« Poutine
sera certainement mis à la retraite ou tué d’ici à six mois »
ENTRETIEN.
Le spécialiste de la Russie et ancien agent du renseignement britannique
Christopher Steele détaille les compromissions de l’Occident face à
Vladimir Poutine.
Lorsque le « dossier Steele », du nom de son auteur,
l'ancien agent du renseignement britannique Christopher Steele, est sorti dans
la presse en 2017, il a provoqué de nombreux débats. Sur la véracité des
informations qu'il contenait, sur la capacité réelle des Russes à influencer
une élection… Mais, aux États-Unis comme en Europe, nous sommes largement
passés à côté de ce que signifiait une telle implication du régime de Vladimir
Poutine. L'important n'était pas tant de mesurer l'impact réel de ces
opérations mais bien de comprendre que nous avions un ennemi. Que nos réactions
timorées lors de l'annexion de la Crimée avaient donné à l'État russe un
sentiment d'impunité, qui l'incitait à aller toujours plus loin dans ses actions
hostiles à notre encontre.
Pour
Christopher Steele, il aurait fallu comprendre que l'Ukraine devait être
soutenue financièrement et militairement ; que nos institutions étaient
paralysées par la corruption et le clientélisme de la Russie. Las, nous avons
trop tardé, collectivement, à prendre conscience du danger, et il aura fallu
une guerre entre deux États européens, la première depuis 1945, pour que nous
daignions réagir à la hauteur des enjeux. Christopher Steele a accepté de
répondre à nos questions afin de comprendre comment nous en sommes arrivés là
et ce qu'il est encore temps de faire pour cesser d'être pris de court par ce
pays, devenu un véritable « État voyou » qui nous considère, depuis
maintenant longtemps, comme un ennemi à abattre.
Le Point : Pourquoi l'Ouest a-t-il
attendu si longtemps avant d'intervenir pour aider l'Ukraine et pas dès
2014 ?
Christopher Steele : L'Ouest était jusqu'ici dans le déni : la
Russie est devenue un État voyou et ce que nous voyons aujourd'hui en Ukraine
est choquant mais pas surprenant. Plusieurs événements illustrent le changement
de paradigme politique en Russie depuis l'arrivée de Poutine : le
démantèlement de la compagnie pétrolière Ioukos ; l'empoisonnement de
Litvinenko ; la guerre en Géorgie ; l'invasion du Donbass et de la
Crimée ; l'empoisonnement de Skripal ; l'assassinat
en 2020 du Georgien-Tchétchène Khangoshvili dans un parc de Berlin
par un présumé agent du FSB russe ; l'invasion de l'Ukraine aujourd'hui.
Mais aucun d'entre nous, même ceux qui comme moi ont travaillé sur la Russie
pendant des décennies, n'aurait pu prédire ces événements. Malgré leur logique
interne, ils restaient difficiles à envisager dans le cadre de la diplomatie de
l'après-guerre. Pour le comprendre, il faut revenir aux attentats de 1999, dont
je suis assez sûr qu'il s'agissait d'une opération sous fausse bannière
orchestrée par Poutine et le FSB, destinée à justifier une seconde guerre en
Tchétchénie et mener Poutine et sa clique au pouvoir. Cet événement était si
abominable que nous aurions dû savoir dès le début que c'était un régime
gangster, différent de ce que nous connaissions, y compris pendant l'époque
communiste où il existait encore certaines règles et structures et dont je ne
crois pas qu'il aurait conduit de telles opérations. Mais nous n'avons pas
compris, à l'époque, l'ampleur de cette menace. Jusque-là, Poutine s'en est
toujours tiré à bon compte.
Fukuyama : « Il est tout à fait possible que Poutine ait
commis une gaffe monumentale »
En 2014, nous en savions tout de même
suffisamment pour réagir, non ?
Notre
réponse, aujourd'hui, est en effet celle que nous aurions dû avoir en 2014, si
ce n'est plus tôt. Mais nous avons souffert du cadre dans lequel nous avons
pris l'habitude de conduire la politique étrangère depuis 1945. Adapter
celle-ci prend du temps. Cela explique qu'on ait autorisé la Russie à organiser
la Coupe du monde de football de 2018 – à la finale de laquelle votre
président, je le rappelle, a assisté à côté de Poutine, que nos entreprises
aient continué à y faire des affaires, ou qu'on ait laissé des oligarques
s'installer chez nous.
J'ajouterais
deux facteurs qui à mon sens ont facilité l'inertie occidentale. D'abord le
rôle d'Angela Merkel, qui est en réalité partiellement responsable de la
situation. La chancelière allemande était considérée comme ce grand chef d'État
capable de traiter avec Poutine et de comprendre la Russie. Les événements des
derniers mois lui donnent tort en invalidant la conviction allemande selon
laquelle la Russie allait devenir un pays civilisé grâce à l'intégration
économique. Elle a trop utilisé la carotte et pas assez le bâton. L'héritage de
Merkel en la matière est calamiteux. Ensuite, le poids des groupes d'intérêts
et lobbys russes, dont l'argent a inondé l'Europe, en particulier le
Royaume-Uni, pendant les quinze dernières années. Cela leur a permis de
s'immiscer dans notre establishment politique et économique. Trop de personnes
avaient trop d'intérêts personnels dans le succès de la Russie de
Poutine : des politiciens, des entrepreneurs, des institutions…
Rendez-vous compte : les Russes accordaient des prêts à nos partis
politiques, et jusqu'à il y a peu, un ancien Premier ministre français et un
ancien chancelier allemand siégeaient dans les comités de direction
d'entreprises tenues en partie par l'État russe, influençant les opinions
publiques de leurs pays respectifs. C'est incroyable que cela soit permis. Dans
nos pays, au contraire des États-Unis, vous pouvez travailler pour une
compagnie russe, même une compagnie d'État, sans que personne le sache.
L'argent russe a corrompu nos sociétés, particulièrement nos élites.
La descente aux enfers de Gerhard Schröder, l'ami de Poutine
Avons-nous été naïfs ?
Oui,
mais aussi lâches, et corrompus par ce mur d'argent. De surcroît, nous aurions
dû être plus attentifs à ce qui se passait en Syrie, sous nos yeux. Les Russes
y détruisaient des hôpitaux et nous n'avons rien fait. Ils ont permis l'usage
d'armes chimiques contre des populations civiles et nous n'avons pas cillé.
Pour finir, la sortie chaotique d'Afghanistan l'été dernier a accentué l'audace
des Russes à continuer l'invasion de l'Ukraine.
Que cherche la Russie ?
Je
ne pense pas qu'elle ait une stratégie particulièrement cohérente. Mais elle
considère l'Ouest comme une menace, un concurrent, et même un ennemi. La pensée
poutinienne est celle du jeu à somme nulle : tout ce qui est bon pour la
Russie est mauvais pour l'Ouest et vice-versa. Ils ne peuvent penser en
« gagnant-gagnant », y préférant même le
« perdant-perdant ». La Russie n'a jamais perdu sa prétention
à être une grande puissance et à posséder une zone d'influence
« tampon » entre l'Ouest et elle, entretenue par sa victoire en 1945,
son siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, et son acquisition de
l'arme nucléaire.
Bien
que sa population soit désormais deux fois plus petite que celle de l'URSS, sa
mentalité – et sa brutalité – n'a pas changé. L'arrivée de Poutine y a
contribué. Le passé de l'autocrate, né à Léningrad, assiégée pendant la guerre,
semble l'avoir beaucoup marqué, par exemple dans sa propension à voir des
menaces partout. Mais il ne faut pas confondre la peur de Poutine vis-à-vis de
l'Ouest et sa crainte que son propre peuple veuille confondre la corruption de
son régime et instaurer une démocratie. Même s'il a intelligemment réussi à
confondre les deux, sa vraie peur est dirigée vers son peuple. D'où sa
propagande : que les Russes ne sont pas des Occidentaux et même que
l'Ouest les menace. Pourtant, les seules invasions réussies de la Russie sont
venues de l'Est.
Vladimir Poutine, la paranoïa d'une vie
Comment l'Ouest peut-il vivre en
bonne intelligence avec un tel pays ?
L'Ouest
est en relation, notamment économique, avec de nombreux pays non
démocratiques : la Chine, l'Égypte, l'Arabie saoudite… Et parfois même de
façon « gagnant-gagnant ». Le problème que pose la Russie est qu'elle
n'est pas satisfaite de sa situation actuelle, notamment de la baisse de son
influence. Elle n'est pas un pouvoir conservateur mais révisionniste : sa
politique étrangère est déstabilisatrice. Elle n'a pas le même intérêt au statu
quo que, par exemple, la Chine, car en dehors des matières premières, elle
n'est pas un grand pays commercial. C'est pourquoi il est bien plus difficile
de traiter avec elle qu'avec les autres.
Nous semblons en même temps sous-estimer et
surestimer la Russie. Pourquoi ?
La
Russie n'est pas un pays très puissant ou influent. Elle a l'arme nucléaire et
elle effraie le monde, mais elle a dans le même temps un plus petit PIB que
l'Italie. Poutine est un esprit tactique et non stratégique. Il n'a pas fait
avancer son pays depuis son arrivée au pouvoir. Mais il a su lui conserver un
impact disproportionné sur les relations internationales en usant des quelques
outils dont il dispose et sa propension à ne pas respecter les règles du jeu.
Le pouvoir de Poutine sur la Russie est-il
impossible à briser ? Peut-il subir un coup d'État ? Être
démocratiquement remplacé ?
La
Russie n'a jamais été une démocratie. Elle en a quelques éléments, introduits
dans les années 1990, tout comme elle en avait introduit
en 1861 quand le servage a été aboli puis après sa défaite contre le
Japon en 1905. Mais ce sont des périodes éphémères qui n'ont jamais mené à
l'établissement d'un État de droit. Pour établir une société démocratique,
civilisée et complexe, l'État de droit doit venir avant le vote. C'est ce qui
s'est passé en Corée du Sud ou au Chili. La Russie avait depuis 1991 quelques
éléments démocratiques comme une relative liberté de la presse ou le vote, mais
pas de droits de propriété bien établis, pas de société civile solide. De
surcroît, de nombreux jeunes Russes bien éduqués, au lieu de rester en Russie,
quittent le pays pour gagner leur vie à Paris, à Londres ou dans la Silicon
Valley. Poutine a provoqué une énorme fuite des cerveaux, ce qui rend plus
difficile l'avènement d'une réforme de l'intérieur.
Quelle est l'influence de la Russie à
l'Ouest ?
Au-delà
de ce que j'ai déjà évoqué, je pense aux déstabilisations des démocraties
occidentales via les réseaux sociaux : en 2016, au Royaume-Uni et aux
États-Unis ; en 2017, en France ; en 2014, lors du référendum
d'indépendance en Écosse. Ces opérations agressives, qui sont maintenant une
facette importante de la politique étrangère russe, sont organisées par les
services russes pour saper les candidats modérés et le processus électoral, et
susciter de la dissension. Nous verrons ce qui se passe lors de votre
présidentielle, mais, pour les Russes, tous les coups sont permis.
Ces opérations fonctionnent-elles
vraiment ?
Les
résultats sont mitigés. Elles ont bien fonctionné pour le Brexit et l'élection
de Donald Trump, mais maintenant que nous les connaissons, nous pouvons les
dénoncer avant même qu'elles aient lieu. C'est ce qui se produit en ce moment
dans le conflit ukrainien : l'Occident est de plus en plus compétent pour
contrer la désinformation russe.
Dans le cas du Brexit ou de l'élection
présidentielle américaine, les sociétés visées par ces opérations étaient mûres
pour le conflit…
Les
services russes savent amplifier intelligemment les lignes de faille de nos
sociétés. On l'a vu de façon éclatante avec l'opération menée récemment à la
frontière entre la Biélorussie et la Pologne, lorsque les Russes ont envoyé des
réfugiés vers l'Europe. On l'a aussi vu en Syrie, où des populations ont été
bombardées afin de ne pas avoir d'autre choix que de quitter leur pays pour se
diriger vers l'Europe. Les divisions qu'ils ont accentuées ont d'ailleurs
favorisé les événements du Capitole le 6 janvier 2021.
Phébé – Désinformation : tous les trolls ne se ressemblent pas
Pensez-vous que nous soyons capables de
minimiser ces vulnérabilités ? En France, personne ne souligne que nos
ennemis profitent de nos divisions.
En
même temps, l'invasion de l'Ukraine nous a réveillés. Bien des choses que nous
tenions pour acquises dans les 70 dernières années se sont révélées
fragiles. Des barrages d'artillerie qui détruisent des villes européennes font
plutôt penser à 1945 qu'à 2022.
Les gouvernements occidentaux et leurs
services de renseignements doivent-ils chercher à saper des adversaires
autocratiques comme la Russie (en temps de paix) dans le but d'affaiblir les
régimes ou de les changer ? Dans quelle mesure de telles opérations
sont-elles susceptibles d'être efficaces et quels sont les risques et les
inconvénients à les mener ?
Essayer
de provoquer des changements de régime depuis l'extérieur n'est pas une bonne
idée. Il faut répondre aux agressions par des sanctions, mais d'un point de vue
éthique et pragmatique, les efforts des services de renseignements pour changer
un régime comme celui de Poutine ou de Saddam Hussein ne sont guère couronnés
de succès. Si ces régimes se réforment, cela doit venir
« naturellement » et de l'intérieur. Cela ne veut pas dire pour
autant qu'il faut laisser les populations concernées dans l'ignorance. Ni non
plus qu'il faut rester passif dans les cas extrêmes, lorsque ces régimes
constituent une menace existentielle – comme aujourd'hui en Russie.
Pour
aider les sociétés à changer, il faut les comprendre. C'est là où les
services de renseignements occidentaux ont échoué vis-à-vis de la Russie dans
les dernières années. Pour comprendre la Russie, il ne suffit pas de connaître
l'État, l'armée et le complexe militaro-industriel, mais il faut analyser
l'interface entre crime organisé et politique, entre richesse oligarchique et
politique, entre proxy hors de Russie et kleptocratie. Il faut comprendre
comment ces parties fonctionnent de concert afin de mettre le doigt sur ce qui
peut être utilisable. Je pense que nous n'en avons pas été capables par manque
d'imagination et de ressources, en particulier parce que celles-ci sont
utilisées pour lutter contre le terrorisme. Au Royaume-Uni, ceux qui
comprennent le mieux la Russie ne travaillent plus pour le gouvernement.
Faut-il discuter avec les Russes ? La stratégie
française n'est pas claire…
Emmanuel
Macron voit une opportunité d'étendre son influence via cette crise. Cela ne
veut pas dire qu'il ne faut pas discuter avec Poutine. Mais il faut le faire en
étant en position de force et capable de comprendre ses interlocuteurs. Ma
crainte, c'est que nous ne comprenions pas suffisamment en quoi ces gens
pensent et agissent différemment de nous. Les gens que Poutine respecte ne sont
pas du genre d'Angela Merkel ou Emmanuel Macron. Le président finlandais, Sauli
Niinistö, a une relation intéressante avec Poutine, qui n'implique, je crois,
aucune compromission. Les leaders finlandais et baltes savent eux aussi à qui
ils ont affaire. C'est ce genre d'individus qu'il faut écouter, parce qu'ils
ont évolué dans le même environnement que le leader russe.
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Tout c’est dilué par la mollesse
des dirigeants occidentaux US et français qui se sont transformés en bavards
donneurs de leçons boutiquiers trop occupés à faire du profit avec
l’argent roi en multipliant les
mauvais choix stratégiques et économiques!
Croyant que la paix après les
deux dernières guerres était enfin acquise définitivement et donc ne se sont
pas méfier de la grande Russie impériale amputée de certaines de ses républiques
totalitaires et de ce nouveau jeune apprenti dictateur Poutine qui vient de se
confirmer dangereux en faisant peur aux européens et occidentaux voire monde
entier avec bien sur leur ennemi héréditaire les USA !
Pour le gaz et énergies fossiles l’Allemagne
et les 2 derniers chanceliers allemands G.SCHRODER et surtout A.MERKEL qui pour elle née en RDA
ex soviétique avait forcement des rapprochements avec la Russie de par sa
culture remontant à son enfance adolescence et ses études et bien sûr jusqu’à
la réunification des deux Allemagnes
RFA/RDA jusqu’à construire des pipeline nord stream de gaz avec la
Russie et même un 2eme pour l’instant stoppé !
Le fameux couple bidon
franco-allemand d’avant la prise de pouvoir de MERKEL ne marchait plus aussi
bien loin de là car c’est elle qui tirait les ficelles !
Conséquences les alliés et leur
OTAN épouvantail courent après leurs queues comme des chiens perdus avec cette
guerre en UKRAINE qu’ils n’avaient pas prévue comme d’habitude !?
Pendant ce temps-là nous allons
probablement réélire notre président sortant qui bavarde avec ce dictateur
russe déjanté incontrôlable !
Ce qui confirme qu’on est mal
gouverné en Europe et çà c’est préoccupant car mal protégé en 1939 on avait
fait la même erreur !
Jdeclef 30/03/2022 10h31LP
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