CRITIQUES DE BON SENS: Commentaires d'articles de presse sur fait de société ou politique du monde
vendredi 14 juin 2019
C'était couru d'avance dans le pays des polémiques et querelles politiciennes stériles avec bla-bla sans fin !
La
bataille secrète de Notre-Dame
Le projet
de restauration de la cathédrale lancé par Emmanuel Macron est devenu un
casse-tête politique. Enquête.
Nous
rebâtirons la cathédrale, plus belle encore, et je veux que cela soit achevé
d’ici cinq années. » Pronom personnel, calendrier serré et ambition esthétique,
le triptyque du chef de l’Etat, prononcé la nuit où Notre-Dame luttait contre
les flammes, a consolé les Français, soucieux de panser vite ses plaies. Il
enclencha aussitôt un phénoménal imbroglio de ressentiments, de vexations et de
jalousies, qui ne cesse depuis lors d’enfler ; à tel point qu’on se demande par
quel paradoxal miracle notre pays est capable de transformer une telle concorde
nationale en une si confuse discorde administrativo-politique. « On ne sait pas
qui pilote, la chaîne de hiérarchie est totalement embrouillée, et les sommes
d’argent qui sont en jeu rendent tout le monde dingue », soupire, deux mois
après le drame, un intervenant du chantier. Pour comprendre comment on en est
arrivé là, examinons la chronologie.
Quelques heures après avoir énoncé son ambition, le chef de l’Etat
convoque le général cinq étoiles Jean-Louis Georgelin,
un chef autoritaire, qui s’adresse à ses interlocuteurs par leur nom de
famille, rappelant aux plus anciens d’entre eux les charmes virils de la garnison.
Georgelin accepte l’ordre de mission, le militaire est un patriote, un croyant
et un commandant. Le lendemain, Emmanuel Macron, seul à
la manœuvre, présente en conseil des ministres ses trois choix : un
représentant spécial, la cathédrale réparée en cinq ans et une loi « encadrant
la restauration et la conservation » de l’édifice adoptée dans les meilleurs
délais. Le premier point – nommer un représentant spécial – n’a pas
déplu à tous. Le général, habitué des manœuvres guerrières, dispose de quelques
aptitudes pour diriger le champ de mines de l’île de la Cité, mais n’est à
l’évidence ni un architecte ni un médiéviste. Est-il pour autant « une grosse
erreur de casting », comme l’affirment certains ? « Il a été désigné, nous
n’avons pas à avoir d’avis sur ce choix, nous travaillons ensemble », déclare
Philippe de Cuverville, directeur général des affaires économiques du diocèse. «
Quand il était grand chancelier, il a fait restaurer l’hôtel de Salm [le palais
de la Légion d’honneur] ainsi qu’une des ailes de l’abbaye royale de
Saint-Denis. Cela ne fait pas de lui un professionnel du patrimoine, mais
enfin, c’est un homme extrêmement cultivé et droit, approuve Alexandre Gady,
historien de l’art et président de l’association Sites & Monuments. Entre
les déclarations intempestives d’Emmanuel Macron et l’atonie du ministère de la
Culture, à vrai dire, Georgelin, ce fut même la seule bonne nouvelle de
cette semaine noire. »
Armes. Pour Franck Riester, en revanche,
cette nomination est une gifle. La découvrant en conseil des ministres, il
s’étrangle. Un général à la tête du chantier patrimonial le plus énorme, le
plus emblématique de la présidence Macron ? Le désaveu est cinglant pour le
ministre de la Culture, dont la hasardeuse évocation d’un « transept ouest » à
Notre-Dame fait encore rire dans Paris.
Le président de la République contourne effectivement la voie régulière, car le
dossier aurait dû revenir au Centre des monuments nationaux (CMN) et à la
Direction générale des patrimoines, sous l’égide de la Rue de Valois. Mais
l’Elysée se méfie du CMN, estimé trop lent, trop frileux. Surprenant
fonctionnement de notre pays, où la plus haute autorité de l’Etat croit
pertinent de s’affranchir des administrations consacrées quand il lui importe
d’avancer efficacement. Aussitôt, Franck Riester reçoit le général. Le
successeur de Jack Lang aurait pu faire part de son désappointement puis,
s’inclinant devant le choix du chef de l’Etat, s’interroger sur les modalités
d’une entente. Il n’en est rien. Masquant peu son dépit, le ministre confie
redouter la colère de son administration. A d’autres proches il confiera : « Je
suis très agacé, il m’est impossible d’accepter que le ministère soit volé de
sa mission régalienne pour un de ses monuments emblématiques. Cela laisserait
une tache sur mon mandat et me priverait de toute autorité. » Certes, mais
comme le note Alexandre Gady, c’est aussi « la Direction du patrimoine qui
réussit la prouesse de refaire le Grand Palais deux fois en douze ans »,
preuve que la vénérable maison n’est pas toujours la plus douée pour mener des
chantiers complexes. De son côté, le Centre des monuments nationaux, dont le
président, Philippe Belaval, n’a pas souhaité nous répondre, ne manque pas
d’arguments pour plaider sa propre cause. Si Jean-Louis Georgelin a pour lui
l’énergie et l’adoubement présidentiel, le centre dispose de l’expertise
scientifique et technique. N’a-t-il pas mené la réfection du Mont-Saint-Michel
? Celle de la basilique Saint-Denis ? Cinq jours après l’incendie de
Notre-Dame, la situation est magnifique : un général d’armée dirige le chantier
de l’église, le ministre de tutelle, vexé, s’arc-boute, son administration,
furieuse, met la pression.