Emmanuel Macron est-il luthérien ?
L’opposition stigmatisée par le président entre l’esprit
gaulois et le « peuple luthérien » recouvre-t-elle une réalité
spirituelle ou historique ? Analyse.
De la déclaration d’Emmanuel Macron au Danemark nous aurons retenu,
prisonniers de nos œillères hexagonales, les « Gaulois réfractaires au changement ». L’autre terme
de l’opposition macronienne, « le
peuple luthérien », a été gommé. Une mise en balance certes quelque
peu bancale puisqu’elle confrontait une religion, le
luthéranisme, à un élément ethnique, les Gaulois.
Mais le propos était clair : les gens de la Réforme auraient, eux, le goût
de la réforme. Sans faire d’Emmanuel Macron, comme Régis Debray, un évangéliste
américain, notons que cet ancien élève des Jésuites a souvent agité l’encensoir
sur l’autre camp. Sa célébration des 500 ans de la Réforme, rappelle
François Dosse, auteur du « Philosophe et le
Président », fut l’occasion d’un éloge vibrant d’une Réforme lieu
d’invention de la modernité, qui, dans la tradition de Michelet, associait le
protestantisme à la liberté de conscience ou à l’esprit de résistance. Cette
fois, le président français a soufflé sur les braises du vieux lieu commun qui
oppose les pays protestants et les pays catholiques dans leur relation au
travail, à l’argent, mais aussi à l’initiative et au risque, puisqu’il vantait
au passage la « flexisécurité »
à la danoise.
Max Weber, un livre
phare. Comme tout lieu commun, celui-là
s’appuie sur un vieux fond de littérature ressassé. Voltaire dans ses « Lettres philosophiques », Montesquieu qui divisait
l’Europe politique en deux zones climatiques, Nord et Sud, correspondant à
l’Europe protestante et catholique, furent d’éminents porte-parole de la
supériorité des premiers. Mme de Staël, rappelle l’historien Patrick Cabanel, enfonça
le clou dans « De l’Allemagne » :« Pour elle, l’Allemagne, grâce à la
Réforme, est devenue le pays des idées, des philosophes. »
Evidemment, elle était protestante. Un livre d’un de ses proches, Charles de
Villers, inaugure certains stéréotypes, décrivant les cantons suisses
catholiques comme des lieux d’oisiveté, mal entretenus, quand les cantons
protestants sont des modèles de propreté et de rigueur. La défaite française en
1870 ne va guère aider à guérir notre complexe d’infériorité. La victoire de
la Prusse est celle de l’instituteur prussien, car le soldat prussien, grâce à
la Réforme, sait lire une carte, des rapports, quand le soldat français patauge
encore dans l’illettrisme. La parution en 1904 de
l’ouvrage de Max Weber « L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme » finit d’asseoir cette supériorité, en développant les
affinités électives entre protestantisme et capitalisme. Weber a pour avantage
d’expliquer pourquoi le centre du monde, qui, jusqu’au XVIIe siècle,
battait pavillon catholique et méditerranéen, s’est déplacé vers les eaux
protestantes de la Manche et de la mer du Nord. « Même s’il était issu du luthéranisme, Max Weber, qui a figé
cette opposition protestants/catholiques dans “L’éthique protestante et
l’esprit du capitalisme”, s’appuyait surtout sur le calvinisme et certaines
sectes puritaines, mormons, quakers », corrige la spécialiste
webérienne Catherine Colliot-Thélène. De fait, certains spécialistes contactés
nous ont exprimé leur étonnement. Pourquoi le président Macron a-t-il mis en
avant le luthéranisme plutôt que le calvinisme, plus à la pointe de
l’innovation économique au temps des grandes compagnies, en Hollande, en
Angleterre ou dans les jeunes Etats-Unis ? Très tôt, les calvinistes
préconisèrent ainsi l’emprunt avec intérêt, banni par la papauté, qui avait
décrété que le temps, propriété de Dieu, ne se monnayait pas. « Le luthéranisme fut davantage une
forme conservatrice, autoritaire, qui a homogénéisé certains Etats
allemands », précise Philippe Raynaud.
Quelle est cependant la pertinence de cette opposition
protestants/catholiques quand il s’agit d’aborder les questions économiques et
sociétales ? « Dès le XVIe siècle, déclare Olivier
Christin, les théologiens protestants
affirment que le protestantisme signifie la modernité, quand l’Eglise
catholique fabrique un peuple de sots sans accès direct à la Bible, obligés
d’en passer par des intermédiaires. »
Goût du
risque. Sur le plan théologique, le tropisme protestant pour
le travail repose sur la théorie de la prédestination élaborée par
Calvin : puisque le croyant ignore s’il fait partie des élus ou des
réprouvés, la réussite devient le signe manifeste de la grâce, la garantie (Bewährung) susceptible d’atténuer les
tourments de cette incertitude. D’où un investissement forcené dans l’activité
terrestre. Olivier Christin rappelle aussi la notion de vocation (Beruf) – présente aussi chez
Luther –, qui signifie également « profession » en
allemand : « Le protestant
se réalise en étant un bon entrepreneur, un bon professeur, un bon
médecin. »« Exercer sa profession, c’est accomplir sa mission divine
sur terre, qui n’est plus réservée aux prêtres », précise Catherine
Colliot-Thélène. A la différence du catholicisme, où le fidèle s’en remet à une
série de recours – la confession qui rédime ses péchés, le culte protecteur des
saints, les pèlerinages –, le protestant est également seul devant Dieu. « Pas de filet de secours, pas de
béquille. Il s’ensuit une responsabilisation accrue et une acceptation de
l’incertitude de son sort. » De là à penser que le protestant a
l’initiative dans le sang, que le risque est pour lui une seconde nature, comme
le claironnent certains évangélistes actuels, adeptes de l’« Enrichissez-vous » ? « Le catholicisme est une société d’assistance et de secours
mutuel, résume Patrick Cabanel, quand
le protestant, seul face à Dieu, est l’entrepreneur de son propre salut. »
Et Cabanel de rappeler que monarchie absolue et catholicisme sont souvent allés
de pair, le catholique, plus passif, attendant tout de Dieu comme de l’Etat. « Notre Etat s’est laïcisé, mais la
France parle d’Etat providence, ce qui veut tout dire, quand les Anglo-Saxons
préfèrent le terme welfare state (bien-être). » Ajoutons un sens du collectif forgé
dans des Eglises protestantes autogérées, des assemblées démocratiques où le
croyant élit son pasteur tandis que le prêtre est nommé, et le protestant, bien
discipliné et ouvert aux réformes, semble paré de toutes les vertus. Dans « La
victoire de Luther » (2001), Pascal Morand prolonge cette supériorité
jusqu’à la construction de l’Europe et de l’union économique : tous les
systèmes de réglementation mis en place, les déficits de 3 % du budget, la
politique d’austérité, sont d’inspiration protestante, la prime étant donnée à
l’effort. Avec Bruxelles, c’est la morale protestante qui l’aurait emporté sur
la morale catholique.
Nuances. Mais cette
exclusivité entrepreneuriale des protestants doit être nuancée. Les lecteurs de
Jacques Le Goff et son « Moyen Age et l’argent » se souviennent
que le système bancaire fut inventé par des Italiens et les règles de la
fiscalité et de la comptabilité mises en place par les ordres mendiants. « Weber, dont Raymond Aron fut chez
nous le grand vulgarisateur, a donné lieu à de nombreuses critiques »,
précise Denis Pelletier, auteur de « La crise catholique ». Celle de Fernand Braudel, bien
sûr, grand historien de la Méditerranée et qui en réaffirma le rôle central.
Outre-Manche, Trevor-Roper a opposé à Weber le cas de l’Ecosse : pourquoi
ce pays presbytérien fut-il sous-développé industriellement au regard du reste
de l’Angleterre ? « En
France, explique Denis Pelletier, l’historien Michel Lagrée s’est servi de la Bretagne pour
contredire Weber. On a souvent répété que le sous-développement de cette région
était due à son fort catholicisme. Il démontre que son enclavement fut la
raison majeure et que, à partir des années 1950, son développement s’appuie
exclusivement sur la mobilisation des réseaux catholiques. » Plus
globalement, poursuit Denis Pelletier, le XIXe siècle engage
une forte réflexion des catholiques autour du progrès technique : est-il
chrétien ? La réponse du Vatican est oui : il est la continuation de
la création du monde. Réponse difficile à entendre dans une France marquée par
un autre lieu commun, la catastrophe économique qu’aurait provoquée la fuite
des huguenots à la révocation de l’édit de Nantes, avant le retour d’une
minorité agissante dans l’économie à partir du XIXe siècle.
« Malheur
français ». Que reste-t-il aujourd’hui de cet antagonisme ?
Quantifier l’infusion d’une religion et de ses effets secondaires est délicat.
Si l’on suit un Marcel Gauchet, tenant d’une sortie radicale du religieux, on
sourira de la mise en perspective d’Emmanuel Macron, toujours habile à faire
s’entrechoquer les lieux communs. Evoquer la difficulté française à se réformer
est une vieille rengaine. Après la dépression de 1929, les polytechniciens de
X-Crise, qui comptait dans ses rangs Alfred Sauvy ou Jacques Rueff, tirèrent la
sonnette d’alarme pour secouer la paralysie française. De leurs réflexions
émergeront tout de même nos courants technocratiques et planificateurs de
l’après-guerre. Au tournant des années 1960, le sociologue Michel Crozier se
fit aussi le chantre de la « Société bloquée », fustigeant le grand
ennemi d’alors, le phénomène bureaucratique, la machine administrative. S’il
fallait repérer un archaïsme, ne serait-il pas autant culturel que religieux ou
ethnique ? Tout en rappelant certaines heures de gloire des modernisations
à la française – les lois civiques et sociales de la IIIe République,
la charte de 1944, la période gaulliste –, Philippe d’Iribarne, auteur de
« L’étrangeté française » (Seuil), préfère nous parler de la
singularité des Français dans leur rapport à la réforme : « L’obsession qui nous traverse est la
suivante : sommes-nous traités selon le rang qui nous est dû ? La
réforme qu’on nous propose va-t-elle nous élever ou nous abaisser ? »
La France, insiste-t-il, a toujours été une société de rang où la liberté se
définissait en termes de dignité et d’égards, quand l’Angleterre la concevait
sous le modèle du propriétaire de biens ou l’Allemagne par la participation au
chapitre de la communauté. « La
Révolution, avec la loi Le Chapelier, a tenté d’abolir les corporations en
instaurant un système contractuel sur le modèle anglais, ce fut un échec. Dès
le XIXe siècle,
on a rétabli des statuts protecteurs, on a créé de nouvelles catégories, avec
un fort attachement à la logique du métier, chacun ayant sa “noblesse”. »
S’il fallait réintroduire l’argument catholique dans le débat, il serait avant
tout historique. Par hostilité à la Révolution française, qui avait renversé
l’ordre naturel, les catholiques au XIXe siècle ont
vigoureusement défendu les statuts professionnels. Y a-t-il là une exception
française ? D’Iribarne cite la création du « cadre », catégorie
apparue dans les années 1930, qui provoque toujours l’étonnement amusé de
nos voisins. La réticence des Français à la réforme serait donc due à cette
emprise persistante sur notre société de la considération, dont l’historienne
Fanny Cosandey avait décrit les origines dans la société de l’Ancien Régime.
Depuis, on a démocratisé le privilège. Mais, pour d’Iribarne, il ne s’agit pas
d’une fatalité : « Certes,
nous sommes friands de hiérarchies, de classements en tous genres, mais la
réforme est possible au sein du corps si vous la présentez en interne comme une
évolution remarquable. Ce fut le cas quand les PTT sont devenues France Télécom
ou quand EDF est passée de l’usager au client. »
Voilà peut-être le dernier ingrédient de ce que Marcel
Gauchet appelait le « malheur
français » : moins pour des raisons religieuses
qu’historiques, le Français attend tout d’un Etat universel. Il n’est donc pas
réfractaire à la réforme quand celle-ci vient d’en haut, surtout dans certaines
circonstances dramatiques, après une défaite. Mais il tient aussi à son rang, à
ses privilèges. Il ne reste qu’à résoudre l’équation du singulier et de
l’universel, autrement dit, la quadrature du cercle
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ces donneurs de leçons bienpensants souvent hypocrites en plus qui se baptisent eux même luthériens, jupitériens ou qualifient les français de gaulois ne sont que des personnages fats qui s'écoutent parler où se regardent le nombril !
Le tout attisé par des médias qui en rajoute et troublent les esprits des plus simples ou faibles !
Ils ne sont pas du tout du même monde des français lambda que le terme luthérien pour bien de ceux-ci ne savent même pas ce que cela peut vouloir dire, car ils ont d'autres problèmes à affronter dans leur vie courante quotidienne !
Et à cause de cela ne se mettent pas au niveau du peuple qu'ils ont à gouverner et qu'ils escroquent intellectuellement avec de bons mots ou discours alambiqués qu'ils n'écrivent pas eux-mêmes !
Le plus drôle ou triste comme on voudra, c'est que ces politiciens élus au plus haut de l'état quand ils sont rejetés par la majorité de ces français simples, lors d’élections, ils ne comprennent pas et certains s'accrochent ou s'acharnent pour revenir quel que soit leurs bords politiques !
Inutile de citer des noms on les connait et trouveront des gogos pour les soutenir, même s'ils ont été plus que médiocres, pauvre France et nos concitoyens pas assez exigeants qui râlent bien sûr, mais c'est tout ..!
Jdeclef 09/09/2018 14h50
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