Liberté
d'expression – Me Richard Malka : « La situation
est bien pire qu'il y a cinq ans »
ENTRETIEN.
Alors que s'ouvre dans quelques jours le procès des attentats de janvier 2015,
l'avocat historique de « Charlie Hebdo » tire la sonnette d'alarme.
Cabu,
Charb, Tignous, Wolinski… Il les a défendus des dizaines de fois. Contre la
famille Le Pen. Contre Caroline de Monaco. Contre l'Alliance générale contre le
racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne. Contre la
Ligue de défense judiciaire des musulmans…
« On a gagné, très souvent. On a perdu, parfois, mais on l'avait
bien cherché ! » plaisante Me Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo. Il a
débuté au barreau l'année où le titre a été lancé, en 1992. Ils ne se sont plus
quittés.
Aujourd'hui, ses « amis » sont morts. Dans le procès historique
qui doit s'ouvrir le 2 septembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris,
où seront jugés les complices des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly, auteurs
des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, il plaidera en leur nom. Pour la
liberté. Pour la laïcité. Pour le droit au blasphème et à la caricature
religieuse. Entretien
Le Point :
Dans le procès des attentats de janvier 2015, qui s'ouvre le 2 septembre devant
la cour d'assises spéciale de Paris, vous défendrez les intérêts des « Éditions
Rotative », la société éditrice de « Charlie Hebdo ». Serez-vous l'avocat d'un
journal, d'une communauté intellectuelle, de la liberté d'expression ? De tout
cela à la fois ?
Me Richard Malka :
Après l'attentat, nous avons décidé que l'avocat de la personne morale «
Charlie Hebdo » ne pouvait représenter, en même temps, les victimes et leurs
proches. Ce sont des défenses et des approches différentes. Cela fait trente
ans que je défends ce journal, ce qu'il symbolise et ce qui constitue
précisément ce que les frères Kouachi ont voulu éradiquer. Ma malheureuse
cliente sera donc la liberté, et je crains qu'à moyen terme ce ne soit une
cause perdue.
Êtes-vous toujours sous protection policière ?
Toujours. Cela a commencé le 8 janvier 2015 et ça ne s'est jamais
arrêté. J'aggrave régulièrement mon cas en défendant Mila ou une jeune femme
qu'on ne laisse pas monter dans un bus RATP parce qu'on la suppose maghrébine
et qu'elle porte une jupe au-dessus du genou… Si on regarde ça froidement,
c'est invraisemblable. Que de paisibles dessinateurs de presse, d'inoffensifs
caricaturistes fassent, eux aussi, l'objet d'une garde rapprochée, ça l'est
encore plus, mais tout le monde s'y est habitué. C'était d'ailleurs l'objet
recherché : instaurer une nouvelle normalité, la peur et le silence par
l'effroi des conséquences de l'irrévérence.
Repères
7 janvier 2015 : à Paris, les
frères Kouachi font irruption au siège de Charlie Hebdo, y assassinant 11
personnes, avant de tuer un policier dans leur fuite. Ils sont tués deux jours
plus tard par le GIGN, dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne).
8 janvier : Amedy
Coulibaly abat une jeune policière municipale, à Montrouge, à proximité d'une
école juive.
9 janvier : Amedy
Coulibaly prend en otage les clients d'une supérette cacher de la porte de
Vincennes et tue 4 personnes. Il est abattu lors de l'assaut donné par le Raid
et la BRI.
10 et 11 janvier : grandes
marches et défilés républicains.
2 septembre 2020 : ouverture
du procès des complices à Paris.
Ce procès sera celui des seconds couteaux, des complices, des
fournisseurs de moyens. Pour vous, l'enjeu de l'audience transcende-t-il le cas
des accusés, comme Robert Badinter qui, défendant Patrick Henry, plaidait, en
réalité, pour l'abolition de la peine de mort ?
Ce sera un procès historique, raison pour laquelle il sera filmé.
Les faits jugés ont marqué la France et le monde, mais, effectivement, dans le
box des accusés vont se retrouver ce que vous appelez des « seconds couteaux »
puisque les principaux responsables sont morts. Pour être franc, ils ne
m'intéressent pas beaucoup. D'ailleurs, les Kouachi seraient dans le box qu'ils
ne m'intéresseraient guère davantage. Ils ne sont que des armes. Ils présentent
autant d'intérêt qu'une kalachnikov, même s'il peut être nécessaire de
comprendre par quel processus des hommes peuvent se transformer en outil de
mort. Qui a armé intellectuellement les Kouachi, Coulibaly ou un Merah, avide
de tuer des enfants de 5 ans ? Ce qui m'intéresse, c'est le lavage de cerveau
préalable. Et, au commencement, il y a toujours le verbe.
Vous allez donc instruire, à l'audience, le procès de ces «
complicités intellectuelles » ?
Les complices intellectuels ne sont pas poursuivis. Et je ne le
demande pas, précisément au nom de la liberté d'expression, celle de mes
adversaires en l'occurrence. C'est sur le terrain politique et idéologique
qu'il faut les combattre. Pour autant, il faudra bien traiter du mobile du
crime, qui ne peut être le fantôme dont on ne parle pas. Pourquoi cet attentat
? Parce que des caricatures ont été publiées près de dix ans auparavant. Le mobile
du crime, c'est la volonté d'interdire la critique de Dieu, donc la liberté
d'expression, donc la liberté tout court. Mirabeau présentait la liberté
d'expression comme « le bien le plus précieux de l'homme », formule reprise
dans la Déclaration de 1789. Elle est précieuse car toutes les autres en
découlent.
Qu'avons-nous raté qui aurait permis d'éviter, pour reprendre
votre formule, d'« armer » ces terroristes ?
C'est l'histoire d'une grande trahison. Je suis devenu l'avocat de
Charlie Hebdo
en 1992, j'avais 23 ans. J'ai passé une première décennie à défendre ce journal
contre des catholiques intégristes. On a gagné nos procès, et une jurisprudence
a consacré la liberté de caricature religieuse. La gauche unanime nous
applaudissait, on était fêtés, nous étions des héros et j'étais heureux. En
réalité, il n'y avait rien d'héroïque. À ce moment-là, nos combats étaient
utiles et légitimes mais nous étions portés par l'air du temps. Les choses ont
commencé à changer au début des années 2000. On a subi les mêmes attaques,
reposant sur les mêmes fondements juridiques, pour des dessins strictement
identiques, voire moins virulents, mais de la part d'associations se
revendiquant cette fois de l'islam. Sauf que le climat a changé. Le bloc de
gauche, historiquement attaché à la liberté d'expression issue de la Révolution
française, puis portée par les républicains, spécialement l'Union républicaine,
le parti de Victor Hugo, qui donna naissance à la loi de 1881 [sur la
liberté d'imprimer, NDLR], a commencé à se fissurer. Certains de
nos amis se sont détournés et, peu à peu, nous ont condamnés. Une partie de la
gauche mais aussi de la communauté universitaire, intellectuelle et médiatique
en est venue à dire à peu près ceci : pour les catholiques, on était d'accord,
mais pour l'islam il faut faire attention, c'est une minorité. On nous
expliquait qu'il s'agissait de personnes qui n'avaient pas suffisamment
d'éducation pour comprendre l'humour, qui n'avaient pas assez de distance à
l'égard de leur religion pour accepter la caricature et qu'il fallait le
respecter…
Se logerait-il là un impensé raciste ?
Je le crois. C'est d'une condescendance infinie et ne fait
qu'exprimer un sentiment de supériorité. Cela revient à essentialiser les gens.
L'enfant d'immigrés que je suis n'acceptera jamais ce renoncement à voir
l'autre comme un égal. Renoncer à exiger d'un musulman qu'il accepte la
critique de sa religion, au même titre qu'un juif ou qu'un protestant, c'est
cela le racisme.
Quand la pression sur « Charlie » a-t-elle commencé à être
vraiment forte ?
De mémoire, les premières menaces de mort remontent à 2002. Cabu
avait légendé ainsi l'un de ses dessins : « Élection de miss sac à patates
organisée par Mahomet. » On y voyait le prophète rigolard présenter une dizaine
de femmes en burka… Ce dessin était une réaction à une aberration : le Nigeria
avait organisé un concours de Miss Monde, considéré comme une insulte à l'islam
par certains. Une manifestation hostile s'est conclue par 200 morts. Deux cents
vies fauchées pour une telle futilité !
Il y eut, ensuite, la publication des caricatures de Mahomet, en
2006…
Et là la gauche se fracture plus durement. Mais pas seulement
elle. Les condamnations pleuvent de toutes parts : de Jacques Chirac, qui
dénonce «
les provocations susceptibles d'attiser les passions », à Dominique
de Villepin, son Premier ministre, qui appelle « au respect et à éviter tout ce
qui blesse inutilement les convictions religieuses ». Puis
Jean-Marc Ayrault manifeste sa « désapprobation face à tout excès » et en appelle « à l'esprit
de responsabilité de chacun ». Élisabeth Guigou dénonce « un
amalgame absolument inadmissible car l'islam est une religion de paix »…
Le procès en « irresponsabilité »…
En quoi est-ce « irresponsable » de critiquer Dieu ? C'est ce que
la France a apporté au monde : la liberté de choisir de diriger nos vies par la
raison plutôt que par des commandements divins ! La laïcité. C'est l'article 1
de notre Constitution. Et pour parvenir à apprivoiser les passions religieuses,
la liberté d'expression doit être la plus large possible, y compris pour « ce
qui blesse, heurte et choque », comme le rappelle la Cour européenne des droits
de l'homme. Ce que les fanatiques rejettent à travers la liberté d'expression,
c'est le doute, la remise en cause de dogmes insensés et souvent liberticides :
habillez-vous comme ci, mangez comme ça, interdisez-vous d'aimer et de jouir
comme vous le souhaitez… Pourtant, si Dieu nous a dotés d'un esprit critique,
c'est pour que nous puissions l'exercer. Ou alors, il est con ! Et c'est cette
liberté de critique, y compris à travers le rire, qui nous protège du fanatisme.
Au XVIIIe siècle, les encyclopédistes ont pensé un monde débarrassé
de Dieu pour appréhender les sciences, les arts, la liberté, la vie politique…
Notre civilisation s'est bâtie sur cette idée pour s'éloigner de
l'obscurantisme.
Mais en 2006, ce n'est plus évident…
[Il fouille dans ses papiers et poursuit, comme s'il
plaidait.] Douste-Blazy, 3 février 2006 [il lit] :
« Il n'est
pas normal de caricaturer l'ensemble d'une religion. » Donnedieu de
Vabres [il
lit encore] : « Il est du devoir de ce journal de respecter les convictions
d'une partie de nos concitoyens. » J'en ai dix pages comme ça !
Vous me demandez ce qu'on a raté ? Voilà, ça a commencé là ! Aujourd'hui, dans
les collèges, il y a unanimité pour considérer qu'il faut « respecter
les religions et ne pas blesser les croyants ». Mais c'est
l'inverse que l'on devrait enseigner ! Cet argument de la blessure et de la
sensibilité, du respect des religions et des croyances, c'est l'Étoile noire,
une arme de destruction massive de la liberté d'expression. On respecte les
hommes, pas les mille et une croyances qui sont les leurs, sinon il faut
renoncer au débat, à la critique, à l'altérité, c'est-à-dire entendre celui qui
est différent de vous.
Le processus qui a conduit à l'attentat s'est fait par étapes.
Après la publication des caricatures, le procès - que le journal a gagné - et
les premières menaces, les locaux de « Charlie » sont incendiés en 2011…
À chaque crise, on était toujours plus seuls. Après l'incendie du
2 novembre 2011, 19 intellectuels, portés notamment par Rokhaya Diallo,
publient une pétition d'une violence incroyable contre le soutien à Charlie Hebdo
: «
Il n'y a pas lieu de s'apitoyer sur les journalistes de Charlie,
les dégâts
matériels seront pris en charge par les assurances », osent-ils
écrire. Les pétitionnaires y manifestent encore « pour ceux qui n'ont, depuis des
années, aucun espace dans les grands médias » et disent leur « écœurement
face à la nouvelle marque de fabrique de cet hebdomadaire, l'islamophobie
». En gros, ils l'ont bien cherché ! On en revient à votre
question initiale. Voilà ce qui arme les terroristes : la thématique de
l'humiliation. C'est la source de tant de violences et de tous les génocides.
Comment parvient-on, dans les années 1930, à faire de l'un des peuples les plus
raffinés de la planète une nation sanguinaire ? En répétant sans cesse : vous
avez été humiliés par le traité de Versailles, vous êtes des victimes, je vais
vous redonner votre fierté. Comment fabrique-t-on un Mohamed Merah ? En lui
répétant depuis la petite enfance qu'il est une victime de la société, des
médias, du racisme français et, bien sûr, des juifs. Couplez ça avec un
aveuglement religieux et vous créez une machine de guerre.
Les croyances ne méritent-elles pas d'être respectées ?
On peut les respecter… ou pas. C'est un libre choix, mais après la
publication des caricatures, la confusion a gagné. En 2006, Marielle de Sarnez
affirme que «
la laïcité, c'est aussi éviter de blesser des sensibilités ». Près
de quinze ans plus tard, dans l'affaire Mila (la jeune lycéenne qui, en début
d'année, a critiqué l'islam sur Instagram avant d'être menacée de mort, de viol
et de lapidation), Nicole Belloubet, ministre de la Justice, agrégée de droit,
déclare exactement la même chose : « L'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la
liberté de conscience. » Elle a, certes, reconnu son erreur,
mais cela traduit une profonde perte de repères sur ce qui fait l'idée même de
république.
Vous en voulez aux politiques…
Ils ne sont pas les seuls ! Le clergé de cette nouvelle pensée
ténébreuse est constitué d'une partie des classes politique, universitaire et
médiatique. Si après la publication des caricatures de Charlie
et les menaces de mort qui ont suivi, celles-ci avaient été reprises par tous
les médias, nous ne nous serions pas retrouvés avec une cible dans le dos.
Le procès des attentats de janvier 2015 va durer deux mois et
demi. Dans quel état d'esprit l'abordez-vous ?
Une détermination absolue, mais aussi la peur de ce que cela va
remuer comme souffrance ; de ne pas être à la hauteur de ma cause et de ceux
qui ne sont plus là ; de ne pas parvenir à dominer la rage et la colère…
Quelle colère, quelle rage ?
Celles que j'éprouve à l'égard de ceux qui ont trahi la cause de
la liberté, par lâcheté, aveuglement, posture, calcul… La colère contre cette
gauche souvent radicale qui nous a poignardés en devenant bigote. Cette gauche
devenue identitaire par le biais des minorités : son nouveau culte. Où est passée
la gauche libertaire, universaliste et laïque ? Pourquoi cette gêne ? On peut
être férocement antiraciste, comme l'a toujours été Charlie, et
radicalement blasphémateur. C'est même recommandé.
Les victimes de l'attentat
• Frédéric Boisseau, 42
ans, employé dans l'immeuble
• Charb, 47
ans, dessinateur et directeur de la publication
• Franck Brinsolaro, 48
ans, policier, garde du corps de Charb
• Cabu,
76 ans, dessinateur
• Tignous, 57
ans, dessinateur
• Honoré, 73
ans, dessinateur
• Wolinski, 80
ans, dessinateur
• Bernard Maris, 68
ans, économiste et chroniqueur
• Mustapha Ourrad,
60 ans, correcteur
• Elsa Cayat,
54 ans, psychanalyste et chroniqueuse
• Michel Renaud, 69
ans, journaliste et grand voyageur
• Ahmed Merabet, 40
ans, policier
On peut donc être islamophobe sans être raciste…
Évidemment ! Je vais aller plus loin : il faut être islamophobe,
christianophobe, judéophobe, bouddhaphobe… Il faut avoir peur de ces religions
dont l'apport à l'humanité est immense, mais qui ont aussi produit des océans
de sang et de malheur. Toute religion est privative de liberté. Il faut aider
les hommes qui le veulent à s'affranchir de ce carcan et c'est dans cette
tradition que Charlie
s'inscrit.
Il y a tout de même eu ce sursaut puissant, ce moment incroyable :
le 11 janvier 2015, 4 millions de personnes, dont 35 chefs d'État, manifestent.
On se souvient de ces pancartes : « Je suis Charlie, je suis juif, je suis
flic. » Qu'en reste-t-il ?
C'était un moment très fort. Et, contrairement à ce qu'a dit
Emmanuel Todd, je ne crois pas que ce soient des « catholiques zombies » qui,
ce dimanche, ont manifesté. Mais je n'ai jamais eu la moindre illusion sur le
fait que le 11 janvier pourrait changer le cours des choses.
Donc, selon vous, ils ont gagné ?
Les frères Kouachi et ceux qui les ont armés ont gagné, oui… [Silence.] Qui,
aujourd'hui, publierait les caricatures de Mahomet ? Quel journal ? Dans quelle
pièce, quel film, quel livre ose-t-on critiquer l'islam ? Qui depuis cinq ans ?
Houellebecq…
Soumission est sorti le jour de l'attentat.
Avant, donc. [Silence.]
Bien sûr qu'ils ont gagné… Mais je fais le pari pascalien que l'aspiration des
hommes à vivre libres finit toujours par l'emporter.
Qui, aujourd'hui, pour reprendre le flambeau de la liberté
d'expression ?
Aux côtés de qui est-ce que je bataille ? Essentiellement des
hommes et des femmes de culture musulmane : Mohamed Sifaoui, Fatiha Boudjahlat,
Zineb el-Rhazoui, Mohamed Louizi et bien d'autres. Ils mènent, aujourd'hui, le
combat des valeurs républicaines. Avec Mila, aussi. Une adolescente qui exerce
son droit à la critique religieuse. Qui, à la fin, a été contrainte de quitter
son lycée ? Pas les agresseurs, pas les harceleurs. C'est elle qu'on a
exfiltrée !
En lui imposant le silence…
Oui. Voilà où nous en sommes, cinq ans après l'attentat de Charlie
! Au passage, on aimerait bien que le prétendu Observatoire de la laïcité de M
Bianco ne passe pas son temps à voir de l'islamophobie partout et des atteintes
à la laïcité nulle part. Les présidents et Premiers ministres se succèdent mais
rien ne change.
« Les bien-pensants, les délateurs de l'islamophobie, les tenants
d'une laïcité apaisée », Riss (directeur de « Charlie Hebdo ») les appelle les
« collabos ». Vous reprenez ce terme à votre compte ?
J'essaie d'éviter les références à la Seconde Guerre mondiale, car
après il devient difficile de dialoguer. Cela dit, il est parfois difficile de
ne pas y avoir recours. Ainsi pour Virginie Despentes qui déclare aux Inrocks,
dix jours après l'attentat : « J'ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient
de s'acheter une kalachnikov et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur
soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J'ai aimé
ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur
identité avant de viser au visage. J'ai aimé aussi leur désespoir. »
Ce texte fait froid dans le dos ! Despentes ne cherche pas à
comprendre. Elle excuse. Elle justifie. Elle légitime. Elle les aime ! En
prenant la pose d'une grande humaniste radicale, elle n'exprime, au fond, que
sa fascination pour le mal, son attirance pour la noirceur du monde. Pour elle,
les assassins vivent courageusement debout et sont en réalité des victimes qui
tuent parce qu'ils n'ont pas eu assez de sous quand ils étaient petits. Alors
oui, pour moi, ce courant intellectuel a du sang sur les mains et sur les
lèvres. C'est lui qui arme les terroristes.
En 2017, Edwy Plenel, brocardé à la une de « Charlie » pour sa
complaisance supposée à l'égard de Tariq Ramadan, réplique en parlant d'une «
affiche rouge » (référence à une affiche de propagande du régime de Vichy)…
Oui, et il y a pire, quand Plenel dit que Charlie
fait «
la guerre aux musulmans »… C'est une rhétorique qui aboutit à
dire : tuez-les ! Parce que si Charlie est en guerre contre les musulmans, ça veut
dire que les musulmans sont en guerre contre Charlie. Or, dans une guerre, on tue.L'univers
médiatique n'a pas vraiment soutenu « Charlie » à ce moment-là… « Le Monde »,
par exemple, a semblé renvoyer Riss et Plenel dos à dos.
À nouveau ce malaise. On pense qu'on ne peut pas critiquer une
religion sans porter atteinte à celui qui la pratique. Mais ça vient d'où, ça ?
Cela va vous paraître étrange, mais il n'y a pas une journée où je ne suis
abordé par une personne de culture musulmane pour me dire : continuez, on
compte sur vous ! Car qui sont les principales victimes de l'islamisme et, on
va le dire, de l'islam tout court ? Les musulmans. Combien ont été assassinés,
privés de liberté, empêchés d'être eux-mêmes ? Dans ma vie judiciaire, je défends
des musulmans qui ont osé critiquer leur religion, ce qui ne les empêche pas de
conserver leur foi. Cette gauche dont nous parlons ne veut pas le comprendre.
Vous revenez toujours sur la gauche…
Des intellectuels du monde entier s'en alertent à présent chaque
jour : la demande de censure a migré vers la gauche, au désespoir, d'ailleurs,
de ses électeurs. La gauche libertaire n'ose plus s'exprimer. Où les purges
ont-elles lieu ? Pas chez Fox News mais au New York Times. Où démissionne-t-on, où se fait-on
congédier parce qu'on n'a pas l'opinion qu'il faut ? Dans des universités
américaines marquées très à gauche, parce qu'il y a toujours plus radical. Si «
l'identitairement correct » poursuit sa pénétration en France, ça ne sera pas
au Figaro
mais au Monde
que les purges auront lieu. Il y a des mouvements de fond contraires à la
liberté d'expression, et la gauche n'a pas encore trouvé le logiciel pour y
résister. Elle en meurt, car c'est son ADN.
Quels sont ces mouvements de fond dont vous parlez ?
La tendance actuelle consiste à dire : je suis blessé par celui
qui pense différemment de moi. Donc je ne veux jamais y être confronté. Il
faut, dès lors, organiser des ateliers pour ma communauté, entre « racisés ».
C'est tragique et fascinant : le combat contre le racisme, qui est une intense
nécessité, est en train de créer un néoracisme, de réinventer les races. Que
font ceux qui, comme moi, refusent de se définir par une appartenance
communautaire réductrice ? On a le droit de parler de quoi ? Avec qui ? Je n'ai
pas envie que les Blancs soient interdits de parler d'esclavage. Que les Noirs
ne puissent parler de la Shoah. Que les hétérosexuels ne puissent parler
d'homosexualité. Que les hommes ne puissent s'exprimer sur le féminisme. Si
c'est cela le nouveau monde, alors ce n'est qu'une nouvelle appellation du
Moyen Âge !
C'est aussi en cela que l'esprit de la marche du 11 janvier 2015
se serait évaporé ?
Cet esprit n'existe plus depuis longtemps. Oui, la situation est
bien pire qu'il y a cinq ans. Pas un mois sans qu'on empêche, dans les
universités françaises, quelqu'un d'intervenir : François Hollande, Sylviane
Agacinski, Mohamed Sifaoui, Alain Finkielkraut, les représentations de pièces
antiques ou celle de Charb… Des apprentis talibans de l'Unef ou d'obscures
associations s'opposent à ce qu'ils s'expriment ainsi qu'à la liberté de
création.
La liberté n'est plus une priorité en Occident. Et en France ?
J'ai la conviction que l'immense majorité de nos concitoyens
soutient ces combats ; qu'ils ne soient pas entendus finira par poser un
problème démocratique. Le sujet n'est d'ailleurs pas que français. On ne peut
plus publier, aux États-Unis, patrie de la liberté d'expression, les Mémoires
de Woody Allen. Des artistes qui avaient dénoncé l'esclavage voient leurs
œuvres censurées et se font exclure des musées, car Blancs. En Pologne, des
catholiques brûlent Harry Potter. Timothée de Fombelle, auteur de
littérature pour enfants, se voit refuser son livre par son éditeur anglais
parce qu'il est blanc et met en scène une petite fille noire… Si l'on ne place
pas la liberté à l'article 1 de toute idéologie et de tout système politique,
les plus beaux principes dégénèrent en totalitarisme par l'effet de la nature
humaine. Ce n'est pas un hasard si le premier terme de notre devise est la
liberté. Cette prédominance doit s'appliquer à tout système d'organisation
collective.
Y compris, donc, à la laïcité…
Bien sûr ! Dire qu'il faut interdire le port du voile dans la rue,
c'est totalitaire ! J'aimerais convaincre de ne pas le porter, mais en aucun
cas l'interdire. C'est vrai pour tous les sujets. Comme vous, j'imagine, les
menaces sur le climat et la biodiversité m'inquiètent. Mais que propose la
Convention citoyenne sur le climat ? Modifier la Constitution, rien de moins,
pour affirmer que la « conciliation des droits, libertés et principes » ne « saurait
compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de
l'humanité ». En rétrogradant ainsi la liberté, en en faisant une
question subsidiaire, on crée la base juridique d'un nouveau totalitarisme.
Avec une telle mesure, on pourrait ensuite légiférer sur la nécessaire
limitation des naissances ou l'interdiction de se déplacer. À quoi bon sauver
la planète si c'est pour vivre en dictature ? C'est applicable à tous les sujets
: la religion, l'écologie, le féminisme. Je suis en totale adhésion avec le
mouvement #Metoo dès lors qu'il ne désigne pas à la vindicte telle ou telle
personne avant tout procès. On ne peut plus tolérer que la quasi-totalité des
femmes soient confrontées aux agressions sexuelles, au harcèlement et, dans les
pires cas, au viol. Mais là encore, si l'objectif est l'harmonie des sexes, la
raison doit l'emporter sur les passions vengeresses ; la liberté de ne pas être
condamné et emprisonné du seul fait d'être accusé doit être observée par tous
comme un apport de la civilisation sur l'époque des lynchages.
On peut donc être écologiste, par exemple, et autoritaire…
Les dictateurs avancent toujours masqués sous l'étendard du bien,
jamais sous celui du diable. Au nom de l'égalité, on a inventé le goulag. Au
nom de la fierté est né le nazisme. Les nouveaux totalitarismes avanceront au
nom de valeurs généreuses et légitimes. Je me méfie toujours des gens qui
disent vouloir me faire du bien !
Où étiez-vous le 7 janvier 2015 et comment avez-vous appris la
nouvelle ?
J'arrivais à mon cabinet, un journaliste m'a appelé pour me dire
qu'une fusillade était en cours à Charlie. J'ai foncé à la rédaction. Pendant un mois,
j'ai vécu déconnecté du monde. Toute personne ayant connu un traumatisme
connaît cela : on ne peut plus parler aux gens, on n'est plus dans la même
réalité. Et ce n'est évidemment rien comparé à ce qu'ont vécu les vraies
victimes : les blessés, les familles des disparus. Je suis allé sur place. Il a
fallu annoncer aux familles la mort de leur proche. Il fallait aussi parler à
l'opinion, le plus calmement possible, en étant ferme sur les principes. En
fait, il y avait un million de choses à organiser et aucun de nous ne savait
comment faire ; mais ce dont j'étais convaincu, c'est que le numéro suivant du
journal devait sortir. Nous nous sommes battus pour cela. J'ai « coupé » mes
émotions, ce n'était pas gérable autrement. Je ne suis absolument pas une
victime, juste un proche et un acteur parmi d'autres de cette longue histoire,
mais plus rien n'a jamais été pareil.
Dans les « millions de choses à faire », il reste le procès…
Oui. Et il faut aller jusque-là. Les cicatrices vont se rouvrir
et, en même temps, on ne peut pas y échapper, parce que c'est notre histoire.
J'espère qu'au moins certaines des victimes parviendront à laisser un peu du
poids de leur souffrance dans la salle de la cour d'assises. J'espère aussi que
nous saurons, collectivement, nous montrer plus constants et plus courageux
dans la défense de nos libertés
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Car elle est censurée par certains médias (le
point n'y déroge pas hélas) et surtout par ces bien-pensants donneurs de leçons
hypocrites partisans du politiquement correct politique, une tare qui fait plus
de mal que de bien !
Et quand on parle de religions par exemple, il
faut s'abstenir de simplement en parler ou même les critiquer et taire ce que
l'on pense jusqu'à éviter les mots "dieu" par exemple ou Islam,
musulman, terroriste islamique jusqu'au races ou couleurs de certains pourtant
ce ne sont pas des insultes, mais cela est souvent qualifié d’islamophobie qui
n'est pas raciste ne confondons pas!
Pour le reste, il ne faut surtout pas trop
parler de laïcité que l'on nous sert sans cesse, car çà aussi est mal vu
surtout que beaucoup ne savent même pas vraiment ce qu’être laïc et croient que
cela protège des religions !
Les religions et le mystique sont la faiblesse
des hommes depuis des millénaires, car même ceux qui ne croient à rien peuvent être
fustigés par ceux qui en pratique une et traités d’hérétiques voire païens ou mécréants
!?
Donc dans cette liberté d’expression, elle n’est
pas si libre que cela et notre monde qui se veut si moraliste et donneurs de
leçons par ces pratiques régresse vers un obscurantisme moyenâgeux que l’on
croyant oublié, donc en muselant cette liberté d’expression pour tous ce sujets
sensibles, religions racisme, antisémitisme etc. préfère taire que de vraiment
agir aux racines du mal, car on peut croire ou penser ce qu’on veut, mais dans
la discrétion si possible, et surtout ne pas obliger ceux qui ne veulent
croire à rien, car ils sont nombreux !
jdeclef 15/08/2020 10h30CLP
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