mardi 3 septembre 2019

Que les hommes cessent de chercher des excuses sur leurs comportements envers les femmes, ce serait déjà une avancée, car il faut arrêter cette hypocrisie masculine !


Violences faites aux femmes : « Notre justice est encore trop patriarcale »

ENTRETIEN. Le « Grenelle des violences conjugales » s'ouvre ce mardi. L'avocate Anne Bouillon demande à la ministre de « bousculer la France des procureurs ».

Avocate au barreau de Nantes, Me Anne Bouillon s'est spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences. En lien avec plusieurs associations, elle conseille la Fédération nationale Solidarité-Femmes, qu'elle représente quand celle-ci se constitue partie civile. Elle a créé dans sa ville le collectif Rafu, qui dénonce dans l'espace public toutes les formes d'oppression de la femme. Alors que s'ouvre ce mardi 3 septembre, à Matignon, le « Grenelle des violences conjugales », cette juriste et militante, « très investie et donc très en colère », en appelle à « un changement radical des mentalités ». Y compris au sein de l'appareil judiciaire.
Le Point : Cent féminicides, cent femmes mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur « ex » depuis le début de cette année : que vous inspire ce terrible bilan ?
Anne Bouillon : De la colère et de la frustration. Sous la froideur de ces statistiques, on lit que rien ne change, ou pas grand-chose, malgré nos luttes, nos prises de parole, nos indignations répétées, nos appels au secours... La frustration vient de cette intime conviction que l'on a tout ce qu'il faut pour faire reculer cette criminalité : des solutions ont été éprouvées, des méthodes ont été identifiées, des outils sont en place. Et pourtant, rien ne change. Ma colère se nourrit de cette frustration, face à ce qui n'est pas mis en œuvre et qui pourrait l'être.
Il faut changer de braquet et de paradigme


Le Grenelle des violences conjugales s'ouvre mardi à Matignon. Que peut-on attendre de cette vaste concertation, qui ne sera pas, promet Marlène Schiappa, la secrétaire d'État à l'égalité entre les hommes et les femmes, « un Grenelle des bons sentiments » ?
Je veux saluer cette initiative, qui est toujours bonne à prendre. Nommer les choses, dénoncer ce scandale et déclarer solennellement qu'on ne peut plus accepter ce qui se passe, c'est positif et je donne crédit à Marlène Schiappa de sa bonne volonté. Pour autant, il ne faudrait pas que ce « Grenelle » se limite à des effets d'annonce, sans politique ambitieuse et volontariste derrière, comme on a pu le constater en matière d'écologie. Cette rencontre est nécessaire, mais elle ne sera pas suffisante pour enrayer ce déferlement de violences auquel les femmes sont confrontées.
Mon regard se tourne vers la ministre de la Justice. J'attends d'elle qu'elle améliore les textes, qu'elle engage une révision législative complète, car certaines lois sont vraiment mal ficelées. J'attends aussi qu'elle donne un grand coup de pied dans la fourmilière des parquets, qu'elle bouscule la France des procureurs et qu'elle leur dise : saisissez-vous de ces dossiers, vraiment, et engagez une action publique forte et cohérente !


N'est-ce pas le cas ?
Non. En tout cas, l'action publique reste disparate. Bien sûr que des progrès ont été faits : les refus de prises de plainte, par exemple, sont devenus marginaux alors que c'était une tendance lourde il y a encore dix ans. Les choses évoluent, trop lentement toutefois. Il faut changer de braquet et de paradigme. La répression des violences faites aux femmes reste plus que jamais nécessaire, mais il faut mettre à présent le paquet sur le volet préventif : ne pas attendre que des femmes soient tuées pour agir, ne pas s'interroger sur les mesures de protection qui auraient pu être prises quand l'irréparable a été commis. Cette culture pénale, les parquets peinent à se l'approprier.
Pourquoi il faut créer l'infraction de féminicide


Comment l'expliquez-vous ?
On paie – et là, c'est la féministe qui parle – des siècles de domination masculine. Il y a encore, dans la culture judiciaire et policière, cette idée qu'un seuil de violence demeure acceptable. Cette approche subsiste aussi chez certaines femmes, qui se disent : mon mari m'insulte mais il n'est pas violent ; il ne veut pas que je sorte en jupe et me traite de pute mais il ne me veut pas de mal. Il faut que la société intègre qu'il n'y a pas de violences acceptables, qu'elles sont toutes dommageables.
Trois axes guideront ce « Grenelle » : la prévention, la prise en charge des victimes et la sanction des auteurs. Pensez-vous, comme Caroline de Haas (membre du collectif #NousToutes) que « ça n'a pas beaucoup de sens d'organiser une grande réunion de trois mois pour parler de solutions qu'on a depuis depuis ans » ?
Mon jugement est plus nuancé. Encore une fois, le fait que l'on prenne acte de la gravité de la situation et que l'on considère que tout doit être mis en œuvre pour que les violences cessent, en tout cas reculent, mérite d'être salué. Mais comme Carole de Haas, j'attends de voir ce qu'il en ressortira.
Nous autres, avocats, devons balayer devant notre porte
En matière de prévention, certains dispositifs existent mais sont sous-employés : le téléphone « grave danger », le bracelet électronique anti-rapprochement, les ordonnances civiles de protection…
Je suis convaincu qu'il y a tout ce qu'il faut pour agir dans le Code pénal : les injonctions de soins, l'éloignement contraint (des époux violents), les groupes de parole… Tout est là mais ces outils ne sont pas assez utilisés, en effet. En matière civile, quelques textes mériteraient d'être revus. Je pense aux ordonnances de protection, qui permettent aux juges aux affaires familiales de prendre certaines mesures en cas de violences avérées (résidence séparée, interdiction faite au mari d'entrer en contact avec l'épouse, autorisation accordée à l'épouse de dissimuler son adresse, encadrement des droits de visite aux enfants…), indépendamment de la procédure de divorce ou d'éventuelles poursuites pénales.
Ce dispositif législatif comporte une limite de taille : pour que l'ordonnance puisse être mise en œuvre, la loi impose que les violences exercées mettent le conjoint « en danger ». C'est là que le bât blesse ; je garde en mémoire tout un tas de situations où l'ordonnance de protection n'a pas été accordée au motif que cette condition cumulative (des violences qui mettent le conjoint « en danger ») n'était pas remplie. Que lit-on derrière ? L'idée que certaines violences exercées sur les femmes sont inoffensives, en tout cas pas suffisamment graves pour être prises en compte. Subir et se taire : voilà le message qui est envoyé et c'est désastreux.
Eh bien moi, je dis que cette condition qu'impose le Code civil est non seulement une aberration mais un danger ! En cas de refus, l'épouse ne se confiera plus, son époux se sentira animé d'un sentiment d'impunité totale. Une catastrophe.
Cette mesure est peu connue et rarement demandée…
C'est vrai et nous autres, avocats, devons balayer devant notre porte. Cette procédure est lourde, c'est vrai qu'elle est compliquée à mettre en œuvre mais, après tout, c'est notre boulot !
Grenelle des violences conjugales : la ficelle usée de Marlène Schiappa
Que se passe-t-il quand les mesures prises dans une ordonnance de protection ne sont pas respectées ?
Il s'agit d'un délit passible d'emprisonnement, mais, là encore, ces violations ne sont pas suffisamment sanctionnées. Souvenons-nous de la mort de Djénéba Bamia, mère de trois enfants assassinée par son mari. Elle avait bénéficié d'une mesure de protection qui intimait notamment à l'époux de déposer ses armes de chasse à la gendarmerie, ce qu'il n'a jamais fait. Il a été auditionné, mais personne ne lui a demandé de restituer ses fusils. L'effectivité des ordonnances de protection est un problème qui, pour le coup, concerne le parquet.
Le principe d'un bracelet anti-rapprochement (de l'époux violent), dès l'enquête préliminaire, est avancé par la chancellerie. Cette mesure de sûreté heurte-t-elle la juriste que vous êtes ?
Nullement. Des mesures de sûreté avant jugement, on en a plein, qui vont du contrôle judiciaire à la détention provisoire. Il faut savoir ce que l'on veut. Je préfère le préventif au curatif, surtout face à un fléau de cette ampleur. Il ne s'agit pas d'un épiphénomène criminel, c'est très grave, ce qui se passe ! L'idée n'est pas de mettre tout le monde sous bracelet électronique, mais quand des hommes ont posé un acte de violence, il n'y a pas à hésiter. Cette mesure doit être prise sous le contrôle d'un juge et limitée dans le temps : voilà les garanties que je vois, en termes de libertés publiques.
J'en appelle à un changement complet des valeurs et des mentalités
Faut-il mieux former les policiers et gendarmes ?
Il faut toujours se former. Il faut surtout changer d'état d'esprit. Voyez ce qui se fait au Québec, où le taux des violences faites aux femmes a chuté de moitié. Les médecins, les assistantes sociales, les associations ont à disposition un questionnaire qui leur permet d'évaluer précisément le risque de passage à l'acte. Quand les clignotants passent au rouge, des mécanismes tels que ceux que nous connaissons en matière de protection de l'enfance en danger se mettent en place : l'épouse est exfiltrée du foyer, le conjoint en est éloigné, on protège la victime. Nous devons aller vers cette culture de la protection.
Autre problème : la parole de la femme est encore trop souvent questionnée. On peut s'en féliciter : la présomption d'innocence doit prévaloir, mais ce n'est pas de ça dont je parle. Trop souvent subsiste l'idée diffuse qu'une femme qui vient dénoncer des faits de violence a en tête son propre agenda : elle veut la garde de ses enfants, obtenir le divorce, etc. Pour peu qu'elle s'y prenne mal, en s'exprimant avec des larmes et de la morve ou, au contraire, en restant mutique, et elle ne sera pas prise au sérieux.
Faut-il durcir encore l'arsenal répressif ?
Ce n'est pas ma demande.
S'agissant de la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales, les moyens sont-ils insuffisants, comme le pensent la plupart des associations de défense des femmes ?
Indéniablement. L'une des vertus du Grenelle, c'est qu'il sera compliqué, après ça, de refuser les moyens que réclament les associations qui font le boulot sur le terrain. Mais je ne voudrais pas que tout se résume à un problème d'argent. Nous sommes d'abord, et avant tout, face à un problème de société. Il n'y a pas de petites violences ; les femmes n'ont pas à les supporter : j'en appelle à un changement complet des valeurs et des mentalités.
Cassan - Féminicides, au-delà du meurtre conjugal
Doit-on agir aussi en milieu scolaire pour prévenir les comportements sexistes ?
Oui, bien sûr. Ma fille est au collège et je suis sidérée de voir ce qu'elle subit, à quel point les rapports de genre sont déjà établis, les assignations déjà définies. Mais il n'y a pas que l'école : l'entreprise, l'administration, la classe politique doivent faire leur aggiornamento. On ne va pas citer de noms, mais j'ai plein d'exemples en tête de comportements inacceptables, de la part d'hommes politiques qui devraient pourtant avoir l'exemple vertueux. Toutes les sphères de la société doivent se mobiliser et s'indigner.
Qu'avez-vous appris des affaires dont vous avez eu à connaître ?
Ce que je retiens, c'est que l'émancipation des femmes demeure en 2019 une question fondamentale. La domination masculine reste très forte ; nous avons besoin que des hommes s'engagent en faveur de l'égalité et, pour cela, ils doivent accepter de partager le pouvoir dont ils sont les détenteurs. L'institution judiciaire n'est pas épargnée par ce patriarcat qui continue d'infuser la société. Certains magistrats sont très mobilisés sur ces questions, j'en vois malheureusement qui se découragent.
Ce que j'ai appris de l'audience, c'est que la parole des femmes n'était pas suffisamment prise au sérieux alors qu'elle devrait être présumée de bonne foi. Je garde un souvenir amer de cette histoire : un éducateur s'était interposé entre une femme et son époux qui la menaçait avec un couteau. Il en est mort et la malheureuse, qui s'était vidée de son sang, n'a dû son salut qu'au fait qu'un hôpital se trouvait à 200 mètres. Elle était venue déposer une première plainte, avant le drame. Que disait le PV de synthèse de la gendarmerie ? Ceci : « En faisant appel à nous, Mme P. a trouvé un bon moyen de gérer ses affaires de couple. » Cette femme n'a pas été entendue. Des procès-verbaux comme ça, on en lit malheureusement encore trop souvent.
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Nous sommes gouvernés par des bien-pensant donneurs de leçon souvent hélas hypocrites, car en matière d'égalité entre femmes et hommes, il y a un fossé encore bien large !

Les faits divers relatant les exactions diverses contre les femmes sont encore nombreux, il n'y a qu'à ouvrir la page des faits divers de nos médias chaque jour !

Notre système judiciaire est totalement inadapté, ainsi que notre code pénal avec une justice qui est déjà laxiste à la base en matière de sanctions contre les crimes délits ou violence touchant les femmes !

Et ne parlons pas de certaines religions que l'on tolère en plus qui avilissent celles-ci!

Ce n'est pas si compliqué de gommer efficacement ces différences avec les hommes, il faut simplement de la volonté et pourtant nous sommes un pays libre ou en principe les femmes ont les mêmes droits que les hommes ?!

Mais bien sur nous sommes gouvernés par une majorité d'hommes, jusqu’au plus haut de l’exécutif qui ne font pas grand-chose pour l'égalité des sexes dans notre société !

Et quand on voit l'attitude de certains députés à l'assemblée nationale envers leurs consœurs dans l'hémicycle, on voit la bassesse de certains, pourtant celles-ci sont nos mères ou sœurs et nous mettent au monde, mais çà, ils l'ont oublié !

Moi qui suis un vieil homme, j'ai quelque fois honte de la gente masculine dont je fais partie qui vit à notre époque que l'on dit moderne évoluée, mais qui s'enferme dans un passé qui les arrange bien pour faire taire les femmes pour conserver un machisme d'un autre âge !

Car dans le manque de respect d'autrui qui augmente sans cesse, on ne compte plus celui qui concerne les femmes avec les violences qui vont avec !

(PS : SVP Mrs les modérateurs, inutile de censurer ce commentaire, car la liberté d'expression est aussi pour les femmes, merci à elles !)

Jdeclef 03/09/2019 10h09

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