James
Bond fait ci, fait ça : Sean n'existait plus, écrasé par sa créature. À la
fin du tournage, où il avait refusé de croiser Harry Saltzman, l'un des deux
producteurs de la série, qui s'en mettait plein les poches sur son dos, il
avait jeté l'éponge : « Je ne veux plus rien savoir. » Et
pourtant, il en reprit par deux fois, en 1971, avec Les diamants
sont éternels , puis en 1983, Jamais plus jamais . Un titre aux
allures de supplique.
Forcer
le destin
Mais pour rencontrer son destin, il lui aura fallu le forcer. En
1961, quand James commença à être en quête de son avatar, la célébrité
n'étouffait pas Sean. Il n'était pas de taille à lutter avec les David Niven,
Cary Grant, ou Rex Harrison, acteurs pressentis pour l'agent de Sa Majesté, qui
avaient tous refusé.
Certes, il avait percé à
la BBC en 1957 grâce à une dramatique, Requiem pour un
poids lourd , où il campait un boxeur tragique. Son physique, sa
carrure, sa beauté, avaient emporté le morceau. « Il avait du
charisme », témoigna Michael Caine qui le croisait à cette époque. Mais la
Fox qui lui fit signer un contrat de six ans dans la foulée ne croyait pas en
lui. Il donna la réplique à Lana Turner dans un film oubliable, s'en alla à
Hollywood tourner chez Disney dans Darby O'Gill et les Farfadets, où on
le remarqua parce qu'il jouait au milieu de nains.
Mais sa carrière ne décollait pas. Aussi retourna-t-il à la BBC
jouer des classiques ou au théâtre, si peu sûr de son avenir qu'il signa pour
trois mois la pièce de Giraudoux, Judith , où il campait un Holopherne
vêtu d'un seul pagne. Le hasard voulut que Terence Young se déplace un soir et
admire sa plastique impeccable. Le cinéaste le connaissait depuis qu'il lui
avait donné un petit rôle en 1957 dans un navet ; il lui avait
même promis de l'aider s'il pouvait. Or, Young était déjà en pourparlers avec
Broccoli et Saltzman pour le premier James Bond. Il vint saluer l'acteur qui
lui parla d'une dramatique bientôt diffusée, Anna Karénine , où il incarnait
Vronski, l'amant fougueux d'Anna.
Il
faut toujours écouter les femmes
Young conseilla à ses acolytes de regarder la télé. Par ailleurs,
la femme de Broccoli se souvint l'avoir remarqué dans un film. Il faut toujours
écouter les femmes. Convoqué, l'acteur arriva en jean, très décontract , ce qui lui valut une remarque vestimentaire de
Broccoli. « Écoutez, vous me prenez comme je suis, c'est tout »,
répondit Connery sans se démonter. Déjà un tempérament de star. Après le
rendez-vous, Broccoli et Saltzman le regardèrent s'éloigner par la
fenêtre : « Nous l'avons vu bondir pour traverser la rue. Là, nous
avons su qu'il était James Bond. » Tout en bondissant, Connery
réfléchissait : il avait reçu des propositions aux États-Unis pour des
séries télé : Maverick, Wyatt Earp. Il hésitait. Sa femme, l'actrice
anglaise Diana Cilento, trouva les arguments pour qu'il entre au service de
007.
Aux États-Unis, United
Artists (UA) exigea tout de même de Broccoli et Salztman qu'ils leur envoient
des essais. « Voyez si vous pouvez trouver mieux », lança, après
visionnage, le président, Arthur Krim. C'était tout vu. Young habilla Connery
chez les tailleurs les plus chics, lui donna quelques leçons de maintien et
l'initia au golf qui serait la passion de l'acteur. Il n'empêche. Ian Fleming
fut sceptique de voir son héros chic endossé par un ancien ouvrier écossais.
Ilya Lopert, le distributeur d'UA, après la projection de Dr No , eut cette phrase charitable : « Je ne peux
pas présenter un film aux États-Unis dont le protagoniste est un camionneur
rosbif. »
Sean est exactement tel que j’avais imaginé
Bond
Connery fut d'ailleurs payé comme un prolo :
5 000 livres. C'est seulement après Bons Baisers de
Russie , le deuxième opus, que Fleming retourne sa veste,
« Sean est exactement tel que j'avais imaginé Bond », et Connery, qui
avait lu les critiques, « une gracieuse souplesse qui suggère la
violence », revit ses tarifs à la hausse. 50 000 livres plus un
pourcentage sur Goldfinger , puis 200 000 plus un
pourcentage sur Opération Tonnerre . Le prolo écossais était âpre
au gain. Il sait surtout ce qu'il valait et d'où il venait.
Goldfinger. © Eon Productions /
Collection Christophel via AFP
Fountainbridge : les
corons d'Édimbourg, dont il ne reste rien aujourd'hui sinon des boutiques qui
vendent des souvenirs à l'effigie du fils prodigue. Dès neuf ans, ce fils d'un
ouvrier du caoutchouc est prié de faire bouillir la marmite. Le matin, il livre
du lait à cheval, le soir, après l'école, il est commis d'un boucher. Pas
étonnant qu'à 13 ans, il fuit l'école.
« Mom
and Dad » et « Scotland for ever »
On le surnomme « Big Tam », c'est dire s'il est grand,
excellent au foot, costaud au point de s'ouvrir la main en serrant trop fort la
porte de la maison, remuant aussi, il a faim de tout et surtout d'évasion.
Premier échec à la Royal Navy d'où il revient après deux ans, sans avoir quitté
les eaux anglaises, mais avec deux tatouages – « Mom and Dad », « Scotland for ever » – et un ulcère. Il
est déclaré invalide à 20 %.
Grâce à une bourse de la Légion britannique, il apprend le métier
de vernisseur sur meubles. Un collègue ébéniste lui parle d'une troupe de
théâtre qui cherche un assistant accessoires : il découvre tout un monde,
qui calme la bête fauve. Tout en enchaînant les petits boulots – maître-nageur,
modèle nu pour l'Academy of Arts, imprimeur – il décide de cultiver son point
fort : son corps. Il s'entraîne au bodybuilding avec Mr Scotland, qui lui
donne à remplir un formulaire pour participer au concours de Mister Univers qui
se tient à la Scala de Londres. Il finit troisième dans la catégorie junior,
mais croise un concurrent qui lui parle d'un rôle de figurant dans une comédie
musicale, South Pacific .
Il y va au flan, fait tomber le texte à lire, puis se reprend,
pousse la chansonnette et pour esquisser quelques pas de danse, se souvient des
soirées où il tournait la tête aux filles d'Édimbourg. Il est pris. La tournée
durera deux ans. Dans la troupe, un acteur, Bob Henderson, lui parle d'Ibsen.
« Qui c'est ? » lui répond le plouc écossais qui ne demande
qu'à découvrir. Henderson lui conseille de lire Proust, Tolstoï, que monsieur
Muscles, à sa grande surprise, se met à dévorer.
Il
refuse un contrat à Manchester United
Il ne veut pas seulement réussir, mais aussi apprendre, et quand
Manchester United lui propose un contrat après que le recruteur l'a vu
jouer dans un match amical, il refuse. Un acteur, ça exerce plus longtemps
qu'un footballeur. À mesure de la tournée, il gravit les échelons dans la
troupe. Déterminé. Ambitieux. Travailleur. À Londres, Henderson lui donne
d'autres petits rôles sur scène qui lui permettent d'être repéré par la BBC…
D'autres que lui se seraient endormis sur les lauriers de James
Bond. Tous ses successeurs se feront d'ailleurs happer. Mais dès Bons Baisers de Russie , il voit plus grand. Il fait passer
le message à Hitchcock qu'il aimerait tourner avec lui. Message reçu cinq sur
cinq. Crime de lèse-majesté, il demande à lire le script de Pas de printemps pour Marnie . Personne ne fait ça avec Hitch , pas même Cary Grant. « Je ne suis pas Cary
Grant », répond-il tranquillement. Alfred ne s'en offusque pas, mais dans
son livre d'entretiens avec Truffaut, avouera qu'il n'a pas trouvé Connery assez
névrotique ni élégant à son goût.
La
respiration Sidney Lumet
Dès que James lui laisse un moment de libre, Sean en profite pour
aller voir ailleurs. En 1965, il trouve le réalisateur-fétiche, fidèle et
utile : Sidney Lumet. Ils tourneront cinq fois ensemble, à commencer par
cette Colline des hommes perdus , chef-d'œuvre du film
de pénitencier, où Sean démontre une poigne et une résistance hors norme. Les
critiques se surpassent et écrivent que James Bond est en prison. Connery fait
tout pour se révolter contre sa créature, quitte à se faire passer pour fou
dans L'Homme à la tête fêlée .
Finies les répliques clin d'œil et l'agent rassurant au service de
Sa Majesté, « je vais vous inquiéter ». En 1967, quand il en a fini
avec 007, il met les pouces. Écrit de la poésie, verse une partie de ses gains
à un trust écossais pour aider les plus démunis, tente de renouer avec sa
patrie perdue de vue où on ne l'accueille pas comme il voudrait l'être, songe à
un Macbeth en kilt – mais Polanski le prendra de vitesse – et s'exile sur les
greens de golf où personne ne peut venir l'emmerder.
Idole
des sixties
Hélas, il accumule les échecs, films, pièce de théâtre. Les
sixties sont terminées et son idole, Sean Connery, semble dépassée. Alors, pour
se refaire la cerise, il accepte un dernier James, après l'interlude Lazenby,
mal ficelé, trop vite tourné : Les diamants sont éternels . Bond
aussi, apparemment. Mais dans le deal, il oblige United Artists à financer deux
films de son choix. Ce sera d'abord The Offence, de Lumet,
époustouflante plongée aux enfers d'un flic traumatisé par l'horreur des scènes
de crime et qui se défoule en huis clos sur un suspect. Plus anti-James Bond,
on ne fait pas. Par prudence et lâcheté, UA ne distribue pas ce film où Connery
continue à faire peur. Ayant décidément l'éternité en horreur, il interprète le
chef exterminateur qui met fin à l'immortalité des habitants du Vortex dans Zardoz, de John Boorman, un des films de science-fiction
les plus inventifs qui soient. Encore un échec.
Le salut lui vient de son ami Michael Caine qui l'embarque dans
l'aventure de L'homme qui voulut être roi . Sous la douce
férule de John Huston, qui le laisse improviser, il campe une fripouille
potache qui fait croire à des peuplades de l'Himalaya qu'il est un dieu. Mais
Sean n'est-il pas divin ? Il s'agit de son premier personnage assez fort
pour faire oublier Bond. Il a trouvé la combine : choisir des mythes pour
occulter l'autre. Il fait mourir Robin des Bois dans La Rose et la Flèche . « Sean Connery est la figure
héroïque par excellence », écrit la papesse de la critique, Pauline Kael.
Mais l'époque est-elle encore aux héros ? Harcelé par
l'ennemi juré de Broccoli et Saltzman, McClory, acquéreur après une longue
bataille juridique des droits d'Opération Tonnerre , Connery replonge
une dernière fois pour endosser à 52 ans les habits de James Bond. Par
esprit de compétition, il demande un cachet supérieur à Roger Moore, payé
4 millions de dollars sur Octopussy . Jamais plus jamais aurait dû porter le titre Plus jamais ça : écrit à la diable, boursouflé,
potache, mal tourné, ce Bond de trop est un cauchemar et Connery perd la
bataille au box-office, avant de perdre le procès contre Broccoli et Saltzman,
à qui il réclamait une part des bénéfices sur les six premiers opus.
« Le
Nom de la rose », un tournant
Du moins a-t-il tourné pour de bon la page, assez buriné pour
accueillir les rôles de la vieillesse et de la sagesse. La fin des années 1980 marque
une renaissance qui débute avec le moine Guillaume dans Le Nom de la rose . Annaud ne songe pas vraiment à lui,
Umberto Eco encore moins. Mais Connery, via son agent, insiste. Lorsqu'il se
présente, il connaît le scénario par cœur qu'il commence à débiter au cinéaste
bluffé. C'est son chemin de Damas.
Le Nom de la rose. © Constantin
Film/Les Films Ariane / Photo12 via AFP
Il est le guide spirituel de Christophe Lambert dans Highlander , l'ange gardien d'Eliott Ness dans Les Incorruptibles , le père d'Indiana Jones dans le
troisième volet de la série : il se spécialise dans les rôles de maître,
de tuteur, d'oracle et de vieux sage prêcheur qu'il tiendra jusqu'à la fin avec
le vieil écrivain ermite d'À la recherche de Forrester de Gus
Van Sant, le succès surprise de l'année 2001. Il se permet même de faire
quelques clins d'œil à son vieil ami James en tournant aux côtés de la nouvelle
génération, Nicolas Cage, dans un gros film d'action,Rock , et en séduisant à 69 ans la jeune Catherine
Zeta-Jones (Haute-Voltige ). Sur le tard, Connery est devenu
le patron, le patriarche, l'ancêtre-référence d'une époque à la recherche de
ses mythes perdus.
Un
homme tranquille
Mais l'homme n'aime rien tant que sa tranquillité. Il vit à
Marbella ou aux Bahamas, près de son épouse, la Française Micheline Roquebrune,
artiste peintre rencontrée en 1972 sur un parcours de golf. Il
s'enferme dans sa salle de bains où il a planqué ses récompenses. Il lit sur le
canapé au milieu des portraits à la qualité incertaine que madame a brossés de
son époux, en majesté ou en robe de chambre, loin, très loin du monde du
cinéma, tout près si possible d'un green.
Il est lassé de se battre sur les scénarios avec les producteurs
et réalisateurs que, avec sa franchise habituelle, il traite de connards et
menace de tuer. Et puis c'est tout le cinéma qui change, avec ses effets
spéciaux. Finis les héros, supplantés par les super-héros. Quand on lui propose
les rôles de Dumbledore dans Harry Potter et de Gandalf dans Le Seigneur des anneaux , il retourne les scripts en
déclarant qu'il n'y comprend rien.
Il se laissera prendre une seule fois, avec La Ligue des gentlemen extraordinaires, son dernier film en
2003, bouillie saturée d'images de synthèse, qui le brouille définitivement
avec le milieu. Tout cela n'est plus pour lui. Il est du monde d'avant quand
les héros avaient encore de la chair, un hâle viril, un sourire carnassier, un
torse velu, une voix de velours, des yeux et des mains qui tuent. Ses derniers
plaisirs auront été pour soutenir l'Écosse dans sa voie vers l'indépendance et
pour enregistrer la voix du jeu vidéo inspiré de Bons Baisers de
Russie , son James Bond préféré. Dans On ne vit que
deux fois , l'enterrement de James Bond était simulé en grande
pompe, pour laisser les coudées franches à l'agent. Cette fois-ci, ce n'est pas
du chiqué, James, pardon, Sean, est mort pour de bon.
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Comme il l'a prouvé dans
d'autres films différents, comme par exemple le nom de la rose !
Quand on voyait son nom à l'affiche
d'un film, on n'était jamais déçu et quand c'était « James Bond » on
était sûr d’avoir du spectacle et on attendait toujours le suivant après et ces
gadgets extraordinaires de sa voiture Aston Martin DB5 contre ces ennemis !
D'ailleurs ceux qui ont
suivi avec d'autres acteurs ont été aussi de bons films, car il avait fait la
matrice de ses histoires d'espions à permission de tuer qui gagnent toujours dans
leurs missions contre la vilaine organisation criminelle « le spectre »
!
Le dernier « James Bond »
avec Daniel.Craig à venir étant retardé en salle à cause du Covid 19...
Jdeclef 31/10/2020 18h03LP
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