Ce que coûte vraiment (et
rapporte) l’audiovisuel public aux Français
LETTRE DES MÉDIAS. Éric
Zemmour et Marine Le Pen veulent privatiser l’audiovisuel public. Redevance,
économies, dotations de l’État… Nous avons fait les comptes.
Quelques
mois après Marine Le Pen, c’est au tour d’un autre candidat à la
présidentielle, Éric Zemmour, de proposer de privatiser l’audiovisuel public,
« en particulier France Inter et France Télévisions ». Il promet de
supprimer la redevance audiovisuelle, qui est de 138 euros en métropole et
88 euros en outre-mer (et non de 168 euros comme affirmé par Éric
Zemmour sur RTL). Ce sujet sensible fera probablement débat dans les prochaines
semaines, à l’approche de l’élection. Mais combien coûte vraiment l’audiovisuel
public ?
Les Français, on le sait, paient la redevance, aujourd’hui appelée
contribution à l’audiovisuel public (CAP). Du moins ceux qui déclarent posséder
au moins un poste de télévision. Elle sert à financer les antennes publiques de
radiodiffusion et de télévision, c’est-à-dire France Télévisions (France 2,
France 3, France 5, France 4 et la plateforme pour enfants Okoo,
Culturebox…), mais aussi Radio France (France Inter, France Info, France Bleu,
France Culture, Mouv…), Arte-France, le réseau d’outre-mer (La Première…),
l’Institut national de l’audiovisuel (INA), TV5 Monde et France Médias Monde,
la société de l’audiovisuel extérieur de la France qui abrite la chaîne
d’informations France 24 et les radios RFI et Monte-Carlo Doualiya.
Quand
Netflix et Disney + boutent les chaînes françaises hors des télécommandes
3,7 milliards d’euros pour l’audiovisuel public
Environ 28 millions de foyers paient la CAP. Son montant est
mensualisable, soit en métropole 11,50 euros à payer par mois. Bref,
2,50 euros de plus qu’un abonnement à Disney + ou Netflix (pour un
seul écran). Supprimez la redevance, c’est donc redistribuer aux
28 millions de foyers français qui la paient un peu moins de 12 euros
par mois. Afin de poursuivre les économies voulues par le gouvernement (environ
200 millions entre 2018 et 2022), son prix a baissé de
1 euro en 2020. Mais il était de 116 euros en 2006. Dans ses travaux
sur le projet de loi de finances pour 2022, le Sénat rappelle que les réductions sur
la CAP, environ 200 millions depuis 2018, visent à accélérer « la
transformation de ces sociétés, en premier lieu France télévisions et Radio
France, afin de réduire leurs coûts de gestion, en particulier celui de la
masse salariale ».
En 2022, l’audiovisuel public percevra grâce à la CAP
3,7 milliards d’euros, contre 3,9 milliards il y a quatre ans, en
2018. Un montant global qui continue de faire tiquer les chaînes de télévision
privées. « France Télévisions a un budget annuel d’environ 3 milliards
d’euros qui égale l’ensemble des recettes publicitaires de la télévision
commerciale. Même chose pour Radio France, dont le budget de 700 millions
[670 millions plus précisément en 2022, NDLR] équivaut à l’ensemble des
recettes publicitaires des radios privées. », s’agaçait il y a un an
Nicolas de Tavernost dans un entretien au Point.
La répartition de ces 3,7 milliards d’euros ?
2,4 milliards pour France Télévisions en 2022, 588 millions pour
Radio France (contre 608 millions en 2018). Suivent Arte (qui touchera via
la CAP environ 280 millions pour 2022), France Médias Monde (environ
555 millions), l’INA (près de 90 millions) et TV5 Monde (environ
80 millions).
France Télévisions : un mastodonte ?
Regardons France Télévisions d’abord. Le groupe présidé par
Delphine Ernotte emploie environ 9 000 personnes (équivalent temps plein)
et capte près de 30 % de l’audience. Il recevra
en 2022 14 millions d’euros de moins de CAP
qu’en 2021 et 160 millions de moins qu’en 2018. La redevance
payée par les Français, qui est « une taxe affectée et ne coûte rien à
l’État », souligne-t-on au sein du groupe public, couvre environ 90 %
des dépenses. Néanmoins, avec la crise sanitaire, l’État a mis la main au
portefeuille. Il a accordé à France Télévisions une dotation exceptionnelle de
45 millions d’euros pour 2021-2022 dans le cadre du plan de relance, ce
qui a fait grincer les dents des chaînes privées.
Il s’agit de compenser notamment la chute des
recettes publicitaires et la hausse des coûts due à la crise sanitaire (achat
de masques, gel, nettoyage et aménagement des locaux, reports d’événements
sportifs diffusés…). Le groupe public fait valoir que la CAP, que paient les
citoyens pour avoir un service public audiovisuel, est sensiblement inférieure
à la redevance payée par les Britanniques et les Allemands (environ
200 euros, contre 138 euros pour la CAP) avec un bassin de
population plus large dans ces deux pays. France Télévisions possède des
ressources propres, en particulier les recettes publicitaires, qui atteignent
environ 380 millions d’euros cette année.
Il est sain, dans une démocratie,
que l’audiovisuel public soit un sujet de débat.Delphine
Ernotte
« L’audiovisuel public appartient à tous les Français. Il est
donc normal, et même sain dans une démocratie, qu’il soit un sujet de
débat », a dit récemment Delphine Ernotte dans un entretien aux Échos.
Elle insiste sur l’envers du décor que certains politiques et dirigeants du
secteur privé ont tendance à oublier : « France Télévisions n’est pas
qu’un centre de coûts. Nous créons de la richesse et de l’emploi non
délocalisable. »
Un fort impact sur le PIB
Pour convaincre les plus sceptiques, elle fait valoir :
« Chaque euro de redevance a un effet multiplicateur de 2,40 euros
dans l’économie française. À elle seule, France Télévisions génère
4,4 milliards d’euros de PIB et 62 000 équivalents temps plein, dont
40 % en région et en outre-mer. C’est davantage qu’une société comme
Airbus en France ! » Parmi les exemples d’investissements du groupe
audiovisuel public qui font tourner l’économie française, on trouve les
500 millions d’euros consacrés chaque année à la création. De nombreux
groupes privés, notamment des sociétés de production comme Mediawan (série Dix pour cent
et émission
C’est dans l’air réalisés pour France Télévisions) ou Banijay (Fort Boyard
ou N’oubliez pas
les paroles sur France 2) en profitent.
Banijay-Mediawan :
comment la France est devenue un géant de la production audiovisuelle
Radio France (environ 30 % de part de marché et
15 millions d’auditeurs chaque jour, soit 2 millions de plus qu’il y
a cinq ans) vient d’approuver son budget 2022, d’environ 670 millions
d’euros. La redevance représente environ 85 % de ce montant. La direction
du groupe radiophonique public fait valoir qu’environ 40 % de budget est
consacré à France Bleu, cinquième radio du pays à la rentrée 2021, et donc à
l’animation d’un réseau de 44 stations locales proches des Français.
Un coût de 255 millions d’euros qu’aucune radio privée ne pourrait
amortir… Le groupe dirigé par Sibyle Veil fait travailler un peu plus de
4 500 salariés. La masse salariale pèse près de 400 millions d’euros
(396 millions). La Maison ronde souligne qu’elle baissera
en 2022 de 4 millions par rapport à cette année. Dans le cadre
du plan de relance du gouvernement pour 2021-2022, le groupe radiophonique a
reçu 20 millions d’euros de dotation exceptionnelle. Aujourd’hui, France
Inter est la première radio du pays et France Info, la troisième.
France
Bleu : l’amie des Français et l’antidote contre le parisianisme
Les orchestres et les missions de service public de Radio France
Parmi les critiques récurrentes, celle contre les formations
musicales. « Quel besoin d’avoir autant de formations et de brûler autant
d’argent ! », peste un concurrent privé. Elles sont au nombre de
quatre : Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio
France, Le Chœur de Radio France et La Maîtrise de Radio France. Leurs dépenses
atteignent chaque année un peu plus de 80 millions d’euros. Pour la
direction du groupe public, les formations ne font plus débat aujourd’hui car
la nouvelle offre de salles de concerts – l’auditorium de Radio France, qui a
ouvert ses portes en 2014, la Philharmonie de Paris, en 2015, et la Seine
musicale, en 2017 – ont « créé la demande ». Du coup, la
billetterie de Radio France tourne à plein régime, tandis que les formations
donnent de larges concerts publics, comme celui de l’orchestre national de
Radio France le 14 juillet au pied de la tour Eiffel.
Dans l’entourage de Sibyle Veil, on évoque les gros efforts
réalisés – une quarantaine de millions d’euros d’économies déjà réalisées et un
accord de rupture conventionnelle collective. On met en avant une offre forte
de contenus numériques, en particulier de podcasts, dont les jeunes sont
friands, et le soutien au secteur culturel, avec 200 acquisitions chaque
année d’œuvres notamment pour des fictions sonores. Sans chiffrer son
impact sur l’économie tricolore, Radio France insiste sur ses missions de
service public « essentielles durant la crise sanitaire ».
« Il
n’y a pas de blacklist à France Info »
Le cas du « soft power » à la française
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