« Directrice
d'école, les atteintes à la laïcité sont mon quotidien »
ENTRETIEN.
Cheffe d'établissement dans le Sud-Ouest, Leïla alerte en vain sa
hiérarchie d'une pression religieuse toujours plus intense. Effrayant.
« Les hussards noirs de la République ? J'en connais,
bien sûr… Mais nous ne sommes plus très nombreux. » En apprenant le crime
barbare dont a été victime, vendredi, l'enseignant Samuel Paty, sauvagement
décapité pour avoir fait son métier, Leïla* s'est sentie submergée, d'horreur,
évidemment, mais aussi de colère. Depuis vingt ans, elle dirige une école
primaire dans un quartier prioritaire d'une ville du Sud-Ouest, l'un des plus
pauvres de France. Et, depuis vingt ans, elle contemple la laïcité se déliter,
les communautarismes gagner du terrain… Dans l'indifférence de sa hiérarchie,
comme des syndicats d'enseignants censés la représenter. Depuis des années,
elle alerte dans le vide. Elle a accepté de nous raconter son quotidien.
Entretien.
Le Point : Comment avez-vous réagi, vendredi, en apprenant
l'assassinat de Samuel Paty ?
Laïcité : ce que l'école ne veut pas savoir
Les atteintes à la laïcité sont mon quotidien, un combat
permanent. Plus de 90 % de mes élèves sont de confession musulmane – ils
ne mangent pas de porc à la cantine. J'ai principalement des problèmes sur la
nourriture. Chaque jour, on me réclame de la viande hallal. Une mère d'élève
m'a agressée parce qu'elle exigeait que j'interdise à sa fille de manger le
poulet qui n'était pas hallal. Sans cesse, je dois leur rappeler ce qu'est la
laïcité, qu'on ne peut pas faire des menus particuliers pour chaque confession,
mais ils ont beaucoup de mal à l'entendre. J'ai dû me résoudre à interdire les
bonbons dans l'école, car trop de parents se plaignaient de la gélatine de
porc (et je n'allais pas, dans la classe, donner des friandises aux seuls
non-musulmans…) On s'interdit aussi de dire à un enfant qu'il écrit
« comme un cochon » parce qu'on sait qu'on peut avoir des
problèmes avec des parents qui pensent qu'on a insulté leur enfant…
Mes élèves confondent origine, religion
et nationalité. Ils ne savent pas qu’ils sont français.
Les relations entre les enfants restent-elles apaisées ?
Nous avons fait une erreur terrible en
considérant que la laïcité, à l’école, consistait à ne pas parler de religion.
Laquelle ?
Quand un enfant me dit qu'il n'est pas français, je l'emmène dans
mon bureau et je lui montre son acte de naissance. Je lui explique que nous
avons tous des origines diverses – turque, algérienne, allemande… –, que c'est
pour cela qu'il parle arabe (c'est une langue), mais qu'il est bien
français et qu'il ne mange pas de porc parce qu'il est de religion
musulmane. Pour eux, c'est une découverte ! Lorsqu'une petite fille de CE1
est tombée dans les pommes parce qu'elle voulait faire le ramadan, j'ai convoqué
sa mère et je lui ai fait un sermon : je lui ai clairement dit qu'en
respectant le choix de sa fille avant la puberté elle la mettait en
danger. Ma hiérarchie serait horrifiée si elle l'apprenait, car je suis sortie
de mon rôle… Mais je considère que c'est mon devoir. Nous avons fait une erreur
terrible en considérant que la laïcité, à l'école, consistait à ne pas parler
de religion. On renforce les communautarismes ! Au contraire, il faut en
parler, briser les tabous. Mon inspectrice s'est décomposée quand je lui ai
expliqué cela. La hiérarchie a peur d'avoir des problèmes, de la presse…
Avez-vous déjà signalé des familles pour radicalisation ?
Jamais. Mais c'est une question que je me pose souvent… Je
m'interroge beaucoup sur l'intensité de la pratique religieuse de certaines
familles. Quand les élèves me réclament chaque jour la mise en place du cours
d'arabe, je me demande à quel point il n'y a pas quelqu'un, derrière, qui les
pousse à exiger cela le plus rapidement possible. Plusieurs fois, j'ai signalé
le fait que les cours d'arabe et de turc sont dispensés par des professeurs nommés
par les consulats de ces pays. Je ne parle pas arabe, je ne peux rien
contrôler. L'an dernier, de nombreux parents d'origine turque se sont présentés
dans mon école, envoyés par la mosquée ! Je comprends que certains
directeurs hésitent à résister. Quand l'un de mes collègues a signalé à sa
hiérarchie que des enfants s'étaient plaints d'être frappés physiquement par
leur professeur d'arabe de la mosquée, on l'a accusé d'islamophobie, et nos
supérieurs lui ont conseillé de se mêler de ce qui le regardait car il ne
fallait pas que la presse s'en empare…
Nous n’avons pas les moyens de lutter contre
l’ignorance.
On vous sent en colère contre votre hiérarchie.
Je le suis. Et je ne supporte plus les discours hypocrites de gens
qui, dans les faits, nous abandonnent. Nous n'avons aucune formation à la
laïcité. Dans le primaire, 18 heures de formation sont prévues, et
9 heures de français et 9 heures de mathématiques sont obligatoires.
Toutes les autres formations doivent être faites sur notre temps personnel et
avec nos propres deniers. Nous ne sommes pas soutenus : derrière les
discours médiatiques, le « pas de vague » règne en maître. Et nous
n'avons aucun moyen de lutter…
Votre école est située dans un quartier « politique de la
ville. » N'avez-vous pas de moyens supplémentaires ?
Si : j'ai un enseignant supplémentaire, à mi-temps, pour
aider les enfants qui ne parlent pas français. C'est tout. Mais imaginez :
dans chaque classe de 25 élèves, j'en ai 5 qui sont
demandeurs d'asile (ils sont arrivés dans l'année, d'Afrique subsaharienne, d'Albanie,
de Géorgie…) et les deux tiers qui vivent dans des familles non
francophones. Je communique avec elles grâce à mon grand ami « Google
Traduction » ! Parce que le collège de mon secteur est socialement
plus mixte, nous avons été exclus en 2015 des zones REP et
REP + et ne bénéficions pas de classes à 12 élèves. Je n'ai pas
les moyens d'éduquer, mais on ne peut pas lutter pour la laïcité et les valeurs
républicaines, construire un État de citoyens pensants si on ne lutte pas
pour l'éducation. Les frères Kouachi, comme l'assassin de Samuel Paty, ont fait
toute leur scolarité en France. Sans moyens, l'ignorance va gagner et
l'islamisme est clairement, avant tout, le produit de l'ignorance.
Jean-Michel Blanquer vous a promis ce week-end sa
protection et un « cadrage national strict et puissant » en
prévision de la rentrée le 2 novembre. N'est-ce pas positif ?
Ce sont des mots. Depuis vendredi, le ministre s'est contenté de
nous envoyer des messages vidéo. Le cadrage national qu'il annonce, ce seront
des fiches pour nous expliquer comment parler à nos élèves. Mais je n'ai
pas besoin de fiches, je sais comment leur parler. Ce dont j'ai besoin, c'est
d'être soutenue par ma hiérarchie, et d'être protégée si je porte
plainte ! Monsieur Blanquer parle à la télévision des « référents
laïcité » comme s'il y en avait partout. Mais il n'y en a qu'un par
académie ! Je ne l'ai jamais vu. Comme je n'ai jamais reçu la visite d'un
médecin scolaire : le poste existe, mais il n'est pas pourvu. Quant à la
sécurité…, dans mon école, elle est inexistante. Le plan particulier de mise en
sûreté dont le ministre se félicite, lié au plan Vigipirate, est une
plaisanterie. Nous sommes censés faire chaque année des exercices
attentat-intrusion. Le système d'alerte doit être différent de celui de
l'alarme incendie : on m'a donné une corne de brume de supporteurs de
foot et je cours partout dans l'école en soufflant dedans. Si l'on me tue,
bien sûr, je ne préviens personne. De nombreuses classes n'entendent pas. Les
enseignants ne peuvent pas se calfeutrer : ils n'ont pas les clés des
portes, quelqu'un à la mairie les a perdues. De toute façon, certaines portes
sont vitrées. Je le signale chaque année et on me répond que l'essentiel
est d'entrer les données dans l'intranet… C'est absurde, kafkaïen. Il faudrait
un signal lumineux dans toutes les classes, avec plusieurs déclencheurs, et des
portes qui ferment à clé. Mais les collectivités n'ont pas les moyens de
financer cela… Alors, on fait semblant.
Vous sentez-vous en insécurité ?
Je me sens en sécurité par ma force de conviction. La base reste
solide, et des hussards tiennent. Le fait que je sois physiquement typée (Leïla
est d'origine algérienne, NDLR) m'aide aussi. Mais je suis fatiguée… Je ne
supporte plus ces grands-messes après chaque attentat qui ne sont jamais
suivies d'actes. En octobre 2018, après la diffusion d'une vidéo montrant
une enseignante braquée avec un revolver, un comité de réflexion sur les
violences scolaires a été mis en place. On n'en a plus jamais entendu parler.
C'est la même chose pour les commissions, les Grenelle, les groupes de travail…
Je suis fatiguée et je suis triste. Je pense bientôt arrêter. J'ai
l'impression d'abandonner mes élèves, alors que je sais que ça peut marcher…
Mais on ne peut pas tout porter seuls. Je n'attends pas d'aide pédagogique à destination
des élèves : je connais mon travail. J'attends une estime et une
reconnaissance hiérarchiques, et la protection concrète des enseignants,
juridique et physique. Nous n'avons pas signé pour nous faire décapiter.
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Depuis l’affaire du voile
en1989 tout s’est dégradé au point que tout le monde pénètre dans les
établissements scolaires, parents irascibles mécontents critiquant les enseignants,
religions avec signes religieux ou tenues non neutres, élèves indisciplinés,
voire violents ne respectant pas leurs professeurs jusqu’à dernièrement l’usage
de téléphones portables en cours, professeurs insultés voire molestés et qui maintenant se plaignent de ne pouvoir faire leurs cours normalement et non soutenus
par leurs hiérarchies qui ont peur des parents d’élèves leur demandant de ne pas
faire de vague, ajoutons à cela les cantines scolaires et le personnels de
service qui doivent subir les exigences de menus spécifiques à certaines
religions !
Et la délinquance qui pénètre
dans les établissements, importée de la rue de certains quartiers ou zones
difficiles !
Là, aussi l’état avec son ministère
de l’éducation nationale qui subit maintes grèves et protestations de ses
enseignants ainsi qu’un absentéisme important de certains de ceux-ci et qui change
les directives d’enseignement au fil des ministres de tous les gouvernements de
tous bords au point que le suivi de l’éducation des élèves tient du jeu de
piste et est en plus un gouffre financier sans fond s’évaporant dans un tonneau
des Danaïdes !
Ce ministère de l’éducation
nationale étant le pire exemple de nos administrations kafkaïennes de notre V eme
république !
Jdeclef 20/10/2020 10h40
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