André Brahic
: l'astronome qui savait parler à l'oreille des Terriens
Voilà un an,
Brahic nous accordait une interview où il débordait de projets. La
constellation du cancer l'a malheureusement enlevé à la Terre.
L'enthousiasme ! C'est le premier
mot qui s'impose en pensant à André Brahic. C'était un être passionné qui
paraissait immortel. Nous l'avions rencontré l'an dernier dans son bureau du
CEA à Saclay. Il avait 72 ans, et pourtant on aurait dit un gamin de dix ans
débordant de rêves et de projets. C'était la passion à l'état pur. Et une
tchatche ! Impossible de l'interrompre après la première question. Le
voilà parti dans un déluge d'explications, de plaisanteries et de gentillesse.
Trois heures plus tard, on sortait de son bureau ayant l'impression de tout
avoir compris au ciel et aux étoiles.Le premier acte de gloire Brahic, astrophysicien au CEA et professeur à l'université Paris-Diderot, est d'avoir établi le modèle dynamique des anneaux de Saturne, sur lequel, avant lui, les plus grands savants, comme Henri Poincaré, James Maxwell ou Pierre-Simon de Laplace, s'étaient cassé les dents. Le second fut d'avoir découvert en 1984 l'existence des anneaux et des arcs de Neptune, qu'il nomme Liberté, Égalité, Fraternité. C'est le pionnier de la planétologie française. En 1991, les Américains sont venus le chercher pour l'embarquer dans le programme de la sonde Cassini, lancée vers Saturne. Même si plusieurs universités américaines lui ont fait des ponts d'or, il était resté profondément attaché à sa vielle France, patrie de la gastronomie et de l'amour.
Il croyait tellement en la science qu'il la croyait capable de tout résoudre : la violence comme la crise écologique ou encore la surpopulation humaine. Il se croyait aussi éternel. La retraite ? Inconnue. Il aimait répéter en se marrant : « Je milite pour l'abolition de la retraite. J'ai voulu faire une manifestation : j'étais seul dans la rue. » Malgré ses 74 ans, il continuait sa ronde infernale autour du monde pour poursuivre ses travaux, collaborer avec de nombreuses universités, donner des conférences où il excellait. Assister à un show de Brahic valait tous les one man show. Personne comme lui pour raconter l'univers avec un déluge d'anecdotes désopilantes. C'était Louis de Funès racontant les étoiles. Le public était plié de rire et ressortait en ayant enfin compris le mystère de l'univers. C'était un génie, mais un génie ouvert sur les autres. Aussi, quand l'annonce de sa mort nous est tombée dessus dimanche, impossible d'y croire. Pas lui. Pas cet homme si vivant, si passionné, qui disait avoir encore du boulot jusqu'en 2057. Saloperie de cancer.
En février 2015, André Brahic nous parlait des jeunes, de la science, de la vie. Passionnant.
Le Point : Quels conseils donner à tous ces jeunes qui veulent entamer une carrière de scientifique ?
André Brahic : Lorsque j'étais jeune, j'ai eu une chance extraordinaire de rencontrer des scientifiques possédés par une passion pour la recherche qui ont su me la communiquer. Ils avaient un charisme extraordinaire. Du coup, j'ai envie de dire aux jeunes de faire la même chose : rencontrez des gens extraordinaires ayant beaucoup de charisme. C'est valable dans la science, mais aussi dans toutes les disciplines : le sport, la musique, le journalisme... La rencontre de gens vous infusant la passion est fondamentale. Ensuite, il ne faut pas hésiter à rejoindre les meilleurs dans sa discipline. C'est comme au tennis, si vous jouez avec des joueurs meilleurs que vous, c'est dur pour votre ego, mais vous progressez. Une des chances de ma vie a été d'aller voir les meilleurs du monde dans mon domaine, ceux qui brisaient les lois.
C'est-à-dire ?
Par nature, tous les individus sont conservateurs. En gros, on vous a appris des choses durant votre enfance, c'est extrêmement difficile de vous en débarrasser. On a tendance à garder les idées qu'on a eues jeune, ou au contraire de se révolter contre. Mais de toute manière, on n'est pas neutre par rapport à cela. C'est pareil en science. Rien de plus douloureux que de remettre en cause ce que l'on vous a appris, car cela déstabilise. Or, je suis frappé que, depuis deux millénaires, toutes les grandes découvertes de l'humanité ont été faites contre l'opinion de la majorité. Par exemple, quand Démocrite dit : Le monde est fait d'atomes qui se transforment, il se fait contester par ses contemporains. Il reste minoritaire. Quand Aristarque de Samos affirme que la Terre tourne autour du Soleil, il est considéré comme un crétin fini. Du reste, on met 1 500 ans pour retrouver la même idée. Quand Galilée assure que la Terre tourne, quand Giordano Bruno écrit que les étoiles sont des soleils lointains, on le brûle. Quand Darwin dit que l'homme n'est pas né tel quel, mais évolue, ça fait scandale.
Il suffit d'être contre pour avoir raison ?
Je ne suis pas en train de dire que les minoritaires ont toujours raison. Mais il faut être conscient du fait que toute grande découverte, toutes les avancées se sont produites contre un consensus général. L'image que j'ai de la science est la suivante : imaginez des explorateurs partant découvrir une terre nouvelle. Les voilà devant une jungle. Chacun possède un coupe-coupe, et chacun part dans une direction. Ils explorent. Le premier passe des années dans la jungle pour finir dans une impasse. Il fait demi-tour et met un panneau de sortie où il inscrit : « Ceci n'est pas la bonne direction. N'essayez pas, je l'ai fait, cela ne marche pas. » Pareil pour la plupart des autres explorateurs : eux aussi se ramassent. Et puis, de temps en temps, il y a un bonhomme qui parvient à franchir la jungle et à trouver la terre recherchée. Celui-là, il s'appelle Galilée, Einstein ou Darwin.
Qu'est-ce qui freine la recherche française ?
En France, le problème de la recherche est moins celui du financement que celui de la bureaucratie. Ce qui m'a le plus manqué dans la vie, c'est le temps, pas l'argent. Actuellement, le temps des chercheurs est mangé par des tâches bureaucratiques. Il faut remplir des kilos de dossiers. L'erreur énorme de la France, et de certains autres pays, c'est la mise en place d'une machine bureaucratique colossale pour vérifier que l'argent du contribuable a bien été dépensé. Chaque labo passe trop de temps à trouver des crédits. Par ailleurs, les comités qui distribuent l'argent sont constitués de scientifiques qui ont, en général, plutôt réussi, et donc qui n'ont pas envie que d'autres chercheurs viennent bouleverser les connaissances. La conséquence, c'est que pour décrocher de l'argent, le scientifique a parfois tendance à se contenter de pousser un peu plus loin les travaux de ses prédécesseurs, et à ne pas se lancer dans une voie trop novatrice. Autrement dit, le système actuel garantit qu'on ne fera aucune découverte.
Je me suis amusé à prendre le dossier de quelques collègues qui ont bien réussi comme Galilée et Einstein. Si, aujourd'hui, ces deux-là avaient demandé à l'Europe, à la France, à une université ou au CNRS de les financer, leur demande aurait été bien évidemment rejetée. Pour deux raisons : publication insuffisante et sujet trop risqué. Actuellement, je prétends que les chercheurs français ne font plus de recherche, ils font du papier. Actuellement, il y a des comités qui vont juger un chercheur au nombre d'articles publiés. Pourtant ceux-ci sont bourrés d'erreurs, mais on s'en fout. C'est comme si on donnait le prix Nobel de littérature aux auteurs de la littérature de gare (ou à l'eau de rose). C'est une aberration.
Revenons à la formation des jeunes chercheurs français. Là encore, vous êtes critique.
Supposons que vous soyez un élève brillant. Après votre baccalauréat, vous passerez environ cinq ans en préparation d'une grande école. À Bac + 8, vous soutiendrez votre thèse. Comme il n'y aura pas de poste pour vous, on vous enverra en postdoc. Probablement aux USA, en Angleterre ou en Chine. Encore trois ou quatre ans. À Bac + 11, vous n'avez toujours vécu que d'expédients. Vous vous portez alors candidat à un poste de chercheur. Imaginez que vous parvenez à vous en emparer à la barbe de vingt autres candidats brillants. Eh bien, vous êtes recruté avec un salaire qui est le smic plus 5 %. Du coup, beaucoup de jeunes gens brillants abandonnent la recherche pour un poste dans l'industrie. J'en vois aussi beaucoup partir aux États-Unis où ils gagnent trois fois plus que moi. Actuellement, la France finance la science du monde entier. Quant à moi, j'ai toujours trop aimé la gastronomie française pour m'exiler (éclats de rire). En tout cas, si aujourd'hui j'avais 22 ans, je ne deviendrais jamais chercheur.
Pourtant, il n'y a personne de plus enthousiaste que vous.
C'est vrai, je pratique le plus beau métier du monde, car la science tente de répondre à des questions philosophiques fondamentales : qu'est-ce qu'on fait là ? Y a-t-il une autre vie dans l'univers ? Comment tout cela a-t-il démarré ? J'essaie d'y contribuer. J'apporte quelques réponses. Je suis enseignant. Si vous êtes chercheur sans enseigner, vous devenez autiste. Vous avez un langage qui est compris par quatre personnes dans le monde.
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Un scientifique passionné et passionnant
tout en étant sympathique qui savait expliquer les mystères de l'univers et
faire rêver !
Disparu trop tôt hélas !
Jdeclef
16/05/2016 12h45
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