La tyrannie des susceptibles
Ces censeurs se sentent offensés par toute opinion
divergente. Contrôlant le langage, hermétiques au second degré, ils malmènent
la liberté d'expression.
D'emblée,
cet avertissement : l'auteur de cet article n'a pas eu recours à l'écriture
inclusive ; il s'autorise, en outre, l'usage de mots sulfureux comme « mâle
blanc » ou « identité », cite des auteurs politiquement incorrects et s'engage,
naturellement, à ne pas diffuser de fake news. Ainsi sommes-nous conforme à l'air du temps
: précaution, transparence et vérité, afin de ne pas heurter les sensibilités.
Nous nous imposons nous-mêmes cette discipline, en attendant, peut-être,
qu'elle ne devienne une norme professionnelle, le petit carré blanc préventif
qui se situera au début de chaque papier. Qu'est-ce qui nous fait dire cela ?
L'époque, d'abord. Puis un souci constant de liberté. Liberté dont la
définition même est aujourd'hui discutée, biaisée. Libre à vous de dire une
énormité, mais quelqu'un se lèvera pour restreindre votre liberté, car elle
heurte sa liberté de ne pas entendre d'énormités…
Conformisme. A
ce titre, connaissez-vous le programme «anti-rumeurs» financé par le Conseil de l'Europe ?
L'intention est plus que louable : lutter contre les préjugés et les
discriminations. C'est le préambule du « Manuel
anti-rumeurs », destiné aux villes «interculturelles», qui interpelle : «La stratégie
anti-rumeurs, ou "SAR", est un processus de changement social. Elle vise
à prévenir la discrimination, à améliorer la coexistence et à exploiter tout le
potentiel de la diversité en suscitant un changement de perceptions, de
mentalités et de comportements au sein du grand public et de certains groupes
cibles.» L'idée, ici, n'étant pas de miser sur l'intelligence et
l'éducation, d'être indifférent à la bêtise ou, quand celle-ci outrepasse les
lois, d'avoir recours à la justice, mais de plaider la surveillance et la
rééducation. Cette méthode, dirigée par Daniel de Torres Barderi, spécialiste
de l'interculturalité, consiste à «peser sur l'ordre du jour politique et social» et à
ce que des «agents
anti-rumeurs», partout vigilants, dans l'entreprise comme dans le
cercle familial, «contestent
les récits négatifs autour de la diversité». Le manuel précise que «les
résultats dépendent de l'état d'esprit et des prédispositions de la personne
que vous cherchez à sensibiliser, mais aussi de la maîtrise que vous
afficherez. Pour cela, la seule solution, c'est de pratiquer. Pratique et persévérance
vous aideront à affiner votre technique et vos compétences».
Pour comprendre les rouages de ce conformisme, qu'il soit porté
par une institution, un Etat ou une société, on s'est tourné du côté de la
littérature. Et, naturellement, on a pensé au « 1984 » de George Orwell (qu'on
ne cite que trop). Dans la veine dystopique, il y a aussi Aldous Huxley et son
« Meilleur des mondes », tableau d'une société qui fabrique des fœtus et
détermine leurs futurs goûts, aptitudes et comportements. Les « agents
anti-rumeurs » du Conseil de l'Europe nous font davantage penser aux sbires du
BIM (Bureau d'identification de la menace), qui sévissent dans le « Globalia »
de Jean-Christophe Rufin. La quête d'une société parfaite conduit des êtres,
isolés du reste du monde, à mettre en application ce slogan : «La
surveillance, c'est la liberté.»
Contre la nature, le pluralisme et la haine, on réclame donc
décrets, interdictions et hashtags. On invoque «un destin de couveuse»
- Claude Imbert, le fondateur du Point, a inventé cette formule dans ces années 1990
soucieuses de précaution, et nous en sommes encore là, aujourd'hui, et
peut-être de manière plus prononcée puisqu'il ne s'agit plus seulement de
prévenir mais d'interdire. Alliance étrange de néojdanovisme et de puritanisme,
de féminisme et de conservatisme religieux. Les campus américains ne fabriquent
plus de la matière grise, mais rédigent des codes universels du savoir-vivre et
du savoir-parler. On pleure Philip Roth, parce que c'est aussi une
contre-représentation de cette Amérique qui s'éteint. Dans « La tache », il
désigne ainsi les fautifs : « Au Congrès, dans la presse, à la radio et à la télé, les enfoirés
à la vertu majuscule donnaient à qui mieux mieux des leçons de morale, dans
leur soif d'accuser, de censurer et de punir. »
Pensée
hygiéniste. En France, des discours, jugés
jadis folkloriques, se propagent de plus en plus et font des émules. Les
récents blocages d'écoles et d'universités, et surtout la vie qui s'y est
organisée, ont montré l'obsession de ces étudiants, élites de demain, pour les
particularismes ethniques ou de genre. Au nom de la lutte contre le racisme,
leurs aînés prônaient la mixité ; au nom de ce même combat, on promeut
aujourd'hui la non-mixité. L'Intersection, une association de Sciences po,
invite les étudiants à « checker [leurs] privilèges », afin d'avoir conscience d'appartenir « à un groupe
social dominant ». De même débat-on désormais de la création de safe spaces
(zones sécurisées) pour ceux qui, dans l'espace public, se sentent ostracisés.
Le contrat social et républicain vole en éclats, l'individu est ce qu'il veut
être - et c'est son droit -, mais il revient à la société de lui faire une
place et de ne surtout pas l'offenser en lui rappelant un ordre ancien, une
chronologie, un genre non assumés. C'est le règne du ressenti contre l'établi.
Aux Etats-Unis, des éditeurs ont inventé le métier de sensitivity
reader, soit un « démineur de polémiques », chargé de traquer dans les
manuscrits « les
projets intériorisés et le langage connoté négativement ». Une
pensée hygiéniste qui avait déjà donné, dans le passé, une version inclusive du
Nouveau Testament et des Psaumes (le « fils de l'Homme » devenait « de l'Humain
» et le fameux « Notre Père », « notre Père-Mère »). A Lille, en 2015, la lecture du
texte de Charb intitulé « Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu
des racistes » a été annulée à la demande du syndicat étudiant Solidaires.
Comme si un musulman était incapable d'ouverture critique et de discernement.
Céline ? On ne republie pas. Maurras ? Honte à ceux qui banalisent les écrits
de ce théoricien antisémite. Puisque le racisme, pour ceux qui le subissent,
est « une
mort prématurée », comme nous l'indique l'écrivain Edouard Louis,
il est donc vital de ne rien laisser passer, y compris dans le registre du
second degré.
Alors quand Blanche Gardin, humoriste, moque le politiquement
correct qui sévit dans le milieu du cinéma et du théâtre, et que l'on voit dans
la salle telle actrice secouer la tête de dépit, on rit d'un rire transgressif,
et c'est toujours ça de pris au CSA. On pense aussi à Tex, l'animateur, dont la
blague - de mauvais goût - sur les violences conjugales lui a coûté sa place à
France Télévisions. Au moins, nous avons la garantie qu'il ne recommencera pas,
puisqu'il n'est plus là. Dans ce monde de périphrases et de jargons
sociologisants, un Français d'origine étrangère est un « racisé
», une personne qui assume son sexe de naissance est un « cis-genre
». On croirait ces vocables tirés du « Politiquement correct » de James Finn
Garner, une réécriture de contes populaires, qui décrit les nains comme des « hommes à la
verticalité contrariée » et les vieux comme des « adultes
rayonnant de maturité ».
Manipulation. Et
on aurait tort de croire que les susceptibles sont uniquement à gauche. La
droite, certes dans des proportions moindres, est aussi prise de bouffées
hystériques quand il s'agit de défendre sa conception du bien. Dans le débat,
nombre d'éditorialistes reprennent les tares de l'adversaire : sectarisme,
dogmatisme, établissement de listes, victimisation et bannissement de certains
mots. Prononcez devant eux et de bonne foi « vivre-ensemble », « amalgame », «
mâle blanc », « stigmatiser » - des notions qui objectivement existent - et
vous passerez pour un affreux gauchiste. L'appel à l'éviction est également
devenu un réflexe. Rokhaya Diallo (écartée du Conseil national du numérique) et
Yassine Belattar (pression est faite pour qu'il quitte le Conseil des villes)
ne devraient jamais siéger dans des organismes officiels. La cohérence est du
côté de la journaliste Elisabeth Lévy, qui, sur Twitter, a demandé à la foule
de préférer le débat au couperet.
Il
y a ce qui relève de la société, de l'université et des médias, et il y a ce
qui relève de l'Etat. Avec sa loi sur les fake news - qui s'appliquera durant les périodes
préélectorales et électorales pour des scrutins nationaux -, le gouvernement
semble vouloir tenir les rênes courtes. « L'intention est louable, la démarche hasardeuse, les bénéfices nuls
», résume l'avocat Richard Malka, qui pointe des risques de « non-conformité
constitutionnelle ». Après le vote en Commission des lois, « toute
allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à
la rendre vraisemblable » est considérée comme une fausse
information. Courage au juge qui devra dire si une info est vraie ou non.
Rendons grâce, au passage, à ce député qui eut l'idée de déposer un amendement
afin de modifier l'intitulé de la proposition de loi : « fausses
informations » devient « manipulation de l'information » afin d'exclure les
informations « diffusées
à des fins humoristiques ou satiriques, ou par erreur ». Mêmes
doutes s'agissant de l'introduction dans le Code civil de la responsabilité
sociétale des entreprises prévue dans la loi Pacte. Une réforme qui fait dire
au philosophe Gaspard Kœnig : « Une maison d'édition publiant Céline ou Houellebecq
respecte-t-elle les enjeux sociétaux ? » Un juge civil, le cas
échéant, délivrera son verdict. Ou, « à qui mieux mieux », sa leçon de morale
Des jeunes moins tolérants ?
April Kelly-Woessner relève notamment le rôle précurseur du
théoricien de la nouvelle gauche Herbert Marcuse, qui, en 1965, développait la
notion d’une tolérance « émancipatrice »
et écrivait qu’il fallait être « intolérant
contre les mouvements de droite » et « tolérants pour les mouvements de gauche ». Bref, une
tolérance à deux visages. La politologue assure aussi que, dans le cocon
progressiste d’universités idéologiquement homogènes (seuls 12 % des
étudiants américains se déclarent politiquement conservateurs), les jeunes ne
se confrontent plus à des opinions différentes. « Cela a créé un environnement qui privilégie l’indignation et
l’orthodoxie plutôt que l’enquête et le débat », conclut April
Kelly-Woessner§ T.
M.
« Vous ne pouvez pas dire ça ! » Dans le débat, à
gauche comme à droite, l’injonction est de plus en plus courante. La chasse aux
mots censés porter ou masquer une idéologie est ouverte. Petit lexique des
termes qui vous exposent aux pires accusations.
« Identité » :
la défense de l’identité mène au pire, notamment à la défense de la pureté de
la race, ce qui, évidemment, rappelle
les-heures-les-plus-sombres-de-l’Histoire.
« Roman
national » : conception de l’Histoire qui vise
notamment à l’assimilation des Français d’origine étrangère et à l’exaltation
d’un passé glorieux. Insupportable pour une gauche adepte de la
repentance.
« Autorité » :
notion, supposément de droite, rejetée car, en son nom, on opprime, on humilie
et on entrave les libertés.
« Nation » : on
le sait depuis Mitterrand : « Le nationalisme, c’est la
guerre. »
« Immigration » :
poser la question de sa régulation vous fait passer pour un xénophobe faisant
le jeu du Front national.
A
droite, certains se braquent quand ils entendent :
« Mâle
blanc » : l’expression, récemment employée
par Emmanuel Macron, appartient au vocabulaire des Indigènes de la République.
A bannir, donc…
« Vivre
ensemble » : prônez cet objectif – pourtant de
bon sens – et vous serez qualifié de « bobo » ou de Bisounours.
« Pas
d’amalgame » : le refus des généralités et des
amalgames serait un moyen de taire des réalités gênantes.
« Ouverture » :
encouragez-la et on vous traitera au mieux d’irresponsable, sinon
d’immigrationniste en puissance.
« Stigmatiser » :
ce mot, en dépit de ce qu’il recouvre objectivement, serait la preuve d’un
discours victimaire.
Liberté sous pression
Février 2007
Ouverture du procès opposant Charlie Hebdo à l’Union des organisations islamiques de France
et la Grande Mosquée de Paris. L’hebdomadaire est accusé d’avoir publié des
caricatures de Mahomet jugées blasphématoires.
Avril 2011
« Immersion (Piss Christ) » et « Sœur Jeanne
Myriam », deux œuvres d’Andres Serrano, sont vandalisées à la Collection
Lambert, à Avignon, après une manifestation de Civitas.
Février 2012
Jugées obscènes et objet de plaintes d’associations féministes,
les affiches du film « Les infidèles » ont été retirées.
Octobre 2014
Le West Australian Opera annule « Carmen », de Bizet, au
motif que des acteurs fument sur scène. Un opéra jugé incompatible avec le
message antitabac.
Novembre 2014
L’œuvre du Sud-Africain Brett Bailey se veut une critique de la
période coloniale. Présentée au Cent quatre, à Paris, elle est accusée par un
collectif d’artistes de reproduire le racisme de l’époque.
Novembre 2017
Le syndicat SUD Education déclenche une controverse en proposant
des ateliers de formation non mixtes destinés aux seules victimes de
discriminations ethno-raciales.
Novembre 2017
L’animateur Tex est évincé de France Télévisions après une blague
sur les femmes battues.
Décembre 2017
A New York, une pétition s’élève contre un tableau de Balthus
érotisant une très jeune fille. Une pétition demandant son retrait du
Metropolitan Museum of Art rassemble plus de 10 000 signatures.
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Dans les médias selon leurs bords politiques avec des pseudos censeurs souvent à petit esprits bornés qui décortiquent et dissèquent la libre pensée et tue à petit feu la liberté d'expression, pourtant le plus grand de nos droits fondamentaux en termes de liberté !
Qu'il faut défendre à tous prix, cette liberté d'expression, il y a assez de pays totalitaires ou elle a disparue et n'existe plus qui mènent certains de ceux qui parlent ou écrivent des commentaires qui n'entre pas dans le moule établi par état rigides, démocrature ou pire, dictatures finissent en prison sans autre forme de procès !
C'est même un devoir quand on aime son pays de garantir cette liberté !
J'aime mon pays pour cela, mais il ne faut pas gâcher cela à cause de politique rétrograde pour autant, il ne faut pas se laisser entraîner dans trop de libertés débridées mal encadrées, mais avoir un juste milieu pour ne pas tomber dans l'anarchie, car bien sûr car dans nos démocraties on ne peut plaire à tout le monde et notamment en France plus que dans d'autres pays !
Jdeclef 07/06/2018 15h03 LP
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