« Nous sommes dans une
société gravement fracturée, et de plus en plus violente »
ENTRETIEN.
Incarnation vivante de l'autorité républicaine, Jean-Pierre Chevènement remet
les pendules à l'heure dans les confusions du moment. Décapant.
L'actuel ministre de l'Intérieur, le sarkozyste Gérald Darmanin, parle d'« ensauvagement » de la société, et l'expression fait écho au mot « sauvageons » lâché par son prédécesseur Place Beauvau en 1999. Il y a plus de quinze ans… En attendant ses Mémoires qui paraîtront début septembre sous le titre Qui veut risquer sa vie la sauvera (Robert Laffont), Jean-Pierre Chevènement nous a accordé un entretien à bâtons rompus et, comme toujours chez lui, sans langue de bois.
Le Point : Emmanuel Macron est-il à la hauteur de la crise que nous traversons ?
Jean-Pierre Chevènement : Je suis beaucoup moins sévère que la plupart des commentateurs sur la gestion de la crise par Emmanuel Macron. À part la pénurie de masques que nous aurions pu éviter si on avait maintenu la politique de stocks stratégiques définie il y a dix ans, les mesures prises pour indemniser le chômage partiel ou pour accorder aux entreprises des prêts garantis par l'État ou encore pour reporter les charges sociales et fiscales ont permis jusqu'à présent de préserver notre tissu entrepreneurial. La crise a mis en lumière nos profondes dépendances, et pas seulement dans le domaine sanitaire. Indépendance est pour moi un maître mot. Il s'agit de retrouver des marges de manœuvre, une capacité à s'orienter par soi-même, ce qui est au fondement même de la République. Cette crise nous invite à prendre nos distances par rapport à la règle de l'approvisionnement au plus bas coût possible, qui a prévalu tout au long de trois décennies de mondialisation débridée. Nous avons ainsi laissé notre pays se désindustrialiser, au prix de fractures sociales de plus en plus insupportables. Il faut remonter la pente.
Le souverainisme redevient à la mode… Vous devez en être content ?
Je n'aime pas employer ce mot, qui est source de confusion avec certaines expressions que je ne fais pas miennes. Je me dis simplement républicain. Je me garde des amalgames. Je suis pour la souveraineté nationale, intitulé du titre premier de la Constitution de 1958, parce qu'elle est la condition de la République. Je considère que les étrangers venus sur notre sol ont vocation à s'intégrer à la République. Ils ne doivent pas être rejetés a priori ; en même temps, la politique d'immigration dépend de la capacité d'intégration du pays d'accueil. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne.
Le nouveau cap fixé par Emmanuel Macron, et notamment le gouvernement Castex, a-t-il une coloration « chevènementiste » ?
J'observe que la nomination de monsieur Castex a permis une certaine embellie dans l'opinion publique, à la fois pour le président de la République et le gouvernement. Mais la politique du gouvernement Castex sera jugée sur le long terme sur sa capacité à reconquérir l'indépendance industrielle et technologique de la France pour laquelle s'était engagé le président. On a fait appel à des « poids lourds » politiques, c'est une bonne chose, mais je ne discerne pas dans l'état actuel ce qui, dans les structures du gouvernement, traduirait la volonté de reconquête de notre indépendance.
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