jeudi 26 novembre 2020

Quand on donne des outils performants faciles d'utilisations pour les hommes ils s’en servent !

 

Sommes-nous les esclaves d'Amazon, Facebook et Google ?

ENQUÊTE. Les géants de la tech règnent sur nos vies en imposant parfois leurs lois. Sont-ils devenus trop puissants ? Faut-il les démanteler ?

Jamis MacNiven se fait rare en ce moment au Buck's of Woodside , son restaurant, un des lieux mythiques de la Silicon Valley, situé à quelques encablures du domicile de Joan Baez. Ce grand gaillard, qui, lorsqu'il avait 29 ans, passait ses journées à retaper la maison de Steve Jobs, a moins la pêche. Pas uniquement parce que le Covid a limité le service sur une terrasse ombragée qui jouxte son établissement. Mais parce que, vingt ans après avoir accueilli derrière son bar Reid Hoffman, le créateur de LinkedIn, ou encore Jerry Yang le fondateur de Yahoo!, il ne retrouve plus chez ses convives, venus déguster un avocado burger ou encore un killer calamari face au tableau d'une Joconde affublée d'un chapeau de cow-boy jaune, la même effervescence créatrice. Il est loin le temps où les précurseurs de la Silicon Valley venaient lui demander conseil. « Dire que je n'ai acheté aucune action Google, soupire Jamis MacNiven. Je manque vraiment de pif. Quand Larry Page s'est pointé ici, en 1997, je lui ai dit que face à Altavista il n'avait aucune chance… »

Aujourd'hui, les sociétés qu'il a vu naître sont au firmament, mais elles sont également la cible de toutes les critiques - et, surtout, l'objet principal de l'attention des régulateurs du monde entier, de Washington à Pékin en passant par New Delhi, ou encore Bruxelles (voir l'interview deThierry Breton). Oh, pas parce qu'elles n'ont rien inventé. Non seulement elles attirent les cerveaux les plus brillants mais elles déposent des brevets à foison. On ne peut pas leur reprocher, non plus, leur manque d'imagination. Le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg, rêve de pouvoir dicter un texte à un écran par la pensée, quand Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, a investi pour mettre au point un lait artificiel à partir de racine de chicorée et de concentré de chou. Quant à DeepMind, l'équipe de recherche en intelligence artificielle de Google, elle vient de rendre disponible en open source le code d'un réseau neuronal simulant le comportement des électrons.

Problème, ces sociétés sont devenues puissantes. Trop puissantes. Leur position dominante sur des marchés qu'elles ont la plupart du temps défrichés grippe de plus en plus un écosystème qui n'arrive plus à vivre sans elles. Professeur à la Chicago Booth School of Business, Luigi Zingales voit dans ce pouvoir - « Google, n'est pas un roi mais un empereur », a-t-il expliqué au Wall Street Journal - une menace pour nos démocraties. Donnant raison à l'économiste libéral Frédéric Bastiat (1801-1850), qui voyait dans le monopole une plaie de l'humanité, au même titre que la guerre, l'esclavage ou la théocratie (voir encadré). Doit-on, dès lors, en revenir aux positions radicales des autorités américaines qui, dès la fin du XIXe siècle, se sont attaquées aux trusts géants ? Démantelée, la Standard Oil Company, en 1892, en 33 petites sociétés de pétrole, parmi lesquelles Chevron, Mobil, ou encore Esso (d'après les initales SO). Dépecée, l'American Tobacco en 1910. Sur ses ruines refleurira notamment la puissante Reynolds. Démembrée, l'American Telephone & Telegraph (AT & T) qui, en 1984, alignait 1 million de salariés. Sacré tableau de chasse ! Les trustbusters ont leur bible : le Sherman Act, rédigé en 1890 par le sénateur John Sherman pour s'attaquer aux concentrations - plus de 200 fusions avaient eu lieu aux États-Unis entre 1 898 et 1902 ! - soutenu par le président Theodore Roosevelt, républicain libéral et inquiet des excès du capitalisme. Doit-on en venir à une telle extrémité ?

Des géants indéboulonnables 

« La puissance de ces sociétés se mesure par le nombre de leurs utilisateurs, le montant de leur capitalisation boursière, mais aussi par leur influence sur leur marché », explique le directeur de la chaire innovation et régulation à Télécom Paris, Marc Bourreau. La raison d'une telle accélération ? « Les économies d'échelle, tout d'abord : lorsqu'on met au point un algorithme, le coût supplémentaire à chaque utilisateur est quasi nul », ajoute celui qui, fin octobre, corédigeait pour le Conseil d'analyse économique la note intitulée « Plateformes numériques : réguler avant qu'il ne soit trop tard ». À cela, il faut ajouter l'effet de réseau, c'est-à-dire la tendance qu'ont les consommateurs à s'inscrire sur des plateformes qui ont déjà attiré le plus grand nombre d'utilisateurs. « Aujourd'hui, même si vous créez le meilleur réseau social du monde, vous ne vous y inscrirez pas si vos amis n'y sont pas », explique le vice-président de l'Autorité de la concurrence, Emmanuel Combe. Les économistes s'accordent par ailleurs sur un effet de gamme : de la même manière qu'Uber, par exemple, qui, ayant une bonne idée du temps de circulation en ville, lance Uber Eats, qui achemine des plats à domicile, Google s'apprête à lancer Plex, un service qui permettra aux utilisateurs de Google Pay d'ouvrir un compte dans une banque partenaire. En réalité, les Big Tech se sont lancées dans une course en avant que rien ne semble devoir enrayer et qui remet en question la destruction créatrice chère à Schumpeter, selon laquelle un concurrent plus innovant venait remettre en question les situations établies. « La plupart des entreprises du secteur considèrent que la seule façon de survivre est de devenir grosse », assure Tim Wu, professeur de droit à Columbia et auteur de The Curse of Bigness. 

De la position dominante à l'abus, une frontière ténue 

« Ces entreprises ont de fortes positions sur les marchés, elles l'ont souvent mérité. Nous rêverions d'avoir de telles entreprises en Europe. En revanche, ce qui est condamnable, c'est d'empêcher l'arrivée de nouveaux concurrents par des moyens déloyaux », explique Jacques Crémer, chercheur à la Toulouse School of Economics. Un exemple ? « Google a été pris la main dans le sac à faire du self preferencing : lorsque vous tapiez chaussures rouges dans le moteur de recherche, il renvoyait vers son propre comparateur, Google Shopping, au détriment de concurrents comme Kelkoo », détaille l'économiste Emmanuel Combe. Autre tendance : les offres groupées. Amazon utilise sa puissance pour étendre ses services : le commerçant propose en effet aux abonnés Prime (livraison rapide et réductions de prix via un abonnement) un accès à Prime Video, qui pourrait bien faire de l'ombre à Netflix. Même scénario chez Google, incontournable dans la publicité en ligne pour les annonceurs comme pour les éditeurs de sites : « Avec leur stratégie de plateforme, les Big Tech deviennent facilement un "gatekeeper", un passage obligé pour les acteurs. Lorsque vous êtes dominant, vous devez être transparent avec les clients sur les conditions d'accès aux services de la plateforme », poursuit Emmanuel Combe. Et même quand les Big Tech se font taper sur les doigts, la relève a bien du mal à en profiter. Ainsi, en 2018, prenant en considération la position très forte du système d'exploitation Android (qui équipe plus de 7 smartphones sur 10 vendus en Europe), qui s'accompagnait de la mise en avant du moteur de recherche signé Google, la Commission européenne a condamné l'américain à faire de la place aux moteurs alternatifs comme l'américain DuckDuckGo, l'allemand Ecosia, les français Lilo et Qwant ou encore le tchèque Seznam. Une décision que Google a interprétée d'une manière très personnelle : pour avoir le privilège de figurer dans ce « choice screen », les moteurs de recherche alternatifs devaient participer tous les trois mois à des enchères - et seuls ceux qui payaient le plus cher étaient mis en avant. Cette « solution » avait certes l'avantage de remplir les caisses de Google, mais elle était particulièrement instable pour les intéressés qui ont écrit, le 28 octobre dernier, une lettre ouverte à la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. Réponse en attente.

La mort du petit commerce ? 

La polémique née avec le confinement s'est traduite par le lancement d'une pétition #NoelSansAmazon signée par plusieurs personnalités publiques, parmi lesquelles la maire de Paris, Anne Hidalgo. Elles y accusent l'entreprise d'être « prédatrice d'emplois »,« prédatrice des terres », ou encore « prédatrice du commerce ». Amazon, nouveau grand méchant loup ? De son côté, la plateforme, qui revendique, en France, 9 300 emplois en CDI et la création de « 110 000 emplois supplémentaires au sein de sa chaîne d'approvisionnement », offre la possibilité à pas moins de 11 000 entrepreneurs français d'y écouler leurs produits. C'est le cas de la Papeterie Neveu par exemple, installée au Havre depuis quatre-vingts ans, qui explique avoir multiplié son chiffre d'affaires par cinq depuis qu'elle est présente sur la plateforme Amazon, de L'Artisan du cristal qui y écoule depuis Baccarat 30 % de ses ventes fait main ou encore de la Maison Victor, une boucherie de Montélimar, qui a trouvé avec Amazon une nouvelle vitrine. L'entreprise de Jeff Bezos met les petits plats dans les grands en offrant les trois premiers mois d'adhésion à la marketplace d'Amazon. Une offre que Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF), encourage à décliner, pointant les commissions de 15 % que prend la plateforme. « Quand ils n'auront plus besoin de ces petites entreprises, ils les enverront paître. La chute risque d'être très brutale. » Autre risque : voir le géant de Seattle se servir des données récoltées sur la marketplace pour lancer lui-même ses produits à moindre coût ou pour les mettre en avant. La pratique fait l'objet d'une enquête pour abus de position dominante de la Commission européenne : verdict attendu en 2021. D'ici là, Amazon, qui explique ne générer au niveau mondial que 1 % du commerce de détail - mais tout de même 49,1 % des ventes en ligne aux États-Unis -, promet une formation aux petits commerçants, pour les aider à se digitaliser. Et, souvent, leur propose une gestion de leurs données à distance, le fameux cloud.

Déjà, en 1845, Bastiat… Il fut l’un des grands penseurs du libéralisme et (donc) l’un des pires ennemis du monopole. Dans Physiologie de la spoliation, Frédéric Bastiat le classe parmi les quatre grands maux, avec la guerre, l’esclavage et la théocratie. Il explique que « son caractère distinctif est de laisser subsister la grande loi sociale service pour service, mais de faire intervenir la force dans le débat, et par suite, d’altérer la juste proportion entre le service reçu et le service rendu. » Et ajoute que le monopole fait « passer la richesse d’une poche à l’autre ; mais il s’en perd beaucoup dans le trajet »…

Bientôt le monopole dans les nuages 

Car c'est bien ce service de stockage et d'analyse de données, appelé Amazon Web Services (AWS), qui est la véritable pépite de l'entreprise de Seattle. Né en 2006, AWS a affiché l'an dernier une croissance insolente de 37 %, des marges très enviables de 20 % et, surtout, s'appuie sur les données récoltées auprès de son million (!) de clients - parmi lesquels la SNCF, le géant des jeux vidéo Ubisoft ou la start-up de paiement en ligne Payfit - pour améliorer son offre en continu. Certes, Amazon n'est pas seul sur ce marché, mais, dans sa conquête, il a multiplié les baisses de prix - pas moins de 44 entre 2006 et 2014 - et propose des offres évolutives, qui s'appuient sur les 23 milliards de dollars que dépense chaque année l'entreprise en recherche et développement. « Aujourd'hui, des dizaines de milliers de clients en France s'appuient sur AWS, dont 80 % des entreprises du CAC 40 et plus de 75 % du Next 40 », nous explique Amazon. C'est aussi le cas de 80 % des entreprises du DAX allemand. Résultat, les éditeurs européens - récemment regroupés au sein du consortium Gaïa-X, ont du mal à résister. « C'est d'autant plus cruel que les solutions de cloud sur lesquelles les Big Tech s'appuient sont en grande partie nées en France, comme le gestionnaire de machine virtuelle Qemu, mis au point par le développeur Fabrice Bellard, le logiciel libre Docker, inventé à Télécom Paris, ou encore Scikit-Learn, une bibliothèque mise au point à l'Inria », regrette Jean-Paul Smets, créateur du fournisseur de cloud libre Rapid. Space, basé à Paris.

Cryptomonnaie, domaine militaire… la tentation du régalien 

Il faut se rendre dans la banlieue sud de Genève, dans un ancien port franc situé à Lancy, puis au 5 e étage d'un bâtiment dévolu au coworking pour retrouver l'équipe de trentenaires en bras de chemise qui s'active à la création de Libra. L'idée de cette cryptomonnaie concoctée actuellement par Facebook ? Créer une monnaie qui ne soit pas volatile, dégagée du pouvoir des banques centrales et utilisable facilement sur les plateformes WhatsApp (1,5 milliard d'utilisateurs), Messenger (1,3 milliard) et Instagram (1 milliard) de Facebook. Facebook se met ici sur le terrain d'un pouvoir régalien, ce qui fait bondir nos autorités. « Nous ne souhaitons pas qu'une entreprise comme Amazon ou Facebook développe des monnaies digitales qui puissent faire concurrence à des monnaies souveraines. Libra ne doit pas faire concurrence à l'euro ou au dollar », explique au Point le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Les géants de la tech avancent ausi sur le terrain militaire. Même si Amazon a perdu le gigacontrat Jedi de cloud computing militaire (de l'ordre de 10 milliards de dollars) face à Microsoft Azure, il est bien le maître d'œuvre de C2 E, le cloud de la CIA. Cela pose parfois des problèmes en interne chez les Big Tech : en 2018, Google a subi une vague de démissions d'employés refusant de travailler pour le « project Maven », un système de cartographie destiné à guider les drones autonomes du Pentagone. Depuis, il a gagné un contrat de cybersécurité pour le Pentagone.

Impôts : attrape-moi si tu peux ! 

Les Big Tech ont eu maille à partir avec le fisc français ces dernières années. Google a dû s'acquitter de 965 millions d'euros, Apple de plus de 576 millions. Facebook a été le dernier à conclure un accord. Le réseau social a accepté un redressement de 106 millions d'euros au titre de la période courant de 2009 à 2018 et paie davantage d'impôts annuels depuis 2019. Si l'État a remporté ces batailles face aux géants américains du numérique, la partie est pourtant loin d'être gagnée. Les Big Tech se servent toujours des différences de fiscalité entre pays européens pour réduire au maximum leur facture. Pour cela, rien de tel que de passer par l'Irlande, où l'impôt sur les sociétés plafonne à 12,5 %. La technique consiste à facturer les services vendus en Europe via une filiale installée dans ce pays ou d'autres États qui permettent ensuite d'envoyer les bénéfices réalisés vers des structures offshore. Pour ce faire, les filiales qui réalisent la véritable activité économique sont considérées comme prestataires de services d'assistance technique et de marketing pour lesquels elles sont rémunérées modestement par la société irlandaise. Un accord est actuellement toujours en négociation au sein de l'OCDE pour réformer les règles de la fiscalité internationale, malgré les réticences américaines. S'il était validé, les grandes entreprises ne seraient plus taxées selon leur présence physique dans un pays mais selon leur activité, leur chiffre d'affaires et leur profit. Surtout, elles devraient payer un impôt minimal mondial sur leurs résultats, de l'ordre de 12,5 %. Selon une évaluation du Conseil des prélèvements obligatoires, une telle réforme ferait gagner à la France 7 milliards d'euros de recettes par an auprès des multinationales. En cas d'échec, Bruno Le Maire appelle à généraliser en Europe la taxe sur les géants du numérique qu'il a fait voter en France. Elle représente 3 % du chiffre d'affaires généré dans l'Hexagone et a rapporté 350 millions d'euros en 2019. Alors qu'elle avait été suspendue en 2020, un paiement devrait finalement être exigé en décembre, a annoncé Bruno Le Maire.

Même la Chine brise les monopoles 

Ce devait être la plus grande introduction en Bourse de l'Histoire : Ant, branche financière de l'empire de Jack Ma, le fondateur du champion du e-commerce Alibaba, était supposé lever plus de 35 milliards de dollars à Hongkong et Shanghai ce 5 novembre 2020. Mais deux jours avant la date fatidique, le régulateur chinois a brutalement suspendu l'opération. Le 24 octobre, Ma avait eu l'outrecuidance de réclamer des « réformes » qui lui laisseraient les coudées franches pour partir à l'assaut du secteur bancaire traditionnel. Or jamais un milliardaire en Chine ne devrait exiger quoi que ce soit du pouvoir politique. Xi Jinping lui-même a donc ordonné la spectaculaire sanction. Il ne faut cependant pas réduire l'épisode aux crispations d'un régime autoritaire. Le Comité pour la stabilité et le développement financier, super-régulateur dirigé par Liu He, le conseiller économique du président chinois, s'est donné pour mission de faire le ménage dans le Far West de la fintech, les services financiers numériques. Avec ses applis de paiement (Alipay, 60 % des transactions mobiles en Chine) et de crédit (Zhima), Ant génère des volumes considérables et donc des risques systémiques intolérables dans un régime soucieux de stabilité. D'autant plus que la finance est au cœur de la politique de relance de l'État chinois… et de ses luttes de pouvoir, Jack Ma ayant pour sponsors des « princes rouges » proches de l'ancien président Jiang Zemin. Jamais un clan ne laissera l'autre faire émerger un tel mastodonte qui aurait la main sur le Web et la finance du pays. Le 10 novembre, Pékin a donc publié un projet de réglementation antimonopole visant spécifiquement les géants de la tech, au nom de la « concurrence non faussée » et de l'« économie de marché ». 

La main sur les tuyaux 

Faut-il y voir un clin d'œil à la Standard Oil qui, en 1875, avait la mainmise sur une bonne partie des chemins de fer américains ? En dehors des opérateurs télécoms, aux infrastructures parfois vieillissantes, Google est la première entreprise à avoir déployé ses propres câbles sous-marins intercontinentaux. Après s'être fait la main en 2018 sur une petite liaison entre Rio de Janeiro et São Paulo, au Brésil, le géant a inauguré en 2019 et 2020 deux câbles de plusieurs milliers de kilomètres chacun : l'un entre Los Angeles, en Californie, et Valparaiso, au Chili, et l'autre entre la côte Est des États-Unis et la France. Google doit mettre en service d'ici à 2022 deux autres câbles, l'un reliant la côte Est à la Grande-Bretagne et à l'Espagne et l'autre entre le Portugal et l'Afrique du Sud. Outre ces câbles « 100 % Google », le moteur de recherche a aussi investi dans 16 liaisons globales - dont il est copropriétaire. Chacune permet des transferts de données avec un débit pharaonique, l'équivalent de dizaines de millions de vidéos en 4K transmises simultanément. Côté Amazon, la carte des câbles sous-marins traduit une stratégie tournée vers l'Asie et le Pacifique, avec des investissements dans des câbles sous-marins reliant l'Amérique du Nord à la Chine et à l'Australie, mais pas à l'Europe. Par ailleurs, Jeff Bezos a dévoilé en 2020 le projet Kuiper, une constellation de 3 200 satellites qui devrait couvrir en Internet la planète entière et qui coûtera 10 milliards de dollars. Plus modeste, Facebook a mis des billes dans neuf câbles sous-marins reliant l'Amérique du Nord à l'Asie et à l'Europe. Le réseau social semble aussi poursuivre son projet satellitaire Athena, aux contours flous. Aujourd'hui, 99 % du trafic Internet mondial transite par les câbles sous-marins, des fibres optiques entourées de gaines en Nylon et en acier déposées sur le fond des océans. Ils sont l'objet de toutes les attentions, y compris de la part de sous-marins nucléaires spécialement modifiés pour y poser des mouchards…

Notre attention sous perfusion 

« Toutes les quarante secondes en moyenne, nous sommes sollicités par une nouvelle activité », explique Tristan Harris. Celui qui apparaît dans le documentaire The Social Dilemna a étudié l'informatique à Stanford, avant de rejoindre le B. J. Fogg Persuasive Lab, où il s'est spécialisé dans la psychologie du comportement. Quittant la fac avant la fin de ses études, il a lancé la start-up Apture, un glossaire du Web racheté par Google en 2011, ce qui lui a permis d'intégrer le moteur de recherche avant qu'il ne décide d'en démissionner cinq ans plus tard. Préoccupé par l'augmentation du suicide chez les adolescents, il tire la sonnette d'alarme contre la dépendance aux réseaux sociaux qui jouent sur notre stress, sur l'activation de la dopamine, et où se multiplient les fake news, qui ont abouti à une fragmentation de la société. Le trentenaire regrette le monde actuel où lorsqu'une jeune fille veut se renseigner sur un régime amincissant, elle se voit confrontée à une succession de vidéos sur YouTube où, pendant deux heures, vont défiler des filles anorexiques sans obtenir la moindre information scientifique ou médicale. « Nous devons passer d'une économie de la captation de l'attention à une économie qui régénère de l'attention », poursuit Tristan Harris, qui a créé à San Francisco le Center for Humane Technology, et qui rêve d'un modèle « où le succès n'est pas mesuré sur le taux d'attention que je réussis à avoir, mais à combien j'arrive à enrichir le lien social ». Un changement à 180 degrés ? « La technologie n'est pas mauvaise en soi. Il faut juste qu'elle soit réorientée pour être constructive. Il en va, explique-t-il, de notre santé mentale comme de celle de la démocratie. »

Des acquisitions à gogo 

Faut-il s'opposer au rachat de Fitbit, spécialiste des montres connectées, par Google ? La question divise les économistes quand on connaît le rôle décisif que peuvent jouer les acquisitions dans la croissance des Big Tech : gain de chiffre d'affaires et défrichage de nouveaux secteurs d'activité bien sûr, mais aussi recrutement de talents, sans parler du croisement des données, comme le montre la fusion de moins en moins déguisée des services de Messenger avec WhatsApp et Instagram, deux acquisitions de Facebook. Pour le Prix Nobel d'Économie Jean Tirole, il faut inverser la charge de la preuve : « Actuellement, c'est à la direction générale de la concurrence, à Bruxelles, ou au département de la justice, à Washington, de prouver qu'une fusion sera anticoncurrentielle. Quand les acquisitions arrivent très tôt dans la vie d'une entreprise, ce qui était le cas du rachat de WhatsApp ou d'Instagram par Facebook,on ne peut avoir une idée qu'après coup. Cela aurait dû être à Facebook de prouver que ces acquisitions ne le mettraient pas en position dominante. »

L'art du lobbying 

En attendant, quand ce n'est pas par le biais d'acquisitions, les Big Tech savent comment recruter des talents utiles. En 2017, le Danemark était le premier pays à se doter, en la personne du diplomate Casper Klynge, d'un ambassadeur auprès des géants de la tech… qui est devenu, trois ans plus tard, vice-président European Government Affairs de Microsoft. À Bruxelles, l'équipe de lobbying de Google est composée en très grande majorité d'anciens assistants parlementaires de l'Union européenne. Il est toujours utile de parler le même langage lorsqu'il s'agit d'influer sur des textes de lois, comme l'a montré le document interne destiné à infléchir le Digital Service Act révélé par Le Point (n° 2514).

Une passion pour notre santé 

Les citoyens britanniques ont appris avec étonnement l'an dernier que le gouvernement avait validé une autorisation d'accès pour Amazon aux informations médicales stockées sur les serveurs du National Health Service (NHS). En effet, en juillet, Matthew Hancock, ministre de la Santé, a fait part d'un accord conclu avec le géant américain pour qu'il puisse utiliser un certain nombre de données de santé des Britanniques dans le but d'aider les malades à obtenir de meilleurs conseils médicaux via Alexa. Faut-il y voir un rapport de cause à effet ? Mi-novembre, Amazon a annoncé que désormais l'achat de médicaments sur sa plateforme était possible. Ce qui a fait réagir fortement l'ancien chercheur au MIT Joël de Rosnay sur Twitter, le 18 novembre : « L'entrée d'Amazon dans le domaine de la santé illustre ce que j'ai appelé "l'uberisation" de la santé. La désintermédiation est en marche et elle n'épargnera ni les grands laboratoires, ni les pharmacies, ni même les médecins. » Jusqu'aux assureurs ? L'an dernier, Amazon a créé Haven, une société en joint-venture avec J. P. Morgan et Berkshire Hathaway, pour mettre au point un programme d'assurance-maladie. De son côté, Google a noué en 2018 un partenariat avec Ascension, un réseau gérant plus de 150 hôpitaux aux États-Unis avec lequel elle a lancé le Projet Nightingale (du nom d'une infirmière britannique du XIXe siècle, connue pour l'usage des statistiques dans le domaine médical). Le but est d'améliorer la gestion administrative des dossiers et de suggérer automatiquement des traitements médicaux grâce au machine learning.

Et maintenant ? 

Alors, que faire ? Parier sur un changement de comportement des Big Tech ? « Nous avons grandi avec l'économie du Net. Adolescent, le groupe cherchait surtout à bouger vite sans nécessairement regarder beaucoup autour de lui. Devenu adulte, il essaie aujourd'hui de se conduire comme un partenaire responsable », expliquait en 2019 Matt Brittin, responsable Europe, Moyen-Orient et Afrique de Google. Lors d'une conférence de presse en octobre, Mark Zuckerberg a tenu à insister sur le rôle joué par Facebook, surtout en temps de crise liée au Covid-19 : « Nous avons démarré avec une idée : donner aux gens le pouvoir de partager et de se connecter, et nous avons construit des services que des milliards d'individus utilisent. Je suis fier d'avoir donné une plateforme aux gens pour qu'ils puissent faire entendre leur voix et d'avoir donné aux petites entreprises l'accès à des outils auxquels seules les plus grandes entreprises avaient accès auparavant. » Et si la solution durable venait de l'émergence d'une concurrence européenne ? « En Europe, nous n'avons pas Stanford, ni le MIT, ni de marché véritablement unifié. Le capital-risque n'y est pas aussi développé qu'aux États-Unis depuis vingt ans. Au lieu de perdre du temps à jouer aux Lego industriels, les politiques feraient mieux de bâtir un marché européen des services unifiés pour qu'une entreprise innovante puisse se déployer tout de suite à l'échelle de l'Union », explique le chercheur à l'université de New York Thomas Philippon, qui recommande à l'Europe d'investir « massivement, y compris de l'argent public, mais de manière intelligente, via des appels d'offres pour des projets de recherche tout en instituant des règles de protection des données qui empêchent les géants américains et chinois de dominer le marché ». 

Quid de l'idée d'un démantèlement ? L'idée séduit Sébastien Soriano, auteur d'Un avenir pour le service public (Odile Jacob), qui propose des standards ouverts entre plateformes. « On peut toujours jeter en l'air l'idée d'un démantèlement parce que ce mot sonne fort, sonne brutal, mais il y a de fortes chances que cela reste lettre morte », explique Bruno Le Maire. L'idée n'enthousiasme pas non plus Jean-Pierre Chamoux, professeur émérite à l'université Paris-Descartes : « Pensons à ce qu'entraînerait une telle décision pour les relations transatlantiques. » Dans un contexte de guerre froide technologique sino-américaine en tout cas, les sociétés californiennes sont des atouts dont Washington aurait du mal à se passer. La clé revient donc en grande partie au président élu Joe Biden, alors que le ministère de la Justice américain a engagé une action musclée contre Google en octobre. Biden, qui, dans une interview au New York Times en janvier, reprochait aux dirigeants de la tech un « excès d'arrogance », n'a, pour l'instant, pas rendu publique sa position sur le sujet, mais un rapport de 449 pages venu des élus démocrates au Congrès publié cet été l'encourage à un durcissement des mesures antitrust. Espérons que la solution retenue redonnera le sourire à Jamis MacNiven

Comment Amazon s’est fait une place en France

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Que ce soit Amazon ou Google : l'un sert à acquérir des biens de consommation divers, l'autre à rechercher ou poser des questions diverses sur plein de sujets et avoir des informations de tous ordres donc utile, créé par des hommes qui bien sûr ont gagné beaucoup d'argent roi avec ceux-ci !

Facebook est plus critiquable, car bien que pervers, car il piège beaucoup d'utilisateurs pour raconter leur vie et que certains utilisent à mauvais escient ou donner de fausses informations médiatiques ou autres et comme mêmes nos dirigeants politiques ainsi que certains malfaisants transforment en « fake new » fausses informations voire pire pur influencer ceux qui s'y laissent prendre comme dans d'autres comme dans Twitter le défaut d'internet et que l'on surnomme réseaux sociaux « poubelles » ou il faut faire le tri que peu font quand on voit le nombre d'abonnés à ces plateformes et peut-être encore plus dans cette période de confinement et crise , mais ils ne sont pas les seuls sur le net la liste est longue!

Jdeclef 26/11/2020 10h44

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