Les juges
n'écoutent plus Dupond-Moretti
Les
magistrats déclarent la guerre au garde des Sceaux, qui leur demande des
comptes dans l'affaire des fadettes.
Il
y a quelques années, au palais de Justice de Paris, le rare bureau où l'on pouvait
encore fumer - illégalement - était celui du juge Thiel. Éric Dupond-Moretti,
pas encore garde des Sceaux mais déjà terreur des prétoires, aimait s'y arrêter
pour en griller une et se livrer à l'une de ces joutes verbales dont les deux
hommes avaient le secret. C'est ainsi que le bouillant magistrat antiterroriste
de la galerie Saint-Éloi raconte avoir lancé un jour à son illustre visiteur : « Votre plus
grand mérite est d'être un révélateur de la lâcheté judiciaire. »
Manière de critiquer les magistrats qui se couchaient devant les rodomontades
de Dupond-Moretti. « J'avais poursuivi en lui disant qu'il ne terrorisait que les
cons, raconte Gilbert Thiel, aujourd'hui à la retraite. Il y avait eu
un blanc de trois ou quatre secondes. Puis celui-ci avait répondu : "Vous
avez raison, j'en dirais autant à votre endroit !" » Un
partout, balle au centre !
« Je ne terrorise que les cons » :
Éric Dupond-Moretti a fait de cette phrase un grand classique de ses
interviews. «
Mais il a oublié le droit d'auteur ! J'ai pourtant mon greffier en témoin »,
se bidonne Thiel. Las. Depuis quelques semaines et sa nomination Place Vendôme,
les juges ne sont plus très nombreux à « se coucher » devant lui, et sont
plutôt vent debout. Les plus haut magistrats du pays, François Molins et Chantal
Arens, se sont fendus le 29 septembre d'une tribune dans Le Monde,
dénonçant le « conflit d'intérêts » dans lequel serait empêtré Éric
Dupond-Moretti, s'inquiétant des menaces qui pèsent sur l'indépendance de la
justice. Les deux principaux syndicats, l'Union syndicale des magistrats (USM,
majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), toisent le garde
des Sceaux et ne veulent plus s'adresser à lui. Des motions de défiance ont été
votées à la quasi-unanimité, lors d'assemblées générales dans 82 tribunaux du
pays. Même les avocats, flattés qu'un des leurs ait accédé à la chancellerie,
témoignent désormais de leur soutien à voix basse. Ou pas.
Le ministre peut, néanmoins, compter sur le soutien de Robert
Badinter, figure idolâtrée du monde judiciaire pour avoir aboli la peine de
mort. Invité à déjeuner à la chancellerie il y a quelques jours, l'ex-ministre
n'est pas venu les mains vides. Un exemplaire dédicacé de son ouvrage Les Épines et
les Roses, récit autobiographique de ses années Place Vendôme,
voilà quatre décennies, trône désormais sur le bureau d'Éric Dupond-Moretti.
Comme une source infinie d'inspiration… « Des épines, Robert Badinter en a connu avec les juges, souffle
l'actuel garde des Sceaux. Je ne suis ni le premier ni le dernier », ajoute-t-il,
rappelant qu'Élisabeth Guigou reçut, en son temps, « des exemplaires du Code pénal à
la figure ». Mais que s'est-il passé en à peine trois mois,
depuis que Dupond-Moretti, à la surprise générale, fut nommé ministre - à
l'instigation, dit-on, de Brigitte Macron ? Lui qui avait ému l'assistance lors
de la passation de pouvoir, rappelant le magnifique orateur qu'il était, est devenu
à lui seul un problème politique.
Tempête. Tout
remonte au 24 juin. Ce jour-là, Le Point révèle que le parquet national
financier (PNF) a mené, de 2014 à 2019 et dans le plus grand secret, une
enquête préliminaire visant à identifier une « taupe » à même de renseigner
Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, sur des procédures judiciaires
en cours. Ces investigations, qui déboucheront sur un classement sans suite,
ont conduit les policiers à éplucher les fadettes (factures détaillées) des
téléphones de quelques-uns des avocats les plus réputés de France, dont Me
Dupond-Moretti, et à réclamer des données leur servant à en géolocaliser
certains. Si ces mesures attentatoires aux libertés individuelles ont été
limitées dans le temps - quelques jours au plus -, l'enquête durera six longues
années, sans que rien ne vienne le justifier.
Lorsque
l'affaire éclate, Me Dupond-Moretti laisse exploser sa colère ; il
dénonce des « méthodes de barbouzes » et porte plainte. Dix jours plus tard, le
voilà ministre de la Justice. Le désormais ex-avocat n'a d'autre choix que de
retirer sa plainte, mais il promet de rendre public le résultat de l'inspection
ordonnée par sa prédécesseur, Nicole Belloubet. Le rapport est rendu le 15
septembre. Si l'Inspection générale de la justice estime qu'aucune faute n'a
été commise par les magistrats du PNF dans l'exercice de leurs fonctions, et
que le secret professionnel n'a pas été violé, elle émet tout de même de
sérieuses critiques, note un manque de rigueur dans le suivi de la procédure,
pointe de nombreuses erreurs matérielles et soulève quelques questions.
Pourquoi l'enquête a-t-elle duré si longtemps ? Pourquoi aucun acte n'a-t-il
été mené pendant plusieurs mois, voire plusieurs années ? Pourquoi a-t-elle été
conduite en secret, sans que les magistrats croient bon d'en avertir leur
hiérarchie ? Pourquoi, enfin, a-t-elle été cachée à la défense, alors qu'une
information judiciaire confiée à des juges d'instruction était en cours ?
Autant de questions qui, pour le garde des Sceaux, peuvent s'assimiler à des «
manquements au devoir de diligence, de rigueur professionnelle et de loyauté ».
Trois jours après avoir publié le rapport de l'Inspection, Éric Dupond-Moretti
ordonne une enquête administrative et le fait savoir par voie de presse, citant
les trois magistrats visés. La tempête se lève immédiatement.
« Gages
». L'USM se sent confortée dans ses propos lorsqu'elle avait déclaré, dans
un drôle de procès d'intention, le soir même de la nomination d'Éric
Dupond-Moretti, qu'il s'agissait d'une « déclaration de guerre à la
magistrature ». Le SM embraie et souligne le conflit d'intérêts qui touche le
ministre. Comment peut-il ordonner une enquête administrative contre des
magistrats, alors qu'il s'estime lui-même victime de leurs méthodes, consistant
à éplucher ses fadettes alors qu'il était encore avocat ? Comment peut-il
prendre une telle initiative, affaiblissant de facto le PNF (placé sous son
autorité hiérarchique) et la justice anticorruption, alors que son ami Thierry
Herzog, avec lequel il s'est affiché cet été en vacances, doit être jugé cet
automne pour « corruption », au côté de Nicolas Sarkozy ? « On ne se soulève
pas parce que trois collègues font l'objet d'une inspection. Si nous sommes
dans la rue, c'est parce que nous considérons que la justice est menacée […] et
que des intérêts privés dominent l'action publique », assènent les syndicats
USM et SM, unis dans la lutte. Ils ne veulent plus discuter avec le garde des
Sceaux mais directement avec le président. Béatrice Brugère, secrétaire
générale d'Unité Magistrats, refuse pour sa part la « posture » qui
consisterait à rompre les discussions mais elle estime que l'on est « peut-être
dans les prémices d'une crise institutionnelle ». « Soit l'exécutif calme le
jeu et donne des gages pour éviter que le dialogue ne soit définitivement
rompu, soit c'est l'escalade et on ne sait pas où elle nous mènera »,
prévient-elle. Son syndicat maintient son recours contre l'enquête
administrative diligentée par le ministre, devant le Conseil d'État.
Éric
Dupond-Moretti a-t-il sous-estimé la révolte qui couvait ? À peine les premiers
vents avaient-ils commencé à souffler qu'il en rajoutait en critiquant «
l'entre-soi des juges », au moment de nommer, à la tête de l'École nationale de
la magistrature, la vice-bâtonnière de Paris, Nathalie Roret, première femme et
premier avocat à occuper ce poste. Une décision qui allait encore davantage
tendre ses relations avec les magistrats. Depuis des jours, le garde des Sceaux
passe son temps à défendre ses choix. Il affirme que Thierry Herzog « est un
ami et le restera », rouspète contre l'impunité supposée des magistrats. « Ce
sont des gens qui convoquent les Français tous les jours, qui leur demandent
des comptes, qui exigent de la transparence, et qui ne veulent pas répondre à
un certain nombre de questions quand elles leur sont posées, mais on marche sur
la tête ! » a-t-il tempêté, faisant référence à l'ancienne patronne du PNF,
Éliane Houlette, qui a refusé d'être interrogée par l'Inspection, préférant
répondre aux questions de Paris Match. Le garde des Sceaux nie tout conflit
d'intérêts, affirme n'être « ni partie, ni juge », oubliant de préciser que lui
seul aura le pouvoir, à la fin de la procédure, de prononcer une éventuelle
sanction contre les parquetiers du PNF. Il devra au préalable, et à l'issue de
l'enquête administrative, saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
pour avis, lequel n'est pas contraignant. Comprendre : rien ne l'obligera à le
suivre. Éric Dupond-Moretti refuse d'ailleurs de s'y engager publiquement.
« Fatwa
». Pour sortir de la crise, le garde des Sceaux aurait pu laisser au Premier
ministre le soin de lancer l'enquête administrative contre les magistrats du
PNF qu'il appelait de ses vœux. Mais il a préféré assumer, sur son nom. Signe
d'un courage certain ou, selon d'autres, d'un manque d'expérience politique
coupable… « Éric a un côté chiffon rouge qui nuit à la cause, commente
un avocat qui l'a souvent côtoyé aux assises. Il me fait penser à Claude
Allègre, qui, après avoir comparé son administration à un "mammouth qu'il
fallait dégraisser", se plaignait ensuite de n'arriver à rien. » De fait,
Dupond-Moretti a beau annoncer un budget en très forte hausse (+ 8 %, du
jamais-vu), défendre aussi les magistrats face aux propos tenus par Marine Le
Pen sur le laxisme des juges, rien n'imprime : le ministre est constamment
renvoyé à son « conflit d'intérêts ». Un militant anticorruption a même saisi à
ce sujet la Cour de justice de la République (CJR), pointant une prise illégale
d'intérêt. « Ce délit aurait pu être caractérisé s'il n'avait pas retiré sa
plainte contre le PNF. Aujourd'hui, ça va être plus compliqué à démontrer »,
décrypte un magistrat. Lequel poursuit : « Je n'étais pas contre la nomination
d'un grand avocat pénaliste pour défendre les libertés publiques, face au
bulldozer du ministère de l'Intérieur. Mais la nomination de Dupond-Moretti est
une mise au pas décidée par le pouvoir politique, une marque d'hostilité pour
le droit pénal des affaires. C'est du marketing. »
« On dit que
la femme de César ne doit pas même être soupçonnée, sourit Thiel. C'est
pareil pour Dupond. » Sous-entendu : la justice ne doit pas seulement être
impartiale et indépendante, elle doit aussi en donner l'image. C'est la fameuse
théorie de l'apparence de tradition anglo-saxonne qui interroge, ici : en
s'affichant avec Thierry Herzog, cet été, dans Paris Match, Dupond-Moretti
a-t-il malmené ce principe ? N'aurait-il pas dû s'abstenir de lancer une
enquête administrative, alors que le conseil de l'ordre des avocats de Paris
avait déjà assigné l'État en responsabilité civile ? Un ancien juge d'instruction
parisien hausse les épaules : « Dupond bouscule nos corporatismes et il y a une
part de mauvaise foi dans les attaques menées contre lui. Dès sa nomination, il
a d'ailleurs eu droit à une fatwa. » Le Syndicat de la magistrature n'avait pas
attendu qu'il soit nommé à la chancellerie pour tenter - sans succès - de
s'opposer à une inspection sur le PNF.
« Je trace ma
route ». Éric Dupond-Moretti a de nombreux chantiers devant lui, parmi
lesquels la réforme très attendue du statut du parquet. Il réfléchit à
faciliter la justice de proximité ; à mettre en place, avec les tribunaux de
commerce, des mécanismes de prévention pour éviter la faillite des agriculteurs
en difficulté. Le ministre est également attendu sur la question carcérale,
après la mise en demeure du Conseil constitutionnel enjoignant au Parlement de
légiférer dans les cinq mois pour faire respecter le droit des prévenus à des
conditions de détention dignes. « Je trace ma route, ma porte est ouverte »,
confie-t-il.
Le 2 octobre,
en pleine débâcle médiatique, le ministre a reçu le soutien surprise de
Tiphaine Auzière, avocate et fille de… Brigitte Macron, qui s'est improvisée
chroniqueuse sur Europe 1. Dans un billet intitulé « Coup de griffe contre ceux
qui s'attaquent aux avocats », la juriste est revenue sur les robes noires
menacées « dans l'exercice de leur profession ». À ce titre, elle a cité Éric
Dupond-Moretti, qui avait reçu des lettres de menaces pour avoir accepté de
défendre Abdelkader Merah. Puis, citant Balzac, Me Auzière ajoutait
: « La gloire d'un bon avocat consiste à gagner de mauvais procès. » Sauf
qu'Éric Dupond-Moretti n'est plus avocat…
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Et ils font de la politique malgré
qu’ils devraient être neutres et impartiaux, cela se voit notamment quand les
justiciables sont des élus ou ex élus avec une justice d’une lenteur exceptionnelle
pour faire trainer les procès qui se terminent souvent par le grand âge des
accusés (bénéficiant d’immunités diverses parlementaires ou autres) donc sans véritable
sanction de fait, on en a eu des exemples dans notre histoire de cette V eme
république jusqu’au plus haut de l’état !
Pour le reste les juges sont
une caste d’un autre âge exemple parfait d’un corporatisme rigide, alors avoir
nommé un avocat de renom frondeur médiatique en plus comme ministre de la justice
qui peut mettre des bâtons dans les roues des affaires qu’ils jugent ou ont été
jugés est un camouflet qui n’étonne personne de la part de ses robes rouges à cols
d’hermine avec leurs décorations bien accrochées sur leurs poitrines !
Surtout s’il s’agit d’une
autre caste opposée, celle des avocats qui veut se mêler de leurs affaires
et notamment celle du parquet financier bombe à retardement qui ne demande qu’à
exploser !
Notons simplement que c’est
E.MACRON qui l’a nommé comme d’habitude avec ses choix hors normes hasardeux, mais
DUPOND-MORETTI sera difficile à déboulonner, car têtu comme un bull dogue qui
ne lâche pas son os !
Là-dessus les français
lambda regardent cela : comme un spectacle pitoyable sans trop en comprendre
la finalité, car ils ont d’autres soucis et notamment que la justice soit moins
laxiste en appliquant les sanctions avec plus de rigueur aux justiciables quand
ils sont condamnés, sans erreur de procédures !
Jdeclef 08/10/2020 14h19
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