Guerre en
Ukraine : « L’Europe comprend enfin qu’il est utile de produire du
blé »
Sept
millions de tonnes de blé sont immobilisées en Ukraine. Un manque qui sera
difficile à combler. Entretien avec Sébastien Abis, chercheur à l’Iris.
directeur du Club Demeter, qui réunit des décideurs du secteur agricole et
agroalimentaire, Sébastien Abis est chercheur associé à l'Institut de relations
internationales et stratégiques (Iris). Il a notamment publié Géopolitique
du blé (éd. Armand Colin/Iris, 2015) et codirigé avec Matthieu Brun le
rapport 2022 de Demeter intitulé Alimentation, les nouvelles
frontières.
Le Point : Dans quel contexte alimentaire intervient la guerre
en Ukraine ?
Sécurité alimentaire : Emmanuel Macron lance un plan
d'urgence
Depuis les années 2000, ce pays a utilisé son pouvoir agricole. Une fois
débarrassée du carcan de l'URSS, l'Ukraine a compris que les céréales étaient
son atout, que la planète en avait besoin. En vingt ans, son volume
d'exportations agricoles a été multiplié par 6, par 12 en valeur,
représentant 25 à 30 % en moyenne des recettes du pays à
l'export. Elle intervient pour 15 % dans le commerce mondial du maïs et
12 % dans celui du blé. L'Ukraine produit sur 30 millions d'hectares
cultivés, contre 26 dans le cas de la France. C'est une production
qui a gagné en qualité, qui a bénéficié d'investissements étrangers, français,
américains, chinois, notamment pour les semences. C'est aussi un pays qui
exporte massivement. Sur les 110 millions de tonnes de grandes cultures
[céréales, oléagineux et protéagineux, NDLR], l'Ukraine en exporte
80 millions. La France n'exporte que la moitié de ses 80 millions de
tonnes. Cette exportation massive repose sur le développement de quatre ports,
Mykolaïv, Tchornomorsk, Yuzhnyi et Odessa. Ce sont ces ports que la Russie
bloque : sur la récolte record de 2021, 1 million de tonnes d'orge,
2 millions de tonnes d'oléagineux, 15 millions de tonnes de maïs et
7 millions de tonnes de blé restent immobilisées en Ukraine. Le blé ne
sortira plus, car le gouvernement ukrainien a lui-même déclaré un
embargo compte tenu de la guerre. Difficile par ailleurs de faire sortir
le reste par voie ferroviaire en Pologne, quand on sait qu'un convoi véhicule
entre 1 500 et 2 500 tonnes, alors qu'un vraquier de type Panamax
peut transporter de 30 000 à 60 000 tonnes. C'est ce volume à
l'arrêt que les marchés ont anticipé, ainsi que l'hypothèque sur la récolte
ukrainienne de 2023, puisque les semis ne peuvent avoir lieu, les engins et le
fuel font défaut, et que l'incertitude de production agricole sera d'autant
plus grande que le conflit s'étirera dans le temps et l'espace.
« L'Europe n'a pas vocation à nourrir le monde »
L'Inde a fait une excellente récolte, supérieure à ses besoins et va
apporter quelques volumes au marché. La Russie continue à exporter depuis un
mois maintenant, par exemple, des flux vers l'Égypte. Mais il manque du
volume ukrainien pour la fin de campagne 2021-2022, celui-ci pourrait être même
plus grand pour la campagne 2022-2023 si la récolte ukrainienne
de 2022 fait défaut… Rappelons que l'Ukraine exporte 20 millions
de tonnes de blé en moyenne. Où va-t-on les trouver ? D'ordinaire, les
deux plus gros pays producteurs, la Chine et l'Inde, n'exportent rien. La
production européenne, forte, n'est pas sur une tendance haussière. Le Canada
exporte surtout du blé dur pour les pâtes, l'Australie sert d'abord l'Asie du
Sud-Est, l'Argentine approvisionne le Brésil, qui ne produit quasiment rien.
Les États-Unis privilégient souvent l'Asie, mais restent attentifs aux
opportunités du Moyen-Orient.
L'Europe a réagi rapidement avec la directive qui permet de
pratiquer de la grande culture sur les jachères…
Maghreb : la tentation de la Russie
Qu'en est-il du Maghreb et du Moyen-Orient (MMO), où le prix du blé
inquiète particulièrement ?
Globalement, le MMO est la région du monde où l'écart entre la production et
la consommation est le plus grand. La moyenne mondiale de consommation annuelle
de pain est de 60 kilos, elle est de 30 kilos en
Afrique, 100 en Europe, de 180 à 200 dans le MMO.
Cette région concentre 35 à 40 % des achats de céréales de la
planète. Elle achète 60 millions de tonnes de blé sur
les 190 exportées. Il en découle une dépendance très forte, mais
différente selon les pays : en Algérie, c'est un organisme d'État qui
achète ; en Égypte, la moitié des boulangeries sont subventionnées ;
au Maroc, tout est privé bien que l'État observe de près les dynamiques.
Aujourd'hui, le prix du blé, autour de 385 euros la tonne, a presque
rejoint le niveau de 2011, quand eurent lieu les émeutes de la vie chère.
L'autre zone qui achète beaucoup est l'Asie du Sud-Est : la Chine,
10 millions de tonnes ; l'Indonésie, 11 millions ; le
Pakistan, 7 ; le Vietnam, 4 ; la Thaïlande, 3. On ne trouve pas
facilement de nouveaux producteurs. Et les seuls pays en grande
croissance sur le plan de la production et de l'export sont l'Ukraine et
la Russie…
Comment la Russie, justement, peut-elle peser sur ce marché du
blé ?
À son arrivée au pouvoir, Poutine a misé sur l'agriculture, comme il a misé
sur le gaz et les armements pour faire de la diplomatie économique. Il a
réorchestré un réarmement céréalier en proposant ses produits, en cassant les
prix et avec des méthodes très agressives de désinformation. Ce fut le cas en
Égypte comme en Algérie, où la Russie essaie de déloger les Français. Il y a
dix-huit mois, l'organisme public algérien a modifié le cahier des charges afin
d'accepter le blé russe, mais, depuis, celui-ci entre dans moins de 10 %
des achats algériens.
L'Europe a-t-elle raté le coche avec le Maghreb et le Moyen-Orient ?
Indéniablement. Il y a eu un enjeu euro-méditerranéen défini par le sommet
de Barcelone en 1995, qui n'a pas été suivi de complémentarités économiques et
d'intérêts solidaires ; un quart de siècle de coopération
euro-méditerranéenne mal positionnée, trop peu entretenue. Désormais, les deux
rives dérivent. Par exemple, en Algérie, le pouvoir bien moins europhile, joue
la loi du marché, et regarde ailleurs, notamment vers la Russie. On pourrait en
théorie imaginer un échange UE-Algérie, gaz contre blé, mais Alger le
souhaite-t-il ? Sommes-nous également prêts à développer un tel
mécanisme ?
Delhommais – La guerre meurtrière du blé
La politique céréalière de Poutine a-t-elle été un succès ?
En 2016, la Russie est devenue le premier pays exportateur de blé, mais si
l'on s'intéresse aux différents cumuls, depuis 2000, 2010 ou 2016, on
perçoit mieux son essor récent (voir infographie). Après l'annexion de
la Crimée, elle a aussi formidablement développé deux ports, Kavkaz et Taman,
dans le détroit de Kertch, afin d'augmenter ses marges de manœuvre. Face aux
sanctions occidentales, elle a développé les produits laitiers, les fruits et
les légumes, les fruits rouges notamment, surtout dans le Caucase, dont elle
inonde le Moyen-Orient. Elle a aussi russifié les opérateurs en poussant
vers la sortie Cargill, ABM, Louis-Dreyfus… Aujourd'hui, le grand opérateur du
négoce de grains est russe, Demetra, propriété de la banque VTB. La Russie est
encore dépendante pour les semences de maïs, de betteraves, de tournesol, mais
pas de blé : la génétique russe a bien travaillé.
La Russie a-t-elle intérêt à arrêter ses exportations de blé ?
Sur les 190 millions de tonnes exportées par an dans le monde, la
Russie en exporte 38, ce qui représente 12 milliards de dollars de revenus
annuels. Mais qu'en sera-t-il du blé ukrainien, sur lequel elle va peut-être
mettre la main, dont 50 % sont produits à l'est du Dniepr ? Les deux
oblasts annexés représentent déjà près de 10 % de la production. La vraie
inconnue, le vrai tabou, à moyen terme, est la production russe : que vont
décider les opérateurs malgré les sanctions ?
Le blé, c’est le pain, c’est la ville.Sébastien
Abis
Pourquoi se focalise-t-on sur le blé, alors que l'Ukraine exporte
encore plus massivement du maïs et du tournesol ?
Parce que 90 % du blé sert à l'alimentation humaine, quand sur les
1 100 millions de tonnes de maïs, 700 sont à usage
animal, 300 servent l'industrie. Le blé, c'est le pain, c'est la
ville, c'est la praticité de nos sandwichs ou de nos biscuits. Le blé, en
proportion, c'est aussi plus de volumes échangés : 190 millions de
tonnes sur 800 millions de tonnes produites, contre 150 millions de
tonnes sur 1 100 pour le maïs, ou 50 sur 500 pour le
riz. C'est aussi, comme le pétrole, un oligopole : 10 pays
produisent 90 %. Mais on devrait, en effet, s'intéresser au maïs : si
l'UE n'achète pas de blé à l'Ukraine, la moitié de son maïs importé vient
d'Ukraine, la proportion étant surtout forte en Italie, en Espagne, aux
Pays-Bas. Or, le maïs ukrainien, à la différence du brésilien, de l'argentin,
de l'américain, est sans OGM. Que va-t-on faire ? Repasser en OGM ?
S'en remettre au soja pour l'alimentation animale alors que celui-ci est
controversé en raison de son rôle dans la déforestation de l'Amazonie ?
Les filières volaille-porc sont évidemment très touchées. Ce sont d'ailleurs
celles qui ont été les premières aidées en France. La Russie et l'Ukraine
représentant 60 % des exportations mondiales de tournesol, la question
d'une relance protéique sur le sol européen vers le colza et le soja se pose
avec acuité.
Kervasdoué – Comment la guerre en Ukraine va influer sur les
marchés agricoles
Qu'en est-il des stocks de blé à l'heure actuelle ?
C'est une question cruciale. L'Europe a cessé d'avoir une logique de stocks,
ce qui ne vaut pas que pour le blé. Seules la Suisse, un peu l'Allemagne et la
Finlande en ont eu une. Les stocks de blé mondiaux, ce sont 280 millions
de tonnes, ce qui n'est pas beaucoup : un trimestre de consommation. Il
faut savoir que la Chine en a la majeure partie, 130 millions de tonnes,
soit une année de consommation pour ce pays. Pékin a toujours peur de manquer
de nourriture. Il y en a 25, 30 en Inde, la même chose aux
États-Unis, l'UE n'en a que 10, soit l'équivalent d'un mois. Comme pour les
masques lors de la pandémie, nous avons été très légers et naïfs. La question
devient alors : que doit-on avoir à domicile au regard des aléas
conjoncturels ? Que faut-il garder pour nos besoins et, par solidarité,
pour les pays sensibles, qui ne doivent pas basculer dans la violence ?
L'Europe, qui avait des forces, des modèles différenciés, s'est perdue sur
d'autres terrains. Notre boussole stratégique n'a pas été la bonne. Nous
avons perdu en capacitaire et en vision géopolitique dans le domaine
agricole, quand d'autres se sont, au contraire, réarmés. Le mot
« produire » ne doit plus être tabou ni être un gros mot. En même
temps, il ne faut rien céder sur la transition climatique et la sacrifier au
seul profit des rendements et de l'économie. L'ADN de l'Europe agricole a
toujours été l'innovation. L'objectif est de produire plus, mais mieux et avec
moins. Et de produire peut-être en Europe, en ayant conscience des besoins de
certaines régions du monde qui nous entourent. C'est ce que j'appelle depuis
des années « la souveraineté alimentaire solidaire » : forte à
domicile et responsable vis-à-vis des enjeux extérieurs.
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C’est les peuples dans tous
conflits qui en subissent les conséquences car mal gouvernés par ces
politiciens qu’ils ont élus mêmes dans les pays libres et démocratiques !
Pour le blé la France peut être
auto suffisante il suffit d’en cultiver plus et de supprimer les terres en
jachères décrétées par la politique agricole commune europeenne naturellement les céréaliers font
partie des agriculteurs français les plus riches que tous les autres plutôt pauvres et ne
pourront plus jouer sur leur ordinateurs
en spéculant sur les cours du blé pour en tirer le meilleur prix d’un produit qu’ils ne voient même pas en le
réservant pour nourrir les français !
La mondialisation montre ses
limites seul avantage de cette crise ukrainienne qui forcera peut être à nos
dirigeants de tous bords à faire une politique alimentaire et économique privilégiant
le bénéfice de survie pour lutter contre la famine de certains pays pauvres
plutôt que d’être obligé de se réarmer pour défendre l’intégrité et la liberté
de ses habitants contre des dictateurs dangereux qui avilissent ou
asservissent des peuples pour agrandir
leurs empires perdus pour avoir plus de pouvoir absolu !
(Sans compter le mysticisme
religieux terroriste dévastateur qu’il ne faut pas oublier !?)
En fait depuis les dernières
grandes guerres mondiales (et autres diverses moins importantes après) les
sociétés humaines mondiales dérapent environ depuis tous les trente ans !
Il serait plus que temps que cela
change car les hommes qui sont semble-t-il en haut de l’échelle des espèces
vont arriver à s’auto détruire bien avant le risque du dérèglement
climatique !?
Et surtout arrêter de donner trop
de pouvoir à un seul homme même dans nos société libres et démocratiques car
ils se prennent pour des monarques absolus réminiscence de nos monarchies
anciennes de 2000 ans !
Jdeclef 30/03/2022 12h23LP
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