Jacques Delors : « Éric
Zemmour a un discours de division et de haine »
ENTRETIEN. L’Europe, la
social-démocratie, Mitterrand, Thatcher, Kohl, Macron, Merkel… L’ancien
président de la Commission s’est confié au « Point ».
Un immeuble
presque banal dans le 5e arrondissement de Paris, à un jet de pierre
de l'ancien hôpital du Val-de-Grâce. Son nom ne figure pas sur l'interphone à
côté de la porte d'entrée. Pas d'officier de sécurité ni de dispositif de
surveillance particulier. À 96 ans, Jacques Delors termine sa vie comme il l'a
toujours menée : discrètement, sans tambour ni trompette. Au troisième étage,
l'appartement est tout aussi discret. Un séjour, qui donne sur la rue, dans
lequel trônent deux canapés et une table basse recouverte de livres en tout
genre : essais, biographies, romans… « Ma préférence va aux livres d'histoire », confie
l'hôte des lieux. Sa voix, ferme et un peu traînante, n'a pas changé. Le
physique non plus. Tout juste l'ancien président de la Commission européenne
(1985-1995) s'excuse-t-il de ne pouvoir se lever de son fauteuil, vaincu par
l'arthrose, qui l'empêche désormais de se mouvoir comme il le veut. Il espère
toutefois se rendre à Bruxelles le 8 décembre pour la remise du prix du Livre
européen . L'homme est chaleureux, sans effet de manche ni débordement. Une
sobriété de vie et d'expression qui ne lui interdit pas de conserver un regard
lucide et pragmatique sur l'Europe - la grande affaire de sa vie -, la France
et la société. Près d'une heure trente d'entretien sans afféterie ni
prêt-à-penser idéologique… Un instant hors du temps, loin des polémiques et des
facilités.
Le Point :Qu'attendez-vous de la présidence française de l'Union
européenne qu'exercera Emmanuel Macron à partir de janvier ?
Jacques Delors : Une présidence de l'UE consiste
en trois missions. La première, c'est de représenter l'Union européenne à
l'extérieur. Deuxièmement, le pays qui préside doit être un « honest
broker ». C'est-à-dire qu'il faut qu'Emmanuel Macron sache trouver
les compromis positifs. Et le troisième, c'est d'ouvrir des sentiers nouveaux
si c'est possible. Voilà ce qu'est une présidence de l'UE.
Sur quels dossiers lui conseilleriez-vous de faire porter toute
son attention et son poids diplomatique ?
Oh, je n'ai pas de conseil à donner à la présidence française, et
je ne veux pas lui compliquer la tâche. Je sais que le président de la
République est profondément engagé dans l'affaire européenne. Il faut
travailler en fonction d'où en est cette Union européenne et des problèmes
cruciaux du moment : l'urgence absolue de la lutte pour le climat, qui requiert
une relance écologique, créatrice de centaines de milliers d'emplois, une
politique énergétique européenne et - j'en rêve - une réelle politique sociale
! Et bien sûr, la responsabilité vis-à-vis de l'extérieur, la nécessité d'une
marge d'autonomie pour l'Union européenne dans ce spectacle mondial où chacun
tire à hue et à dia et essaie de faire parler de lui - que ce soit le président
de la Turquie ou celui d'un autre pays. L'Union européenne doit se demander où
elle peut raisonnablement agir.
Partagez-vous son concept de « souveraineté européenne » ?
Oui, mais ce n'est pas pour tout de suite. J'insiste sur la
méthode : quand j'étais à la Commission, de temps en temps, je demandais qu'on
installe une petite commission pour traiter de tel ou tel problème. C'est comme
ça qu'on a travaillé avec succès, notamment sur l'euro ou sur Erasmus . Donc il
faut absolument que l'Union européenne se charge des sujets majeurs. Ce qui
n'est pas ou plus possible, c'est l'annonce spectacle dont plusieurs
présidences ont abusé.
Vous pensez à qui ?
Je ne donnerai pas d'exemple. Mais je vous dirais bien franchement
- et vous pourrez me donner une mauvaise note - que je n'ai pas compris comment
ils allaient parler du futur traité.
Vous faites allusion à la Conférence sur l'avenir de l'Europe…
S'agit-il d'un processus où il fallait donner au Parlement
européen, à la Commission, aux ministres du Conseil des éléments de
satisfaction ? Je n'ai rien compris à cela. Ce serait ridicule que je me mette
à pérorer là-dessus.
L'Europe d'aujourd'hui ressemble-t-elle à celle de vos souhaits et
de vos rêves d'il y a vingt-cinq ans ? A-t-elle bien tourné par rapport à ce
que vous avez laissé en 1995 ?
Oui, mais en partie seulement. Il faut être un peu empirique dans
tout ça. Compte tenu du bouleversement du monde, des nouveaux rapports de
force, des nouveaux acteurs qui essaient de faire parler d'eux, je pense que
l'Union européenne est plus que jamais nécessaire. La question est aujourd'hui
de savoir si sa volonté est là et si ses méthodes de travail sont encore
adaptées.
Le Brexit, pour vous, c'est un crève-cœur ? Était-il inéluctable ?
Oui, je le regrette, mais je sais qu'il n'y avait pas moyen de
faire autrement. Mme Thatcher , qui était mon principal interlocuteur, avait
ses vues particulières sur cette question, mais il n'empêche qu'elle était
européenne. Et d'ailleurs, quand il a été question de me renouveler, elle a
levé la main. Et quand il y avait des conseils européens parfois très
compliqués - on y a passé des nuits ! -, eh bien, elle me demandait : «
Monsieur Delors, honnêtement, qu'est-ce que vous pensez de cela ? » Avec Thatcher
, je n'avais pas un chat noir en face de moi.
Pensez-vous que l'Histoire a été un peu injuste avec Margaret
Thatcher, qu'on a jugé trop sévèrement cette femme ?
Ce que j'ai déploré, c'est son absence de politique sociale, la
dureté qu'elle a par exemple montrée lors de la grève des mineurs . Voilà une
affaire qui est encore dans la tête de beaucoup de syndicalistes européens.
Mais, indépendamment de cela, elle a dirigé le pays à une époque où les leaders
des grandes entreprises britanniques préféraient jouer au golf plutôt que de
s'occuper de leurs affaires. Elle a d'ailleurs été sans indulgence avec eux.
Elle avait l'impression que l'Angleterre se laissait aller. Qu'un chef de
gouvernement ait cette prise de conscience, c'est très important. Margaret
Thatcher n'était pas au mieux avec les chefs d'entreprise et les banquiers, pas
plus qu'avec les autres classes sociales.
La Hongrie et la Pologne s'éloignent des valeurs des traités. La
Commission brandit les armes à sa disposition. Est-ce la meilleure façon de
traiter avec Budapest et Varsovie ?
On est là sur des questions de fond qui mettent en cause
l'existence même de l'Union européenne. Donc, on ne peut pas lâcher là-dessus.
Quand on touche au principe même d'un édifice qui est fondé sur un État de
droit, il faut absolument que les autres leaders soient fermes. Quand un chef
de gouvernement n'est pas d'accord sur telle ou telle position, on peut
discuter. Mais là, à mon avis, c'est trop sérieux. Il faut défendre le principe
même de l'entreprise européenne, qui est basée sur la compétition, le
développement et la solidarité.
N'est-ce pas la preuve qu'une Europe à 28 ou 27 est devenue un
bateau ingouvernable ?
C'est possible. Je n'ai pas de recette miracle. À 27, on s'éloigne
des projets qui étaient ceux de Jean Monnet ou Robert Schuman. Du moins, on les
rend beaucoup plus difficiles. Rien que le fonctionnement d'une Commission
européenne à 27, déjà…
Jusqu'où fallait-il aller ? Fallait-il ouvrir la porte de l'Europe
aux anciens pays du bloc soviétique ?
Compte tenu de l'idéal européen, on ne pouvait pas faire autrement
que de les accueillir. Mais nos institutions sont-elles faites pour ça ? J'en
doute. Le principe de subsidiarité, je suis le premier à l'avoir défendu. Mais,
attention, qu'on ne demande pas aux pays plus qu'ils ne peuvent en faire. Il va
falloir penser différemment une Europe à 27.
Sa
grande fierté
L'héritage intellectuel de Jacques Delors se perpétue à travers un
think tank d'excellence, l'Institut Jacques Delors, désormais implanté dans
trois villes (Paris, Bruxelles et Berlin). Une vingtaine de chercheurs sont
ainsi associés sous la houlette de Pascal Lamy pour couvrir tous les domaines
européens.
Dix
ans à Bruxelles
Jacques Delors a présidé la Commission du 6 janvier 1985 au 23
janvier 1995.
L'Espagne et le Portugal rejoignent la CEE le 1er
janvier 1986.
L'Acte unique européen, entré en vigueur le 1er juillet
1987, permet d'achever la construction du marché unique. C'est la plus grande
avancée depuis le traité de Rome de 1957. Il établit les « quatre libertés » :
libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes.
Signature en 1990 de la convention de Schengen, qui entre en
vigueur en 1995 : les frontières s'ouvrent.
Création de la Banque européenne pour la reconstruction et le
développement (Berd) en 1991.
Traité de Maastricht de 1992, dit traité sur l'Union européenne :
il jette les bases de l'euro, élargit les compétences de l'Europe à la
recherche, à l'environnement et à la politique étrangère commune.
Comment ?
Il y a deux choix. Le premier consiste à se rapprocher du
fonctionnement d'une organisation comme l'OCDE. C'est un organisme très utile
de temps en temps pour réunir un consensus international, comme récemment sur
l'imposition des Gafam. Mais ce n'est pas un système qui peut répondre aux
prérogatives qui sont actuellement celles de l'Union européenne.
L'autre choix consiste à déléguer davantage de pouvoirs à la tête
de l'Europe, mais avec des possibilités de sanctions ou de résolutions rapides
des désaccords. Actuellement, on est dans une formule bâtarde qui pouvait
marcher avec 6 ou 12 pays, mais plus maintenant.
Qu'entendez-vous par sanctions ?
Le projet pour avancer nécessite une Europe plus intégrée, tout en
demeurant une fédération des États-nations, ce pourquoi j'ai toujours plaidé,
me rendant compte à l'avance des difficultés qu'on aurait à 27. Il faut
réfléchir à une formule qui permettrait d'exprimer l'intérêt européen, de le
préparer, mais qui, en même temps, permettrait aux pays de se sentir à l'aise
selon le principe de subsidiarité.
Angela Merkel vient de finir un bail de seize ans à la tête de
l'Allemagne. De quel bilan européen peut-elle se prévaloir, selon vous ?
Son bilan est considérable. Considérable, même si elle doit quand
même une fière chandelle à Helmut Kohl …
... qui avait très bien préparé les choses avec la réunification …
Oui, c'était un chef-d'œuvre !
On reparlera de Kohl. Mais Merkel ?
Au début, Mme Merkel était dans un système d'observation des gens
et des faits. Elle ne cherchait pas à aller plus loin dans l'utopie européenne.
Elle voulait que ce qui existait marche. Aujourd'hui encore, je crois qu'elle
est restée attachée à cette notion, à la différence notamment des proeuropéens
français, qui ont toujours imaginé que cette Europe aurait un jour une
personnalité politique et une capacité de gérer certaines affaires dans le
monde.
Cette Europe politique est surtout souhaitée par la France,
l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et un peu les Pays-Bas. Mais elle n'est
pas partagée par tous. Et, l'égoïsme national prenant le dessus, on en arrive,
si l'on n'y prend pas garde, à avoir une société à responsabilité limitée. Ça,
c'est la fin de l'Europe.
Bien sûr, rien n'est simple. Durant les dix ans que j'ai passés à
Bruxelles, j'ai dû régler beaucoup de compromis. Ce n'était pas simple, mais il
y avait quand même un état d'esprit. On n'imaginait pas qu'on n'y arriverait
pas. Pour accoucher de l'Acte unique, on y a passé des nuits, mais on y est
arrivé. Cet état d'esprit constructif, il est surtout répandu chez les six pays
fondateurs, auxquels on peut ajouter l'Espagne et le Portugal.
Cet état d'esprit que vous décrivez n'a-t-il pas été bousculé par
un sentiment très fort de déclin en Europe, comme si ce continent sortait de
l'Histoire ?
Mais qui parle de l'Europe aux citoyens ? On ne peut pas aller à
un Conseil européen, puis en sortir en disant : « J'ai réussi, la France a
gagné. » Ce n'est pas possible. L'état d'esprit est une valeur, bien sûr
inquantifiable, mais d'une très haute importance.
On a le sentiment que l'Europe est un continent fatigué, blasé,
qui ne se voit pas comme une puissance face aux États-Unis et à la Chine. On ne
voit pas quelle est notre place…
Votre remarque est juste, mais il y a quand même des pays qui
savent être solidaires avec l'Europe, sans laquelle il n'y aura pas d'avenir.
C'est pour ça que j'ai indiqué que le projet européen repose sur le triptyque «
compétition, développement, solidarité ». S'il n'existe pas, si le partage des
fonds européens fait, par exemple, l'objet à chaque fois d'une tension
exceptionnelle, on n'y arrivera pas.
Mais l'Europe a été solidaire avec la Grèce, par exemple, et un
peu avec l'Italie. Donc, elle est encore solidaire avec ses membres les plus
faibles.
Oui, et là, le président Hollande, qu'on critique tant, a joué un
rôle très important, très positif sur la Grèce.
Vous avez dit à propos de Kohl : « La réunification, c'est un
chef-d'œuvre. » Expliquez-nous ce que vous entendez par « chef-d'œuvre ».
D'abord, Helmut Kohl , quand il avait 15 ans, a dégommé les
plaques frontières entre l'Allemagne et la France. C'est dire si la force de
ses convictions européennes vient de loin ! Ensuite, il n'a jamais changé.
Comme il avait de très bons rapports avec moi, je l'ai vu souvent hésiter parce
que, lui aussi, il était confronté à une opinion publique. Lui aussi, il devait
ménager des ministres, une Église forte, etc.
Sa popularité, juste après la chute du Mur, était extraordinaire
en Allemagne de l'Est. On ne doit jamais sous-estimer l'impact personnel de
quelqu'un. Chez Kohl, il était très important. J'admire également Kohl pour sa
façon de travailler. Vous vous rendez compte que trois soirs par semaine, à 18
h 30, il dînait avec les responsables de la ville où il était ? Ensuite, il
rencontrait les gens de son parti, la CDU. Il travaillait sur le terrain de
manière absolue. Il a résolu le problème de la réunification dans des
conditions quasi inespérées.
Pensez-vous que l'Histoire est davantage faite par des individus
que par les idées ?
Je crois que l'Histoire est faite par les idées, les valeurs, et
bien sûr les personnes qui les portent face aux rapports de force.
Qu'a fait Angela Merkel de bien pour l'Europe ?
Elle a permis d'élargir l'Europe et que l'euro vive. Elle se
réfère toujours à mon rapport sur l'euro. Quand elle sent des inquiétudes de la
part de la population, elle répète : « Voilà ce que voulait Jacques Delors. »
Depuis le début de cet entretien, vous avez dit du bien de
Thatcher, de Kohl et de Merkel. Tous des conservateurs !
Vous savez, respecter son interlocuteur, essayer de le comprendre,
c'est essentiel. Il faut bien admettre ça. Quand j'étais président de la Commission,
je savais qui était conservateur, qui était socialiste ou pseudo-socialiste,
mais je dépassais cela. J'essayais de m'adresser aux responsables en leur
disant : « Voilà l'enjeu de la décision qu'on doit prendre. »
Votre victoire est qu'aujourd'hui aucun candidat à la
présidentielle ne veut sortir de l'euro…
Oui. Je veux rappeler que la longue marche qui a mené à l'euro
doit beaucoup à Valéry Giscard d'Estaing et à Helmut Schmidt, qui ont créé le
système monétaire européen [SME]. Sans eux, on n'en serait pas là aujourd'hui.
Quand j'ai été nommé président de la Commission, je cajolais le SME, je me
disais : « Pourvu qu'il dure. » Il apprenait aux citoyens et aux gouvernements
ce rapport entre les uns et les autres. Dans l'Acte unique, le traité que j'ai
fait voter en 1985, l'euro était déjà écrit noir sur blanc. Il faut toujours
poser des jalons comme le Petit Poucet essaime ses cailloux.
Quel regard portez-vous sur le bilan à mi-mandat d'Ursula von der
Leyen, votre lointaine successeure ?
Elle a choisi une autre façon d'agir que moi, mais elle avance à
un moment où la tâche de la Commission n'est pas facile. J'essayais toujours
d'avoir deux longueurs d'avance, car les nécessités économiques, sociales et
financières amenaient toujours les gouvernements à accepter un partage
différent des pouvoirs. Quand je suis arrivé à la Commission, le marché
intérieur était en panne ; presque rien n'avait été fait. Il fallait
l'unanimité pour avancer. Cette règle avait bloqué les efforts de mes
prédécesseurs. C'est pour cela que j'ai voulu faire adopter une réforme du
traité permettant le vote à la majorité qualifiée. À partir de là, nous avons
pu adopter plus de 100 mesures sur le marché intérieur.
Ne trouvez-vous pas que les choses ont changé, que les relations
politiques sont beaucoup plus dures, qu'on est davantage dans un rapport «
ami-ennemi » ?
Non, pour la France, le problème, c'est de muscler son économie,
de se rassembler autour des réelles attentes du pays. Si l'on faisait cela, la
quadrature du cercle disparaîtrait pour l'Europe.
Pour muscler son économie, qu'est-ce qu'elle doit faire ?
Je me suis beaucoup intéressé à l'entre-deux-guerres, 1919-1939.
Comment se fait-il que la France soit arrivée au seuil de la guerre dans cet
état-là et sa défaite ? Le peuple français n'est pas facile. Trop souvent, il
regarde dans le rétroviseur. Mais il est capable de comprendre des projets, de
s'élever au niveau de ces projets.
Pour moi, la France doit miser sur l'éducation - dont
l'enseignement technique - et l'industrie, à tous les niveaux : des chercheurs,
des ingénieurs comme des ouvriers. Il faut redonner aux Français le goût de
l'industrie, d'une industrie plus écologique. C'est ce qui créerait le plus de
valeur ajoutée.
Oui, mais est-ce qu'il ne faut pas aussi leur redonner le goût du
travail ? Est-ce qu'on travaille assez en France ?
Le goût du travail est aussi répandu en France qu'ailleurs. Il
suffit d'aller dans nos régions et de voir les créateurs d'entreprise, les
agents publics, les agriculteurs pour se rendre compte qu'on bosse en France.
Les Français demeurent très travailleurs. Si un jeune de 16-17 ans n'avait pas
envie de travailler, comment pourrait-il se construire et s'intégrer à la
société ?
Et la fiscalité française, est-ce un sujet qui nous discrimine par
rapport aux autres pays européens ?
Il faut de toute façon diminuer l'imposition des classes moyennes,
qu'elle ne fragilise pas les efforts de ceux qui essaient de sortir la France
de la situation actuelle. Je crois que c'est absolument nécessaire.
Une ultime question sur l'Allemagne. Il y a une coalition de
centre gauche avec les Verts qui se dessine : FDP, SPD et Die Grünen. S'agit-il
d'une coalition aussi favorable à l'Europe, favorable à la France, ou y a-t-il
de vraies différences ?
Les Verts allemands sont très européens.
Vous sentez-vous écologiste ?
Oui. Je vous invite à reprendre le rapport que j'ai fait pour le
Conseil européen de 1993, et vous verrez que l'écologie y avait toute sa place.
Pour une raison simple, très simple. Nous avons besoin de notre Terre. Si nous
abusons de la Terre, elle prendra sa revanche ; ce sera la fin du monde.
Trouvez-vous que l'écologie est bien défendue en France, qu'on est
à la hauteur des enjeux ?
Je ne peux pas me prononcer sur la qualité en France par rapport
aux autres pays. Ce que je veux dire, c'est que l'on peut parler écologie sans
soumettre l'ensemble des décisions économiques, politiques et sociales à
l'écologie. Ça, ce n'est pas possible.
Êtes-vous favorable au nucléaire ?
Il vaut sans doute mieux construire de petites centrales
nucléaires plutôt que d'acheter du gaz à l'extérieur. Mais il faut surtout
développer les énergies renouvelables.
C'est en grande partie pour les Allemands que François Hollande et
Emmanuel Macron ont fermé Fessenheim… Est-ce un excès de pouvoir ?
Les Allemands n'ont pas raison sur tout. On peut être en bonne
entente avec l'Allemagne et pourtant lui donner notre avis quand il est
différent. Mais Fessenheim est une vieille centrale qui comporte des dangers !
Quelles sont les pires bêtises que vous entendez en ce moment dans
le débat politique français ?
Dans la course à l'échalote de la présidence de la République, les
médias et les hommes politiques ont fait que la solennité de la fonction est en
train de disparaître. On ne peut pas, sous prétexte d'être chroniqueur dans une
émission à droite ou à gauche, ou pour d'autres, se dire, en se rasant le matin
: « Tiens, je vais être candidat à la présidence de la France. »
Vous pensez à Éric Zemmour ?
Notamment, surtout si on entend son discours de division et de
haine. La vie politique s'est affaiblie. Le rôle déclinant du Parlement,
l'abstention aux élections locales, tout cela est un avertissement pour nous.
Raison de plus pour faire de l'élection présidentielle une véritable réponse
aux difficultés et aux aspirations de notre pays et des Français.
Vous êtes inquiet pour l'avenir de la démocratie en Europe ?
Je ne crois pas. Il y a bien sûr, partout, une tendance à
l'autoritarisme ou à la recherche de l'homme providentiel. Cela tient largement
au fait que les Européens sont bousculés par les transformations du monde.
D'autres géants apparaissent, et, par conséquent, la place de l'Europe n'est
plus ce qu'elle était. Regardez cette affaire des sous-marins qui a beaucoup
heurté les Français.
N'est-ce pas une gifle dans la figure de l'Europe, ce renversement
d'alliance entre les Américains, les Australiens et les Britanniques ?
C'est une tentative pour reléguer l'Europe, sa culture, ses
valeurs, au second plan.
Vous avez toujours revendiqué être catholique. Qu'est-ce que cela
veut dire concrètement ?
Être catholique, c'est ma vie personnelle. Mais j'ai une fierté :
avoir été élevé au patronage catholique et à la Jeunesse ouvrière chrétienne.
Jamais je n'ai considéré que c'était une supériorité par rapport à mes
contemporains. Dès que j'ai eu 17-18 ans, lors des batailles sociales que j'ai
menées, je ne faisais pas de différences entre celui qui croit en Dieu et celui
qui ne croit pas. C'est essentiel pour tout croyant, quelle que soit sa
religion, de se comporter de la sorte. C'est cela, la laïcité.
L'Europe et plus encore la France s'inquiètent de l'islamisme.
Comprenez-vous cette inquiétude ?
La société française ne doit pas perdre ce qu'il y a de commun
entre nous. C'est ce que cherchent les terroristes, comme les extrémistes de
toutes parts. Dans beaucoup de villes françaises, vous savez, il existe encore
des cérémonies communes aux catholiques, aux protestants, aux musulmans.
Le modèle laïque français est très critiqué.
La laïcité est un principe fondamental de la société française et
même de notre démocratie. On ne peut pas jouer avec ça. Plus jeune, j'ai connu
des moments où j'avais l'impression qu'être laïque, c'était être contre la
religion catholique. C'était une impression subjective, comme je l'ai compris
plus tard. La laïcité doit être replacée comme un élément fondamental de notre
République.
C'est au nom de l'Europe chrétienne que des leaders comme Viktor
Orban considèrent que l'Occident est en train de saper l'héritage européen…
Il a tout à fait tort ! D'ailleurs, en disant cela, il a interdit
la liberté des couples homosexuels. Il ne peut pas utiliser l'argument
catholique. Ce n'est pas à l'État de dire aux femmes et aux hommes qui ils
doivent aimer !
En quoi votre foi vous a-t-elle influencé dans votre vie politique
publique ?
Quand j'étais à l'école communale, je me suis aperçu que des
copains aussi doués que moi allaient être envoyés à l'usine vers 14-15 ans. La
prise de conscience de cette inégalité des chances en matière éducative a été
l'un des fondements de mon engagement ultérieur. Au point de présider la
commission de l'éducation de l'Unesco et que je me serais bien vu un jour
ministre de l'Éducation nationale…
C'est votre regret ? Vous auriez préféré être ministre de
l'Éducation plutôt que des Finances ?
Ah non ! Aux Finances, on a sauvé les meubles en 1983. François
Mitterrand était tenté de quitter le Système monétaire européen. Pierre Mauroy
lui a dit : « Je ne sais pas conduire une voiture sur le verglas. » Et puis, on
a cassé l'inflation, si dure pour les classes populaires et pour l'économie.
Que reste-t-il de François Mitterrand ?
D'avoir permis à la gauche de gouverner et que les Français en
voient les bienfaits… Jusqu'à 1981, c'était la grande disette. Sans François
Mitterrand, les socialistes auraient été dans les années 1980 dans le même état
qu'aujourd'hui.
Sans Mitterrand, les socialistes n'auraient jamais été au pouvoir
?
On peut sans doute dire cela pour 1981 …
La fédération PS du Nord comptait, dans les années 1990, 11 000
adhérents, contre 1 700 aujourd'hui. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Cela est dû à la perte de valeurs, dans le Nord comme ailleurs. Il
s'est passé que, dans le Nord, même le fond catholique de la société s'est
dissous. Aussi bien chez les patrons, les grandes familles du textile, que chez
les ouvriers. Il y avait dans cette région moins d'individualisme que dans le
reste de la France et un souci du travail en commun. Malheureusement, cela
aussi a disparu.
Pourquoi y a-t-il moins de socialistes dans le Nord ?
C'est le cas dans toute la France… La présidence de François
Hollande a fragilisé le fondement du socialisme français. Le désenchantement a
été accéléré par l'échec de son quinquennat.
Comment vous définiriez-vous politiquement ?
Je suis un social-démocrate. Je crois au compromis entre l'État et
le marché, entre l'État et les partenaires sociaux, et à une forme implicite de
compromis entre le patronat et les syndicats pour aboutir à des négociations et
à des résultats fructueux. La social-démocratie offre la possibilité aux
citoyens d'être vraiment des citoyens dans un État qui accorderait des revenus
de redistribution, ce qui est nécessaire pour faire vivre socialement les gens.
Il y a quelques années, le ministre des Finances du Danemark a expliqué que la
social-démocratie marchait chez lui « car les gens en ont pour leur argent ».
Cette phrase est très profonde. Matérialiste, mais très profonde.
Pourquoi la social-démocratie n'a-t-elle jamais marché en France ?
La social-démocratie telle que je la conçois ne fait pas partie
des fonts baptismaux du socialisme français. Il n'y a jamais eu en France de
grains jetés pour qu'elle puisse vivre et prospérer.
N'était-ce pas à François Hollande de le faire quand il fut
premier secrétaire du PS pendant dix ans ?
Je ne me prononcerai pas là-dessus. Je ne veux pas créer de
polémique.
Emmanuel Macron est-il social-démocrate ?
Non, toute sa politique le démontre. Le socialisme a existé en
France. Le socialisme parlementaire également. Mais jamais la
social-démocratie, avec ses compromis de base qui permettraient au pays de
vivre harmonieusement.
Le responsable de cet échec n'est-il pas un certain Jacques
Delors, qui ne s'est pas présenté en 1995 à la présidentielle ?
Je vous laisse le soin de tirer les conclusions. [Un long
silence.] Je n'ai pas de regrets, mais je me pose la question. Je
ne dis pas que j'ai eu raison. On ne peut pas entrer dans la vie publique si de
temps en temps on ne se regarde pas dans un miroir. Mon parcours du point de
vue de la vie politique française n'est pas fameux… J'avais un souci
d'indépendance trop grand, et je me sentais différent de ceux qui
m'entouraient. Ma façon de faire de la politique n'était pas la même.
Finalement, pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté ?
Deux jours avant de parler à Anne Sinclair, j'avais divisé une
feuille de papier en deux. À gauche, les raisons qui me poussaient à me
présenter, à droite celles qui m'en empêchaient. En me couchant, la colonne
favorable comptait un argument de plus. J'ai passé une très mauvaise nuit,
agitée, indécise et remplie de cauchemars. Au petit matin, j'ai ajouté deux
arguments à la colonne de droite…
Peut-on savoir lesquels ?
[Longue hésitation.] J'ai considéré qu'une partie du
Parti socialiste ne me soutiendrait pas autant qu'il le faudrait. Et que je
n'aurais pas le soutien du centre gauche. La seconde, c'est que cette situation
risquait de m'empêcher d'agir comme je le croyais bon pour la France.
Soutiendrez-vous un candidat cette fois-ci ?
Bien sûr, je voterai pour un candidat, mais je préfère rester à
l'écart de tout ça. Je ne serais pas utile.
Si vous deviez laisser un bréviaire politique, quels seraient les
conseils de Jacques Delors ?
Tout d'abord, clarifier les rapports entre l'État, les chefs
d'entreprise et le syndicalisme, s'appuyer sur le mouvement associatif et les
citoyens engagés. C'est fondamental. Le second point, c'est de faire comprendre
que la rigueur, ce n'est pas une politique, c'est une manière d'être et de
gouverner. La rigueur, c'est-à-dire bien gérer, c'est un impératif. Avec
l'évolution des besoins, avec les inégalités, nos pays ont des espoirs
importants, il est donc nécessaire d'y répondre. Le troisième point, c'est de
considérer le social comme essentiel. Mais il n'y a pas de social si l'économie
ne marche pas. Il n'y aura pas non plus de transition écologique réussie sans
politique de solidarité.
Quel est votre plus vieil ami ?
Mes grands amis sont pour la plupart inconnus du grand public. Je
vous cite parmi eux : Pascal Lamy , qui coordonne les trois instituts Jacques
Delors, et le vicomte Étienne Davignon, qui préside le dernier, né à Bruxelles.
Celui-ci est belge, comme moi aussi un peu. C'est un très grand Européen.
Ensemble, nous parlons surtout d'économie, de l'Europe et des drames dans le
monde… mais aussi de football.
Vous lisez beaucoup. Quels sont les livres qui vous ont marqué ?
J'ai surtout une prédisposition pour les livres historiques. La
période qui m'intéresse le plus est celle de l'entre-deux-guerres, de 1919 à
1939. La défaite française m'a poussé sur les routes avec ma mère. Nous avons
quitté Paris pour échouer en Auvergne, où nous avions des parents. Ça m'a
beaucoup marqué. C'est pour ça que je continue à lire sur le sujet. Les
universitaires américains ont produit de grands travaux sur la France de cette
époque.
Quand vous regardez le journal de 20 heures, que vous dites-vous ?
Il ne faut pas que l'ambition humaine aille contre les éléments
fondamentaux de l'existence de l'ensemble. Le problème fondamental, c'est
d'abuser de la Terre.
Qu'aimeriez-vous dire aux Français ?
Leurs inquiétudes concernant la France sont excessives, même si
beaucoup ont de lourds problèmes, car il y a des raisons d'espérer. On ne peut
le faire que si la citoyenneté est importante. Elle implique des droits et des
devoirs. Il ne faut jamais penser que l'on s'en sort seul. L'aventure
individualiste, c'est le danger numéro un dans les démocraties, y compris en
France, où l'individualisme est tout de même assez fort.
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De
prendre le pouvoir quand il en avait la possibilité, car il est toujours plus
facile de discourir et de donner des leçons de bienpensant plutôt que d’agir !
En fait
il en a peur, de ce vieux clown triste polémiste !
De ce ZEMMOUR
qui n’est qu’un aboyeur de foire de plus comme J.M. LE PEN qui lui ne voulait
pas le pouvoir seulement semer le souk dans les partis politiques classiques ou
comme sa fille qui coure après le pouvoir mais n’a pas l’envergure de chef d’état
sans oublier le vieux MELENCHON tribun qui se fait plaisir à chaque élections
présidentielles, mais qui a trouvé sur
sa route ce nouvel épouvantail télévisuel qui lui fait de l’ombre dans cette
clique d’extrémistes bas de plafond que les français trainent comme des boulets
qui pollue la classe politique française déjà assez médiocre comme cela depuis
les décennies !
Les
autres prétendants qui se présentent sont déjà hors-jeu malgré leurs gesticulations
médiatiques !
Si par le
piège de cette élection à la présidence de la république à 2 tours qui ne répond
plus à ce qu’attendent les Français de cette Vème république obsolète ZEMMOUR se
retrouvait opposé à MACRON et bien rien ne changerait, car il serait battu par
la majorité silencieuse qui n’aurait pas le choix se réveillerait et revoterait
pour le président sortant !
Il n’y a
que la droite classique si elle choisi à sa primaire le meilleur candidat et il
existe sans se diviser en laissant leurs égos à la porte qui peut battre le
président Macron !
Jdeclef 06/11/2021
12h24
Les modérateurs du point sont incurables avec leur censure inutile moyenâgeuse ne respectant pas la liberté d'expression dont certains sont morts pour elle seul vrai droit qui reste aux français mais ces agents à la solde de leur rédaction sont bornés pour les commentaires n'entrant pas dans le cadre des idées politiques de celle-ci c'est simplement une honte de faire un tel métier qui n'est pas du journalisme !
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