Michel
Piccoli, le dernier géant du cinéma français, est mort
VIDÉO.
Colérique, sournois, terrifiant, vulnérable : il incarna à partir de 1969,
grâce à Sautet et d'autres, le premier mâle complexe de notre 7e
art.
Il était
l'accidenté le plus célèbre du cinéma français. Qui a oublié le début des Choses de la
vie ? Ces
roulés-boulés de sa voiture au ralenti qui repasseront cinq fois, dix fois, au
cours du film, à mesure que Michel Piccoli se remémore les épisodes de son
existence, écartelé entre Romy Schneider, sa maîtresse, et Léa Massari, son
épouse. Justement, que pourrait-il avoir revu défiler devant ses yeux,
l'auguste Piccoli, juste avant de tirer sa révérence à l'âge
de 94 ans ? Que pourrait-il s'être dit au moment de se
taire à jamais ? « Michel Piccoli s'est éteint le 12 mai
dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia,
des suites d'un accident cérébral » annonce dans un communiqué sa famille
ce lundi 18 mai.Qu'il fut sans doute le premier « homme » du cinéma français. Comme on dit, un homme, un vrai, appartenant à la vraie vie. Non pas une star à la Delon, Belmondo, qui vole, court, ferraille, braque et chevauche. Non pas une gueule à la Gabin ni une voix à la Jean Marais ni un comique à la Bourvil ou de Funès. Piccoli n'était rien de tout cela, mais il fut sans doute bien mieux. Un quadra de tous les jours, qui avait d'abord un métier. Architecte las de tout dans Les Choses de la vie, flic obsédé par le flag et manipulateur dans Max et les ferrailleurs, médecin enrichi dans Vincent, François, Paul et les autres, promoteur immobilier donquichottesque dans Mado… Un hasard si nous citons quatre films de Sautet, le cinéaste qui importa la réalité, le concret, dans notre cinéma ? Non, bien sûr. Le tournant eut lieu en 1969. Un an après 68. Nul hasard là non plus. Les personnages qui sont d'abord ce qu'ils font, ils sont arrivés tardivement chez nous. Avec Piccoli. La révolution Piccoli.
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Un type
simple
Jusque-là,
il traînait ses rouflaquettes de séducteur vaguement cynique. Non pas le
tombeur ni le baratineur, mais le lovelace inquiétant sorti tout droit d'un Dom Juan qui l'avait révélé, un soir de
1963, à la France entière. Douze millions de téléspectateurs avaient suivi
cette dramatique de Marcel Bluwal, où il campait un héros moliéresque revisité
en solitaire suicidaire qui déclare la guerre au monde. Taciturne ou
colérique, on découvrit l'un de ces acteurs dont on se dit qu'il a le cuir dur,
difficile à manœuvrer, impénétrable et en même temps terriblement là. Gloire à
Godard de s'en être aperçu le premier en le choisissant pour Le Mépris. En face de la star Bardot, du
mythe Fritz Lang et des statues hiératiques de la villa Malaparte, il lui
fallait un type simple, prosaïque, qui puisse avec une certaine nonchalance
incarner la lâcheté quotidienne, celle d'un petit scénariste qui encourage
sa jolie femme à monter seule dans la voiture de sport du producteur.On le croyait viril, jouisseur – il donna là-dedans avec Benjamin, ou les mémoires d'un puceau –, mais deux cinéastes allaient discerner les ambiguïtés d'un acteur qui ne rechigna jamais à explorer les zones les plus sombres. Les ambiguïtés et l'audace d'un Piccoli qui alla là où personne d'autre ne voulait aller, la folie, la faiblesse, la traîtrise, la perversité, allez, lâchons le mot, la saloperie. « Qué vous êtes vrément sûr et certain qué vous voulez faire le film ? » Marco Ferreri, qui ne lui avait remis qu'un très maigre synopsis de Dillinger est mort, était lui-même étonné de son accord. Il fallait être fou en effet pour jouer cet ingénieur qui rentre chez lui, trouve sa femme malade, se prépare un bon petit gueuleton, déniche un revolver démonté entre les épices, remonte l'arme, se repasse ses super 8 de vacances, s'amuse avec la bonne, avec sa femme, avant de la tuer et de tout plaquer. Cette œuvre d'une dérangeante violence feutrée était le film préféré de Piccoli. Un homme essoufflé, qui organise son départ. Rêve d'ailleurs. Tout Piccoli qui donna à son dernier livre de Mémoires le titre J'ai vécu dans mes rêves.
Piccoli était notre stentor. Non pas à la Noiret qui se rengorgeait, façon ténor, mais à la manière d'une kalach qui part en vrille dans les aigus.
La même année, Sautet, avec Les Choses de la vie, lui donnait un rôle similaire d'homme tranquillement désespéré qui joue à l'équilibriste entre la vie et la mort. C'est sur ce tournage qu'il devint le « double » de Sautet. Ne réussissant pas à jouer une scène de colère au quatrième étage d'un immeuble en construction, il regarda Sautet le colérique et se lança dans ce qui allait devenir une de ses marques de fabrique : une décharge de mots qui écrase tout sur son passage, vous hache menu toute une pièce. Dans chaque film de Sautet, il aurait droit désormais à sa scène de colère. La plus célèbre ? Celle dite du gigot de Vincent, François, Paul et les autres, qu'il découpe en silence avant de « découper » en deux temps trois mouvements tous ses amis. Piccoli était notre stentor. Non pas à la Noiret qui se rengorgeait, façon ténor, mais à la manière d'une kalach qui part en vrille dans les aigus. Il n'y aurait pas de survivant. Allez, encore une autre avant la route : dans Le Sucre, il avait surpris tout le monde en se rasant la tête pour camper Grezillo, un grand patron de l'industrie sucrière totalement halluciné qui, sourcils exorbités, faisait la leçon au milieu financier : « Quatre banques sautent, Grezillo se marre ! » répétait-il comme un mantra mégalo.
Cigarette et cinéma : lettre ouverte aux cinéphiles atterrés
De 1971 à 1973, il explora
en trois oeuvres tous ses possibles. Dans Max et les ferrailleurs,
il fut Max, ce flic blafard, clown blanc exsangue, au rire désabusé,
manipulateur purificateur, qui suscite des hold-up pour pouvoir arrêter les
coupables tout en jouissant de leur culpabilité. Son rôle le plus diabolique,
le plus méphistophélique. D'ailleurs, il avait une tête de diable. Avec Themroc, exclusivement composé de
borborygmes, il ne cesse de vociférer, de hurler, avant de se murer avec sa
sœur et d'assassiner son patron. Il fait peur, très peur, il est fou, no limit. Piccoli ne cachait pas ses
engagements de gauche, n'hésitant pas à produire lui-même des films dits de la
contestation après avoir longtemps soutenu le grand poète maudit André de Richaud.
Car c'était cela aussi, Piccoli, des amitiés hors norme, fulgurantes, dignes
d'un Artaud. Enfin, avec La Grande Bouffe, de son complice Ferreri, il allait finir de choquer la bonne
société en dansant de manière obscène, en se masturbant, avant de finir étouffé
par sa merde. Une fin scatologique, qu'il appela son « point de
non-retour » et qui lui valut quelques remarques croquignolesques dans les
dîners en ville où l'on se souvenait qu'on avait vu son cul.
Le pape du
cinéma français
À partir de
là, il devint l'inquiétant monsieur Piccoli. Sous ses sourcils de plus en plus
broussailleux, derrière son regard en lame d'acier, sous sa voix qui faisait
tressaillir, se cachait le tyran. Il en joua, s'en délectant même quand il fut
le patron pervers d'Une étrange affaire, qui envahit la vie privée de son
employé jusqu'à en faire son esclave. Fascinant personnage imaginé par
Jean-Marc Roberts qui lui valut le premier de ses quatre césars récoltés en dix
ans ! Peu après, il était le monstre froid de La Diagonale du
fou, le maître
des échecs soviétique dévoué au régime, ou l'énigmatique créature de Mauvais Sang, qui sème la mort depuis sa
limousine. Il n'était plus Don Juan, mais la statue du Commandeur. Don Corleone
revisité en deus ex machina. Il aurait pu devenir l'homme
que l'on aime détester, le cavalier noir de notre cinéma, mais sa liberté, sa
passion – son maître mot –, deux autres grands cinéastes, Louis Malle, Jacques
Rivette, lui permirent de bifurquer à temps vers une autre voie, une fibre
poétique, rêveuse, enchantée, légère. En deux films, Milou en mai,
La Belle Noiseuse, le monstre retomba en enfance. Les yeux infiniment doux, presque
mouillés, et ce souffle court si émouvant, bien décidé, avant le gong final, à
profiter de la nature – vive la Révolution ! – d'un joint ou du spectacle
d'Emmanuelle Béart allongée nue à portée de pinceau.
C'est ce Piccoli-là qu'on vit une
dernière fois dans Habemus papam, déambulant et marmonnant dans Rome, pape échappé du conclave,
visage sur lequel semblaient s'être imprimées toutes les vies d'un homme qui
dit non et qu'on avait soudain envie de serrer contre soi, tel un Hugo devenu
grand-père. Oui, son dernier rôle fut celui, et ce fut heureux et naturel, d'un
résistant, qui fuit en son âme et conscience les contraintes du monde. Un pied
de nez qu'il nous avait expliqué en clign(ot)ant des yeux, tel un vieux hibou
un peu cabotin, surjouant l'importance du jeu, de la poésie, de la rêverie, de
l'amusement. Comme on en doutait, il nous avait rappelé, sur un ton soudain
sévère, combien il s'était ennuyé dans son enfance, fils unique, avec des
parents « fonctionnaires » de la musique, qui pratiquaient leur
métier sans la moindre passion. Et, comme on en doutait encore, il nous avait
esquissé sa découverte du théâtre, à la campagne, durant la guerre, des grandes
vacances pour les enfants, avec un oncle génial, inspiré, dont on sentit
soudain qu'il aurait aimé qu'il fût son père. Fils d'un autre ? Frère
aussi d'un autre dont il révéla l'existence dans son dernier livre, un échange
de lettres avec Gilles Jacob : un frère mort avant sa naissance et chéri
par sa mère : « Il y avait donc ce fantôme avec
moi. » Comme il y eut plus tard bien d'autres fantômes auxquels il
sut donner tant de réalité, tant de vérité, pour mieux conjurer sans doute
cette ombre qui avait plané sur sa vie.
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Personnellement
je n'aimais pas beaucoup son caractère, mais il faisait bien son métier
d'acteur !
Pour
le reste on attribue un peu vite l’épithète louangeuse de « GEANT » à
ce type de vieux acteurs, ils ne le méritent pas tous (dans le cinéma...) peut-être
pas lui d’aileurs ?!
Jdeclef
18052020 15h56LP
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