samedi 21 septembre 2019

Surtout pas, cela augmentera les divisions déjà présentes dans notre société !


« Il faut parler des religions à l'école pour faire tomber les craintes et les fantasmes »

ENTRETIEN. L'enseignement des faits religieux fait encore débat. Pourtant, il serait plus que nécessaire, plaide l'historienne Isabelle Saint-Martin.


Chargée de mission auprès de Régis Debray quand le philosophe s'attelait à la rédaction de son rapport sur « L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque », en 2002, Isabelle Saint-Martin est aujourd'hui l'une des meilleures spécialistes du sujet. Trente ans après l'affaire des foulards de Creil, elle publie Peut-on parler des religions à l'école  ? (Albin Michel), un livre dans lequel elle dresse un état des lieux de cet enseignement souvent contesté en France, tant par les laïcs que par les religieux.
Le sujet est tellement sensible que, depuis 2002, tous les grands projets de réforme de cet enseignement ont fini par avorter. Après les attentats de 2015, l'idée avait pourtant été relancée. En 2018, Jean-Michel Blanquer avait voulu s'attaquer au sujet et développer cet enseignement. Mais, à ce jour, aucun changement dans les programmes n'est prévu. Au ministère de l'Éducation nationale, on se concentre sur les symboles qui font les valeurs de la République (drapeau, Marseillaise…).
« Peut-on parler des religions à l'école ? » C'est en effet la question que se pose Isabelle Saint-Martin, ancienne directrice de l'Institut européen en sciences des religions (IESR). Pour cette universitaire, la réponse est évidemment oui. « Il ne doit pas y avoir de sujet tabou à l'école », martèle celle qui, dans les formations qu'elle organisait à l'IESR, a eu vent de questions plus ou moins « baroques ». Par exemple, ce parent d'élèves qui s'offusquait de trouver des « extraits bibliques dans le livre de français de (s)on enfant », arguant que l'école publique ne servait pas à cela. Elle a pu constater aussi la frilosité de certains jeunes enseignants, pas très à l'aise avec ces sujets, craignant de faire des entorses à la laïcité et surtout de faire ressurgir en classe des passions qui se jouaient jusque-là hors les murs.
Par ailleurs historienne de l'art, Isabelle Saint-Martin propose une approche différente de ce qui domine aujourd'hui dans l'Éducation nationale (passer par les cours d'histoire, d'instruction civique ou de philosophie) : soit découvrir les trois grands monothéismes à travers des œuvres d'art (peinture, littérature, architecture…). Une méthode qui permettrait de dépassionner le débat et de faire comprendre aux élèves « l'intelligence du monde dans sa diversité ». Interview.
Le Point : L'enseignement du fait religieux, tous les ministres en parlent et veulent le réformer et, finalement, personne n'ose y toucher…
Isabelle Saint-Martin : Cela reste un sujet particulièrement sensible en France en raison de notre histoire. Les lois scolaires des années 1880 ont mis fin à un enseignement religieux, exclusivement catholique, contrôlé par le clergé. Ce mouvement de laïcisation, qui a précédé la loi de séparation de 1905, s'est fait dans l'affrontement. Cependant, Jules Ferry, quelles qu'aient été ses convictions personnelles, rappelait : « Il n'y a pas en France de religion d'État, il n'y a pas non plus d'irréligion d'État. » Pourtant, dès qu'il s'agit de parler de religions à l'école, on ranime la crainte d'un retour du catéchisme alors qu'il s'agit d'une approche non confessionnelle.
Depuis 2002, et la rédaction du rapport de Régis Debray sur l'enseignement des faits religieux, que s'est-il passé ? Il n'y a toujours pas en France, contrairement au Québec, par exemple, un cours spécifique sur les religions.
Le débat a d'abord resurgi dans les années 1980 autour de l'argument de l'inculture religieuse des élèves alors que l'on prend conscience, avec la massification scolaire, de la perte d'une culture humaniste, mais aussi du pluralisme accru de la société française, en partie dû à l'immigration. En parallèle apparaissent ici ou là des tensions autour d'affirmations identitaires, comme le révélera l'affaire de Creil, en 1989. Une réforme des programmes en 1996 réintroduit des extraits bibliques en sixième, en cours de français, au même titre que les textes fondateurs de l'antiquité gréco-romaine. En histoire, la naissance du christianisme est abordée au lycée, et non plus seulement au collège. En revanche, il faut rappeler que la place de l'islam en cinquièmeest très ancienne, contrairement à ce qu'ont prétendu certains élus frontistes criant au scandale lors de la réforme du collège de 2016.
Quand Régis Debray, au lendemain des attentats de 2001 aux États-Unis, est chargé par Jack Lang de faire un rapport sur l'enseignement du fait religieux à l'école laïque, il insiste sur la distinction entre le religieux comme « objet de culte » et comme « objet de culture ». Son rapport prône une approche raisonnée des religions comme faits de civilisation et s'inscrit dans la logique du ministère : on passe par les disciplines existantes. Mais le débat sur l'heure spécifique reste un point clivant. Pour certains, il n'y aura aucune avancée tant qu'on en reste à un saupoudrage à travers les programmes ; pour d'autres, ce serait un cheval de Troie du cléricalisme. Le résultat est que, certes, cette question du fait religieux n'a pas le statut privilégié d'une heure dédiée, mais, d'un autre côté, elle irrigue les matières générales, donc elle touche tout le monde.
L'enseignement des faits religieux ne sert pas à acheter la paix sociale dans les classes.
Est-ce donc un enseignement obligatoire ?
Oui, puisqu'il est présent dans les programmes : les chapitres sur les Hébreux ou sur le christianisme en histoire en sixième sont tout aussi obligatoires que, plus tard, celui sur la Révolution française. En sixième, en français, quand on étudie certains extraits bibliques, on en fait une lecture littéraire, et non confessionnelle, mais elle est tout à fait légitime. Un professeur des écoles a cependant été sanctionné en 2017 pour avoir lu des extraits de la Bible à des classes de CM1-CM2, avant que le tribunal administratif ne casse cette décision. On peut discuter du choix des textes et du niveau d'étude, mais il n'est pas contraire à la laïcité de lire des passages de la Bible dans l'école de la République.
Pour autant, il ne s'agit pas de faire une histoire comparée des religions, mais de saisir les faits religieux à travers leur présence dans les différentes disciplines. L'avantage de cette approche, c'est que le professeur reste dans son domaine : en histoire, c'est le regard d'un historien ; en français, d'un littéraire ; en philo, on aborde un concept… Par exemple, en langues et civilisations, est-ce qu'un professeur d'anglais a le droit de faire travailler des Christmas Carols aux élèves ? Oui, bien sûr ! Tout comme un professeur d'espagnol peut prendre un texte sur les processions de la semaine sainte. Cela fait partie d'une culture.
Ce sont des questions que les enseignants se posent fréquemment ?
Oui, lors des formations organisées par l'IESR (créé à l'issue du rapport Debray pour contribuer à la formation des enseignants, NDLR), on voit surgir les témoignages d'enseignants les plus baroques… Des parents d'élèves qui s'indignent : « Comment se fait-il qu'il y ait des passages de la Bible dans le livre de français de mon enfant ? Je ne l'ai pas mis à l'école publique pour avoir ça. » En outre, on peut trouver aussi des sourates du Coran dans le livre de sixième, car on aborde des comparaisons à partir de personnages communs aux trois monothéismes.
La façon dont on enseigne les faits religieux est régulièrement sous le feu des critiques.
L'expression « fait religieux » n'est pas très explicite. Elle a fait craindre une vision essentialiste d'un religieux universel qui s'imposerait à tous ou, au contraire, une lecture très factuelle et superficielle. À l'IESR, nous avons préféré parler des faits religieux au pluriel pour insister sur la pluralité des phénomènes et des approches. Mais leur place réduite dans les programmes peut favoriser des choix réducteurs. La difficulté, c'est de pouvoir bien historiciser ces faits religieux et ne pas rester sur la naissance des traditions et sur les origines, car, involontairement, on a tendance à donner des approches un peu figées qui ne montrent pas l'évolution dans l'espace, et pourraient valider les positions fondamentalistes. Il faudrait pouvoir développer une perspective curriculaire, c'est-à-dire mettre en évidence un fil dans le parcours scolaire pour éviter le côté très dispersé du traitement de ces sujets.
Les critiques viennent des deux camps, des laïcs et des religieux.
En effet. Il y a eu, d'un côté, une crainte du relativisme, car on met toutes les religions sur le même plan et, d'un autre côté, on a pu entendre : « Vous allez renforcer les assignations ! » Or l'enseignement des faits religieux n'est pas là pour dire aux petits musulmans : « Regardez comme c'est sympathique, on parle de l'islam. » Ou pour dire aux autres : « Regardez, on parle de la naissance des chrétiens et des juifs : David, Mohammed et Christian vont s'y retrouver ! » Non. Il est ici question de la connaissance pour tous.
Dans les années 1980, cette interrogation a surgi. On pouvait lire sous la plume de l'historien René Girault, dans son rapport de 1983, qui mettait en avant le nombre croissant d'élèves issus de l'immigration :« On ne peut esquiver le redoutable problème de l'enseignement des civilisations des pays d'où proviennent ces travailleurs. » Mais l'enseignement des faits religieux ne sert pas à acheter la paix sociale dans les classes.
Pourquoi l'enseigner, alors ?
Il s'agit surtout de comprendre le monde dans sa diversité. L'enseignement des faits religieux permet de comprendre le patrimoine, l'histoire des civilisations, mais aussi bien des enjeux du monde contemporain où le religieux n'a pas disparu. S'il peut contribuer au « vivre ensemble », selon l'expression souvent utilisée, c'est par une connaissance de la diversité des systèmes de représentation de la place de l'homme dans le monde. Qu'un élève, croyant ou non, puisse confronter sa vision du monde avec un autre peut favoriser un respect mutuel tout autant qu'une mise à distance de ses propres croyances et convictions.
Il faut parler des religions à l'école pour faire tomber les craintes et les fantasmes. Nous ne sommes pas dans la reconnaissance des communautés ni dans l'affirmation d'une pratique religieuse à l'école ; il ne s'agit pas de la possibilité de mettre un voile, une kippa ou une grande croix, de manger casher ou halal à la cantine… Non, c'est comprendre qu'il existe des manières différentes de se représenter le rapport au monde – mais également que celles-ci peuvent varier selon les époques et les lieux. Ne pas en parler à l'école, alors que ces sujets sont bien présents dans les médias, serait une forme de déni qui favorise l'ignorance et par là bien des préjugés.
Pensez-vous que l'histoire de l'islam est parfois mal présentée dans les manuels scolaires. En janvier 2018, la philosophe Souâd Ayada, membre du Conseil supérieur des programmes, avait pointé un « enseignement qui vise à flatter, à apaiser, à soutenir des choses qui relèvent du vivre ensemble mais qui n'est pas articulé au souci de vérité… ».
Plusieurs enquêtes ont pointé des limites dans un sens ou dans l'autre, qu'il s'agisse d'une lecture tronquée de la notion de djihad ou, au contraire, d'un embellissement de l'histoire. Cela dépend des manuels, et il faut rappeler que les professeurs construisent leurs cours en mixant les sources. Il est vrai que c'est un enseignement qui peut conduire à des raccourcis, notamment à minorer la diversité de l'islam alors que les élèves ont parfois du mal à distinguer arabe et musulman.
On ne peut pas bien comprendre les grands textes de la littérature française si on fait abstraction du religieux.
Vous plaidez pour une approche des faits religieux par les arts...
Quand je dis les arts, c'est tout autant les textes, la littérature, la musique, pas seulement l'art savant, mais aussi les objets du quotidien… Il y a là nécessairement une approche contextualisée et une approche de la pluralité des représentations. Cela répond à cette première inquiétude et aide à avoir un regard distancié et objectivé. On est immédiatement dans l'histoire de la réception, dans le vécu des communautés et, en même temps, le commentaire de l'oeuvre permet de développer le sens que lui donnent ceux qui l'ont commandé, utilisé, dans une succession de regards à travers les siècles.
En étudiant une architecture, une sculpture, une enluminure dans un manuscrit, ou des arts populaires, on aborde tant les significations symboliques que les évolutions stylistiques… Il est alors plus facile et moins abstrait d'entrer dans un débat sur les dimensions religieuses. Cela aide aussi à percevoir la pluralité interne et l'importance du contexte culturel par exemple entre judaïsme ashkénaze ou sépharade, ou selon les aires culturelles de l'islam. En passant par les arts, on voit bien que Jésus a autant de visages que les communautés ont bien voulu lui donner, mais aussi qu'il y a des thématiques qui perdurent dans le temps. Les œuvres étudiées devraient aussi être contemporaines. Ainsi un manuel d'instruction civique prend l'exemple d'Évry, ville nouvelle : une cathédrale, une mosquée, une synagogue, une pagode, un temple adventiste... Cela permet de ne pas laisser dans un passé lointain les traditions religieuses. Dans la littérature contemporaine, le religieux est encore très présent : regardez Soif, d'Amélie Nothomb, qui parle de Jésus, Le Royaume, d'Emmanuel Carrère, il y a deux ans, Moïse fragile, de Jean Christophe Attias. On ne peut pas bien comprendre les grands textes de la littérature française – et pas seulement bibliques – si on fait abstraction du religieux.
Vous vous interrogez dans votre livre : « Que faire d'élèves qui refusent de dessiner les dieux grecs (…) au motif qu'il ne faut pas peindre d'idoles ? Ou qui se bouchent les oreilles si on prononce le nom du Prophète ? (…) Est-ce du même ordre que ces parents d'élèves du primaire qui ne veulent pas qu'on lise Les Trois Petits Cochons ? »
Ce sont des cas réels, mais il ne faut pas les généraliser. Certains constats se font alarmistes, mais, d'après les remontées de terrain et les résultats d'une enquête Ifop (commandée par le Comité national d'action laïque), il convient d'être plus mesuré. À l'école, les litiges concernant le vécu religieux (tenues vestimentaires, dispenses de cours de sport…) sont plus importants que les contestations sur l'enseignement lui-même (entre 10 à 20 % des signalements reçus par le ministère de l'Éducation nationale, NDLR), mais ce n'est malheureusement pas sans lien. Du coup, il peut y avoir la crainte, en abordant ces questions dans le cadre des programmes, de faire entrer dans la classe des polémiques qu'on essaye à toute force de laisser en dehors. Par exemple, des thèmes comme le conflit israélo-palestinien, les conflits entre sunnites et chiites, la Manif pour tous…
On peut voir des enseignants mal à l'aise pour parler du christianisme ou aborder une approche historique de la rédaction du Coran, ou encore des élèves qui refusent d'entrer dans une église car ils ne veulent pas voir une croix. Il faut rappeler qu'il n'y a pas de sujet tabou à l'école, il n'y a pas de sujet dont on ne parle pas parce qu'il n'y aurait que les croyants qui seraient légitimes pour en parler. C'est important de préparer à ce regard historique, c'est cela aussi l'éducation citoyenne en France.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Nous sommes un pays laïque, restons-en là, si on peut, car ce n'est déjà pas facile, car hélas nos jeunes sont déjà influencés par la culture de leurs parents qui sont de plus différentes par des populations migratoires importantes arrivées en France depuis 40 ans

L'école publique républicaine doit appliquer les lois de notre pays et quoi de plus publique que les établissements scolaires !

Donc les religions et ce qui a affaire aux religions quel qu'elles soient avec leurs signes religieux extérieurs ne doit pas y pénétrer pour la paix des élèves et leurs professeurs !

Il y a des établissements d'enseignements privés agréés par l'état pour parler de la religion en France pour ceux qui le désirent !

Rappelons-nous simplement que les religions divisent le monde dramatiquement quelque fois, ne tombons pas dans ce piège !

Jdeclef 21/09/2019 13h15LP

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire