samedi 31 octobre 2020

Un acteur qui a créé un rôle avec un talent inimitable, mais qui savait jouer n'importe quel rôle !

 

Sean Connery, l'éternel James Bond, est mort

James a perdu son double. Ce fils d'ouvrier écossais a dû se battre pour décrocher le rôle de 007 mais aussi pour s'en débarrasser. Il est mort à 90 ans.

To be or not to be James Bond : telle est la question à laquelle fut confronté longtemps ce grand escogriffe écossais issu des bas-fonds d'Édimbourg, que rien ne prédestinait à devenir le héros glamour et hédoniste de l'après-guerre. Dès la fin du deuxième opus, Bons Baisers de Russie, il en eut déjà assez de tomber les filles, de tuer des mégalos et de ne jamais mourir. Il avait fait le tour du personnage. Le problème, c'est qu'il avait signé pour cinq films.

Or, Sean savait qu'il valait mieux que James. Il avait le vent en poupe et il voulait en profiter pour voguer ailleurs. 007 ou comment s'en débarrasser ? Comment décoller une étiquette qui ressemblait à un bâillon ? Au Japon, en 1967, alors qu'il tournait le cinquième opus, On ne vit que deux fois, les photographes le suivaient dans les toilettes, les journalistes planquaient derrière chaque arbre. S'il jouait pour son plaisir dans un casino, un article titrait inévitablement : James Bond fait sauter la banque

James Bond fait ci, fait ça : Sean n'existait plus, écrasé par sa créature. À la fin du tournage, où il avait refusé de croiser Harry Saltzman, l'un des deux producteurs de la série, qui s'en mettait plein les poches sur son dos, il avait jeté l'éponge : « Je ne veux plus rien savoir. » Et pourtant, il en reprit par deux fois, en 1971, avec Les diamants sont éternels, puis en 1983, Jamais plus jamais. Un titre aux allures de supplique.

Forcer le destin

Mais pour rencontrer son destin, il lui aura fallu le forcer. En 1961, quand James commença à être en quête de son avatar, la célébrité n'étouffait pas Sean. Il n'était pas de taille à lutter avec les David Niven, Cary Grant, ou Rex Harrison, acteurs pressentis pour l'agent de Sa Majesté, qui avaient tous refusé.

Certes, il avait percé à la BBC en 1957 grâce à une dramatique, Requiem pour un poids lourd, où il campait un boxeur tragique. Son physique, sa carrure, sa beauté, avaient emporté le morceau. « Il avait du charisme », témoigna Michael Caine qui le croisait à cette époque. Mais la Fox qui lui fit signer un contrat de six ans dans la foulée ne croyait pas en lui. Il donna la réplique à Lana Turner dans un film oubliable, s'en alla à Hollywood tourner chez Disney dans Darby O'Gill et les Farfadets, où on le remarqua parce qu'il jouait au milieu de nains.

Mais sa carrière ne décollait pas. Aussi retourna-t-il à la BBC jouer des classiques ou au théâtre, si peu sûr de son avenir qu'il signa pour trois mois la pièce de Giraudoux, Judith, où il campait un Holopherne vêtu d'un seul pagne. Le hasard voulut que Terence Young se déplace un soir et admire sa plastique impeccable. Le cinéaste le connaissait depuis qu'il lui avait donné un petit rôle en 1957 dans un navet ; il lui avait même promis de l'aider s'il pouvait. Or, Young était déjà en pourparlers avec Broccoli et Saltzman pour le premier James Bond. Il vint saluer l'acteur qui lui parla d'une dramatique bientôt diffusée, Anna Karénine, où il incarnait Vronski, l'amant fougueux d'Anna.

Il faut toujours écouter les femmes

Young conseilla à ses acolytes de regarder la télé. Par ailleurs, la femme de Broccoli se souvint l'avoir remarqué dans un film. Il faut toujours écouter les femmes. Convoqué, l'acteur arriva en jean, très décontract, ce qui lui valut une remarque vestimentaire de Broccoli. « Écoutez, vous me prenez comme je suis, c'est tout », répondit Connery sans se démonter. Déjà un tempérament de star. Après le rendez-vous, Broccoli et Saltzman le regardèrent s'éloigner par la fenêtre : « Nous l'avons vu bondir pour traverser la rue. Là, nous avons su qu'il était James Bond. » Tout en bondissant, Connery réfléchissait : il avait reçu des propositions aux États-Unis pour des séries télé : Maverick, Wyatt Earp. Il hésitait. Sa femme, l'actrice anglaise Diana Cilento, trouva les arguments pour qu'il entre au service de 007.

Aux États-Unis, United Artists (UA) exigea tout de même de Broccoli et Salztman qu'ils leur envoient des essais. « Voyez si vous pouvez trouver mieux », lança, après visionnage, le président, Arthur Krim. C'était tout vu. Young habilla Connery chez les tailleurs les plus chics, lui donna quelques leçons de maintien et l'initia au golf qui serait la passion de l'acteur. Il n'empêche. Ian Fleming fut sceptique de voir son héros chic endossé par un ancien ouvrier écossais. Ilya Lopert, le distributeur d'UA, après la projection de Dr No, eut cette phrase charitable : « Je ne peux pas présenter un film aux États-Unis dont le protagoniste est un camionneur rosbif. »

Sean est exactement tel que j’avais imaginé Bond

Connery fut d'ailleurs payé comme un prolo : 5 000 livres. C'est seulement après Bons Baisers de Russie, le deuxième opus, que Fleming retourne sa veste, « Sean est exactement tel que j'avais imaginé Bond », et Connery, qui avait lu les critiques, « une gracieuse souplesse qui suggère la violence », revit ses tarifs à la hausse. 50 000 livres plus un pourcentage sur Goldfinger, puis 200 000 plus un pourcentage sur Opération Tonnerre. Le prolo écossais était âpre au gain. Il sait surtout ce qu'il valait et d'où il venait.

Goldfinger. © Eon Productions / Collection Christophel via AFP

Fountainbridge : les corons d'Édimbourg, dont il ne reste rien aujourd'hui sinon des boutiques qui vendent des souvenirs à l'effigie du fils prodigue. Dès neuf ans, ce fils d'un ouvrier du caoutchouc est prié de faire bouillir la marmite. Le matin, il livre du lait à cheval, le soir, après l'école, il est commis d'un boucher. Pas étonnant qu'à 13 ans, il fuit l'école.

« Mom and Dad » et « Scotland for ever »

On le surnomme « Big Tam », c'est dire s'il est grand, excellent au foot, costaud au point de s'ouvrir la main en serrant trop fort la porte de la maison, remuant aussi, il a faim de tout et surtout d'évasion. Premier échec à la Royal Navy d'où il revient après deux ans, sans avoir quitté les eaux anglaises, mais avec deux tatouages – « Mom and Dad », « Scotland for ever » – et un ulcère. Il est déclaré invalide à 20 %.

Grâce à une bourse de la Légion britannique, il apprend le métier de vernisseur sur meubles. Un collègue ébéniste lui parle d'une troupe de théâtre qui cherche un assistant accessoires : il découvre tout un monde, qui calme la bête fauve. Tout en enchaînant les petits boulots – maître-nageur, modèle nu pour l'Academy of Arts, imprimeur – il décide de cultiver son point fort : son corps. Il s'entraîne au bodybuilding avec Mr Scotland, qui lui donne à remplir un formulaire pour participer au concours de Mister Univers qui se tient à la Scala de Londres. Il finit troisième dans la catégorie junior, mais croise un concurrent qui lui parle d'un rôle de figurant dans une comédie musicale, South Pacific.

Il y va au flan, fait tomber le texte à lire, puis se reprend, pousse la chansonnette et pour esquisser quelques pas de danse, se souvient des soirées où il tournait la tête aux filles d'Édimbourg. Il est pris. La tournée durera deux ans. Dans la troupe, un acteur, Bob Henderson, lui parle d'Ibsen. « Qui c'est ? » lui répond le plouc écossais qui ne demande qu'à découvrir. Henderson lui conseille de lire Proust, Tolstoï, que monsieur Muscles, à sa grande surprise, se met à dévorer.

Il refuse un contrat à Manchester United

Il ne veut pas seulement réussir, mais aussi apprendre, et quand Manchester United lui propose un contrat après que le recruteur l'a vu jouer dans un match amical, il refuse. Un acteur, ça exerce plus longtemps qu'un footballeur. À mesure de la tournée, il gravit les échelons dans la troupe. Déterminé. Ambitieux. Travailleur. À Londres, Henderson lui donne d'autres petits rôles sur scène qui lui permettent d'être repéré par la BBC…

D'autres que lui se seraient endormis sur les lauriers de James Bond. Tous ses successeurs se feront d'ailleurs happer. Mais dès Bons Baisers de Russie, il voit plus grand. Il fait passer le message à Hitchcock qu'il aimerait tourner avec lui. Message reçu cinq sur cinq. Crime de lèse-majesté, il demande à lire le script de Pas de printemps pour Marnie. Personne ne fait ça avec Hitch, pas même Cary Grant. « Je ne suis pas Cary Grant », répond-il tranquillement. Alfred ne s'en offusque pas, mais dans son livre d'entretiens avec Truffaut, avouera qu'il n'a pas trouvé Connery assez névrotique ni élégant à son goût.

La respiration Sidney Lumet

Dès que James lui laisse un moment de libre, Sean en profite pour aller voir ailleurs. En 1965, il trouve le réalisateur-fétiche, fidèle et utile : Sidney Lumet. Ils tourneront cinq fois ensemble, à commencer par cette Colline des hommes perdus, chef-d'œuvre du film de pénitencier, où Sean démontre une poigne et une résistance hors norme. Les critiques se surpassent et écrivent que James Bond est en prison. Connery fait tout pour se révolter contre sa créature, quitte à se faire passer pour fou dans L'Homme à la tête fêlée.

Finies les répliques clin d'œil et l'agent rassurant au service de Sa Majesté, « je vais vous inquiéter ». En 1967, quand il en a fini avec 007, il met les pouces. Écrit de la poésie, verse une partie de ses gains à un trust écossais pour aider les plus démunis, tente de renouer avec sa patrie perdue de vue où on ne l'accueille pas comme il voudrait l'être, songe à un Macbeth en kilt – mais Polanski le prendra de vitesse – et s'exile sur les greens de golf où personne ne peut venir l'emmerder.

Idole des sixties

Hélas, il accumule les échecs, films, pièce de théâtre. Les sixties sont terminées et son idole, Sean Connery, semble dépassée. Alors, pour se refaire la cerise, il accepte un dernier James, après l'interlude Lazenby, mal ficelé, trop vite tourné : Les diamants sont éternels. Bond aussi, apparemment. Mais dans le deal, il oblige United Artists à financer deux films de son choix. Ce sera d'abord The Offence, de Lumet, époustouflante plongée aux enfers d'un flic traumatisé par l'horreur des scènes de crime et qui se défoule en huis clos sur un suspect. Plus anti-James Bond, on ne fait pas. Par prudence et lâcheté, UA ne distribue pas ce film où Connery continue à faire peur. Ayant décidément l'éternité en horreur, il interprète le chef exterminateur qui met fin à l'immortalité des habitants du Vortex dans Zardoz, de John Boorman, un des films de science-fiction les plus inventifs qui soient. Encore un échec.

Le salut lui vient de son ami Michael Caine qui l'embarque dans l'aventure de L'homme qui voulut être roi. Sous la douce férule de John Huston, qui le laisse improviser, il campe une fripouille potache qui fait croire à des peuplades de l'Himalaya qu'il est un dieu. Mais Sean n'est-il pas divin ? Il s'agit de son premier personnage assez fort pour faire oublier Bond. Il a trouvé la combine : choisir des mythes pour occulter l'autre. Il fait mourir Robin des Bois dans La Rose et la Flèche. « Sean Connery est la figure héroïque par excellence », écrit la papesse de la critique, Pauline Kael.

Mais l'époque est-elle encore aux héros ? Harcelé par l'ennemi juré de Broccoli et Saltzman, McClory, acquéreur après une longue bataille juridique des droits d'Opération Tonnerre, Connery replonge une dernière fois pour endosser à 52 ans les habits de James Bond. Par esprit de compétition, il demande un cachet supérieur à Roger Moore, payé 4 millions de dollars sur Octopussy. Jamais plus jamais aurait dû porter le titre Plus jamais ça : écrit à la diable, boursouflé, potache, mal tourné, ce Bond de trop est un cauchemar et Connery perd la bataille au box-office, avant de perdre le procès contre Broccoli et Saltzman, à qui il réclamait une part des bénéfices sur les six premiers opus.

« Le Nom de la rose », un tournant

Du moins a-t-il tourné pour de bon la page, assez buriné pour accueillir les rôles de la vieillesse et de la sagesse. La fin des années 1980 marque une renaissance qui débute avec le moine Guillaume dans Le Nom de la rose. Annaud ne songe pas vraiment à lui, Umberto Eco encore moins. Mais Connery, via son agent, insiste. Lorsqu'il se présente, il connaît le scénario par cœur qu'il commence à débiter au cinéaste bluffé. C'est son chemin de Damas.

Le Nom de la rose. © Constantin Film/Les Films Ariane / Photo12 via AFP

Il est le guide spirituel de Christophe Lambert dans Highlander, l'ange gardien d'Eliott Ness dans Les Incorruptibles, le père d'Indiana Jones dans le troisième volet de la série : il se spécialise dans les rôles de maître, de tuteur, d'oracle et de vieux sage prêcheur qu'il tiendra jusqu'à la fin avec le vieil écrivain ermite d'À la recherche de Forrester de Gus Van Sant, le succès surprise de l'année 2001. Il se permet même de faire quelques clins d'œil à son vieil ami James en tournant aux côtés de la nouvelle génération, Nicolas Cage, dans un gros film d'action,Rock, et en séduisant à 69 ans la jeune Catherine Zeta-Jones (Haute-Voltige). Sur le tard, Connery est devenu le patron, le patriarche, l'ancêtre-référence d'une époque à la recherche de ses mythes perdus.

Un homme tranquille

Mais l'homme n'aime rien tant que sa tranquillité. Il vit à Marbella ou aux Bahamas, près de son épouse, la Française Micheline Roquebrune, artiste peintre rencontrée en 1972 sur un parcours de golf. Il s'enferme dans sa salle de bains où il a planqué ses récompenses. Il lit sur le canapé au milieu des portraits à la qualité incertaine que madame a brossés de son époux, en majesté ou en robe de chambre, loin, très loin du monde du cinéma, tout près si possible d'un green.

Il est lassé de se battre sur les scénarios avec les producteurs et réalisateurs que, avec sa franchise habituelle, il traite de connards et menace de tuer. Et puis c'est tout le cinéma qui change, avec ses effets spéciaux. Finis les héros, supplantés par les super-héros. Quand on lui propose les rôles de Dumbledore dans Harry Potter et de Gandalf dans Le Seigneur des anneaux, il retourne les scripts en déclarant qu'il n'y comprend rien.

Il se laissera prendre une seule fois, avec La Ligue des gentlemen extraordinaires, son dernier film en 2003, bouillie saturée d'images de synthèse, qui le brouille définitivement avec le milieu. Tout cela n'est plus pour lui. Il est du monde d'avant quand les héros avaient encore de la chair, un hâle viril, un sourire carnassier, un torse velu, une voix de velours, des yeux et des mains qui tuent. Ses derniers plaisirs auront été pour soutenir l'Écosse dans sa voie vers l'indépendance et pour enregistrer la voix du jeu vidéo inspiré de Bons Baisers de Russie, son James Bond préféré. Dans On ne vit que deux fois, l'enterrement de James Bond était simulé en grande pompe, pour laisser les coudées franches à l'agent. Cette fois-ci, ce n'est pas du chiqué, James, pardon, Sean, est mort pour de bon.

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Comme il l'a prouvé dans d'autres films différents, comme par exemple le nom de la rose !

Quand on voyait son nom à l'affiche d'un film, on n'était jamais déçu et quand c'était « James Bond » on était sûr d’avoir du spectacle et on attendait toujours le suivant après et ces gadgets extraordinaires de sa voiture Aston Martin DB5 contre ces ennemis !

D'ailleurs ceux qui ont suivi avec d'autres acteurs ont été aussi de bons films, car il avait fait la matrice de ses histoires d'espions à permission de tuer qui gagnent toujours dans leurs missions contre la vilaine organisation criminelle « le spectre » !

Le dernier « James Bond » avec Daniel.Craig à venir étant retardé en salle à cause du Covid 19...

Jdeclef 31/10/2020 18h03LP

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