
permettant l’installation de la grue. « Alors, si on ne déroge pas à certaines
règles, comment voulez-vous qu’on avance sur le chantier qui s’annonce ?
» s’inquiète l’un de ces négociateurs.
Franck Riester, ironiquement contraint de défendre une loi le dépossédant,
feint de partager cette analyse. « A sujet exceptionnel mesures
exceptionnelles. Il ne s’agit pas de contourner les grandes règles auxquelles
nous sommes attachés, mais de voir si, pour certaines procédures, la
restauration exemplaire n’exige pas de la spécificité. »
Adoptée en première lecture par l’Assemblée, la loi fut discutée
le 26 mai au Sénat. Elle en ressortit passablement amputée. Chef de file
de l’opposition sénatoriale, Bruno Retailleau, patron du groupe LR, s’indigne
qu’on « envisage une législation d’exception. Pourquoi sortir des cadres
habituels ? Il est demandé des dérogations aux règles communes, sans même que
soit posé sur la table ce à quoi on va déroger. Je désapprouve, en outre, cette
attaque sans précédent contre le ministère de la Culture, contre nos
architectes des Bâtiments de France, et tout cela pour satisfaire l’hubris
présidentiel ».
La flèche de la discorde
En proposant un concours d’architectes pour refaire la flèche de
Notre-Dame disparue dans les flammes, le président imaginait-il les querelles
qu’il allait provoquer ? Si Franck Riester refuse de donner son avis, d’autres
ne se privent pas de crier haut et fort leur préférence. Dans Le Figaro,
Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques et
responsable de la restauration de la cathédrale depuis 2013, plaide pour « une
flèche à l’identique ». Une position qui agace Jean-Louis Georgelin. « Quand on
est responsable, on n’a pas à prendre position ! » a tonné en petit comité le
représentant spécial de Macron pour la reconstruction de l’édifice.
Diable. Outre
l’article 9, l’article 8 hérisse. Il habilite le gouvernement à
prendre par ordonnance, dans un délai de six mois, toute mesure ayant pour
objet la création d’un établissement public à caractère industriel et
commercial (Epic) « aux fins de concevoir, de réaliser et de coordonner les
travaux de restauration et de conservation de la cathédrale et de son mobilier ».
L’idée de l’Epic aurait été soufflée au chef de l’Etat par Jack Lang, mais le
diable, même autour des cathédrales, se cache dans les détails. Cet Epic
Notre-Dame serait la structure de base de Jean-Louis Georgelin, qui l’attend
avec impatience ; il aurait ainsi les mains libres. Mais sera-t-il ou non sous
l’égide du ministre de la Culture ? Au sein du diocèse de Paris, on confie
toutefois quelques inquiétudes. Pourquoi est-il écrit que l’Epic s’occupera «
de conservation » de la cathédrale ? Pourquoi l’Epic n’a-t-il pas une durée de
vie limitée à celle du chantier ? Pourquoi la loi de 1905 n’est-elle pas
rappelée en préambule ? Certains responsables catholiques redoutent que, via
l’Epic, un statut nouveau et pérenne soit donné à Notre-Dame. Celle-ci, à l’instar
de toutes ses sœurs françaises, est la propriété de l’Etat, l’Eglise en étant
l’affectataire perpétuel. Or il est prévu que la gouvernance de l’Epic soit
composée de membres du clergé, mais également de l’Etat et de la ville. Si
l’Epic ne s’arrête jamais, est-ce à dire que dorénavant la tutelle de l’Eglise
ne sera plus maîtresse en ce lieu de culte ? En décernant à l’Epic des missions
au-delà de la restauration, que veut faire l’Etat de ce monument religieux, qui
est aussi un monument touristique ? Jusqu’à l’incendie du 15 avril,
Notre-Dame était gérée par l’Eglise, en dehors du CMN, qui, lui, dispose de la
tour nord et encaisse l’entrée payante. Si l’établissement public s’installe
durablement, cette gouvernance pourrait être tentée d’assigner au bâtiment
d’autres missions, lucratives. La vente d’un tiers de l’Hôtel-Dieu, voisin
direct, à un promoteur afin d’y créer « un incubateur biotech/medtech, un
espace de travail partagé, une galerie commerçante et un restaurant
gastronomique », dévoile un dessein pour l’île de la Cité. Notre-Dame, son
parvis pourraient-ils demain être englobés dans une refonte contemporaine ? «
Nous sommes favorables à ce qu’un établissement public soit créé pour la durée
de tout le chantier, mais que, celui-ci achevé, on en revienne à la situation
ex ante », observe Christophe- Charles Rousselot, délégué général de la
Fondation Notre-Dame. L’économe Philippe de Cuverville et l’archevêque Aupetit
ont, dans cet esprit soucieux, récemment rencontré le Premier ministre, Edouard
Philippe, pour lui rappeler leur attachement à une application stricte de la
loi de 1905. Notre-Dame est certes « une part du destin français », comme l’a
souligné le président, mais « elle est, jusqu’à nouvel ordre, une église. Pas
un musée ni un espace déambulatoire. Je rappelle à ceux qui s’interrogent sur
sa nature que cathédrale vient du mot cathèdre, qui signifie siège de l’évêque
», ajoute Philippe de Cuverville. L’incendie du siège de l’évêque n’est pas
fini. Et ses fumerolles font tousser Paris§
Fallait-il
arrêter les dons ?
Alors que la voûte est encore instable et que le plomb fondu fait
courir des risques d’intoxication à ceux qui s’approcheraient de la cathédrale
sans masque, les visiteurs de marque se pressent à Notre-Dame. Après Justin
Trudeau à la mi-mai, le 8 juin, le président du CIO, Thomas Bach, le
Premier ministre suédois, Stefan Löfven, ainsi que la présidente de la Chambre
des représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, suivie par des sénateurs
américains, ont souhaité pénétrer dans le fragile monument. Des demandes
difficiles à refuser vu le montant des dons annoncés par certains d’entre eux
(le CIO a ainsi promis 500 000 euros). Et qui sont parfois l’occasion de
mesurer les différences culturelles, notamment entre la France et les
Etats-Unis. Dans la cathédrale, Pelosi a adressé à Mgr Chauvet cette requête,
impensable de la part d’un responsable politique français : « Nous allons dire
une prière et je vous demande de nous bénir. »
Le 15 juin, Notre-Dame accueillera même une messe pour
l’anniversaire de la Dédicace de Notre-Dame, réservée à une poignée de privilégiés.
Souhaitée par le diocèse et Mgr Aupetit, la cérémonie, qui se déroulera dans
une petite chapelle axiale, devait être discrète et ne réunir qu’une dizaine de
participants, mais elle sera finalement célébrée en présence des huit prêtres
en service à Notre-Dame, des chanoines, dont Mgr Chauvet, ainsi que des
ouvriers du chantier§ L. D.
Des services de l'état
et des fonctionnaires bornés, comme par exemple le ministre de la culture et
jusqu'au plus haut de l'état par le président lui-même qui voulait que ces
réparations et restauration soit faites relativement rapidement en 5 ans !
Tout ce monde de bien-pensant
divers bien trop nombreux ne vont que palabrer sans fin comme d'habitude et çà
cela rallongera bien plus le temps des réparations et restauration de cet
édifice religieux du moyen-nage de l'histoire de FRANCE et dans le cœur des
français, car cela leur appartient et que c’est leur patrimoine (avec
d'autres qui se délabre à cause de manque de moyens ou de volontés de nos
dirigeants de tous bords !)
Tout comme pour les
fonds soi-disant trop important récoltés ou dont beaucoup ne seraient pas arrivés,
ce qui laisse penser à des effets d'annonces de certains pour se mettre en
avant et dont d'autres qui n'ont rien fait de mieux que de les stopper en
disant aux éventuels donateurs de ne plus en faire pour les travaux de la
Cathédrale Notre Dame de PARIS, car il y avait assez de dons encaissés (avant
de les avoir reçus effectivement ?!)
Là, cela représente
bien comment notre pays est devenu, dirigé par des bobos « coupeurs de
cheveux en quatre » englués dans ces procédures administratives
kafkaïenne !
Il n'y a pas de quoi
être fier des autorités diverses qui gouvernent notre pays et ne pas s'étonner
pourquoi, sur bien de sujets importants, le pays n'avance pas, voire régresse !
Jdeclef 14/06/2019
13h56LP
