« On
se passe mal de ne plus voir le visage de l'autre »
ENTRETIEN.
L'anthropologue et professeur à l'université de Strasbourg David Le Breton
analyse les répercussions du port du masque sur le lien social.
David Le Breton a repris ses cours à la faculté de Strasbourg, masqué,
devant des étudiants masqués. Et tout ce qu'il théorisait depuis quelques mois
s'est révélé vrai. L'auteur de Des visages et d'Éclats de voix (Métailié)
a en effet expérimenté cette désagréable sensation d'être face à un
auditoire « passif », comme empêché par le masque. Ce bout de
tissu ou de papier recouvrant une partie habituellement très
expressive de nos visages. « C'est à travers les intonations de voix
que l'on peut se rendre compte comment une personne réagit à nos propos,
constate l'anthropologue. La voix devient une sorte de visage de
substitution. » S'il parle d'une « rupture anthropologique majeure »,
le chercheur, conscient de la nécessité de porter des masques, relève aussi
dans cette période de crise une forte « créativité sociale ».
Le Point : Pour vous, la généralisation du port du masque est
une « crise anthropologique majeure » qui « défigure »
le lien social. En quoi est-ce si important de voir le visage de l'autre ?
David Le Breton :
Le fait que nous perdions notre visage, ce n'est pas rien au niveau
anthropologique. Nous sommes contraints de deviner l'autre. Nous perdons ce
miroir éthique qu'est le visage. Ce que je dis à l'autre, est-ce que je suis
capable de lui dire les yeux dans les yeux ? Nous sommes privés de repérer
dans le visage de l'autre cet engagement, dans une conversation, dans un cours,
dans un magasin… On se passe mal de ne plus voir le visage de l'autre. En plus,
on perd les mimiques, donc l'effet de résonance de nos paroles sur le visage de
l'autre.
Le visage est le lieu de la reconnaissance mutuelle, le lieu à
travers lequel on est nommé, identifié à un âge, à un sexe. Là, on a du mal à identifier
l'autre. Le visage est au cœur de la sociabilité, au cœur de toutes nos
interactions, c'est le lieu privilégié de l'amour, de la relation à l'autre, à
ses enfants, ses parents, à ses amis… C'est d'ailleurs pour ça que le racisme
commence par piétiner le visage de l'autre. On parle de « sale
trogne », de « face de rat »… Quand on est en colère avec
quelqu'un, on peut lui dire : « Je vais te casser la
gueule ! » On voit que le visage est vraiment le centre de gravité de
tous les échanges sociaux. C'est à la fois le lieu le plus valorisé et le lieu
qui peut être le plus facilement détruit. La défiguration (un visage brûlé, par
exemple) vous élimine du lien social, alors que si vous avez une cicatrice sur
la jambe, cela ne change rien à votre statut social, parce que ça ne se voit
pas.
Quels changements de comportements constatez-vous depuis que le
masque est obligatoire dans de nombreuses villes, à l'extérieur ?
On est toujours dans cette phase d'entre-deux, de suspension où on
ne sait pas très bien sur quel pied danser quand on croise un ami, un collègue…
Ce n'est pas que le visage qui est masqué, ce sont les rites d'interaction qui
sont bouleversés, donc, parfois, on tend machinalement la main, avant de se
rappeler les gestes barrières… Il y a une indécision dans la rencontre.
Nos rites d'interaction sont bouleversés, mais nous en inventons d'autres.
C'est une période intéressante sur le plan de la créativité sociale : de
plus en plus de gens se tendent le coude ou le poing fermé, d'autres miment les
bras grands ouverts ou joignent les mains en prière sur la poitrine, comme le
namasté, ou s'inclinent devant l'autre. Et au niveau de la parole, on dit
souvent : « Je ne t'embrasse pas, mais le cœur y est. » On
trouve des manières d'entrer en contact en préservant l'estime que l'on a pour
l'autre, d'autres formes de ritualisation.
Demorand – 10 choses à savoir pour bien porter un masque
La bise est plus compromise.
La bise et la poignée de main vont-elles disparaître ?
La poignée de main devrait revenir assez vite, elle est dans
nos réflexes, et c'est facile de se laver les mains après avoir salué
quelqu'un. Alors que la bise est plus compromise dans la mesure où elle impose
une proximité des visages et une difficulté plus grande à effacer les traces du
contact. Certains vont s'en trouver soulagés, les femmes notamment. Être
embrassées par tous les collègues masculins était souvent inconfortable pour
elles. Pour les hommes aussi ce n'est pas commode de savoir combien de fois on
embrasse. La bise, très conventionnelle, était plutôt une petite zone
d'inconfort dans les interactions mixtes.
Dans l'histoire, le masque a davantage rapport avec la
transgression qu'avec l'obéissance. Là, nous vivons l'inverse.
Anthropologiquement, le masque est lié à une suspension de toutes
les responsabilités envers les autres. C'est le masque du carnaval où l'on
s'autorise à faire des choses qu'on n'oserait pas faire dans la vie courante,
comme avoir une relation sexuelle avec un parfait inconnu (dans Le Quatuor
d'Alexandrie de Lawrence Durrell, on peut lire une rencontre
extraordinaire au carnaval d'Alexandrie entre deux personnes qui n'auraient
jamais dû se rencontrer). C'est un moment de transgression sans risque grâce au
masque. Il y a aussi le masque de Venise qui permettait aux aristocrates de
vivre un tas d'aventures sans être reconnus. Dans ce contexte, le masque libère
les responsabilités envers les autres. Alors que porter un masque aujourd'hui,
c'est assumer une responsabilité envers les autres.
Il s'agit de protéger les autres et de se protéger soi. C'est un
peu comme si les procédures hospitalières, voire chirurgicales, entraient dans
la vie courante. C'est le « care » (prendre soin) qui s'empare
finalement du lien social. On est donc à l'opposé de l'anthropologie
traditionnelle du masque.
Coronavirus : Nathalie Birault, malentendante, crée des
masques transparents
Est-ce que le fait de vivre la face à moitié cachée peut aider à
transgresser la loi, à commettre des larcins ou plus d'incivilités ?
Le sociologue Roger Caillois évoquait autrefois le masque en
disant de lui qu'il est « ce qui reste du bandit ». Il faudrait
vérifier les chiffres, bien sûr, mais il est évident que le fait de se promener
masqué dans les grandes villes de France autorise plus facilement le passage à
l'acte sans être reconnu, donc favorise les incivilités. Vous n'êtes pas arrêté
par le visage de l'autre et vous n'allez pas être reconnu, identifié. On peut
penser qu'un certain nombre de gens profitent de la situation. On a observé par
ailleurs une croissance du harcèlement contre les femmes grâce à cet anonymat.
Le fait de porter un masque met à mal les procédures de
reconnaissance faciale, qui étaient déjà très maladroites et arbitraires. Nous
n'avons plus de visage, nous avons juste un front et des yeux. Cela ne suffit
pas pour identifier un visage. On ne peut pas reconnaître un sourire d'une
grimace ou d'un agacement.
On a vu des faits divers tragiques liés à des querelles sur le
port du masque, notamment ce chauffeur de bus mort à Bayonne.
Oui, cela crée une société de suspicion dans la mesure où certains
ne jouent pas le jeu. Prenez les fêtards, par exemple, qui eux ne sont pas
opposés au masque : ils le portent dans leur vie de tous les jours, mais
pas pour faire la fête, car la fête serait un univers d'exception et de
transgression.
Ils sont dans le paradoxe : « Je sais bien que c'est
dangereux, mais… » Ce qui est troublant, c'est cette sorte de suspension
de la responsabilité, une sorte d'« après moi, le déluge ». Il y a un
retour de balancier : on vit dans un univers hyperpuritain et sécuritaire,
donc, pendant un instant, on plonge dans un univers hyperlibertin !
On est loin du flâneur de Baudelaire ou de Walter Benjamin…
Nous perdons également, provisoirement, le plaisir de regarder
l'autre : tout le monde se ressemble, masqué.
On a perdu, c'est vrai, l'agrément de s'asseoir à une terrasse de
café et de regarder les gens passer, de s'émouvoir de certains visages. On est
loin du flâneur de Baudelaire ou de Walter Benjamin… Il y a une espèce de
« mélancolisation » du lien social. Mais si on a le sens des
responsabilités, on se dit que c'est une parenthèse. La pandémie, ce n'est pas
la peste (sur laquelle David Le Breton a travaillé, NDLR), mais elle se propage
de la même manière.
Le visage est nu, en principe ; là, il se retrouve habillé et
comme brouillé…
Quand on se croise dans les vitrines ou dans le miroir, on a
l'impression d'une étrangeté, d'une dépersonnalisation. Ça supprime un signe
d'identité majeure. Il y a deux éléments essentiels dans notre identité :
le visage et la voix. Et là, notre visage n'existe plus dans la relation
sociale. La voix, en revanche, est survalorisée aujourd'hui. C'est à travers
les intonations de voix que l'on peut se rendre compte comment une personne
réagit à nos propos. La voix devient une sorte de visage de substitution de nos
jours.
Les Français peuvent-ils être aussi disciplinés que les
Asiatiques sur le port du masque ?
Il ne faut pas croire qu'à Tokyo tout le monde se baladait
avec un masque avant la pandémie, ça restait exceptionnel. C'était le fait de
personnes malades (même avec une simple angine) qui savaient qu'elles
risquaient d'en contaminer d'autres. En Asie, le groupe a plus d'importance
que l'individu.
De notre côté, nous vivons dans une société d'individus, du
« moi-personnellement-je », et ça change tout. Le groupe est souvent
secondaire dans notre appréciation des choses. Le statut de l'individualisme a
énormément changé ces dernières années, un trait qui s'est accentué au début
des années 1990, au moment où les cultures de classe ont volé en éclats et où
les partis politiques se sont retrouvés démunis. Cette évolution de
l'individualisme se traduit par le fait qu'un certain nombre de nos concitoyens
refusent le masque, les autorités, les expertises… Et cela explique que, dans
nos sociétés, des gens politisent ou instrumentalisent le refus du masque,
comme l'extrême droite ou l'extrême gauche, et des complotistes de tous bords.
On a du mal à établir un consensus dans des sociétés d'individus.
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Comme la laideur qu'on
cache, car tout le monde n'est pas gâté par la nature on tombe dans un anonymat
équivalant aux malfrats de tous poils ou trublions pour faire de mauvais coup !
Il y avait les cagoules des casseurs,
il y a maintenant les masques qui en plus filtre un peu les gaz lacrymogènes
que l'on peut enlever rapidement pour ne pas se faire pincer par la police,
mais qu'on peut aussi garder pour respecter les fameuses mesures barrières que
l'on respecte dans une manifestation, une excuse bateau !
On marche vraiment sur la
tête dans notre pauvre pays gouverné par des bienpensant donneur de leçons
aussi creuses que leurs cerveaux de politiciens bornés !
Ce covid 19 nous rend anonyme,
mais dans nos grandes ville ont y est déjà ou le chacun pour soi est de règle,
regardez qui connait ces voisins dans les immeubles de nos citées?!
Arrêtons de nous regarder le
nombril, car avec cette pandémie, ce n'est pas fini et là on est revenu dans la
réalité on n'est plus à plage pour ceux qui ont pris des vacances ou serrés
comme des sardines dans des nightclub ou diverses boites à danser comme sont
les jeunes !
Il faut apprendre à vivre
avec ce virus et ce n'est pas fini car notre vie présente change et on n'a pas
le choix !
Jdeclef 24/09/2020 17h56
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