dimanche 25 février 2018

L’inégalité a toujours existé depuis que le monde et monde comme les pauvres et les riches c'est dans la nature humaine !


Faut-il un conflit nucléaire ou une épidémie pour réduire les inégalités ?

ENTRETIEN. Selon l'historien de Stanford Walter Scheidel, seules les guerres et les catastrophes ont fait baisser les inégalités dans l'histoire. À méditer...


Les guerres, les catastrophes et les fléaux seraient-ils le seul moyen pour réduire les inégalités ? C'est la thèse-choc de The Great Leveler (Le Grand Égalisateur, Princeton University Press), un des livres de l'année 2017 pour le Financial Times ou The Economist. Son auteur, l'historien autrichien Walter Scheidel, est professeur à Stanford et spécialiste des sujets économiques dans le monde ancien. Dans cet essai magistral, il est remonté jusqu'à la Préhistoire pour pister les inégalités à travers les siècles. Sa conclusion va désespérer tous les supporteurs de Mélenchon : en période de paix et de prospérité, les inégalités n'ont cessé de croître. En revanche, les pestes, les effondrements de civilisation, les guerres totales du XXe siècle et les sanglantes révolutions communistes – qu'il nomme les « quatre cavaliers de l'Apocalypse » – ont, eux, permis de faire chuter le coefficient de Gini. « Seule une guerre thermonucléaire pourrait fondamentalement remettre à zéro les actuelles répartitions de ressources », ironise l'historien à la fin de l'ouvrage. Pour la première fois en France, Walter Scheidel s'exprime sur ce livre provocateur qui doit être traduit par Actes Sud. Entretien.
Le Point : Le Capital de Thomas Piketty a été un best-seller improbable, les « 1 % les plus riches » sont devenus un sujet politique, et même les libéraux s'inquiètent aujourd'hui de la montée des inégalités. Pourquoi, dans ce contexte, avez-vous voulu remonter jusqu'à la Préhistoire ?
Walter Scheidel : On ne cesse de parler des inégalités à court terme en rappelant, comme l'a fait Oxfam, que les 62 personnes les plus riches du monde possèdent autant de richesse net privée que la moitié la plus pauvre de l'humanité. Dans son livre, Piketty a fait un retour en arrière de deux cents ans, ce qui est très long pour un économiste (rires). Je me suis dit qu'il fallait le faire pour toute l'histoire de l'humanité. Cela a été une surprise, car je pensais qu'on trouverait des exceptions, mais non : quand on regarde sur des milliers d'années, la stabilité et la paix ont toujours favorisé les inégalités économiques. Cela est vrai pour l'Égypte des pharaons comme pour l'Angleterre victorienne ou les États-Unis de nos jours.
Quand sont apparues les premières grandes inégalités ?
Si vous avez un mode de vie nomade, il vous est difficile de transporter beaucoup de richesses. En plus, les anthropologistes montrent que les chasseurs-cueilleurs ont des normes égalitaires pour s'assurer que leurs faibles moyens de survie soient répartis parmi les membres de la tribu. Dans un groupe de dix ou vingt personnes, un seul membre ne peut accaparer l'essentiel des ressources, car cela n'est pas tenable socialement. Mais à partir du moment où les humains se sont sédentarisés, on a assisté à une transition sociale érodant l'égalitarisme des chasseurs-cueilleurs. Elle a débuté au Proche-Orient il y a 14 500 ans. Pour que les inégalités se développent, il a fallu à la fois une forme de propriété privée, et la capacité de transférer la richesse d'une génération à l'autre. À moins de procéder à une redistribution à chaque génération, ce qui est très disruptif et compliqué à mettre en place, des gens finiront mathématiquement pas être plus riches que les autres. Il faut d'ailleurs rappeler que la croissance économique requiert un certain degré d'inégalités en matière de revenus et de consommation, pour encourager l'innovation et les excédents. L'envie est un moteur très puissant chez les humains !
Pourquoi les empires, comme la Rome antique, ont-ils été le cadre de ce que vous nommez les premiers « un pour cent » ?
Les empires garantissent la stabilité, ce qui permet aux riches de transmettre à la génération suivante. Par ailleurs, les premiers États ont été aussi politiquement très inégaux, avec une oligarchie qui était en mesure d'accumuler les richesses par la corruption et l'extorsion plutôt que par le travail ou l'investissement. Dans les sociétés prémodernes, les grandes fortunes devaient ainsi plus à des raisons politiques qu'à des prouesses économiques. Plus ces empires ont été puissants, comme l'Empire romain ou l'empire Han en Chine, plus ces effets d'inégalités ont été marqués.
Quel était le coefficient de Gini dans l'Empire romain ?
On connaît le nombre de personnes dans les classes supérieures, et leur patrimoine. Ce qui permet de calculer un coefficient de Gini très rudimentaire. Pour l'Empire romain, on devait être entre 0,42 et 0,44. Il y a deux mille ans, les plus grandes fortunes romaines valaient 1,5 million de fois le revenu moyen dans l'Empire, soit le même ratio qu'entre Bill Gates et l'Américain moyen actuel. Mais la différence, bien sûr, c'est qu'aujourd'hui aux États-Unis, les pauvres ont de bien meilleures conditions de vie que ceux de Rome, dont un grand nombre étaient proches de la famine. Vous avez un coefficient de Gini similaire, mais ce n'est absolument pas la même expérience de vie !
La violence est le grand égalisateur, remettant en cause l'ordre établi
Il y a une exception notable dans le monde prémoderne : la Grèce du V et IVe siècle avant J.-C....
L'archéologie montre que les maisons à cette période ont souvent une taille médiane. On retrouve dans les cités grecques, et notamment à Athènes, des éléments de l'État moderne : la démocratie, les politiques de redistribution et la circonscription militaire qui donne une voix à chaque citoyen dans les affaires publiques. Mais une fois qu'Athènes a été incorporée dans des structures impériales plus larges, cet égalitarisme grec a vite été éclipsé par des concentrations de richesse.
Votre thèse est que seules de violentes ruptures ont, dans l'histoire, massivement réduit les inégalités. Pourquoi ?
La violence est le grand égalisateur, remettant en cause l'ordre établi. Dans l'histoire, on peut distinguer quatre grands types de chocs : les pandémies létales, l'effondrement des États, les révolutions transformatives, et les guerres avec mobilisation de masse. Ce sont les quatre cavaliers de l'apocalypse ! Prenez les épidémies. Dans les sociétés agraires, il y a toujours une pression démographique qui fait qu'il y a trop de paysans pour les surfaces cultivables. Mais après une pandémie comme la peste noire ayant, à partir de 1347, décimé plus d'un quart de la population européenne, les survivants se retrouvent avec plus de terres, et la main-d'œuvre est mieux rémunérée. Jusqu'au milieu du XVe siècle, les salaires de travailleurs urbains non qualifiés ont ainsi doublé. Mais une fois que la population revient à son niveau d'avant la catastrophe, les inégalités vont à nouveau croître. De même, l'effondrement des États ou de toute une civilisation, comme la chute de l'Empire romain, appauvrit tout le monde. Mais cela fait baisser les inégalités, car les riches ont bien plus à perdre dans une crise politique que les pauvres.
Au XXe siècle, expliquez-vous, les deux guerres mondiales ont compressé les inégalités à une échelle sans précédent dans l'histoire...
Entre 1914 et 1945, la part du revenu des « un pour cent les plus riches » a par exemple chuté de deux tiers au Japon, et de plus de la moitié en France. Les épidémies et les effondrements d'États sont emblématiques des sociétés préindustrielles, tandis que les guerres totales sont un phénomène moderne, car, auparavant, il n'y avait pas de mobilisation de masse à une échelle industrielle. Pendant les deux guerres mondiales, tous les pays n'ont pas été frappés aussi durement que le Japon, qui a perdu un quart de son stock de capital physique. Mais la grande majorité des pays engagés ont connu les mêmes phénomènes égalisateurs. L'effort de guerre provoque une hausse des impôts, la circonscription entraîne le plein emploi, il y a plus de demande pour de la main-d'œuvre non qualifiée, l'économie s'étatise ce qui dévalue la valeur du capital, le commerce international diminue, l'inflation monte... Surtout, il y a la nécessité d'un consensus social, avec cette idée que si les jeunes gens sacrifient leurs corps, les riches doivent aussi contribuer financièrement. Et, bien sûr, au Japon, en France ou en Allemagne, il y a eu la destruction physique d'usines. C'est pour ça qu'en plus de tous les autres effets de nivellement que j'évoquais, l'égalité a encore été plus forte dans ces pays frappés par les bombardements.
Pourquoi l'effet égalisateur a-t-il perduré après la Seconde Guerre mondiale, avec une baisse de la part des revenus des plus favorisés dans presque tous les pays occidentaux, jusque dans les années 1980 ou 1990 ?
Après un conflit de cette ampleur, les citoyens réclament une contrepartie à leurs sacrifices. L'État-providence était alors à son pic, avec une forte régulation dans les années 1950 et 1960. Cela change après le choc pétrolier de 1973, qui a amené les nations occidentales à reconsidérer leurs dogmes économiques, mais aussi avec la réduction graduelle des effets égalisateurs : ceux qui ont combattu disparaissent. Aujourd'hui, à l'image des supporteurs de Trump, beaucoup de personnes souhaitent revenir à cet âge d'or, mais il ne faut pas oublier que c'est le carnage de la Seconde Guerre mondiale qui a permis ça !
La guerre n'a jamais été une solution recommandable, mais elle l'est encore moins aujourd'hui...
Faudrait-il donc une « bonne guerre » ?
J'espère bien que non (rires). De toute façon, la guerre aujourd'hui est de nature technologique. Elle serait bien sûr disruptive pour les investisseurs, mais sans mobilisation de masse, les effets sociaux égalisateurs seraient beaucoup moins importants que durant les deux conflits mondiaux du XXe siècle. La guerre n'a jamais été une solution recommandable, mais elle l'est encore moins aujourd'hui...
La dernière option, c'est une révolution communiste ou, comme le disait Lénine, une « guerre à la mort contre les riches »...
C'était le programme même de ces révolutions : exproprier les classes supposées riches – les koulaks en Russie ou les propriétaires terriens en Chine ont servi de boucs émissaires – et si possible les tuer dans le processus. Tout ça pour passer à une économie planifiée dans laquelle le gouvernement fixe les prix et les salaires. Quand il n'y a quasiment plus de richesses privées, les inégalités sont très basses. Évidemment, cela n'est guère recommandé pour d'autres raisons, car ces révolutions ont causé des dizaines de millions de morts. Mais d'un simple point de vue des inégalités, cela a été un franc succès. En revanche, dès que les systèmes communistes s'effondrent, les inégalités explosent. En Russie, le coefficient de Gini pour les revenus du marché est passé de 0,26 ou 0,27 dans les années 1980 à 0,51 en 2011, tandis qu'en Chine, il a évolué de 0,23 en 1984 à 0,55 aujourd'hui. Les Chinois ont l'expérience la plus enviable, car cette hausse importante des inégalités a été accompagnée par la croissance. Tout le monde s'en sort mieux aujourd'hui que du temps de Mao, et l'inégalité est un prix à payer. Je pense que peu de Chinois s'en plaindront. En revanche, en Russie, il n'y a pas eu de croissance durable si on prend l'ensemble de la période depuis 1990. Des oligarques se sont approprié tous les actifs, tandis que les pauvres se sont retrouvés plus pauvres qu'avant. C'est une transition très différente...
N'y a-t-il pas dans l'histoire des mécanismes d'égalisation plus pacifiques ?
Je n'en ai pas trouvé beaucoup, et ceux qu'on peut repérer sont très modestes. Le cas le plus récent est l'Amérique latine, où il y a eu des réductions du coefficient de Gini dans plusieurs pays entre 2000 et 2013. Mais la question est de savoir si cela est durable, car on est passé d'inégalités très importantes à des inégalités importantes. Et, ces dernières années, à l'image du Brésil, on a assisté à des problèmes économiques et à un retour de bâton contre des partis de gauche défendant ces programmes de redistribution. Attendons donc de voir comment cela va évoluer.
Aujourd'hui, les inégalités augmentent dans les pays de l'OCDE, mais aussi en Inde ou au Pakistan. Est-ce une tendance globale ?
Dans les pays les plus peuplés, comme en Inde, en Chine ou en Indonésie, les inégalités ne cessent de croître. Au Pakistan, le coefficient de Gini pour le revenu de marché est passé de 0,30 en 1970 à 0,55 en 2010. C'est le résultat du libéralisme et de la mondialisation.
Les gens ne devraient pas s'imaginer qu'il y a des solutions simples pour réduire les inégalités !
Pourquoi ne partagez-vous pas l'idée de Thomas Piketty d'instaurer un impôt mondial sur le capital ?
Vous n'allez jamais arriver à faire s'entendre deux cents pays sur cette taxe ! Même le changement climatique n'arrive pas à provoquer une vraie coordination internationale... Piketty a une approche utopique. Or, les fondements historiques ne nous donnent pas beaucoup de raison de croire que cet impôt mondial fonctionnerait. Il faut être un peu plus réaliste que ça.
Vous rappelez que les dépenses sociales et la redistribution sont déjà élevées dans les pays européens, qui doivent par ailleurs faire face à deux défis : le vieillissement et l'immigration...
L'immigration est bonne d'un point de vue économique pour plusieurs raisons, mais elle n'est guère favorable à la réduction des inégalités. D'abord, les immigrés n'ont souvent pas le même niveau d'éducation et prendront du temps pour s'intégrer. Si vous créez une classe de citoyens de seconde zone, les inégalités vont inévitablement augmenter. Par ailleurs, les chercheurs Alberto Alesina et Edward Glaeser ont montré que les États-providence sont liés à l'homogénéité ethnique, ce qui expliquerait pourquoi les politiques de redistribution sont fortes dans les pays scandinaves, alors qu'elles sont faibles aux États-Unis, qui ont des populations plus diversifiées. Et avec la hausse de l'immigration en Europe, les électeurs vont avoir tendance à questionner le bien-fondé des impôts si une part grandissante sert à soutenir des gens pauvres de cultures différentes. D'un point de vue démographique, je pense d'ailleurs que l'immigration ne fait que commencer en Europe et que cela aura un impact sur le système...
L'intelligence artificielle et les biotechnologies entraîneront-elles de nouvelles inégalités ?
On peut, comme le fait Yuval Noah Harari dans Homo Deus , imaginer que la génétique et la cybernétique créeront une société à deux classes, avec d'un côté des surhommes et de l'autre des humains archaïques. Je réside dans la Silicon Valley, où des milliardaires rêvent de vivre éternellement. Cela n'arrivera pas demain, mais cela montre bien que ce désir est là.
La bonne nouvelle, dites-vous, c'est que les « quatre cavaliers de l'Apocalypse » ne reviendront pas de sitôt. Ne craignez-vous pas des révolutions ou de nouvelles guerres ?
Si on part du principe que les pires prédictions sur le réchauffement climatique vont devenir vraies, cela aura des effets disruptifs. Mais en dehors de ce scénario, je ne pense pas qu'il y aura dans un futur proche une autre guerre mondiale, une autre révolution transformative ou une épidémie du niveau de la peste noire. Comme l'a montré Steven Pinker, la violence ne cesse de diminuer au fil de l'histoire. Et alors que la grippe espagnole a tué de 50 à 100 millions de personnes entre 1918 et 1920, elle ne ferait aujourd'hui des dégâts que dans des pays pauvres.
Votre livre se conclut par ce message : « Tous ceux qui défendent une plus grande égalité économique feraient bien de se rappeler qu'à de rares exceptions près, cette égalité n'a pu se faire que dans le chagrin. Soyez prudents dans vos souhaits. » À gauche, on va dire que vous êtes bien trop fataliste...
Certains m'ont reproché mon pessimisme, mais je voulais simplement être ambivalent. Les gens ne devraient pas s'imaginer qu'il y a des solutions simples pour réduire les inégalités ! Il faut avoir en tête les enseignements de l'histoire pour comprendre à quel point il est difficile d'arriver à cet objectif de manière pacifique. Par ailleurs, je tiens à souligner que je suis très optimiste pour la réduction d'autres types d'inégalités, comme celles liées au genre ou à la race. Et n'oublions pas qu'il y a moins de pauvreté dans le monde, et qu'il y a moins d'inégalités entre les nations, car les pays en développement sont en train de rattraper leur retard !
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Mais un peu comme dans le monde animal, c'est pareil, le plus fort est souvent le premier à profiter !

Les êtres humains sont des animaux plus évolués, tellement qu'ils peuvent s'auto détruire par ce qu'ils inventent tout pour s'entretuer !

Et notamment un conflit nucléaire pour se rayer de la planète, voir plus la faire sauter!

Les épidémies il y en a eu d’importantes comme la peste noire au moyen-age ou la grippe espagnole en 1918/1919 plus près de nous qui a fait plus de 50 millions de morts selon l’institut pasteur !

Et le monde était moins peuplé et moins armé médicalement pour combattre ces épidémies !

Ceci étant inutile d’effrayer les populations comme le font certains personnages en mal de copie intellectuelle, c’est l’homme lui-même qui est le plus dangereux et qui risque de se détruire lui-même …

Mais les intellectuels donneurs de leçons ce peut être aussi pernicieux ?

Jdeclef 25/02/2018 17h19

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