Patrick Stefanini : "La droite n'est pas
morte !"
Dans son livre "Déflagration", l'ex-directeur de
campagne de François Fillon dévoile tous les secrets de la campagne
présidentielle. Et assume ses erreurs.
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Le Point : Vous reprenez la parole et la plume après huit mois de silence ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire ce livre ?
Patrick Stefanini : La droite vient de vivre sa défaite la plus sévère depuis le début de la Ve République. Cela faisait trois générations que nous n'avions pas vu une telle déroute. Nous ne sommes ni en 1988 ni en 1997. Ce furent aussi des défaites, mais l'espoir de l'alternance était toujours là et les fondamentaux ne paraissaient pas atteints. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus grave.
J'ai été un acteur de cette dernière campagne présidentielle, j'ai même été au cœur de la machine. Il me semble donc que mon récit peut intéresser de nombreux Français. J'ai participé à de multiples campagnes et je sais d'expérience que la réalité dépasse souvent la fiction. Je l'ai vécu en 2002, mais encore plus en 2017. Tous les Français sont restés ébahis, interloqués devant la cascade de rebondissements qui a marqué la primaire de la droite puis la présidentielle. J'ai pensé qu'un fil rouge serait utile pour comprendre cette « déflagration ». Je me méfie des raccourcis « c'est la faute de Fillon » ou, à l'inverse, « il a manqué de très peu la qualification au premier tour ». Je crois ces explications fausses. La droite a un talent certain pour ne pas faire l'inventaire de ses défaites, c'est dommage. Quand on ne s'interroge pas sur les raisons de l'échec, le risque est de perdre de nouveau.
Avez-vous hésité à écrire ?
Non.
Preniez-vous des notes pendant la campagne ?
Je n'ai pris aucune note, ni pendant la campagne ni pendant les quatre ans durant lesquels j'ai travaillé avec François Fillon. Mais j'ai une très bonne mémoire et le fait d'avoir conservé mes mails m'a aidé à reconstituer une chronologie qui aurait pu être défaillante.
Craignez-vous la façon dont ce livre va être accueilli par une certaine partie de la droite ?
Cet ouvrage n'est destiné ni à rendre hommage à telle ou telle personnalité de la droite ni à faire plaisir à tel ou tel de ses courants. J'ai le goût de la liberté et de l'indépendance d'esprit. Certains, peut-être, n'aimeront pas ce livre, d'autres ne partageront pas mes analyses politiques ou électorales, j'assume ces risques. J'ai mis en exergue de ce livre une citation un peu mystérieuse de Sir Walter Raleigh : « Quiconque écrivant une histoire moderne et suivant la vérité de trop près pourrait se voir mordu par elle. » Je fais le récit de ce que j'ai vu ou entendu ou de ce qu'on m'a rapporté de façon certaine. Libre aux autres acteurs de cette campagne d'écrire un livre s'ils veulent apporter leur vérité. Je décris sans fioritures les comportements des uns et des autres, mais j'ai essayé de ne pas porter de jugement sur les personnes.
Avez-vous discuté de votre projet avec François Fillon ?
Non. Si j'avais fait part à François Fillon de mon souhait d'écrire un livre, il aurait sans doute essayé de m'en dissuader.
L'avez-vous revu ?
Non, nous nous sommes parlé au téléphone une fois. Et je lui ai envoyé mon livre avec une dédicace qu'il pourra rendre publique s'il le souhaite.
Et Alain Juppé ?
Il était au courant. Je l'ai revu, on se parle au téléphone.
Entrons maintenant dans le vif du sujet, le cœur de la campagne. Vous révélez que, lors d'un déjeuner avec Gérard Larcher en juillet, ce dernier vous a appris avoir été averti dès avant Noël par Fillon que ce dernier était interrogé sur l'emploi de Penelope Fillon à la Revue des deux mondes. Or vous ne découvrez les accusations du Canard enchaîné que fin janvier. Vous évoquez un « regret », mais n'avez-vous pas ressenti de la déception, de la rancœur, de l'amertume ?
C'est une des révélations du livre, mais ce n'est pas la seule. J'ai appris beaucoup de choses au cours des derniers mois, car les langues se sont déliées. Le fait de ne m'avoir rien dit correspond à la personnalité de Fillon, qui est assez solitaire, qui préfère cloisonner l'information plutôt que la partager. Dans une campagne électorale qui ressemble parfois à une opération commando, c'est un défaut. Être prévenu cinq ou six semaines à l'avance des assauts du Canard enchaîné sur les emplois de l'épouse du candidat aurait permis à l'équipe de campagne de mieux organiser la défense du candidat. Comme moi, l'essentiel des responsables politiques a découvert cette affaire le mardi 24 janvier après-midi, la veille de la parution du journal. Après, on a été contraints d'improviser la défense, condamnés à jouer en contre. Nous n'avions pas de prise sur l'événement, qu'il s'agisse des accusations répétées du Canard ou des différentes étapes de la procédure qui se sont imposées à nous et pas l'inverse. Je ne lui en veux pas, j'ai tourné la page. Il a commis des erreurs, mais qui n'en commet pas ? Je pense qu'avec lui les plus malheureux sont les parlementaires qui sont allés au tapis et auxquels je dédie mon livre.
Comprenez-vous que Gérard Larcher n'ait rien dit ?
Il a pu raisonnablement penser que François Fillon en avait parlé à d'autres que lui, peut-être au coordonnateur général de campagne, Bruno Retailleau. Ce n'était pas au président du Sénat, qui avait d'autres préoccupations, de faire circuler une information aussi personnelle.
Il y a un mot que vous n'employez pas dans le livre, c'est le mot égoïsme. N'avez-vous jamais pensé qu'il y avait une part d'égoïsme dans le jusqu'au-boutisme de Fillon ? Au moins vis-à-vis des parlementaires qu'il a envoyés au tapis, comme vous dites ?
Je ne veux pas aller sur le terrain des jugements de valeur. Nous avons affaire à des grands de la politique française, que ce soit Juppé, Sarkozy, Fillon. Je ne me permettrai pas de porter des jugements sur eux. Je décris des faits et des comportements. Mais chaque lecteur forgera son jugement sur ces comportements.
Autre information étonnante du livre : après votre démission, vous tentez de convaincre Jean-Louis Borloo de se porter candidat. Comment l'idée vous vient-elle ?
Je le connais depuis longtemps, je sais que le personnage a plus d'un tour dans son sac. Alain Juppé refuse clairement le 6 mars d'être candidat et beaucoup se demandent qui peut sauver la famille de la droite et du centre. Je pense que Fillon va avoir énormément de mal à se remettre du missile judiciaire qui l'a touché, qu'il ne réussira pas à élargir son espace politique, restera scotché sur le noyau dur de la droite classique à 20 % et que la droite mérite mieux que de perdre dans ces conditions.
Ma démarche était sympathique, mais elle a vécu ce que vivent les fleurs, ça a duré une demi-journée. Il ne faut pas attacher trop d'importance à cette péripétie. Ma démission était un message que j'adressais à Fillon, une façon de lui dire : « François, ne faut-il pas que tu te poses cinq minutes pour regarder la réalité en face, seul, et te demander si tu ne dois pas passer la main ? N'est-il pas plus judicieux pour toi et pour la droite que tu sortes par le haut en t'effaçant après ta mise en examen ? » Je pense qu'il n'a pas perçu cette dimension de ma démission et, de ce point de vue, elle a été totalement inutile.
Et la candidature de François Baroin ?
Il m'a toujours laissé entendre, notamment au regard de ses contraintes familiales, qu'il n'était pas prêt à être lui-même candidat.
Alain Juppé vous dit en début d'après-midi le vendredi précédant le Trocadéro qu'il n'est pas « candidat en l'état », puis le dimanche il refuse pour de bon. Que s'est-il passé, selon vous ?
Je cite en exergue du chapitre consacré à Juppé le cardinal de Retz : « Il y a des points inexplicables dans les affaires, et inexplicables dans leurs instants. » Peut-être faudrait-il que les principaux protagonistes livrent leur version de l'histoire.
Pensez-vous, comme les proches de Fillon, que l'affaire des costumes était « un piège » ?
Je livre deux anecdotes sur cette histoire dans le livre, mais l'affaire n'a joué aucun rôle dans ma démission puisqu'elle a éclaté une semaine après.
Finalement, est-ce que l'erreur fondamentale de Fillon n'est pas d'avoir cru la présidentielle gagnée d'avance ?
Vous avez raison, il faut remettre les choses en perspective. L'erreur de la droite partagée par tous, y compris par moi, a été de penser que le vainqueur de la primaire avait toutes les chances de gagner la présidentielle. Nous avons manqué de lucidité, nous n'avons pas vu que la primaire n'était que la première manche. Elle a été vécue sur l'instant comme une réussite, tous les observateurs ont dit qu'elle avait mieux marché que la primaire de la gauche alors qu'au total les électeurs de la primaire ne représentaient que 10 % du corps électoral français. Elle n'a pas non plus atteint ses objectifs en termes de représentativité. Il y avait une surreprésentation des retraités, une sous-représentation des catégories modestes… La droite doit aujourd'hui s'interroger : faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain ? Après tout, Sarkozy a été très bien élu sans primaire en 2007. Mais, si on n'en organise pas à l'avenir, il y a un vrai risque que le candidat désigné par le principal parti de l'opposition trouve sur sa route un ou deux candidats dissidents. C'est ce qui est arrivé à Jospin en 2002.
Un point, en tout état de cause, n'était pas satisfaisant : le calendrier. La primaire a été organisée trop tard. Il aurait fallu la faire en juin pour laisser le temps au candidat ou à la candidate de préparer le rassemblement, d'élargir son projet, de reprendre des forces et de repartir au combat avec toute la droite et le centre. Fillon ne l'a pas fait. Mais j'assume mes responsabilités. Je ne suis pas là pour distribuer les mauvais points ou, plus exactement, je m'en distribue deux.
Ma première erreur est politique : j'aurais dû prendre François Fillon par la manche début décembre 2016 et le convaincre d'organiser avant les fêtes une rencontre avec Juppé, d'une part, et Sarkozy, d'autre part. Avec deux objectifs : jeter la rancune à la rivière et construire un projet de rassemblement en agrégeant au projet de Fillon des propositions prises dans les programmes de ses concurrents pour en faire un projet encore plus percutant.
Ma deuxième erreur est d'intendance. Quand le Canard publie ses premières accusations, j'aurais dû scinder l'équipe de campagne en deux : une task force dédiée à la gestion de l'affaire et le reste de l'équipe continuant à faire campagne presque comme si de rien n'était, en mettant toute notre énergie pour continuer à convaincre les Français de la force du projet de notre candidat.
L'avez-vous senti une seule fois pétri de doutes ?
C'est quelqu'un qui a beaucoup de sang-froid, qui agit avec détermination. Cela dit, le samedi soir veille du Trocadéro, il me l'a dit lui-même, il a un vrai moment de doute. François Fillon a de grandes qualités : intelligence tactique, ténacité, sens aigu de l'intérêt national. Mais la campagne a révélé ses faiblesses : imprudence, maladresse en communication et manque d'empathie. Dans la dernière ligne droite, je considère qu'il n'a pas su sortir par le haut.
Vous écrivez que cette campagne marque « la fin d'une époque ». Qu'est-ce qui s'est achevé avec la défaite de Fillon ?
Un cycle de la Ve République avec des alternances plus ou moins rapides entre la droite et la gauche. Un candidat venant de la gauche a profité de la dérive gauchiste du candidat socialiste pour s'installer résolument au centre gauche. Il a été rejoint par François Bayrou, qui fait le choix de lui apporter le centre droit et qui sacrifie sa candidature à ses idées.
Tout cela venait de loin, une partie des électeurs d'Alain Juppé à la primaire nous avait déjà quittés, l'affaire de la Sécurité sociale en avait ébranlé d'autres, mais, bien évidemment, quand le Canard paraît, les choses s'accélèrent. Jean-Louis Borloo fait le choix de se taire, Jean-Christophe Lagarde gère le capital d'un accord électoral qu'il estime bon pour l'UDI et François Bayrou rallie Macron. C'est une vraie rupture. S'agit-il d'une rupture durable ou d'une parenthèse ? Trop tôt pour le dire.
Une des raisons pour lesquelles je souhaite que la droite fasse l'inventaire de sa défaite est que nous avons depuis 2008 deux problèmes : la perte de l'électorat jeune, populaire, et même des classes moyennes, d'une part, la perte du centre, d'autre part. Sans reconquête de ces deux électorats, la droite restera dans l'opposition.
Êtes-vous optimiste pour la suite ?
La droite est confrontée à une situation compliquée, car, tous les sondages le montrent, une majorité nette des électeurs de Fillon soutient le président de la République. Ce dernier n'est plus majoritaire que dans deux électorats, le sien et celui de François Fillon. C'est une situation originale. Le vrai défi pour les dirigeants de la droite, ce sont ses propres électeurs, ce ne sont pas les Constructifs qui ne sont que l'arbre qui cache la forêt.
Donc ce qui s'est achevé, c'est presque la droite tout court, non ?
Je n'irais pas jusque-là. Je pense qu'il y a des tempéraments de droite. On peut être de droite et avoir de l'admiration pour ce que fait le président, notamment la façon dont il conçoit la fonction présidentielle avec un mélange d'autorité retrouvée et de capacité à aller à l'essentiel. On peut aussi être de droite et trouver qu'il a beaucoup à nous apprendre. Dire cela ne marque pas la fin du débat politique.
J'aperçois trois sujets sur lesquels la droite peut essayer de se démarquer de l'action d'Emmanuel Macron. Les libertés locales, d'abord, face à l'État devenu obèse et impuissant. Si on veut que les réformes réussissent, je ne crois pas qu'il faille mettre à l'écart les collectivités locales, je crois qu'il faut s'appuyer davantage sur elles.
La compétitivité, ensuite. Je salue l'action conduite cet été pour faire émerger de grands groupes industriels européens. Mais, sur le reste, sur ce que Fillon avait placé au cœur de son projet, à savoir la baisse de la dépense publique et la hausse de la TVA pour protéger nos productions nationales, il n'y a rien. Je ne suis pas de ceux pour qui l'économie est seconde. Si les Français s'interrogent sur leur identité, c'est d'abord parce qu'ils sont affectés par le chômage ou qu'ils vivent dans des territoires abandonnés.
Enfin, la droite aurait intérêt à investir largement, comme Valérie Pécresse en a eu l'intuition, sur les fractures territoriales. En banlieue ou dans les zones rurales, une partie de nos concitoyens a le sentiment d'être laissée pour compte et vote FN ou La France insoumise. C'est un vrai défi pour la droite qui doit redéfinir une offre politique destinée à cette catégorie de Français.
Avez-vous confiance dans l'avenir de la droite avec Laurent Wauquiez ?
La droite a besoin une fois pour toutes d'en finir avec les anathèmes et les procès d'intention. Elle est riche de personnalités fortes comme Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Christian Estrosi. Mais ce qu'attendent les électeurs de droite, c'est une œuvre collective. Ils ne veulent plus du choc brutal des ambitions individuelles. Des sages comme Alain Juppé, Gérard Larcher ou Bernard Accoyer ont à cet égard un rôle essentiel à jouer.
Replongeriez-vous dans une campagne ?
J'ai besoin de faire tout à fait autre chose et je suis davantage intéressé par le débat d'idées. Mais la droite n'est pas morte et je n'ai pas quitté ma famille politique. La nouvelle génération a compris qu'en osant bousculer ses aînés Emmanuel Macron a pris un bon coup d'avance. À elle d'oser à son tour, mais d'abord en travaillant à un vrai projet pour tous les Français.
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Cela
n’enlève rien à leur défauts (et magouilles
en passant pour certains) et surtout le fait qu’ils se croyaient indispensables
avec des égos démesurés ne pensant qu’à eux déjà nantis, prenant les français
pour des niais qui se sont chargés de les mettre à la porte (même s’ils y ont mis le temps avant de
comprendre ou n’ayant pas osé le faire par peur du lendemain !)
Comme
F.FILLON ce hobereau faux gentilhomme sarthois de l’ancien régime dont le
vernis s’est fissuré et l’appât du gain et la fortune lui ont éclaté
indirectement à la figure !
Alors
il fait comme d’autres, il écrit des livres ou d’autres en écrivent sur lui, mais
s’il vraiment il quitte la politique cet ancien politicien de cette classe politique
sclérosée, qu’il se fasse vraiment oublier, il n’est pas à plaindre!
Car
n’oublions pas, il a pourri la campagne présidentielle qui s’est terminée comme
on l’a vu, par l’arrivée d’un nouveau jeune président opportuniste qui n’a pas
eu beaucoup d’effort pour se faire élire, tant il y avait de ces anciens
politiciens trop vus usés dont certains en plus pas nets !
Jdeclef
23/11/2017 09h07 LP
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