jeudi 24 septembre 2020

Alors le délit de sa gueule devrait diminuer si on ne peut pas voir le visage d’autrui !?

 

« On se passe mal de ne plus voir le visage de l'autre »

ENTRETIEN. L'anthropologue et professeur à l'université de Strasbourg David Le Breton analyse les répercussions du port du masque sur le lien social.

David Le Breton a repris ses cours à la faculté de Strasbourg, masqué, devant des étudiants masqués. Et tout ce qu'il théorisait depuis quelques mois s'est révélé vrai. L'auteur de Des visages et d'Éclats de voix (Métailié) a en effet expérimenté cette désagréable sensation d'être face à un auditoire « passif », comme empêché par le masque. Ce bout de tissu ou de papier recouvrant une partie habituellement très expressive de nos visages. «  C'est à travers les intonations de voix que l'on peut se rendre compte comment une personne réagit à nos propos, constate l'anthropologue. La voix devient une sorte de visage de substitution. » S'il parle d'une « rupture anthropologique majeure », le chercheur, conscient de la nécessité de porter des masques, relève aussi dans cette période de crise une forte « créativité sociale ».

Le Point : Pour vous, la généralisation du port du masque est une « crise anthropologique majeure » qui « défigure » le lien social. En quoi est-ce si important de voir le visage de l'autre ?

David Le Breton : Le fait que nous perdions notre visage, ce n'est pas rien au niveau anthropologique. Nous sommes contraints de deviner l'autre. Nous perdons ce miroir éthique qu'est le visage. Ce que je dis à l'autre, est-ce que je suis capable de lui dire les yeux dans les yeux ? Nous sommes privés de repérer dans le visage de l'autre cet engagement, dans une conversation, dans un cours, dans un magasin… On se passe mal de ne plus voir le visage de l'autre. En plus, on perd les mimiques, donc l'effet de résonance de nos paroles sur le visage de l'autre.

Le visage est le lieu de la reconnaissance mutuelle, le lieu à travers lequel on est nommé, identifié à un âge, à un sexe. Là, on a du mal à identifier l'autre. Le visage est au cœur de la sociabilité, au cœur de toutes nos interactions, c'est le lieu privilégié de l'amour, de la relation à l'autre, à ses enfants, ses parents, à ses amis… C'est d'ailleurs pour ça que le racisme commence par piétiner le visage de l'autre. On parle de « sale trogne », de « face de rat »… Quand on est en colère avec quelqu'un, on peut lui dire : « Je vais te casser la gueule ! » On voit que le visage est vraiment le centre de gravité de tous les échanges sociaux. C'est à la fois le lieu le plus valorisé et le lieu qui peut être le plus facilement détruit. La défiguration (un visage brûlé, par exemple) vous élimine du lien social, alors que si vous avez une cicatrice sur la jambe, cela ne change rien à votre statut social, parce que ça ne se voit pas.

Quels changements de comportements constatez-vous depuis que le masque est obligatoire dans de nombreuses villes, à l'extérieur  ?

On est toujours dans cette phase d'entre-deux, de suspension où on ne sait pas très bien sur quel pied danser quand on croise un ami, un collègue… Ce n'est pas que le visage qui est masqué, ce sont les rites d'interaction qui sont bouleversés, donc, parfois, on tend machinalement la main, avant de se rappeler les gestes barrières… Il y a une indécision dans la rencontre. Nos rites d'interaction sont bouleversés, mais nous en inventons d'autres. C'est une période intéressante sur le plan de la créativité sociale : de plus en plus de gens se tendent le coude ou le poing fermé, d'autres miment les bras grands ouverts ou joignent les mains en prière sur la poitrine, comme le namasté, ou s'inclinent devant l'autre. Et au niveau de la parole, on dit souvent : « Je ne t'embrasse pas, mais le cœur y est. » On trouve des manières d'entrer en contact en préservant l'estime que l'on a pour l'autre, d'autres formes de ritualisation.

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La bise est plus compromise.

La bise et la poignée de main vont-elles disparaître ?

La poignée de main devrait revenir assez vite, elle est dans nos réflexes, et c'est facile de se laver les mains après avoir salué quelqu'un. Alors que la bise est plus compromise dans la mesure où elle impose une proximité des visages et une difficulté plus grande à effacer les traces du contact. Certains vont s'en trouver soulagés, les femmes notamment. Être embrassées par tous les collègues masculins était souvent inconfortable pour elles. Pour les hommes aussi ce n'est pas commode de savoir combien de fois on embrasse. La bise, très conventionnelle, était plutôt une petite zone d'inconfort dans les interactions mixtes.

Dans l'histoire, le masque a davantage rapport avec la transgression qu'avec l'obéissance. Là, nous vivons l'inverse.

Anthropologiquement, le masque est lié à une suspension de toutes les responsabilités envers les autres. C'est le masque du carnaval où l'on s'autorise à faire des choses qu'on n'oserait pas faire dans la vie courante, comme avoir une relation sexuelle avec un parfait inconnu (dans Le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell, on peut lire une rencontre extraordinaire au carnaval d'Alexandrie entre deux personnes qui n'auraient jamais dû se rencontrer). C'est un moment de transgression sans risque grâce au masque. Il y a aussi le masque de Venise qui permettait aux aristocrates de vivre un tas d'aventures sans être reconnus. Dans ce contexte, le masque libère les responsabilités envers les autres. Alors que porter un masque aujourd'hui, c'est assumer une responsabilité envers les autres.

Il s'agit de protéger les autres et de se protéger soi. C'est un peu comme si les procédures hospitalières, voire chirurgicales, entraient dans la vie courante. C'est le « care » (prendre soin) qui s'empare finalement du lien social. On est donc à l'opposé de l'anthropologie traditionnelle du masque.

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Est-ce que le fait de vivre la face à moitié cachée peut aider à transgresser la loi, à commettre des larcins ou plus d'incivilités ?

Le sociologue Roger Caillois évoquait autrefois le masque en disant de lui qu'il est « ce qui reste du bandit ». Il faudrait vérifier les chiffres, bien sûr, mais il est évident que le fait de se promener masqué dans les grandes villes de France autorise plus facilement le passage à l'acte sans être reconnu, donc favorise les incivilités. Vous n'êtes pas arrêté par le visage de l'autre et vous n'allez pas être reconnu, identifié. On peut penser qu'un certain nombre de gens profitent de la situation. On a observé par ailleurs une croissance du harcèlement contre les femmes grâce à cet anonymat.

Le fait de porter un masque met à mal les procédures de reconnaissance faciale, qui étaient déjà très maladroites et arbitraires. Nous n'avons plus de visage, nous avons juste un front et des yeux. Cela ne suffit pas pour identifier un visage. On ne peut pas reconnaître un sourire d'une grimace ou d'un agacement.

On a vu des faits divers tragiques liés à des querelles sur le port du masque, notamment ce chauffeur de bus mort à Bayonne.

Oui, cela crée une société de suspicion dans la mesure où certains ne jouent pas le jeu. Prenez les fêtards, par exemple, qui eux ne sont pas opposés au masque : ils le portent dans leur vie de tous les jours, mais pas pour faire la fête, car la fête serait un univers d'exception et de transgression.

Ils sont dans le paradoxe : « Je sais bien que c'est dangereux, mais… » Ce qui est troublant, c'est cette sorte de suspension de la responsabilité, une sorte d'« après moi, le déluge ». Il y a un retour de balancier : on vit dans un univers hyperpuritain et sécuritaire, donc, pendant un instant, on plonge dans un univers hyperlibertin !

On est loin du flâneur de Baudelaire ou de Walter Benjamin…

Nous perdons également, provisoirement, le plaisir de regarder l'autre : tout le monde se ressemble, masqué.

On a perdu, c'est vrai, l'agrément de s'asseoir à une terrasse de café et de regarder les gens passer, de s'émouvoir de certains visages. On est loin du flâneur de Baudelaire ou de Walter Benjamin… Il y a une espèce de « mélancolisation » du lien social. Mais si on a le sens des responsabilités, on se dit que c'est une parenthèse. La pandémie, ce n'est pas la peste (sur laquelle David Le Breton a travaillé, NDLR), mais elle se propage de la même manière.

Le visage est nu, en principe ; là, il se retrouve habillé et comme brouillé…

Quand on se croise dans les vitrines ou dans le miroir, on a l'impression d'une étrangeté, d'une dépersonnalisation. Ça supprime un signe d'identité majeure. Il y a deux éléments essentiels dans notre identité : le visage et la voix. Et là, notre visage n'existe plus dans la relation sociale. La voix, en revanche, est survalorisée aujourd'hui. C'est à travers les intonations de voix que l'on peut se rendre compte comment une personne réagit à nos propos. La voix devient une sorte de visage de substitution de nos jours.

Les Français peuvent-ils être aussi disciplinés que les Asiatiques sur le port du masque ?

Il ne faut pas croire qu'à Tokyo tout le monde se baladait avec un masque avant la pandémie, ça restait exceptionnel. C'était le fait de personnes malades (même avec une simple angine) qui savaient qu'elles risquaient d'en contaminer d'autres. En Asie, le groupe a plus d'importance que l'individu.

De notre côté, nous vivons dans une société d'individus, du « moi-personnellement-je », et ça change tout. Le groupe est souvent secondaire dans notre appréciation des choses. Le statut de l'individualisme a énormément changé ces dernières années, un trait qui s'est accentué au début des années 1990, au moment où les cultures de classe ont volé en éclats et où les partis politiques se sont retrouvés démunis. Cette évolution de l'individualisme se traduit par le fait qu'un certain nombre de nos concitoyens refusent le masque, les autorités, les expertises… Et cela explique que, dans nos sociétés, des gens politisent ou instrumentalisent le refus du masque, comme l'extrême droite ou l'extrême gauche, et des complotistes de tous bords. On a du mal à établir un consensus dans des sociétés d'individus.

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Comme la laideur qu'on cache, car tout le monde n'est pas gâté par la nature on tombe dans un anonymat équivalant aux malfrats de tous poils ou trublions pour faire de mauvais coup !

Il y avait les cagoules des casseurs, il y a maintenant les masques qui en plus filtre un peu les gaz lacrymogènes que l'on peut enlever rapidement pour ne pas se faire pincer par la police, mais qu'on peut aussi garder pour respecter les fameuses mesures barrières que l'on respecte dans une manifestation, une excuse bateau !

On marche vraiment sur la tête dans notre pauvre pays gouverné par des bienpensant donneur de leçons aussi creuses que leurs cerveaux de politiciens bornés !

Ce covid 19 nous rend anonyme, mais dans nos grandes ville ont y est déjà ou le chacun pour soi est de règle, regardez qui connait ces voisins dans les immeubles de nos citées?!

Arrêtons de nous regarder le nombril, car avec cette pandémie, ce n'est pas fini et là on est revenu dans la réalité on n'est plus à plage pour ceux qui ont pris des vacances ou serrés comme des sardines dans des nightclub ou diverses boites à danser comme sont les jeunes !

Il faut apprendre à vivre avec ce virus et ce n'est pas fini car notre vie présente change et on n'a pas le choix !

Jdeclef 24/09/2020 17h56

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